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17/02/2015 | FRANCE | N°12/19043

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre, 17 février 2015, 12/19043


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 17 FÉVRIER 2015



N°2015/88















Rôle N° 12/19043







[Q] [P]



C/



SARL SAPRIMEX































Grosse délivrée le :



à :



Me Jean philippe GUISIANO, avocat au barreau de TOULON



Me Bénédicte LAGRANGE, avocat au barreau

de MARSEILLE





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section EN - en date du 24 Septembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1135.





APPELANTE



Madame [Q] [P],

demeurant [Adre...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 17 FÉVRIER 2015

N°2015/88

Rôle N° 12/19043

[Q] [P]

C/

SARL SAPRIMEX

Grosse délivrée le :

à :

Me Jean philippe GUISIANO, avocat au barreau de TOULON

Me Bénédicte LAGRANGE, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section EN - en date du 24 Septembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1135.

APPELANTE

Madame [Q] [P],

demeurant [Adresse 1]

comparante en personne,

assistée de Me Jean philippe GUISIANO, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

SARL SAPRIMEX, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Me Bénédicte LAGRANGE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président , chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Fabienne ADAM, Conseiller

Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Février 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Février 2015

Signé par Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [Q] [P] était engagée le 10 avril 2006 pour une durée indéterminée et à temps complet par la société Saprimex, faisant commerce de viande en gros, en qualité de 'Responsable Qualité', avec le statut d'agent de maîtrise.

Elle était promue au statut de cadre à partir du mois de juin 2007.

Elle était placée en arrêt de travail pour maladie le 18 août 2010 au motif d'un état dépressif sévère, le médecin ayant consigné que sa patiente lui avait rapporté avoir été la victime de pressions et d'un harcèlement au travail.

Dans un courrier du 10 octobre 2010 adressé au président directeur général, elle faisait notamment part de sa 'fatigue physique et morale accumulée depuis des mois à cause d'une charge de travail de douze à quinze heures journalière', de ce que, lors d'une réunion du 17 août 2010, elle avait été dénigrée par la nouvelle directrice, Madame [B], qui avait lu 'devant l'ensemble des cadres de la société une liste de reproches à mon encontre. Pendant plus d'un quart d'heure, elle dénigra le travail réalisé depuis plus de quatre ans, grondant que le BA-BA de mon métier n'était pas fait puis elle ajouta que ce qu'elle avait vu dans les ateliers étaient inacceptable et intolérable, me demandant même si je me rendais compte des risques qu'encourait la société par ma faute !', et de ce qu' 'à cause de cette tentative de dénigrement, je ne me sens plus soutenue par ma Direction et cela sans raison valable puisque je n'avais eu que des félicitations et des primes jusqu'à ce jour'.

Elle lui faisait part encore d'un refus de Madame [B] de 'retirer un jour sur la Date Limite de Consommation' sur des marchandises qui avaient été préemballées la veille, et concluait son propos en ces termes : 'Les procédures mises en place depuis l'arrivée de Mme [B] mettent en cause, outre notre éthique professionnelle, notre responsabilité pénale. Je ne peux rester dans cette situation qui nuit à ma santé et au bon fonctionnement du service qualité de l'usine dont je suis la responsable. Aussi je m'en remets à vous pour m'indiquer rapidement quelles sont vos perspectives relatives à la politique qualité de l'usine et pour ce qui concerne ma personne'.

Elle accouchait d'un enfant le 23 mai 2011.

Aux termes d'une seconde visite médicale de reprise du travail du 30 janvier 2012, elle était jugée 'inapte responsable qualité et tout autre poste de travail dans l'entreprise sans reclassement professionnel envisageable'.

