COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT SUR CONTREDIT
DU 16 AVRIL 2015
N°2015/229
BP
Rôle N° 14/21925
[J] [D]
C/
Société SUNSEEKER INTERNATIONAL LIMITED
Grosse délivrée le :
à :
Me Sylvain JACQUES, avocat au barreau de GRASSE
Me Anne-Laure PERIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE - section E - en date du 22 Octobre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1231.
DEMANDEREUR SUR CONTREDIT
Monsieur [J] [D], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Sylvain JACQUES, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Morgane BATTAGLINI, avocat au barreau de GRASSE
DEFENDERESSE SUR CONTREDIT
Société SUNSEEKER INTERNATIONAL LIMITED, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne-Laure PERIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
([Adresse 1])
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 05 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte PELTIER, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Brigitte PELTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Avril 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Avril 2015
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [D] a été embauché à compter du 1er juin 2000 par la société Sunseeker International Limited, de droit anglais qui produit et commercialise des navires de plaisance de luxe.
Le 6-12-12, il a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse à fin d'entendre ordonner son inscription auprès des organismes français de sécurité sociale et Pôle Emploi, la régularisation des cotisations sociales, la délivrance des fiches de payes rectifiées, entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, obtenir paiement des indemnités et dommages et intérêts subséquents, désigner un expert pour chiffrer son préjudice lié au défaut de règlement des cotisations retraite.
M. [D] a fait l'objet d'une procédure disciplinaire s'achevant le 3 juillet 2013 par la notification d'un « dismissal for gross misconduct », correspondant à un licenciement pour faute grave ;
L'affaire a été plaidée le 29-01-14 et par jugement en date du 22-10-14, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nice.
Par déclaration enregistrée le 10 novembre 2014, M. [D] a formé contredit de ce jugement.
Aux termes de leurs écritures, reprises oralement à l'audience, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, et des prétentions, les parties formulent les demandes suivantes :
M. [D] demande en principal, de retenir la compétence de la juridiction prud'homale, d'évoquer le litige au fond, de dire le contrat de travail soumis au droit français, la convention collective de la navigation de plaisance applicable, d'ordonner son inscription auprès des organismes français de sécurité sociale et Pôle Emploi, la régularisation des cotisations sociales, la délivrance des fiches de payes, le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au jour du jugement à intervenir, obtenir paiement des sommes de :
- 140.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 21.261 € à titre d'indemnité de préavis outre congés payés y afférents,
- 42.522 euros à titre à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 15.500 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 217.852,90 € à titre de dommages et intérêts pour défaut d'affiliation au régime des retraites,
- 150.000 € pour compensation fiscale,
- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, désigner un expert pour chiffrer son préjudice lié au défaut de règlement des cotisations retraite, lui accorder une provision de 150 000 euros à ce titre, outre paiement d'une somme de 86.688 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d'affiliation à pôle emploi ;
A titre liminaire, il soutient que le conseil de prud'hommes a compétence exclusive ; que l'application de la législation sociale n'est que la conséquence de la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail soumis au droit français et que le droit du travail est autonome par rapport au droit de la sécurité sociale ; que l'application du code du travail résulte des articles 3.1 et 8 du règlement CE 593/2008 du 17 juin 2008 ; qu'il résidait en France, bien que de nationalité britannique, lorsqu'il a été embauché ; que l'intégralité du contrat de travail était exécuté en France ; que le défaut d'application de la loi française constitue un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire et caractériser le délit de travail dissimulé ; qu'il a été licencié pour un motif fallacieux, alors qu'il avait saisi le conseil de prud'hommes ; qu'il devait être assujetti à la sécurité sociale française ; que ses demandes en paiement sont justifiées ;
La société Sunseeker conclut à la confirmation du jugement entrepris, au débouté adverse, et au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'entiers dépens ;
