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26/03/2015 | FRANCE | N°14/06272

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre b, 26 mars 2015, 14/06272


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 26 MARS 2015



N°2015/167

GP













Rôle N° 14/06272







SARL MULTISERVICES 06





C/



[F] [Z]

























Grosse délivrée le :

à :

Me Florent ELLIA, avocat au barreau de NICE



Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE



Copie cer

tifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section C - en date du 24 Janvier 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1386.





APPELANTE



SARL MULTI SERVICE 06, demeurant [Adresse 1]



rep...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 26 MARS 2015

N°2015/167

GP

Rôle N° 14/06272

SARL MULTISERVICES 06

C/

[F] [Z]

Grosse délivrée le :

à :

Me Florent ELLIA, avocat au barreau de NICE

Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section C - en date du 24 Janvier 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1386.

APPELANTE

SARL MULTI SERVICE 06, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Florent ELLIA, avocat au barreau de NICE substitué par Me Richard PELLEGRINO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [F] [Z], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE substitué par Me Marielle WALICKI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Février 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Brigitte PELTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2015

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Madame [F] [Z] a été embauchée en qualité d'agent de service AS1 le 1er septembre 2000 par la SARL MULTI SERVICE 06.

Elle était affectée sur le site du Casino [2].

Le 5 janvier 2010, la SARL MULTI SERVICE 06 a informé la salariée que la société avait été rachetée par le Groupe THEMESYS le 1er janvier 2010.

Le 20 janvier 2010, il a été notifié à la salariée une lettre d'avertissement pour des retards les 13, 19 et 20 janvier 2010.

Madame [F] [Z] a reçu un autre avertissement le 28 mars 2011 pour non respect des consignes de travail (défaut de port des équipements de protection individuelle), un troisième avertissement du 28 avril 2011 (daté du 28.03.2011) pour mauvaise exécution de ses prestations et refus d'exécuter les consignes de travail et un dernier avertissement le 29 juin 2012 pour mauvaise exécution de ses prestations d'entretien et non respect des consignes de travail.

Dans le cadre de la fermeture partielle à compter du 24 septembre 2012 de [2], la SARL MULTI SERVICE 06 a notifié à Madame [F] [Z], par courrier recommandé du 17 septembre 2012, sa réaffectation sur le site [1] à [Localité 5] pour une durée de 47,67 heures mensuelles et le maintien de son affectation sur [2] pour une durée de 104 heures mensuelles.

Par courrier recommandé du 4 octobre 2012, Madame [F] [Z] a été convoquée à un entretien préalable pour le 15 octobre à une mesure de licenciement, puis elle a été licenciée pour faute grave le 31 octobre 2012 en ces termes, exactement reproduits :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave.

En effet, depuis le 25 septembre 2012, vous ne vous êtes pas rendue sur le site de votre nouvelle affectation notifiée le 17 septembre 2012 par lettre recommandée avec AR N° 1A 076 277 6586 2, nouvelle affectation consécutive à la fermeture partielle du site la « [2]-Route du bord de mer [Localité 1] » et cela, malgré l'ensemble des informations fournies pour vous y rendre' ».

Contestant le bien-fondé de la mesure ainsi prise à son encontre et réclamant le paiement d'une indemnité pour harcèlement moral et d'indemnités de rupture, Madame [F] [Z] a saisi la juridiction prud'homale.

Par jugement du 24 janvier 2014, le Conseil de prud'hommes de Nice a condamné la SARL MULTI SERVICE 06 à payer à Madame [F] [Z] :

-28 072 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

-526,20 € à titre de rappel de salaire,

-52,62 € au titre des congés payés y afférents,

-3119,23 € à titre d'indemnité de préavis,

-311,92 € au titre des congés payés y afférents,

-4244,56 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

-700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

a ordonné à la SARL MULTI SERVICE 06 de remettre à Madame [F] [Z] ses bulletins de salaire et documents sociaux rectifiés, a débouté pour le surplus et a condamné la SARL MULTI SERVICE 06 aux entiers dépens.