Elle était convoquée le 9 février 2012 à un entretien préalable à son licenciement, auquel elle ne se rendait pas, après avoir indiqué dans un courriel : 'Je suis sincèrement désolée de vous informer que malgré tous les efforts pour me rendre à l'entretien préalable prévu ce jour à 11 heures, je suis dans l'incapacité de vous rencontrer. Fragilisée psychologiquement et émotionnellement cette entrevue extrêmement anxiogène est à l'origine de crises d'angoisse et d'un profond mal être que je ne peux surmonter. Dans ces conditions, je vous prie d'excuser mon absence'.

Elle était licenciée le 1er mars 2012 au motif de son inaptitude définitive et de l'impossibilité d'organiser son reclassement dans l'entreprise.

*

Elle avait saisi le 21 septembre 2011 le conseil de prud'hommes de Toulon le 21 septembre 2011 pour voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et se voir allouer diverses sommes, notamment un rappel de salaire et des heures supplémentaires.

Un jugement du 24 septembre 2012 l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Saprimex d'une demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, a débouté les parties de toutes autres demandes, a mis à la charge des parties 'les dépens partagés pour la part qui leur incombe'.

Madame [P] est appelante de ce jugement par déclaration du 11 octobre 2012.

Dans des écritures du 8 janvier 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, Madame [P] demande à la cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, de condamner la société Saprimex à lui payer les sommes de 117.610,96 euros à titre de reprise de salaires, de 280.862,60 euros au titre d'heures supplémentaires, de 15.651 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 42.460,13 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, de 5.217 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 62.604 euros au titre de l'indemnité de licenciement infondé, de 5.217 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, de 867 euros au titre de la prime d'habillage, de 24.332 euros au titre de la prime de fin d'année, de 5.120,10 euros au titre de la prime d'ancienneté, d'enjoindre à la société Saprimex de lui remettre les bulletins de paye rectifiés, le certificat de travail, et l'attestation Pôle Emploi, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de condamner la société Saprimex aux dépens et à lui payer une somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans des écritures du 8 janvier 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, la société Saprimex conclut à titre principal à la confirmation du jugement, à titre subsidiaire, elle demande à la cour de fixer la date de la rupture au 1er mars 2012, de dire que Madame [P] ne peut prétendre à l'indemnité de préavis ou à tout le moins que celle-ci devrait être calculée sur la base de la rémunération perçue, soit la somme de 2.907,49 euros, de dire qu'elle a été remplie de ses droits en matière de congés payés et au titre de l'indemnité de licenciement, de dire qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui pour lequel elle demande réparation sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du travail, de ramener à de plus justes proportions et limiter à 6 mois l'indemnisation sollicitée sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du travail, soit la somme de 17.444,94 euros, reconventionnellement et dans tous les cas, de condamner Madame [P] aux dépens et à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les demandes en paiement d'un rappel de salaires, d'heures supplémentaires, et de diverses primes

1) Madame [P] estime qu'elle aurait dû relever dès sa prise de fonction du coefficient 450 prévu pour la position de cadre par la convention collective du 1er août 1969 et un accord du 1er décembre 1994, et à compter de la mise en oeuvre d'un accord du 12 décembre 2007, ayant refondu les classifications dans sa branche d'activité professionnelle, du niveau IX dans le cadre de cette nouvelle classification.

Elle a été embauchée pour les mission suivantes :

'

- mise en place de démarche hygiène, sécurité, qualité

- mise en place des actions correctives et préventives

- réalisation des prestations d'audits internes et externes fournisseurs

- formation interne

- vérifier que le travail du service de nettoyage est bien réalisé à savoir :

. nettoyage et désinfection des locaux, des machines (...) et des ustensiles

. remontage des machines

. respect des protocoles mis en place (...)

. respect de consignes de sécurité en fonction des tâches effectuées ou des produits utilisés

. gestion des stocks et approvisionnement des produits d'entretien et du matériel ...

. rédaction des autocontrôles

. réalisation des contrôles de surface

. réflexion permanente sur l'organisation et l'optimisation des méthodes usitées'.

Si elle est fondée à estimer, en raison de ses missions, et de son niveau de diplôme (Bac + 5), qu'elle ne pouvait pas, à la date de son embauche, relever du seul coefficient 230 applicable à un 'technicien ou agent de maîtrise titulaire d'un diplôme de niveau bac + 2 ou bac + 3 et occupant un emploi de ce niveau pendant la période d'intégration d'une durée maximale de 1 an', elle ne peut toutefois considérer qu'elle aurait dû relever du coefficient 450 applicable à un 'cadre administratif, technique, industriel ou commercial responsable de la marche optimale du service à la tête duquel il est placé ou cadre sans responsabilité hiérarchique occupant un emploi comportant une responsabilité équivalente', alors qu'en tant que responsable de la qualité et de la sécurité, elle avait une fonction transversale dans l'entreprise et n'était pas à proprement parler placée à la tête d'un service, et n'avait, contrairement à ce qu'elle soutient, aucune responsabilité de nature hiérarchique, ce qui est attesté par de nombreux courriels émis par elle à destination notamment de collègues des services de production, qu'elle a conclus en usant de la formule 'restant à votre disposition'.

Elle aurait dû relever du coefficient 400 applicable à un 'cadre administratif, technique, industriel ou commercial dirigeant, animant, coordonnant les travaux de salariés ou cadre sans responsabilité hiérarchique occupant un emploi comportant une responsabilité équivalente'.

Elle ne peut prétendre qu'elle aurait relevé du niveau IX échelon 3 de la nouvelle classification quand il n'entrait pas dans ses attributions de 'participer à la définition de la politique générale de l'entreprise' et que rien n'établit qu'elle disposait d'une 'grande autonomie pour la mise en oeuvre de la politique générale de l'entreprise'.

Elle relevait dans le cadre de cette nouvelle classification, comme le soutient la société Saprimex, d'un emploi du niveau VII échelon 1, 'requérant une expertise professionnelle sur l'ensemble des domaines d'intervention et/ou une formation relevant de l'enseignement supérieur' et de 'mobiliser les compétences et moyens en vue d'atteindre les objectifs à la définition desquels (il) a participé' en procédant à une analyse, un suivi, et un contrôle des résultats.

Ayant constamment perçu un salaire supérieur au salaire de base minimum prévu pour ces coefficient et niveau d'emploi par la convention collective du 1er août 1969 et l'accord du 12 décembre 2007, et leurs avenants successifs, elle doit être déboutée de sa demande de rappel de salaires.

2) Aux termes de l'article L.3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Madame [P] prétend qu'elle a accompli 100 heures supplémentaires par mois de 2006 à 2011 et chiffre sa demande à la somme globale de 280.862,60 euros.

La société Saprimex estime que Madame [P] manque à son obligation de fournir préalablement les éléments de nature à étayer sa demande d'heures supplémentaires qu'elle lui aurait demandé d'accomplir, et que les éléments de preuve dont celle-ci se prévaut ne sont pas suffisants.

Madame [P] n'a pas pu accomplir d'heures supplémentaires avant le 10 avril 2006, date de son embauche, et après le 18 août 2010, date du début de son arrêt de travail.

Même si elle ne fournit pas un état détaillé des 100 heures supplémentaires mensuelles qu'elle prétend avoir accomplies, le fait qu'elle en a effectuées pendant une certaine période, est établi:

- par la teneur ci-dessus rappelée de son courrier du 10 octobre 2010, écrit et adressé à une époque où elle se considérait encore comme faisant partie de l'entreprise, dans lequel elle fait part avec une certaine naïveté et avec souffrance de son incompréhension d'avoir été maltraitée, et sollicite l'arbitrage du chef d'entreprise, ce qui est révélateur de sa sincérité,

- par le fait qu'elle a adressé un certain nombre de courriels professionnels (dont rien ne permet de dire qu'ils n'ont pas été envoyés de son bureau), du 13 juillet 2010 au 9 août 2010, en dehors de ses horaires de travail, à savoir :

. le 13 juillet 2010 à 6 h 04

. le 16 juillet 2010 à 20 h 01

. le 23 juillet 2010 à 19 h 43

. le 30 juillet 2010 à 19 h 47

. le 6 août 2010 à 20 h 53

. le 9 août 2010 à 5 h 42,

- par le fait que la société Saprimex, contrairement aux dispositions légales rappelées ci-dessus, se borne à faire peser sur la seule salariée la charge de la preuve de l'amplitude réelle de ses heures travaillées avec son aval.

Il s'ensuit que la demande de Madame [P] est fondée à hauteur d'une somme de 15.000 euros correspondant aux heures supplémentaires réalisées durant la période courue du 10 avril 2006 au 18 août 2010.

3) Madame [P] étant déboutée de sa demande de rappel de salaires doit être déboutée de sa demande relative à un rappel de prime d'ancienneté basée sur les salaires dont elle demande le rappel.

4) Madame [P] ne peut réclamer le paiement d'une prime d'habillage et de déshabillage dès lors qu'en raison de la nature de ses fonctions elle n'était pas tenue de porter une tenue spécifique dès son arrivée dans l'entreprise, et que, s'il lui était nécessaire de revêtir une tenue spécifique en cours de journée, en particulier pour se rendre dans les services de découpe de viande, le temps pour ce faire était nécessairement décompté dans celui de son travail effectif.

5) Madame [P] réclame une somme de 24.332 euros en paiement de primes de fin d'année pour les années 2007 à 2011.

Aux termes de la convention collective applicable (article 63), une prime de fin d'année est versée aux salariés titulaires d'une ancienneté au moins égale à un an, le montant de cette prime est au moins égal à la rémunération mensuelle de base conventionnelle afférent au niveau et échelon de classification de l'intéressé, et dès lors que dans une entreprise est versée une prime de même nature que la prime de fin d'année, par exemple un 13 ème mois, et sous réserve que le montant total soit au moins équivalent, l'obligation de versement au titre de la prime de fin d'année est remplie.

Il est encore précisé à la convention collective que la prime de fin d'année est due en totalité, notamment en cas de suspension du contrat de travail, pendant une partie de l'année civile, résultant d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle, ou de la maternité, en cas de suspension du contrat de travail, dans la limite d'une durée totale continue ou discontinue de 2 mois au cours de l'année civile, résultant de toute autre cause que l'accident du travail, la maladie professionnelle ou la maternité, qu'elle est calculée pro rata temporis notamment en cas de suspension du contrat de travail pendant une durée totale continue ou discontinue supérieure à 2 mois au cours de l'année civile, à l'exception des cas d'accident du travail, de maladie professionnelle ou de maternité, et qu'elle n'est pas due lorsque le contrat de travail est suspendu pendant toute l'année civile.

Contrairement à ce que soutient la société Saprimex, il n'y a pas lieu de prendre en compte, pour apprécier la demande de Madame [P], le montant de la rémunération annuelle garantie, incluant le montant de la gratification annuelle, quand celle-ci a perçu pendant toute la période considérée, un salaire supérieur à la rémunération annuelle garantie.

Il résulte de l'examen des bulletins de salaire que Madame [P] qu'aucune prime de fin d'année ne lui a été versée à compter de janvier 2007.

Conformément aux dispositions conventionnelles, elle ne peut prétendre, pour l'année 2010, qu'à une prime de fin d'année au prorata temporis de sa présence dans l'entreprise (8/12°), sachant qu'elle n'allègue ni ne justifie que son congé maternité aurait débuté en cours d'année 2010, et à aucune prime pour les années 2011 et 2012 (rappel étant fait qu'elle a été licenciée en juin 2012).

Par ailleurs, pour la détermination de l'assiette de la prime (la rémunération mensuelle de base conventionnelle), la cour retient le coefficient 400 au titre de l'année 2007, et le niveau VII premier échelon pour les années postérieures.

Il s'ensuit que pour la période courue de 2007 à 2010, la créance de Madame [P] s'établit à la somme globale de 8.792 euros (2.300 + 2.300 + 2.500 + 1692).

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Madame [P] fonde sa demande de résiliation sur une accusation de fraude sur l'étiquetage, sur le non-paiement de ses salaires, heures supplémentaires, et primes, et sur le harcèlement dont elle dit avoir été la victime.

.../...

Elle n'établit pas la fraude qu'elle invoque en n'apportant aucune preuve de ce que la directrice, Madame [B], aurait refusé de réduire d'une journée le délai des dates limite de consommation.

*

Le non-paiement d'heures supplémentaires et de primes de fin d'année est avéré.

*

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1154-1 et du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, et lorsque survient un litige à ce sujet, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Madame [P] démontre par les éléments suivants des agissements répétés de la directrice, Madame [B], à son encontre, faisant présumer l'existence d'un harcèlement au sens de ces dispositions :

- une attestation de Monsieur [S] témoignant de ce qu'il a 'vu la responsable qualité, [Q] [P], en pleurs et très affectée suite à l'arrivée de Mme [B] à la direction de l'usine',

- une attestation de Madame [Z] témoignant comme suit : 'Depuis que Mme [B] est directrice de l'usine l'atmosphère en production c'est dégradé : cafardage et copinage, peur de perdre son emploi (...) forte cadence de production malgré un matériel en panne rendant le travail encore plus difficile. Tous les jours, Mlle [P] passait au niveau des lignes d'emballage et de conditionnement et je la voyai très abatu, souvent en pleur',

- une attestation de Monsieur [V] témoignant comme suit : 'Travaillant à l'usine Saprimex de [Localité 1] depuis juillet 2006 j'avais contact avec Mlle [P] responsable du service qualité pour avoir son aval pour mais intervention de travaux. J'ai vu l'état psychologique et physique de celle-ci se dégrader avec la venue de Mme [B] en tant que directrice de l'usine. De ce fait j'ai surpris Mlle [P] effondrée et en pleur de nombreuses fois suite aux pressions et aux humiliations réccurentes qu'exercait Mme [B] sur elle selon ses dires',

- la teneur du courrier déjà cité de Madame [P] du 10 octobre 2010, qui n'est pas en elle-même déniée par la société Saprimex, en ce qui concerne les propos humiliants qu'elle rapporte,

- la gravité et la persistance de l'état dépressif réactionnel de Madame [P], attestée par le certificat d'arrêt de travail initial, et par les certificats suivants, étant relevé en particulier le dernier, en date du 15 février 2012, faisant écho au courriel de Madame [P] déjà cité adressé à son employeur le jour prévu pour son entretien préalable à son licenciement, dans lequel le médecin note : 'Elle présente un état de stress majeur lié à la perspective proche d'un entretien avec son supérieur hiérarchique, dans le cadre d'un licenciement intervenant au terme d'une longue procédure pour hacellement. Afin de ne pas aggraver sa situation psychologique et de lui permettre d'éviter de se présenter à cet entretien en état d'infériorité lié à cet état, je lui demande d'y sursoir momentanément'.

La société Saprimex, qui se contente vainement de dénier toute valeur probante aux éléments de fait rapportés ci-dessus quant à l'existence d'une présomption de harcèlement, n'établit en aucune façon que ces faits ne seraient pas constitutifs d'un harcèlement ou que le comportement de la directrice aurait été dicté par des considérations objectives étrangères à tout harcèlement.

Le harcèlement est donc admis.

*

Le non-paiement des heures supplémentaires et des primes de fin d'année jusqu'au jour de l'arrêt de travail de Madame [P], et le harcèlement dont elle a été victime, justifient sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Saprimex.

La date de rupture du contrat de travail est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

En conséquence de cette résiliation, Madame [P] est fondée à réclamer les sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis : une somme de 8.722,47 euros correspondant à trois mois de salaire, dès lors que son incapacité à exécuter le préavis a pour origine le harcèlement dont elle avait été la victime;

- indemnité de congés payés : aucune somme dès lors que, en application de l'article 51 de la convention collective applicable, elle n'avait plus le droit à des congés payés à compter du 18 octobre 2010, sauf pendant son congé maternité, et qu'elle n'indique pas en quoi, en réclamant sans explication précise une somme de 42.460,13 euros, elle n'aurait pas été remplie de ses droits par le versement, dans le cadre de son licenciement, d'une indemnité compensatrice de congés payés de 5.839,34 euros;

- indemnité de licenciement : aucune somme dès lors qu'elle a d'ores et déjà été intégralement remplie de ses droits dans le cadre de son licenciement, par le versement d'une somme de 2.665,20 euros, exactement calculée en fonction des prescriptions légales, sur la base de son salaire effectivement perçu, et non du salaire qu'elle prétend à tort qu'elle aurait dû percevoir;

- indemnité pour licenciement infondé : Madame [P] est fondée à obtenir une somme de 34.884 euros représentant un an de salaires (et non pas 62.604 euros comme elle le chiffre, sans explication), en considération de son ancienneté, et du fait qu'elle était toujours en arrêt pour maladie à la date de son licenciement, près de deux après avoir été arrêtée;

- indemnité pour licenciement abusif en réparation d'un préjudice moral : Madame [P], qui a été victime d'un harcèlement, à l'origine de son arrêt de travail et par voie de suite de son licenciement, est fondée à demander réparation du préjudice moral spécifique qui en est découlé, et il lui sera alloué une indemnité de 4.000 euros;

Sur les autres demandes

Il convient d'enjoindre à la société Saprimex de remettre à Madame [P] des bulletins de salaire et des documents sociaux rectifiés en conséquence du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

La société Saprimex supporte les dépens de première instance et les dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à Madame [P] la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

**

Il suit de l'ensemble de ce qui précède que le jugement doit être infirmé sauf en ce qu'il a débouté Madame [P] de ses demandes en paiement de rappel de salaires, d'une prime d'ancienneté, d'une indemnité de congés payés, d'une indemnité légale de licenciement, d'une prime d'habillage et de déshabillage, d'une demande tendant à la fixation d'une astreinte, et en ce qu'il a débouté chacune des parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant en matière prud'homale, par arrêt mis à disposition au greffe, publiquement, contradictoirement

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Madame [Q] [P] de ses demandes en paiement de rappel de salaires, d'une prime d'ancienneté, d'une indemnité de congés payés, d'une indemnité légale de licenciement, d'une prime d'habillage et de déshabillage, d'une demande tendant à la fixation d'une astreinte, et en ce qu'il a débouté chacune des parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

Condamne la société Saprimex à payer à Madame [Q] [P] les sommes de 15.000 euros en paiement d'heures supplémentaires, et de 8.792 euros en paiement de primes de fin d'année,

Prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Saprimex et fixe la date de la rupture du contrat de travail à la date d'envoi de la lettre de licenciement,

Condamne la société Saprimex à payer à Madame [Q] [P] les sommes de 8.722,47 euros, 34.884 euros et 4.000 euros,

Enjoint à la société Saprimex de remettre à Madame [Q] [P] ses bulletins de salaire et les autres documents sociaux rectifiés en conséquence du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu à astreinte,

Dit que la société Saprimex supporte les dépens de première instance et les dépens d'appel,

Déboute Madame [P] de sa demande sur le fondement en première instance et en appel de l'article 700 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre
Numéro d'arrêt : 12/19043
Date de la décision : 17/02/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 18, arrêt n°12/19043 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-17;12.19043 ?
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