Elle fait valoir que M. [D] demande de juger que le conseil de prud'hommes aurait dû être compétent pour constater qu'il aurait dû être affilié au régime de sécurité sociale française ; que sa demande porte donc sur un litige relatif à l'assujettissement d'éléments de rémunération aux cotisations sociales, et donc, à des questions d'affiliation et d'immatriculation au régime de sécurité sociale et à l'assiette des cotisations et qu'une telle demande relève manifestement de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale, en vertu notamment de l'article L.142-1 du Code de la sécurité sociale ; que si par extraordinaire, la compétence du conseil de prud'hommes devait être retenue, il doit être constaté que M. [D] n'avait pas à bénéficier du régime français de sécurité sociale dans la mesure où le contrat signé entre les parties est de droit anglais, le salarié n'ayant jamais contesté l'application de la loi anglaise jusqu'à ce que son employeur le somme, en septembre 2012, de s'expliquer sur ses liens avec d'autres sociétés, y compris concurrentes et qu'il a préféré l'application de la législation anglaise, plus favorable au titre de la rémunération ; que par application de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass. 2 ème civ. 4 juill. 2007, n°06-16.179), la dévolution ne s'opère pas lorsque la Cour d'appel confirme un jugement par lequel un tribunal s'est déclaré incompétent, même si elle est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente ; que les parties ont eu pour volonté, lors de la conclusion du contrat de travail, d'appliquer la loi anglaise et qu'en conséquence, M. [D] bénéficiait du système de protection sociale de ce pays sans que cela ne puisse constituer un manquement de l'employeur ; que le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties comme énoncé à l'article 3.1 de la convention de Rome du 19 juin 1980, principe maintenu dans le règlement Rome I qui précise, expressément, dans son article 8, qu'il s'applique au contrat de travail ; qu'en l'absence de clause contractuelle expresse déterminant la loi applicable au contrat, les juges doivent rechercher les indices permettant de déterminer la volonté des parties ; que les parties ont incontestablement eu la volonté de soumettre le contrat à la législation britannique ; que compte tenu de l'application de la loi anglaise, M. [D] n'est pas fondé à réclamer le bénéfice de la protection sociale du régime français, puisque affilié à la « National Insurance » qui constitue l'équivalent anglais de la sécurité sociale française ; que sa demande de résiliation judiciaire est infondée ; qu'il s'est lancé dans l'exploitation à titre personnel d'une activité identique à celle de la Société Sunseeker et a ainsi détourné une partie de la clientèle ; que les demandes en paiement ne sont pas fondées ; qu'elles se heurtent en outre, en grande partie, aux dispositions légales relatives à la prescription quinquennale applicables aux obligations en matière d'affiliation au régime de la sécurité sociale ; qu'aucune intention frauduleuse n'étant établie, la demande formée au titre de l'indemnité pour travail dissimulé n'est pas fondée d'autant que l'employeur a satisfait au paiement des cotisations dues auprès des organismes britanniques ;
SUR CE
Sur la compétence du conseil de prud'hommes :
En application de l'article L. 1411-4 du code du travail : « Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite (...) » ;
Il ressort des débats ainsi que des pièces du dossier que M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes à fin de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de sorte qu'à supposer que la demande visant à entendre ordonner l'inscription de l'employeur auprès des organismes de sécurité sociale relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction, cette circonstance est inopérante s'agissant de la compétence du conseil de prud'hommes au regard de la demande principale à fin de résiliation judiciaire, formée devant le conseil de prud'hommes de Grasse sans qu'une incompétence de l'ordre juridictionnel français n'ait été opposée ;
Le jugement déféré, aux termes duquel le conseil de prud'hommes a décliné sa compétence au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale, ne peut en conséquence qu'être infirmé ;
L'ancienneté du litige, introduit le 6-12-12, justifie dès lors, dans un souci de bonne administration de la justice, qu'il soit fait droit à la demande d'évocation du litige au fond ;
Sur la loi applicable au contrat :
En application de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 que les parties s'accordent à reconnaître applicable : « 1. Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause (...) »
Au cas d'espèce, le contrat de travail ne précise pas la loi applicable au contrat ;
Toutefois, et comme le soutient la société Sunseeker, il ressort débats et pièces du dossier que le contrat de travail régularisé le 12-02-01
- a été rédigé en langue anglaise, langue également utilisée pour les échanges entre les parties (courriers et courriels) y compris relatifs aux comptes professionnels bancaires,
- a été conclu entre la société Sunseeker, immatriculée en Angleterre et M. [D], citoyen britannique,
- ne mentionne pas le domicile du salarié, lequel ne démontre pas qu'il résidait déjà en France à cette époque, et prévoit quant au lieu d'exécution de la prestation de travail : « L'employé exercera son activité soit sur le site de the Willis Way, Dawkins Road, West Quay Road, soit sur celui de New Quay Road. La société se réserve le droit, sur une base temporaire ou permanente, de transférer l'employé sur un autre site si le transfert s'avère nécessaire et raisonnable.», observation devant être faite, comme le souligne l'intimée que des offres de mutations ont été faites au salarié courant 2013 sur un poste en Angleterre (cf pièce 9),
- fait application d'une période d'essai d'une durée de 3 mois correspondant à la durée librement choisie en droit anglais, observation devant être faite qu'aux termes d'un courrier précédent (en date du 21-05-00) le salarié avait été engagé à compter du 1er juin 2000 afin (selon traduction libre du salarié) «de suivre le travail de garanti et les services généraux clients basé dans notre zone côte d'azur France», avant d'être promu par courrier du 31-01-01 à la position de service ingénieur au sein de Sunseeker International, intégrant une période d'essai de 12 semaines à compter du 12-02-01,
- a prévu une durée contractuelle du temps de travail fixée à 40 heures par semaine correspondant au modèle anglais et incluant notamment le traditionnel « tea break » anglais à 10h00 et à 16h45, ainsi que le bénéfice des jours fériés en vigueur en Angleterre et aux Pays de Galles à savoir notamment le «Boxing Day » et « Good Friday » (article 4.8 du contrat de travail),
- a fixé la rémunération du salarié en livres sterling, laquelle a été versée sur un compte bancaire anglais ouvert auprès de la « Midland Bank » (pièce 14),
- a rappelé aux articles 10 et 11 du contrat de travail l'application de la procédure disciplinaire conforme au droit britannique, aménageant la possibilité de faire appel d'une sanction disciplinaire, observation devant être faite que M. [D] a été licencié au terme de la procédure disciplinaire contractuellement prévue et non contestée lors de sa mise en 'uvre, y compris à l'occasion de l'appel qu'il a diligenté (pièce 15) ;
- a organisé le service des pensions de retraite et assurance en cas de décès, ainsi que l'âge du départ à la retraite,
Il ressort également des pièces produites que les bulletins de salaire ont été établis en langue anglaise, soumis aux cotisations sociales auprès des organismes britanniques (notamment la « National Insurance », constituant l'équivalent de la sécurité sociale française) et que M. [D] était suivi par la médecine du travail de la société ;
Il en résulte que la société Sunseeker est fondée à soutenir que les parties ont tacitement entendu se soumettre à la loi britannique, et que ce choix résulte de façon certaine des dispositions du contrat de travail ainsi que des circonstances de son application ;
Or, si la loi d'autonomie doit s'écarter devant la loi du lieu d'exécution du contrat, ce n'est toutefois que dans l'hypothèse où elle est plus favorable, circonstance non démontrée par M. [D] s'agissant du rattachement aux organismes sociaux français, objet de sa demande en résiliation judiciaire ; de fait, il ne conteste également pas, comme exposé par la société Sunseeker, que la loi britannique a été plus favorable pour lui, notamment en matière de rémunération, dans la mesure où il percevait paiement d'un salaire équivalent à 6.110,68 euros très supérieur au minima (de 1.759 à 4.133 euros selon l'échelon) de la convention collective dont il réclame l'application, et non soumis aux cotisations salariales de sécurité sociale ou CSG-CRDS ;
Il suit de ce qui précède que M. [D], qui ne démontre pas que son contrat de travail présentait des liens plus étroits avec la France, sera débouté de sa demande visant à entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au motif qu'il n'a pas été soumis aux organismes sociaux français ;
Les dépens, ainsi qu'une somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, seront supportés par la M. [D] qui succombe.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit le conseil de prud'hommes non compétent au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale, et statuant à nouveau,
Dit le conseil de prud'hommes compétent pour statuer sur le demande à fin de résiliation judiciaire.
Dit qu'il y a lieu d'évoquer le litige au fond.
Dit la loi britannique applicable au contrat de travail.
Déboute M. [D] de ses demandes.
Condamne M. [D] à payer à la société Sunseeker International Limited la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [D] aux entiers dépens.
Déboute les parties de toutes demandes, fins et conclusions autres, plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT