COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 19 MAI 2015
N°2015/
NT/FP-D
Rôle N° 14/09143
[C] [R]
C/
SAS [Y] ET [W]
Grosse délivrée le :
à :
Me Carole BORGHINI-
DUNAC, avocat au barreau de NICE
Me Christophe RICOUR, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NICE - section I - en date du 05 Mars 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1994.
APPELANT
Monsieur [C] [R], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Carole BORGHINI-DUNAC, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SAS [Y] ET [W], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Christophe RICOUR, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE (34-38 rue Salvadore Allende 92000NANTERRE)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON , Présidente
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 mai 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 mai 2015
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Présidente et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
M. [C] [R] a été embauché par la société [Y] et [W] en 1995 en qualité de gestionnaire stagiaire. Par avenant daté du 15 septembre 1999, il lui a été confié les fonctions de promoteur des ventes. Concomitamment à celles-ci, M. [C] [R] a exercé plusieurs mandats électifs (membre titulaire du comité d'entreprise, délégué du personnel suppléant, délégué syndical).
La société [Y] et [W] a licencié M. [C] [R] pour faute grave par lettre du 23 février 2005, après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail.
M. [C] [R], ayant contesté la décision administrative autorisant son licenciement, en a obtenu l'annulation par arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 23 octobre 2008, confirmée par décision du Conseil d'Etat du 23 décembre 2010.
Reprochant à la société [Y] et [W] d'avoir failli à son obligation de le réintégrer dans l'entreprise à la suite de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, M. [C] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nice qui, par décision en sa formation de départage du 5 mars 2014, notifiée le 17 avril 2014, a :
-constaté que M. [C] [R] n'a pas fait l'objet d'un licenciement postérieurement à 2005 mais a délibérément refusé de réintégrer un poste de travail à l'issue de l'annulation de son licenciement du 23 février 2005,
-par application des dispositions de l'article L 2422-2 du code du travail, condamné la société [Y] et [W] à lui payer une indemnité de 71 108,40 €, outre une indemnité de préavis de 7832€, une indemnité de 783 € au titre des congés payés et une indemnité de licenciement de 7329,60 €,
-débouté pour le surplus.
Par lettre recommandée dont le cachet postal est daté du 28 avril 2014, M. [C] [R] a relevé appel de ce jugement.
Il a postérieurement pris acte, par lettre du 26 janvier 2015, de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, à qui il reproche le non respect de la procédure de réintégration, le non paiement de ses salaires depuis le mois de février 2005 et l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail.
M.[C] [R], en cause d'appel, demande la condamnation de la société [Y] et [W] à lui payer :
260 018 € à titre d'indemnité compensatrice de perte de salaire et de préjudice subi à la suite de l'annulation de son licenciement,
26 001 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
7 832 € au titre de l'indemnité de préavis,
783 € au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,
33 300 € au titre de l'indemnité de repas,
77 500 € au titre de l'indemnité de frais de voiture,
13 574,17 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
97 734 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
75 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination,
9 734 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
150 000 € à titre d'indemnité pour harcèlement moral,
6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [Y] et [W] conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit qu'elle avait respecté l'ensemble de ses obligations légales en matière de réintégration au profit de M.[C] [R], jugé que ce dernier a renoncé à sa demande de réintégration et limité le montant de l'indemnisation au titre du préjudice subi du fait de l'annulation du licenciement, sauf à réduire encore celle-ci à la somme de 64 623,40 €.
Elle demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle accepte de verser à M. [C] [R] la somme nette de 6 485 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 648 € au titre des congés payés afférents ainsi que la somme de 7 179,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement.
Elle sollicite, en outre, 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues oralement par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 2 mars 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la réintégration
Attendu qu'il est constant que M. [C] [R], salarié protégé de la société [Y] et [W] et licencié pour faute grave par lettre du 23 février 2005, a obtenu l'annulation par arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 23 octobre 2008, notifié le 28 octobre 2008 et confirmé par décision du Conseil d'Etat du 23 décembre 2010, de l'autorisation administrative de licenciement et sollicité par lettre du 23 décembre 2008 sa réintégration dans les effectifs de l'entreprise ; que l'examen des nombreuses correspondances échangées par les parties révèle :
-que par correspondances des 27 janvier 2009, 26 février 2009 et 24 mars 2009, la société [Y] et [W] a formulé des propositions de réintégration à M. [C] [R] qui les a refusées par lettres datées des 4 février 2009 et 26 mars 2009 au prétexte d'une modification substantielle de son contrat de travail ;
-que la société La société [Y] et [W] a formulé une dernière proposition de réintégration par lettre du 29 avril 2009, une nouvelle fois refusée par M. [C] [R] par courrier du 11 mai 2009,
-que la société [Y] et [W] a alors signifié à M. [C] [R] par lettre du 9 juin 2009 qu'elle prenait acte de son refus d'être réintégré ;
Attendu que selon l'article L 2422-1 du code du travail le salarié exerçant un mandat représentatif dont l'autorisation de licenciement est annulée, a droit s'il le demande dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la décision d'annulation, à être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent ; que la société [Y] et [W] a explicitement proposé, par lettre datée du 29 avril 2009, à M. [C] [R] un emploi de promoteur des ventes sur les Alpes Maritimes, statut employé, coefficient 240 niveau 3, échelon 3 de la convention collective 3041, avenants brosserie, pour un salaire de base mensuel brut de 1 553 € assorti d'une prime d'ancienneté de 173,68 € (12%), d'un 13 ième mois, de la « vitrine de primes » des promoteurs des ventes, et d'une prime de gestion égale à 1 % du chiffre d'affaires brut hors taxe et précisé que «le potentiel du secteur...(est) d'environ 1,5 million d'euros à l'année » ; que M. [C] [R], qui a refusé cette dernière proposition par lettre du 11 mai 2009 aux termes de laquelle il indique notamment « ..j'ai du prendre une décision et accepter la proposition d'un autre employeur. Le secteur proposé de 1,5 M d'euros peut paraître intéressant mais impossible à gérer dans la durée légale du travail.. », soutient que le secteur attribué aurait exigé qu'il accomplisse « des heures supplémentaires dissimulées » (page 23 de ses conclusions) ; qu'il y a lieu cependant d'observer :
-qu'avant son licenciement M. [C] [R], occupait bien un poste de promoteur des ventes sur le département des Alpes Maritimes,
-que suivant arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 13 février 2006, il lui a été reconnu le bénéfice du coefficient 240 à partir de 1999,
-qu'il n'est pas discuté que les primes, l'intéressement et le montant du salaire de base figurant dans la proposition du 29 avril 2009 ne sont pas inférieurs à ceux dont il bénéficiait avant son licenciement,
-que le chiffre d'affaires de 1, 5 million d'euros figurant dans la proposition du 29 avril 2009 n'est aucunement un objectif assigné mais une estimation de la potentialité commerciale du secteur proposé de sorte que M. [C] [R] ne saurait être suivi quand il soutient qu'il aurait été contraint de faire des heures de travail dissimulées, étant surabondamment observé que dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 13 février 2006, il reprochait, au contraire, à son employeur de lui avoir attribué un secteur commercial insuffisant ;
qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations, il sera retenu que la société [Y] et [W] a bien proposé le 29 avril 2009 à M. [C] [R] un emploi pour le moins équivalent, compte tenu de l'évolution de l'activité, à celui qu'il occupait avant son licenciement ; que le refus de cette proposition par lettre de M. [C] [R] du 11 mai 2009, évoquant son recrutement par une autre entreprise, doit en conséquence être interprété comme la manifestation définitive et non équivoque de sa volonté de ne pas être réintégré ; qu'en conséquence, aucun effet juridique ne saurait être attaché :
-à la lettre de M. [C] [R] du 4 mars 2011 sollicitant à nouveau sa réintégration,
-à la prise d'acte du 26 janvier 2015, en l'absence de survivance du contrat de travail, compte tenu de la renonciation du salarié à être réintégré ;
Attendu qu'en raison de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, M. [C] [R] a droit, en application de l'article L 2422-4 du code du travail, à une indemnisation
correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de 2 mois depuis la notification de la décision annulant l'autorisation administrative de licenciement en l'absence de réintégration, soit, en l'espèce, du 23 février 2005 date de la lettre de licenciement pour faute grave, au 28 décembre 2008, date d'échéance du délai de 2 mois depuis la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai ; que selon les dispositions susvisées, l'indemnité doit se calculer en tenant compte des cotisations sociales contrairement à ce que soutient l'employeur ; qu'il conviendra donc de retenir un salaire mensuel moyen brut de 3 916,50 € soit une rémunération annuelle de 46 998 €, ce qui donne, après déduction des revenus de remplacement perçus par M. [C] [R], figurant sur les photocopies des documents fiscaux produits (pièces 30) :