Ayant relevé appel, la SARL MULTI SERVICE 06 conclut à ce qu'il soit constaté :

-qu'elle a exécuté de bonne foi le contrat de travail de Madame [F] [Z],

-la validité de la clause de mobilité insérée au contrat de travail de Madame [F] [Z],

-que la mise en 'uvre de la clause de mobilité était fondée sur la fermeture partielle du site de la société utilisatrice [2],

-en conséquence, le bien-fondé de la mise en 'uvre de la clause de mobilité,

-l'absence d'abus dans la mise en 'uvre de la clause de mobilité,

-que Madame [F] [Z] a refusé d'exécuter la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail sans motif légitime,

-l'abandon de poste de Madame [F] [Z],

-que les avertissements notifiés à la salariée étaient justifiés,

-que la société concluante n'a pas commis de harcèlement moral à l'endroit de Madame [F] [Z],

-enfin que les demandes indemnitaires de Madame [F] [Z] sont infondées et excessives,

en conséquence :

à ce qu'il soit jugé que les avertissements notifiés à l'encontre de Madame [F] [Z] sont valables et réguliers, à ce qu'il soit jugé qu'aucun fait de harcèlement moral ne saurait être reproché à la société concluante, à ce qu'il soit jugé que la clause de mobilité insérée au contrat de travail est valable et, en tout état de cause, que sa mise en 'uvre était fondée et n'a pas été abusive, à ce qu'il soit jugé que le licenciement prononcé à l'encontre de Madame [F] [Z] le 31 octobre 2012 pour faute grave repose sur une cause réelle et sérieuse, au débouté de Madame [F] [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et à la condamnation de Madame [F] [Z] au paiement de la somme de 3500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SARL MULTI SERVICE 06 fait valoir que les avertissements notifiés à la salariée sont parfaitement justifiés, qu'elle s'est contentée de sanctionner des agissements fautifs de la salariée ce qui ne saurait être confondu avec des actes de harcèlement moral, que le changement du lieu de travail pour une demi-journée motivé par la fermeture partielle du site de [2] n'a pas pour effet de dégrader les conditions de travail de Madame [F] [Z], qu'il lui a été accordé une indemnité de trajet, que l'employeur doit pouvoir exercer légitimement son pouvoir hiérarchique sans que cette action puisse être qualifiée de harcèlement, que Madame [F] [Z] n'a donc pas subi de harcèlement moral de la part de son employeur, que la clause de mobilité insérée dans le contrat de travail est valide, que la société concluante a respecté le délai de prévenance de 7 jours visé au contrat, que la salariée disposait d'une heure pour se rendre du site de [2] au site de [Localité 5], que la mise en 'uvre de la clause de mobilité n'est pas abusive, que le non respect de la clause de mobilité insérée au contrat de travail entraînant un abandon de poste constitue une faute grave, que Madame [F] [Z] n'a même pas informé son employeur qu'elle ne se présenterait pas à sa nouvelle affectation à [Localité 5] à partir du 25 septembre 2012, qu'elle s'est contentée d'indiquer par correspondance du 1er octobre 2012 qu'elle ne se déplacerait pas et que son licenciement est parfaitement justifié.

Madame [F] [Z] conclut à ce que la SARL MULTI SERVICE 06 soit reçue en son appel mais qu'elle en soit déclarée mal fondée, à ce qu'elle soit reçue en son appel incident et à ce qu'il soit déclaré bien fondé, en conséquence, à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral, à la confirmation toutefois pour le surplus y compris en ce qu'elle a alloué à la salariée la somme de 700 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, par application des dispositions des articles 1134 du Code civil, L.1121-1, L.1221-1, L.1235-1, L.1234-1, L.1234-5, L.1234-9, L.1235-5, R.1234-2, L.6323-1 et suivants du code du travail ainsi que les dispositions de la CCN des entreprises de propreté, à ce qu'il soit constaté que la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail ne précise pas la zone géographique d'application, à ce qu'il soit constaté en outre que l'employeur a utilisé abusivement ladite clause de mobilité en imposant à la salariée sa mutation partielle sur le site de [Localité 5], à ce qu'il soit constaté en effet que, compte tenu des conditions matérielles pour se rendre de [Localité 1] à [Localité 5] et de la situation familiale de la salariée, cette dernière ne pouvait s'y soumettre, à ce qu'il soit constaté que l'employeur n'a pas tenu compte de ses explications et a maintenu l'affectation à [Localité 5], en conséquence, à ce que soient annulés les avertissements notifiés, à ce qu'il soit jugé que la concluante a été l'objet de sanctions injustifiées et répétées caractérisant des actes de harcèlement, à ce qu'il soit jugé que la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail est nulle et, en tout état de cause, que sa mise en 'uvre par l'employeur a été abusive, à ce qu'il soit jugé qu'elle était en droit de refuser son application, à ce qu'il soit jugé que le licenciement subséquent pour absence injustifiée est dénué de cause réelle et sérieuse, en conséquence, à la condamnation de la SARL MULTI SERVICE 06 à lui payer 9357 € à titre de dommages intérêts pour faits de harcèlement moral, à ce qu'il soit jugé qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l'exécution forcée pourra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 sera supporté par tout succombant en sus des frais irrépétibles et des dépens, à ce qu'il soit dit que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à partir de la demande en justice et à la condamnation de la SARL MULTI SERVICE 06 au paiement de la somme de 3000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Madame [F] [Z] conteste les sanctions disciplinaires qui lui ont été adressées, relève que les courriers de plaintes de la société CASINO [2] ne la concernent pas personnellement, fait valoir que l'employeur ne rapporte pas la preuve que les griefs relatifs à la mauvaise prestation de travail portent sur des tâches qui lui étaient attribuées, que la répétition des sanctions injustifiées caractérise le harcèlement subi par la demanderesse, qu'elle produit des certificats médicaux attestant de troubles anxieux et un état dépressif ayant nécessité des arrêts de travail, permettant de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, que la clause de mobilité contenue dans le contrat de travail est à la fois nulle pour défaut de précision de sa zone géographique d'application et abusive dans sa mise en 'uvre par l'employeur et qu'elle doit être reçue en l'ensemble de ses demandes.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE :

Sur l'avertissement du 20 janvier 2010 :

Suite à l'avertissement notifié le 20 janvier 2010 pour des retards les 13, 19 et 20 janvier 2010, Madame [F] [Z] s'est excusée par courrier en réponse du 27 janvier 2010 en indiquant que le retard du 13 janvier 2010 était « hors de sa volonté puisqu'il s'agissait d'un retard du train. Le bulletin de retard transmis par le Bureau SNCF (montrant sa) bonne foi et (sa) sincérité' », contestant par ailleurs avoir été en retard les 19 et 20 janvier 2010 et précisant à son employeur qu'il pouvait « vérifier cela dans le registre d'entrée chez l'agent de sécurité à la porte d'entrée ».

Si la SARL MULTI SERVICE 06 n'a pas répondu au courrier en réponse du 27 janvier 2010 de Madame [F] [Z] notamment quant à la consultation du registre d'entrée, elle produit cependant un courrier de la société CASINO [Localité 1] [2] en date du 25 janvier 2010, dans lequel le Directeur Général informe le responsable de la SARL MULTI SERVICE 06 avoir « constaté le 19 et 20 janvier 2010, un retard de 30 minutes, soit un total d'une heure, de Madame [Z] lors de sa prise de poste' ».

En conséquence, les retards des 19 et 20 janvier 2010 sont démontrés, peu importe qu'ils n'ont pas été décomptés sur le bulletin de salaire de janvier 2010, contrairement au retard du 13 janvier 2010.

Au vu de l'accumulation des retards, non excusés par la salariée pour les deux derniers, l'avertissement du 20 janvier 2010 est justifié et n'est pas disproportionné à la faute commise.

En conséquence, la demande de Madame [F] [Z] d'annulation de l'avertissement du 20 janvier 2010 est rejetée.

Sur l'avertissement du 28 mars 2011 :

Suite à l'avertissement notifié le 28 mars 2011 pour le défaut de port des chaussures de sécurité, Madame [F] [Z] a affirmé, par courrier du 3 avril 2011, n'avoir jamais su que le port de chaussures de sécurité était obligatoire en 11 années de service, précisant qu'aucun membre de l'équipe y compris le chef d'équipe ne porte ces chaussures et qu'il ne lui avait jamais été confié de chaussures de sécurité.

La SARL MULTI SERVICE 06 produit une attestation entièrement dactylographiée de Monsieur [K] [P], déclarant agir en qualité de chef de secteur de la société et certifier « avoir été présent lorsque Madame [T] [I], agissant en qualité de chef de secteur pour le Groupe THEMESYS, a remis des chaussures de sécurité à Madame [Z] [F] ainsi qu'à Monsieur [G] [X] le 7 février 2011 ». Cette attestation n'est pas accompagnée d'une copie de pièce d'identité de Monsieur [K] [P], en sorte que la signature du témoin ne peut être authentifiée.

Madame [F] [Z], qui soutient ne pas connaître Monsieur [K] [P], verse l'attestation du 18 avril 2013 de Monsieur [V] [B] [H], agent de propreté chez la SARL MULTI SERVICE 06 depuis le 10 août 2001, sur le site de [2] d'[Localité 1], qui déclare n'avoir jamais connu Monsieur [P] [K] qui ne lui a jamais été présenté comme un chef de secteur de la société, ainsi que l'attestation dactylographiée de Madame [N] [D], agent de propreté de l'entreprise depuis le 22 octobre 1999 sur le site de [2] d'[Localité 1], qui outre qu'elle déclare n'avoir jamais connu Monsieur [P] [K], qui ne lui a jamais été présenté comme un chef de secteur, affirme « avoir reçu (ses) chaussures de sécurité le même jour que Madame [F] [Z] soit en avril 2011 par notre ancien chef d'équipe Monsieur [G] [X] ».

En conséquence, il n'est pas démontré que des chaussures de sécurité aient été remises à la salariée antérieurement au mois d'avril 2011 et le bien fondé de l'avertissement du 28 mars 2011 n'est donc pas établi.

La Cour prononce l'annulation de l'avertissement du 28 mars 2011.

Sur l'avertissement du 28 avril 2011 :

Madame [F] [Z] s'est vu notifier le 28 avril 2011, par courrier daté par erreur du 28 mars 2011, un avertissement en ces termes : « Concernant la qualité de vos prestations, Madame [T] ainsi que moi-même avons pu constater ce jeudi 14 avril, lors d'un contrôle des sanitaires handicapés de la salle des machines à sous dans lequel vous veniez juste de terminer votre prestation, que l'intérieur des cuvettes n'avait pas été nettoyé et que des miroirs et la robinetterie étaient encore maculés de tâches. Lorsque nous avons ensuite contrôlé les sanitaires et vestiaires des cuisines, nous avons également constaté que le sol n'avait pas été lavé. Ce constat montre que vous n'avez pas tenu compte des remarques qui vous avaient été faites oralement à plusieurs reprises. Pour ces raisons, nous vous adressons un avertissement de travail pour mauvaise exécution de vos prestations d'entretien. Enfin, je vous rappelle que ma présence sur site ce jour-là était due au fait que Madame [T] m'avait informée de votre refus d'obtempérer lorsqu'elle vous avait transmis, le matin même, des consignes de travail ponctuelles. Pour mémoire, Madame [T] est votre responsable hiérarchique depuis maintenant plus de deux mois et nous tenons à vous rappeler que votre refus de respecter les consignes de travail peut être considéré comme une insubordination caractérisée ».

La SARL MULTI SERVICE 06 produit un courrier du 3 avril 2011 du Directeur Général, [M] [A], de la société CASINO [Localité 1] [2] « déplorant les incidents suivants : -le Back office discothèque n'est pas correctement nettoyé -l'ensemble des poubelles des bureaux et de la restauration n'a pas été vidé. Ce n'est pourtant pas la première fois que nous vous alertons sur ce type de problème. Nous vous remercions, une nouvelle fois, de sensibiliser votre personnel quant à la bonne exécution de leur travail ce en respect total du contrat que nous avons signé ».

Cependant, ce courrier de la direction de [2] ne met pas personnellement en cause Madame [F] [Z] alors qu'il n'est pas contesté que celle-ci n'est pas la seule salariée à intervenir sur le site. L'employeur ne rapporte pas la preuve que le nettoyage du Back office discothèque, des poubelles des bureaux et de la restauration font partie des tâches attribuées à Madame [F] [Z].

La SARL MULTI SERVICE 06 ne verse aucune pièce et notamment aucune attestation de Madame [T], supérieure hiérarchique de Madame [F] [Z], relative aux griefs visés dans le courrier d'avertissement du 28 avril 2011, daté par erreur du 28 mars 2011.

En conséquence, cet avertissement non justifié doit être annulé.

Sur l'avertissement du 29 juin 2012 :

Madame [F] [Z] s'est vu notifier un avertissement en date du 29 juin 2012 en ces termes : « Nous venons vers vous par la présente suite à notre visite sur votre site d'intervention, le 27 juin 2012, à savoir le Casino [2], au cours de laquelle notre client nous a fait part de nombreuses réclamations vous concernant. En effet nous avons procédé à un contrôle de votre secteur et constaté des défaillances de nettoyage surtout votre secteur. Or, il ne s'agit pas là d'un incident isolé et ce renouvellement montre que vous n'avez pas tenu compte des remarques qui vous avaient été faites suite notamment à notre entretien du 29 mai 2012, dans nos locaux, en présence de M. [C] [W] représentant syndical. Pour ces raisons, nous vous adressons un avertissement de travail pour non respect des consignes de travail et mauvaise exécution de vos prestations d'entretien ».

La SARL MULTI SERVICE 06 produit uniquement un courrier du 8 février 2012 de la société CASINO [Localité 1] [2] dénonçant la mauvaise exécution du nettoyage de l'établissement, sans que Madame [F] [Z] ne soit personnellement mise en cause, et aucun autre courrier de réclamation de 2012.

Elle ne verse aucun élément susceptible de démontrer la réalité des griefs cités dans le courrier d'avertissement du 29 juin 2012.

En conséquence, cet avertissement non justifié doit être annulé.

Sur le harcèlement moral :

Madame [F] [Z] soutient qu'elle a été victime d'agissements répétés constitutifs de harcèlement perpétrés par l'employeur, consistant en la répétition des sanctions injustifiées, ayant entraîné une dégradation de son état de santé, aggravé en 2012 suite au braquage du CASINO [2].

Outre les éléments versés au titre des sanctions contestées, la salariée produit :

-un certificat d'arrêt de travail initial du 6 mai 2011 jusqu'au 15 mai 2011 pour « syndrome anxio-dépressif »,

-un certificat du 18 avril 2013 du Docteur [R] certifiant que « l'état de santé de Mme [Z] [F] a nécessité un traitement médical pour état anxio-dépressif en 2011 ayant nécessité un arrêt de travail du 06/5/11 au 15/05/11 »,

-un courrier du 20 mars 2012 du médecin du travail indiquant que « l'examen clinique de Madame [F] [Z] montre une tension élevée (17/10)' »,

-un certificat du 29 mars 2012 du Docteur [R] certifiant « que l'état de santé de Mme [Z] [F] présente un état de stress post traumatique suite à l'agression dont elle a été victime le 25/03/12 à son travail nécessitant des soins médicaux ».

Eu égard à la répétition des avertissements injustifiés en date des 28 mars 2011, 28 avril 2011 et 29 juin 2012 et à la dégradation de l'état de santé de la salariée qui a présenté un état dépressif dès 2011, antérieurement au braquage du CASINO [2], Madame [F] [Z] établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la SARL MULTI SERVICE 06 de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La SARL MULTI SERVICE 06 ne verse aucun élément autre que les courriers de la société CASINO [Localité 1] [2] dont il a été vu que seul celui du 25 janvier 2010 justifiait le bien fondé du premier avertissement du 20 janvier 2010.

A défaut pour l'employeur de justifier du bien fondé des avertissements prononcés en 2011 et 2012 et au vu des répercussions de la répétition des sanctions disciplinaires injustifiées sur l'état de santé de la salariée (en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif du 6 au 15 mai 2011 suite à la notification des avertissements des 28 mars et 28 avril 2011), l'existence d'un harcèlement moral subi par Madame [F] [Z] est établie.

Au vu des éléments médicaux versés par la salariée, la Cour alloue à Madame [F] [Z] la somme de 4000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice pour harcèlement moral.

Sur le licenciement :

Madame [F] [Z], qui conteste le bien fondé de son licenciement, soutient que la clause de mobilité insérée à son contrat de travail est nulle en l'absence de toute limitation géographique des chantiers sur lesquels elle pouvait être affectée et que sa mise en 'uvre par l'employeur a été abusive à défaut de respect du délai de prévenance et au vu du délai de transport d'un chantier à l'autre.

La SARL MULTI SERVICE 06 réplique que la clause de mobilité est parfaitement valable puisqu'elle détermine une limite géographique dans son application, que la salariée ne peut contester sans mauvaise foi sa nouvelle affectation avec un déplacement de quelques kilomètres, que la société a bien respecté le délai de prévenance de 7 jours visé au contrat, que la salariée disposait d'une heure pour se rendre du site de [2] au site de [Localité 5] et que le contexte économique justifiait la mise en 'uvre de la clause de mobilité, permettant le maintien de l'emploi de la salariée.

Le contrat de travail de Madame [F] [Z] en date du 1er octobre 2007 (Avenant n°1) stipule en son article 4 « Lieu de travail » : « L'employé exercera ses fonctions sur le site de : [2], [Adresse 3].

Toutefois, il pourra être affecté de manière temporaire à un autre site, client de notre société. L'employé se verra alors proposer un avenant de détachement pour la réalisation de sa mission. Multi services 06 se réserve le droit de modifier, sous réserve de respecter un délai de prévenance de 7 jours, le lieu de travail du salarié, dans la limite géographique des chantiers gérés par celle-ci. Le salarié s'engage à accepter ces modifications ; à défaut, son refus pourra être considéré comme un motif de rupture du présent contrat ».

Il convient d'observer que l'affectation de Madame [F] [Z] sur un nouveau chantier sur [Localité 5] ne constitue aucunement la mise en 'uvre d'une clause de mobilité en l'absence de tout détachement ou mutation de la salariée à l'extérieur de son secteur géographique habituel d'intervention, nécessitant une modification de sa résidence.

A défaut de clause contractuelle prévoyant que la salariée exécutera son travail exclusivement sur le site de [2] à [Localité 1], l'affectation de Madame [F] [Z] sur un autre site situé à [Localité 5], dans le même secteur géographique constitue un changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction.

Il n'est pas contesté que la décision de l'employeur a fait suite à la fermeture partielle de la société utilisatrice, [2], entraînant une diminution du temps de travail sur le site de [2] (du lundi au dimanche, sauf vendredi, de 6 à 10 h) et une nouvelle affectation sur le site [1], [Adresse 1] (du lundi au jeudi de 11h à 13h45).

Or, Madame [F] [Z] justifie que son déplacement d'un site à l'autre ne pouvait s'effectuer en une heure : après un trajet à pied de 5 minutes du site de [2] à la gare SNCF de [Localité 3], le premier train de [Localité 3] en direction de [Localité 5]-Ville est à 10h29, arrivée à à 10h52 (pièce 34), elle devait ensuite prendre un bus pour atteindre l'[1] [horaires : soit 10h53 (1 mn pour sortir de la gare de [Localité 5]-Ville et prendre le bus) arrivée 11h39, soit 11h05 arrivée 11h54 (pièce 35)], soit presque deux heures de trajet.

Si la SARL MULTI SERVICE 06 soutient que la salariée pouvait se rendre sur son nouveau lieu d'affectation en une heure, présentant un calcul du trajet correspondant à 53 minutes (2 minutes à pied de [2] à la gare de [Localité 3], 42 minutes de train de la gare de [Localité 3] à la gare de l'[Localité 2]-[Localité 4] et 9 minutes de la gare de l'[Localité 2] à la [Adresse 1]), elle produit cependant une fiche d'itinéraire faisant état de départs de trains dans l'après-midi (pièce 16) alors que la salariée justifie qu'aucun train ne circule entre la gare de [Localité 5]-Ville et la gare de [Localité 4] après 8h37 et ce jusqu'à 12 heures (pièce 36 produite par la salariée). Au surplus, la SARL MULTI SERVICE 06 présente un calcul du temps de trajet sans tenir compte des temps d'attente d'un moyen de transport à l'autre.

Alors que Madame [F] [Z] avait souligné, par courrier recommandé du 1er octobre 2012, être « en attente des modalités de transport et le temps de trajet entre [2] à [Localité 1] et [Adresse 1] », l'employeur n'a pas répondu à la salariée et a engagé le 4 octobre 2012 la procédure de licenciement ; il n'a pas plus répondu au courrier de la salariée en date du 15 octobre 2012 faisant suite à l'entretien préalable.

Eu égard à l'impossibilité pour la salariée de se déplacer du site de [2] sur le site de [1] à [Localité 5] en une heure de trajet prévue à son planning et en l'absence de toute réponse apportée par l'employeur aux légitimes interrogations de la salariée sur son temps de déplacement, la SARL MULTI SERVICE 06 a donc abusivement imposé à la salariée une nouvelle affectation avec un temps de déplacement irréalisable en une heure, en sorte que le licenciement de la salariée pour ne pas s'être rendue sur le nouveau site à [Localité 5] est dénué de cause réelle et sérieuse.

Il convient de faire droit à la réclamation de Madame [F] [Z] quant au rappel de salaire indûment retenu par l'employeur du 25 septembre 2012 jusqu'au 31 octobre 2012 et de lui allouer la somme brute de 526,20 € selon le calcul présenté par la salariée et non utilement discuté par l'employeur, ainsi que la somme brute de 52,62 € au titre des congés payés y afférents.

Madame [F] [Z], licenciée le 31 octobre 2012, a perçu sur les trois mois antérieurement à la notification de son licenciement le salaire brut de 1572,48 € en juillet 2012, le salaire brut de 1568,01 € en août 2012 et le salaire brut de 1471,20 € en septembre 2012, auquel il convient de rajouter la retenue pour absence injustifiée d'un montant de 77,63 €, en sorte qu'il sera retenu le salaire mensuel moyen de 1559,61 €, tel que revendiqué par la salariée, pour le calcul de l'indemnité compensatrice de préavis. La Cour alloue en conséquence à Madame [F] [Z] la somme brute de 3119,22 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 311,92 € au titre des congés payés sur préavis.

Il convient également d'accorder à la salariée la somme de 4244,56 € à titre d'indemnité légale de licenciement pour une ancienneté de 12 ans et 2 mois incluant le préavis (ancienneté mentionnée sur les bulletins de paie du 01/09/2000) et calculée sur la base du salaire mensuel brut de 1559,61 € (et non 1505,35 € correspondant selon l'employeur à la moyenne des 12 derniers mois, moins avantageuse que la moyenne des 3 derniers mois).

Madame [F] [Z] produit une liste d'entreprise de nettoyage, qu'elle présente comme des justificatifs de recherche d'emploi, deux courriers de rejet de sa demande d'emploi des 16 mai et 13 septembre 2013, l'avis du Pôle emploi du 21 octobre 2014 attestant qu'elle a été admise au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi consécutive à la fin de son contrat de travail du 3 novembre 2012 et qu'elle a bénéficié, au 30 septembre 2014, de 634 allocations journalières, une attestation des périodes indemnisées du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2014 (30,59 € d'allocation journalière brute) et divers documents de déclaration de situation mensuelle auprès du Pôle emploi.

En considération des éléments fournis, de l'ancienneté de la salariée de 12 ans dans l'entreprise occupant plus de 10 salariés, de son âge lors du licenciement (54 ans) et du montant de son salaire mensuel brut, la Cour réforme le jugement et alloue à Madame [F] [Z] la somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la délivrance des documents sociaux :

Il convient d'ordonner la remise par la SARL MULTI SERVICE 06 des bulletins de salaire de septembre et octobre 2012 rectifiés, d'un bulletin de salaire mentionnant les sommes allouées à titre d'indemnités de préavis et de licenciement et de l'attestation Pôle emploi rectifiée, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Il convient d'ordonner d'office, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, le remboursement par l'employeur fautif au Pôle emploi PACA des indemnités de chômage versées à la salariée licenciée, du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limité de six mois d'indemnités.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

STATUANT PUBLIQUEMENT, EN MATIERE PRUD'HOMALE, PAR ARRET CONTRADICTOIRE,

Reçoit les appels en la forme,

Confirme le jugement en ce qu'il a annulé les avertissements des 28 mars 2011, 28 avril 2011 et 29 juin 2012, en ce qu'il a dit que le licenciement de Madame [F] [Z] était sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la SARL MULTI SERVICE 06 à payer à Madame [F] [Z]526,20€ de rappel de salaire, 52,62 € de congés payés sur rappel de salaire, 3119,23 € d'indemnité compensatrice de préavis, 311,92 € de congés payés sur préavis, 4244,56 € d'indemnité légale de licenciement et 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le réforme pour le surplus,

Condamne la SARL MULTI SERVICE 06 à payer de surcroît à Madame [F] [Z] :

-4000 € de dommages intérêts pour harcèlement moral,

-20 000 € de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne la remise par la SARL MULTI SERVICE 06 des bulletins de salaire de septembre et octobre 2012 rectifiés, d'un bulletin de salaire mentionnant les indemnités allouées au titre du préavis, de l'indemnité légale de licenciement et des congés payés afférents, et de l'attestation Pôle emploi rectifiée en conformité avec le présent arrêt,

Ordonne le remboursement par la SARL MULTI SERVICE 06 au Pôle emploi PACA des indemnités de chômage versées à la salariée licenciée du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage, en vertu de l'article L.1235-4 du code du travail,

Condamne la SARL MULTI SERVICE 06 aux dépens et à payer à Madame [F] [Z] 1500 € supplémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que le présent arrêt sera notifié aux parties ainsi qu'au Pôle emploi PACA,

Rejette toute autre prétention.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/06272
Date de la décision : 26/03/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 7B, arrêt n°14/06272 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-26;14.06272 ?
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