COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 31 MARS 2015
G.T
N° 2015/
Rôle N° 14/07082
SCP [U]
C/
SCI LES CHENES
Grosse délivrée
le :
à :Me DAVAL GUEDJ
Me CALLEN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 27 Février 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03548.
APPELANTE
SCP [U] poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Maria DA SILVA, avocat au barreau de TOULON du cabinet de Me Jean Michel GARRY, avocat au barreau de TOULON,
INTIMEE
SCI LES CHENES prise en la personne de son gérant en exercice M. [W] [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CALLEN, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Février 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, M.TORREGROSA, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Georges TORREGROSA, Président
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2015,
Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Les faits, la procédure et les prétentions :
Par acte authentique en date du 27 novembre 2007, par devant le notaire [Y] exerçant à [Localité 1] au sein de la société civile notariale Massiani-Roquebert, la société civile immobilière les chênes a acquis des consorts [R] le lot numéro un d'un ensemble immobilier situé à six fours les plages consistant en un appartement ; l'acte authentique porte mention d'une convention de voisinage datant du 22 octobre 2004, établi entre les vendeurs et Madame [F], copropriétaire du lot numéro deux voisin de celui vendu.
L'acte de vente contient également une clause de non garantie bénéficiant aux vendeurs.
La société les chênes s'est heurtée aux agissements de sa voisine et a recherché la responsabilité de ses vendeurs , ce qui n'a pas abouti puisque la cour d'appel a considéré dans son arrêt du 29 novembre 2011 que l'acte de vente comporte une clause non garantie et que l'acquéreur avait connaissance du risque d'éviction résultant de la convention du 22 octobre 2004 ;
Par acte en date du 2 juillet 2012, la société les chênes a donc assigné la société civile notariale sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Par jugement contradictoire en date du 27 février 2014, le tribunal de grande instance de Toulon a retenu la faute du notaire et l'a condamné à payer une somme de 19'158 € exposée au titre des frais judiciaires , une somme de 15'000 €en réparation du préjudice matériel, outre 2000 € pour le préjudice moral et 1500 € au titre des frais inéquitablement exposés.
La société civile notariale Massiani - Roquebert a relevé appel le 7 avril 2014 de façon régulière et non contestée. Il sera fait application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'appelant a conclu le 24 juin 2014 à la réformation, la cour retenant le mal fondé de l'action à l'encontre du notaire, puisque l'acheteur avait une parfaite connaissance de la situation et des risques encourus avant la signature du compromis et de l'acte authentique, a voulu régulariser en toute connaissance de cause en novembre 2007 avec la volonté expresse que l'acheteur intervienne en conformité avec les dispositions du compromis (sic) ; il n'y a aucun manquement du notaire et l'acheteur ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude.
Une somme de 2000 € est réclamée au titre des frais inéquitablement exposés.
La société civile immobilière les chênes a conclu le 26 juin 2014 à la confirmation, avec allocation d'une somme de 3000 € au titre des frais inéquitablement exposés .
L'ordonnance de clôture est en date du 10 février 2015 .
SUR CE :
Attendu que la société les chênes reproche au notaire un manquement à son obligation de conseil , et d'efficacité juridique de son acte , premièrement en ce qu'il ne ressort aucunement des clauses de l'acte de vente qu'elle a été informée de ce qu'elle ne pouvait utilement être garantie par son vendeur de l'éviction résultant du trouble de droit du fait d'un tiers voisin, le notaire ayant prévu à l'inverse une clause dérogeant à la garantie de l'article 1627 du Code civil;
En second lieu, et au regard de la rédaction même de la clause litigieuse, la société les chênes a été persuadée selon elle qu'elle pouvait ne pas tenir compte de la fameuse convention de voisinage , le notaire indiquant à cet effet « ne pas retenir cette convention » , son erreur étant caractérisée par un courrier postérieur à l'acte authentique adressé à son confrère [N] le 11 janvier 2008 ;
Attendu que cette analyse ne résiste pas à l'examen de l'arrêt de la cour d'appel en date du 29 novembre 2011 ayant statué dans le litige opposant la sociétés les chênes aux consorts [R], ses vendeurs, à l'occasion de l'acte de vente authentique du 27 novembre 2007 aujourd'hui querellé dans son efficacité ;
Attendu que statuant sur la garantie d'éviction réclamée aux vendeurs, la cour a reconnu un trouble de jouissance subi par l'acheteur , trouble de droit résultant de l'action d'un tiers se fondant sur une convention de voisinage signée le 22 octobre 2004, antérieurement à la vente, par Monsieur [C] [R];
Attendu que néanmoins , la cour a considéré qu'en application des dispositions des articles 1627 et suivants du Code civil, les parties peuvent, par des conventions contraires, exclure la garantie du vendeur, et que la clause de non garantie n'est opposable à l'acquéreur que si le trouble ne résulte pas d'un fait personnel du vendeur et s'il est démontré que l'acquéreur avait connaissance du risque d'éviction ;
Attendu que la cour a ensuite rappelé la clause de non garantie stipulée à l'acte de vente, et la mention intégrale dans cet acte de la convention de voisinage précisément à l'origine du trouble généré par les revendications de la voisine Madame [F] ,qui est un tiers par rapport à l'acte de vente passé par le notaire ;
Attendu que la cour a en substance rappelé que l'acquéreur les chênes a déclaré :
« l'acquéreur déclare avoir parfaite connaissance de cette convention tant par le compromis en date du 26 août et 8 septembre 2005 qu'en vertu d'un courrier du 7 février 2006 adressé par Maître [P] et reconnaît que celle-ci n'est pas opposable aux tiers faute d'avoir été publiée à la conservation des hypothèques et déclare ne pas retenir cette convention » ;
Attendu que la cour a donc considéré que l'acte de vente comportait une clause de non garantie et que l'acquéreur avait connaissance du risque d'éviction résultant de la convention du 22 octobre 2004, même s'ils déclarait « ne pas retenir cette convention » , l'essentiel étant que la convention conclue par son auteur Monsieur [R] était de nature à lui être opposée par Madame [F] , nonobstant son défaut de publicité foncière ;
Attendu que la situation n'a nullement évolué à l'occasion du présent litige en responsabilité contre le notaire , car il est suffisamment démontré que depuis le compromis et à l'occasion de l'acte de vente , la société les chênes a eu parfaitement connaissance de la convention de voisinage et de la possibilité d'immixion , à tout le moins de fait ,qu'elle conférait à la voisine sur le lot acheté , tel que décrit à l'État descriptif de division , mais surtout a accepté de se porter acquéreur en dépit de la situation de droit et de fait ainsi portée à sa connaissance ;
Attendu que le courrier du notaire des vendeurs Maître [P], en date du 11 août 2005 avant la signature du compromis , ne fait que corroborer la parfaite information sur le risque qui découlait de la passation de l'acte dans ces conditions , ainsi :
« je prends connaissance de votre dernière correspondance aux termes de laquelle vous m'informez vouloir régulariser le compromis de vente de cet appartement portant indication de la désignation telle qu'elle résulte des titres de propriété et d'une convention de voisinage passée avec l'autre copropriétaire... Toutefois, cette convention ne peut servir de base à la désignation des parties privatives vendues, ne s'agissant pas d'un État descriptif de division régulièrement établi, ainsi que j'ai pu vous en faire part lors de notre entrevue. Seul le rappel de cette convention, non opposable aux tiers, peut être effectué, à titre d'information à votre égard. Vous auriez dans un tel cas à faire votre affaire personnelle de cette situation sans recours contre les vendeurs » ;
Attendu que par courrier en date du 26 octobre 2007, le conseil des acheteurs indiquait au notaire [P] que « compte tenu des exigences non seulement récurrentes mais croissantes de Madame [F] qui fait échec à la régularisation de l'État de division, ma cliente ne peut attendre plus longtemps la réitération de l'acte de vente »
Attendu que la présente cour estime donc que toute l'information nécessaire a été donnée à l'acheteur, qui résulte des mentions mêmes de l'acte de vente , et qu'en toute hypothèse, et à admettre comme hypothèse (non démontrée) que la portée des rappels effectués ait été insuffisante , malgré les termes ci-dessus précisés du courrier du notaire [P] , avant la vente, il n'existe pas de lien direct avec la décision de passer l'acte qui a été prise en parfaite connaissance de l'effectivité de l'occupation par la voisine d'une partie du lot vendu ;
qu'en effet , la cour d'appel dans son arrêt antérieur rappelle qu'après la signature du compromis, la société les chênes s'est vu remettre les plans du géomètre ;
Attendu que la clause de non garantie stipulée à l'acte de vente doit par conséquent avoir son plein effet, ce qui motive l'infirmation du jugement de premier ressort ;
PAR CES MOTIFS, LA COUR statuant contradictoirement :
Déclare l'appel fondé ;
Infirme le jugement de premier ressort ;
Statuant à nouveau, déboute la société les chênes de toutes ses demandes ;
La condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile , outre le paiement à la société civile professionnelle Joël Massiani - Gabriel Roquebert d'une somme de 1500 € au titre des frais inéquitablement exposés .
LE GREFFIER LE PRESIDENT