2005 : 46 998 € x 311/365 jours - 16 173 € = 23 871,87 €
2006 : l'avis d'imposition pour cette année fait apparaître des revenus supérieurs à 46 998 €
2007 : 46 998 € - 24 817 € = 22 181, 00 €
2 008 : 46 998 € - 16 887 € = 30 111,00 €
total : 76 163, 87 €
Attendu qu'il est d'autre part constant que M. [C] [R] bénéficiait d'une voiture de fonction, avantage en nature constituant un complément de salaire que la cour évaluera, au vu des bulletins de salaire, à 2 532, 76 € (55,06 € x 46 mois) pour la période considérée, somme qui sera ajoutée à l'indemnité de 76 163,87 €;
Attendu, en revanche, que l'indemnité repas, qui constitue, non une rémunération mais l'indemnisation de dépenses non engagées par M. [C] [R], n'apparaît pas devoir être retenue ;
Attendu que selon l'article L 2422-3 du code du travail l'indemnité d'éviction constituant un complément de salaire, il conviendra d'allouer à M. [C] [R] une somme de 7 869, 66 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente ;
2) Sur la rupture du contrat de travail
Attendu que l'indemnisation du préjudice consécutif à l'annulation d'une autorisation administrative de licenciement en faveur du salarié protégé non réintégré, n'exclut pas l'indemnisation du licenciement lui-même si celui-ci s'avère dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'il doit être observé que la cour administrative d'appel de Douai, dans son arrêt du 23 octobre 2009, confirmé par le Conseil d'Etat, a constaté l'irrégularité de l'avis du comité d'établissement sur le projet de licenciement de M. [C] [R] ; que cette irrégularité viciant sur le fond le licenciement, M. [C] [R] est fondé à demander l'indemnisation de la rupture, dépourvue de cause réelle et sérieuse, de son contrat de travail ; qu'en application de l'article L 1235-3 du code du travail, compte tenu des circonstances du litige, de son ancienneté (10 ans), de sa rémunération mensuelle moyenne brute et des pièces relatives à sa situation financière et personnelle, la cour allouera à M. [C] [R] :
-une indemnité de licenciement abusif arbitrée à 25 000 € ;
-une indemnité compensatrice de préavis d'un montant, non contesté, de 7 832 € outre l'indemnité de congés payés afférente,
-une indemnité de licenciement d'un montant de 7 943,12 € (10 ans d'ancienneté x salaire mensuel moyen brut, avantage en nature compris, de 3 971,56 € x 1/5) ;
3) Sur la discrimination syndicale
Attendu que M. [C] [R] évoque une situation de discrimination syndicale en ce que la société [Y] et [W] aurait, à la suite de l'adoption de mesures de réorganisation de son secteur commercial, baissé sa rémunération à partir de l'année 2004, appliqué un coefficient professionnel erroné et dégradé, ainsi, ses conditions de travail ;
Attendu qu'il doit être constaté, ainsi que le soutient l'employeur, que les faits évoqués par M. [C] [R] au soutien de sa demande en dommages et intérêts pour discrimination syndicale, relatifs à la modification de son secteur d'activité, à la baisse de sa rémunération et à l'application d'un coefficient erroné, ont déjà été soutenus à l'appui de demandes en paiement de rappels de rémunération dans le cadre de l'instance n° 05/04895 engagée devant la juridiction prud'homale le 25 février 2004 et ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence daté du 13 février 2006 ayant partiellement accueilli les demandes de M. [C] [R] ; que même s'il n'apparaît pas des pièces produites que le conseil de prud'hommes comme la cour d'appel aient alors statué sur l'existence d'une situation de discrimination syndicale, les faits évoqués par M. [C] [R] pouvant caractériser celle-ci sont antérieurs à l'engagement de la procédure prud'homale n° 05/04895 , et étaient, à cette date, parfaitement connus du salarié ainsi qu'en témoignent les pièces de procédure, de sorte qu'en application de l'article R 1452-6 du code du travail posant le principe de l'unicité de l'instance prud'homale, il y a lieu de déclarer irrecevable la demande en dommages et intérêts pour discrimination syndicale dès lors que celle-ci n'a pas été soutenue dans le cadre de l'instance n° 05/04895 ;
4) Sur le harcèlement moral
Attendu que contrairement à ce que soutient M. [C] [R], la cour estime que la longueur et les péripéties de la procédure, qui tiennent, en partie, à la complexité de la situation de l'appelant dont la société [Y] et [W] ne peut être tenue pour responsable, ne sauraient constituer la preuve de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral imputable à l'employeur et pouvant justifier sa condamnation à des dommages et intérêts ; que la demande à ce titre sera en conséquence rejetée ;
5) Sur les autres demandes
Attendu que l'équité justifie d'allouer à M. [C] [R] 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les dépens seront laissés à la charge de la société [Y] et [W] qui succombe à l'instance ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
-Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nice du 5 mars 2014
-Statuant à nouveau et y ajoutant :
-Condamne la société [Y] et [W] à payer à M. [C] [R] :
78 696,63 € à titre d'indemnité d'éviction,
7 869,66 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
7 832 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
783,20 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
7 943,12 € à titre d'indemnité de licenciement,
25 000 € à titre d'indemnité de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
-Condamne la société [Y] et [W] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT