COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 28 NOVEMBRE 2014
N° 2014/
Rôle N° 12/00652
[L] [U]
C/
EURL EPIDAURE [1]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Patrick BANNWARTH, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AIX-EN-PROVENCE - section AD - en date du 15 Décembre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/459.
APPELANTE
Mademoiselle [L] [U], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
EURL EPIDAURE [1], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Patrick BANNWARTH, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Mme Françoise FILLIOUX, Conseillère
Mme Sylvie ARMANDET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2014.
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 27 janvier 2009, Mme [L] [U] a été engagée en qualité d'aide soignante qualifiée par la SARL EPIDAURE, laquelle gère un établissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes, la [1]. Au dernier état de la relation contractuelle, elle percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 2.215,35 €.
Le 23 juillet 2009, elle s'est vue notifier un avertissement pour avoir eu, la veille, une violente dispute avec une de ses collègues, en présence d'autres membres du personnel et des résidents de l'établissement.
Après mise à pied à titre conservatoire notifiée le 12 août 2009 et convocations le 4 septembre à un entretien préalable fixé au 14 septembre, la salariée a été licenciée pour faute grave, suivant lettre recommandée avec avis de réception du 21 septembre 2009 rédigée en ces termes :
« Le 12 août dernier, nous avons été contraints de vous mettre à pied à titre conservatoire afin de procéder à une enquête relative à diverses plaintes vous concernant qui nous ont été confirmées par des familles de nos résidents.
Dès le lendemain, par une stratégie de mauvaise foi, vous nous avez fait parvenir un avis d'arrêt de travail et une lettre polémique dans laquelle vous prétendez que nous avions émis des 'calomnies' à votre encontre et mis en oeuvre contre vous 'une stratégie manifeste de harcèlement'.
Évidemment, alors qu'à aucun moment vous ne vous êtes plainte à quiconque de quoi que ce soit de tel, vous avez été dans l'impossibilité de répondre à notre demande de précision. Nous réitérons ici que nous nous portons catégoriquement en faux contre votre allégation de mauvaise foi et de pure opportunité alors que vous êtes l'objet de plaintes relativement à votre comportement inadmissible. Nous en avons d'ailleurs informé les autorités compétentes, inspection du travail et médecin du travail.
Cela étant dit, notre enquête a confirmé les plaintes des familles et il s'avère que les parents de nos résidents déclarent être effrayés lorsqu'ils vous savent de service.
Aussi, nous vous avons convoqué à entretien préalable le lundi 14 septembre 2009 en maintenant votre mise à pied conservatoire.
Vous avez choisi de ne pas vous présenter à cet entretien et nous avez adressé une prolongation de votre arrêt de travail.
Après avoir rappelé que vous avez déjà fait l'objet d'une mesure disciplinaire alors que votre ancienneté est somme toute très faible, nous regrettons d'être contraints par votre comportement inadmissible de vous notifier par la présente votre licenciement immédiat, sans indemnité, ni aucun droit individuel à la formation.
Vous avez en effet à plusieurs reprises selon ce qui nous a été révélé puis confirmé, manqué gravement de respect à plusieurs de nos résidents qui sont dorénavant dans la crainte de se retrouver en votre présence. Ces faits intolérables envers des personnes âgées vulnérables, que vous devez professionnellement servir marquent une exécution fautive de votre contrat de travail. Certains évoquent outre votre manque de gentillesse, votre arrogance, vos propos déplacés, une certaine brusquerie voire de la brutalité de votre part à leur égard, d'autres dénoncent un délaissement volontaire alors qu'ils étaient souillés, le terme de maltraitance a même été rapporté.
Dans ces conditions et sans qu'il soit besoin d'épiloguer, votre contrat cessera dès présentation de cette notification par les services postaux...».
Le 12 octobre 2009, contestant la légitimité de son licenciement, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, section activités diverses, lequel a, par jugement de départage en date du 15 décembre 2011, débouté la salariée de ses demandes et condamné la salariée à payer à l'employeur la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Le 10 janvier 2012, la salariée a interjeté régulièrement appel de ce jugement.
Vu les écritures déposées par Mme [L] [U], le 15 octobre 2014, aux termes desquelles elle demande à la cour de :
-réformer le jugement déféré en ce qu'il a dit son licenciement fondé sur une faute grave ;
-dire que le licenciement dont elle a fait l'objet est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;
en conséquence,
-condamner l'employeur à lui verser les sommes de :
*2.215,55 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
*221,55 € à titre de congés payés afférents ;
*13.000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
*5.000 € au titre du préjudice distinct ;
*2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamner l'employeur aux entiers dépens de l'instance.
Vu les écritures de la SARL EPIDAURE, déposées le 15 octobre 2014, par lesquelles elle demande à la cour de :
-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 15 décembre 2011 ;
-dire et juger que le licenciement de la salariée repose sur une faute grave ;
-la débouter de l'intégralité de ses demandes ;
-la condamner aux entiers frais et dépens et au paiement d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures ci-dessus visées et réitérées oralement à l'audience du 15 octobre 2014.
SUR CE
Sur le licenciement :
Selon l'article L1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
*Sur la nature de la mise à pied du 12 août 2009 :
La salariée considère que la mise à pied qui lui a été notifiée le 12 août 2009 présente le caractère d'une sanction disciplinaire, dans la mesure où elle n'a pas été immédiatement suivie de l'engagement de la procédure de licenciement.
Cependant, l'employeur a expressément indiqué dans la lettre du 12 août 2009, par laquelle il a notifié à la salariée sa mise à pied à titre conservatoire que cette mesure était prise «en vue de préciser la nature et la matérialité des faits qui vous sont reprochés afin de statuer sur l'éventuelle suite à donner.»
L'employeur établit qu'il s'est immédiatement rapproché des personnes qui s'étaient plaintes auprès de lui du comportement de la salariée pour obtenir d'elles un écrit. C'est ainsi qu'il produit trois courriers en date des 13 et 14 août 2009 par lesquels des familles de résidents ont dénoncé le comportement de la salariée à l'égard de leurs parents.
Afin de ne pas entacher la réputation de l'établissement, l'employeur ne pouvait pas procéder à cette enquête en interrogeant les familles des résidents par écrit. C'est donc à juste titre qu'il a choisi de les rencontrer physiquement pour en parler avec elles, ce qui prend nécessairement du temps, dans la mesure où les faits ont été révélés pendant la période estivale et que certaines familles étaient en congé.
C'est ainsi que Mme [Y] [T] et Mme [D] [A] indiquent qu'en août 2009, suite à un appel téléphonique, elles ont été convoquées et reçues à la maison de retraite la [1] pour un entretien à l'issue duquel il leur a été demandé de faire un courrier concernant la maltraitance de leur mère par Mme [U], afin d'apporter plus d'éléments sur cette enquête.
Ce n'est qu'après avoir reçu des confirmations par écrit et rencontré les familles concernées que l'employeur a convoquée la salarié à un entretien préalable, suivant lettre du 4 septembre 2009.
Le délai de 23 jours séparant la notification de la mise à pied à titre conservatoire et l'engagement de la procédure de licenciement s'explique donc par la nécessité dans laquelle s'est trouvé l'employeur de procéder à des investigations sur les faits reprochés et de se déterminer sur la nécessité d'engager une procédure de licenciement pour faute grave, de sorte que la mise à pied du 12 août 2009 ne saurait être qualifiée de mise à pied disciplinaire.
Le fait que l'employeur ait décidé de maintenir la rémunération de la salariée pendant la mise à pied conservatoire n'est pas de nature à l'empêcher de se prévaloir de l'existence d'une faute grave.
*Sur le respect de la règle non bis in idem :
La salariée soutient que l'employeur avait connaissance des faits ayant motivé son licenciement avant l'avertissement qu'il lui a notifié le 23 juillet 2009 et qu'il a fait le choix de ne pas les évoquer à ce moment-là, de sorte qu'en application de la règle 'non bis in idem', il a épuisé son pouvoir disciplinaire.
Cependant, elle n'en rapporte pas la preuve. Le seul courrier antérieur au 23 juillet 2009 est celui de Mme [P] [F] daté du 22 juillet 2009 et vise uniquement l'aide-soignante [X], l'infirmière [N] et le Docteur [J].
S'agissant de l'autre courrier de Mme [F] dans lequel celle-ci se plaint du comportement de la salarié, il est impossible de déterminer s'il a été établi le 13 juillet ou le 13 août, dans la mesure où la date a été surchargée. En outre, à supposer qu'il ait été envoyé en juillet 2009, l'employeur pouvait estimer que les informations portées à sa connaissance n'étaient pas suffisantes pour engager une procédure disciplinaire à l'encontre de la salariée et ce, d'autant plus que Mme [F] et son fils étaient connus au sein de l'établissement comme étant exigeants et particulièrement difficiles à gérer, ainsi que l'atteste Mme [N] [I], qui a été infirmière dans l'établissement de février à août 2009.
Par conséquent, la règle non bis in idem n'a pas lieu de s'appliquer en l'espèce.
*Sur la prescription :
La salariée se prévaut ensuite de l'article L 1332-4 du code du travail selon lequel «Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.»
En l'espèce, les écrits dénonçant le comportement inadapté de la salariée à l'égard de certains résidents sont en date des 13 et 14 août 2009, de sorte que les faits dénoncés à l'employeur n'étaient pas prescrits, lorsqu'il a convoqué la salariée à un entretien préalable suivant lettre du 4 septembre 2009.
*Sur le motif du licenciement pour faute grave :
La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Pour établir la réalité des griefs reprochés à la salariée, l'employeur verse au débats les courriers établis par les familles des résidents dans le cadre de l'enquête interne menée en août, qu'il convient d'examiner :
-Dans son courrier du 13 août 2009, Mme [P] [F] s'est plaint de Mme [U] en invoquant notamment la négligence dans le change des protections, un défaut d'accompagnement dans la prise du goûter et une négligence dans le nettoyage de la chambre.
-Mme [K] [R] relate que ses parents, M et Mme [G] sont résidents dans l'établissement depuis le 2 juin 2009 ; que quelque temps après leur arrivée, sa maman lui a raconté que l'aide-soignante, Mme [U], lui avait fait des remarques désagréables : 'elle m'a dit que j'étais exigeante, qu'elle n'était pas ma bonne, que les autres résidents me trouvaient antipathique et que les autres aides-soignantes pensaient comme elle'. Elle ajoute qu'elle a eu une conversation avec la salariée, laquelle lui a confirmé ses dires et que quelque temps plus tard, c'est son papa qui s'est plaint du manque de gentillesse, de l'arrogance et de la brutalité de Mme [U] en ces termes : 'je lui ai dit qu'il y avait eu du bruit pendant ma sieste, elle m'a répondu que j'étais pas à l'hôtel et qu'ici il y avait des gens qui travaillaient. Elle m'a fait mal au dos en me secouant sur le fauteuil roulant'. Elle précise qu'elle s'est rendue compte que sa maman devenait craintive lorsque la salariée était de service et que cette inquiétude lui coupait l'appétit.
-Mme [B] et Mme [W], filles de Mme [S], ont indiqué dans leur courrier du 14 août que Mme [U] avait été brusque avec leur mère le soir après le repas en cognant le fauteuil roulant alors qu'elle le poussait et que lorsque leur maman lui en avait fait la remarque, elle avait répondu qu'elle connaissait son travail. Elles ont ajouté que cette semaine, elles ont trouvé leur mère confuse et qu'au bout d'une demi-heure, elle leur a expliqué que Mme [U] lui avait raconté qu'elle travaillait la nuit comme barmaid dans des soirées pour homosexuels et que leur mère en avait fait des cauchemars.
-Mme [Y] [T] et Mme [D] [A] ont rédigé un courrier qu'elles ont signé avec leur mère, Mme [Q] [C], dans lequel elles indiquent que leur mère était victime de maltraitance de la part de Mme [U] qui lui faisait des réflexions sur son poids telles que 'vous êtes trop grosse, vous avez droit à une madeleine sans sucre', 'il faut moins manger, car on n'arrive plus à vous soulever', 'pour vous pas de croissants', 'une seule confiture au lieu de deux', 'on ne vous descend pas en salle à manger, car vous êtes trop lourde, il faut être plusieurs pour vous lever'. Elles indiquent également que pendant plusieurs après-midi, l'équipe dont faisait partie Mme [U] reportait l'heure du change à tel point que leur mère n'était pas changée jusqu'au coucher, alors qu'elle prend un diurétique le matin et qu'elle boit beaucoup pour éviter les crises de colique néphrétique et le blocage des surrénales et qu'en mars, à son retour de l'hôpital, Mme [U] avec son équipe la couchaient à 17 heures au motif que le soir après le souper, elles avaient beaucoup trop de résidents à s'occuper.
La salariée ne conteste pas le fait qu'elle a effectivement dû mécontenter Mme [C] en refusant qu'on la 'gave' de sucre et de confiture. Elle considère que le problème de poids de cette résidente mettait sa santé en péril et lui faisait courir le risque de ne plus pouvoir être déplacée et manipulée par les aides-soignantes.
Néanmoins, il s'évince des attestations du Docteur [H] et de Mme [E] [O], cadre de santé, que la résidente n'avait pas de problèmes d'obésité et n'était pas soumis à un régime particulier. Il apparaît au contraire que l'établissements est très permissif auprès de cette population âgée pour qui la prise de repas doit rester un véritable plaisir.
En toute hypothèse, il n'appartenait pas à la salariée de modifier le régime alimentaire de Mme [C] en lui supprimant des confitures et des croissants. Cette attitude vexatoire ne pouvait qu'entraîner un sentiment d'injustice pour l'intéressée et la faire souffrir.
Ces différents éléments établissent que la salariée a adopté à l'égard de certains résidents des comportements agressifs, verbaux ou physiques, confinant à de la maltraitance. Comme l'ont relevé les premiers juges ces comportements ne sont pas admissibles venant d'une aide-soignante qualifiée et ne peuvent perdurer lorsque l'employeur en a connaissance d'abord verbalement puis lorsque les familles prennent la peine de le confirmer par écrit.
De tels agissements ne se produisant pas en règle générale devant témoins, les attestations que la salariée verse au débat de collègues de travail ou d'anciens employeurs témoignant de son sérieux et de sa conscience professionnelle ne sont pas de nature à remettre en cause les témoignages des familles de résidents produits par l'employeur.
De même, les attestations de résidents ou des membres de leur famille faisant l'éloge de la salariée ne sont pas de nature à contredire les attestations produites par l'employeur, dans la mesure où il n'est pas soutenu que la salariée avait un comportement inadapté à l'égard de tous les résidents.
L'employeur ne pouvait pas laisser se perpétuer de tels agissements au préjudice de personnes âgées dépendantes et a considéré ainsi à juste titre que le maintien de la salariée dans l'établissement était impossible. Il convient par conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le licenciement pour faute grave était justifié et de débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes.
Sur les autres demandes :
Il convient de confirmer la décision du conseil des prud'hommes qui a condamné la salariée à payer à l'employeur la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause en appel. La salariée qui succombe doit être tenue aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne Mme [L] [U] aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT