La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/10/2014 | FRANCE | N°12/17111

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre b, 31 octobre 2014, 12/17111


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 31 OCTOBRE 2014



N° 2014/



Rôle N° 12/17111





[K] [O]





C/



Société DASSAULT AVIATION

































Grosse délivrée

le :



à :



Me Karine GRAVIER, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Jane SALMON, avocat au barreau de MARSEILLE




<

br>Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section E - en date du 31 Août 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/169.







APPELANTE



Madame [K] [O], demeurant [Adresse 2]



c...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 31 OCTOBRE 2014

N° 2014/

Rôle N° 12/17111

[K] [O]

C/

Société DASSAULT AVIATION

Grosse délivrée

le :

à :

Me Karine GRAVIER, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Jane SALMON, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section E - en date du 31 Août 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/169.

APPELANTE

Madame [K] [O], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Karine GRAVIER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Société DASSAULT AVIATION, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Jane SALMON, avocat au barreau de MARSEILLE

substitué par Me ARTZ, avocat au barreau de PARIS.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 17 Septembre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre

Mme Françoise FILLIOUX, Conseillère

Mme Sylvie ARMANDET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Octobre 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Octobre 2014.

Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Suivant lettre d'embauche du 17 septembre 1981, Mme [K] [O] a été engagée par la SA DASSAULT AVIATION , en qualité d'ingénieur, pour une durée indéterminée. Au dernier état de sa collaboration, elle occupait les fonctions de chef de service des affaires économiques dans l'établissement d'[Localité 1], statut cadre et percevait une rémunération moyenne mensuelle brute de 7.815,17 €.

Après convocation le 18 mai 2010 à un entretien préalable fixé au 27 mai 2010, l'employeur a licencié la salariée, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 juin 2010 rédigée en ces termes :

«[...] nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement, motivée par le comportement dont vous faites preuve depuis plusieurs années vis-à-vis de vos collaborateurs et de certaines de vos collègues - comportement qui perdure, malgré les observations verbales, puis le courrier de mise en garde qui vous ont été faits : propos méprisants et humiliants à l'égard des personnes placées sous votre autorité, comportement agressif vis-à-vis de vos collaborateurs et des personnes d'autres services avec lesquelles vous êtes amenés à travailler, pressions, altercations répétées...

Les faits sont plus précisément les suivants :

Depuis 2000, vous occupez les fonctions de chef du service des affaires économiques de l'établissement d'[Localité 1]. À ce titre, vous êtes en charge de la comptabilité des bases d'essais ainsi que du contrôle de gestion des programmes et des coûts de structure. Vous êtes directement rattachée au directeur de l'établissement, M. [Z].

Vous encadrez une équipe de sept personnes. Vos fonctions vous amènent à travailler de façon étroite avec les autres services que compte l'établissement.

Votre entourage professionnel fait très régulièrement état d'un comportement inapproprié, se traduisant par des propos déplacés et outrageants tenus très régulièrement à l'encontre des personnes que vous encadrez et de certaines de vos collègues. Il est également fait état de remises en cause et de dénigrements perpétuels du travail effectué, de pression, de violences verbales répétées.

Dès 2003, ce comportement fait l'objet d'alertes, notamment de la part du médecin du travail.

Parmi les multiples incidents rapportés par différents salariés et anciens salariés, nous citons à titre d'exemple :

-le 13 février 2009, à l'occasion d'une réunion de travail avec le département logistique et administration, vous prenez violemment à partie le responsable de ce département, M. [S], en l'insultant. À la même occasion, vous dénigrez le directeur de l'établissement, M. [Z], ceci en présence de l'ensemble des participants à la réunion.

-certains salariés témoignent que, de façon récurrente, vous les insultez, devant témoins, leur tenant des propos tels que 'vous ne faites que des conneries', 'on ne va pas pouvoir toujours vous protéger', ou encore 'vous êtes tous des nuls'.

-le 10 décembre 2009, un collaborateur du service devis, appartenant au département logistique et administration, poussé à bout par les échanges intervenus avec vous, quitte brusquement l'établissement. À la suite de cet incident, il est mis en arrêt maladie.

-le 11 décembre 2009, vous avez une violente altercation avec M. [S], allant jusqu'à jeter vers lui un pot à crayons.

Cette liste est loin d'être exhaustive... ».

Suite à ces graves incidents, la direction de l'établissement s'est vue dans l'obligation de procéder à une réorganisation des bureaux, afin de vous éloigner du service devis et de ramener ainsi une ambiance de travail plus sereine. Par courrier du 18 janvier 2010, nous vous avons, par ailleurs, alerté sur le caractère inadmissible de votre comportement et demandé de revenir à une attitude responsable.

Depuis cette date et malgré cette mise en garde, nous ne pouvons que constater que vous avez persisté dans votre attitude :

En effet, le 26 avril 2010, un membre de votre équipe est reçu à sa demande par le médecin du travail et le 27 avril par moi-même, puis, le 28 avril, par M. [Z]. Ce salarié se trouve dans un état de très grande émotion et nous demande de le change de poste le plus rapidement possible.

Le 27 avril également, deux autre salariés se présentent chez le médecin du travail, faisait état d'une situation de travail très dégradée, liée à votre comportement.

Compte tenu des éléments ainsi remontés et de l'émoi provoqué au sein de votre équipe, nous avons décidé d'investiguer plus avant. En ce sens, M. [A], directeur des affaires économiques, s'est rendu le 11 mai 2010 sur l'établissement d'[Localité 1], afin de rencontrer individuellement chacun de vos collaborateurs.

Il a ainsi pu constater au sein de votre service un climat de tension qui devient insupportable et qui résulte de votre attitude.

Dans le même temps, par courrier du 12 mai 2010, le médecin du travail alerte M. [Z] sur la situation de différents salariés du service des affaires économiques et d'autres services en relation avec ce dernier.

Nous avons d'ailleurs eu une dernière illustration du climat qui règne au sein de votre service, puisqu'il s'avère que, en préalable à la venue de M. [A], vous avez usé de manipulations et de pressions à l'égard des membres de votre équipe, en vue d'obtenir qu'ils témoignent en votre faveur...

Votre agressivité, votre attitude du dénigrement systématique aux propos déplacés et injurieux dépasse largement le cadre de la liberté d'expression et sont totalement incompatibles avec vos responsabilités de cadres de direction.

Bien plus, au travers des témoignages spontanés de vos collaborateurs et collègues nous ne pouvons que constater que votre comportement déstabilise l'équipe et en perturbe au quotidien les conditions de travail.

Ce comportement qui persiste maintenant depuis plusieurs années, malgré les efforts et la patience déployés par votre hiérarchie et votre entourage professionnel, est en totale contradiction avec vos obligations et rend impossibles votre maintien dans l'entreprise.

Il justifie votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, qui prendra effet à la date de première présentation de la présente lettre recommandée par la poste. »

Le 6 juillet 2010, contestant la légitimité de son licenciement, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues, section encadrement, lequel a, par jugement du 31 août 2012, :

-dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;

-constaté l'absence de conditions vexatoires ;

-débouté en conséquence la salariée de sa demande principale de réintégration ;

-débouté la salariée du surplus de ses demandes ;

-débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-laissé les entiers dépens à la charge de la salariée qui succombe.

Le 17 septembre 2012, la salariée a interjeté régulièrement appel de ce jugement.

Vu les écritures déposées par Mme [K] [O], le 10 septembre 2014, aux termes desquelles elle demande à la cour, au visa des articles 9 du code de procédure civile, R. 1235-1, L 1235-3 et L. 1235-4 du code du travail, de :

-réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Martigues du 31 août 2012 ;

-ordonner en tant que de besoin enquête à la barre afin d'entendre toute personne en vue de la découverte de la vérité ;

-dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

-condamner en conséquence l'employeur à lui verser la somme de 350.000 € à titre de dommages-intérêts ;

-dire le licenciement intervenu dans des conditions vexatoires et infamantes ;

-condamner en conséquence l'employeur à lui verser la somme de 50.000 € au titre de dommages-intérêts distincts ;

-condamner l'intimé à lui verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ,

-dire que les sommes porteront intérêts à compter de la saisine, avec capitalisation ;

-ordonner le remboursement à PÔLE EMPLOI de tout ou partie des indemnités de chômage payées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités.

Vu les écritures de la SA DASSAULT AVIATION, déposées le 17 septembre 2014, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 378 à 380 du code de procédure civile, 4 du code de procédure pénale et 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme, de :

À TITRE PRINCIPAL,

-confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré ;

-constater que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;

-constater l'absence de conditions vexatoires ;

en conséquence,

-débouter la salariée de sa demande de réintégration au sein de la société ;

-débouter la salariée de sa demande de condamnation à hauteur de la somme de 350.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-débouter la salariée de sa demande de condamnation à hauteur de 50.000 € au titre de dommages-intérêts pour préjudices distincts ;

-débouter la salariée de sa demande de condamnation de l'employeur au remboursement à PÔLE EMPLOI de tout ou partie des indemnités de chômage payées, dans la limite de six mois d'indemnités.

À TITRE SUBSIDIAIRE,

-constater le montant manifestement excessif des demandes de la salariée ;

en conséquence,

-allouer à Mme [O] la somme maximale de 46.891,02 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-minimiser le montant des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

-fixer le salaire mensuel brut moyen de la salariée à la somme de 7.815,17 € (moyenne des 12 derniers mois) ;

-débouter la salariée de sa demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

-débouter la salariée de sa demande de capitalisation des intérêts à compter de la saisine ;

-débouter la salariée de sa demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner la salariée à lui verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures ci-dessus visées et réitérées oralement à l'audience du 17 septembre 2014.

SUR CE

Sur le licenciement :

Selon l'article L1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il est reproché à la salariée, dans la lettre de licenciement du 2 juin 2010, d'avoir persisté dans son comportement humiliant, méprisant et agressif à l'égard des personnes placées sous son autorité, ainsi que de celles d'autres services avec lesquelles elle était amenée à travailler et ce, malgré les observations verbales, puis le courrier de mise en garde qui lui ont été adressés.

La salariée conteste les griefs invoqués, hormis l'incident pour lequel elle a déjà été sanctionnée le 1er février 2010 et soutient que l'employeur ne peut plus invoquer les événements antérieurs à cette sanction pour motiver que le licenciement.

Il est exact qu'en vertu du principe 'non bis in idem', une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. De même, l'employeur qui, bien qu'informé de l'ensemble de faits reprochés à une salariée, choisit de lui notifier un avertissement seulement pour certains d'entre eux, a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer ultérieurement un licenciement pour les autres faits connus avant la date de notification de la première sanction.

Cependant, lorsque des faits de même nature se reproduisent, l'employeur peut faire état des précédents, même s'ils ont été sanctionnés en leur temps, pour justifier une sanction aggravée, à condition que les nouveaux griefs soient établis et que les sanctions invoquées à l'appui d'une sanction plus forte ne soient pas antérieures de plus de trois ans à l'engagement des poursuites.

En l'espèce, la salariée s'est vu notifier un avertissement, suivant courrier en date du 18 janvier 2010, remis en mains propres le 1er février, au motif qu'à plusieurs reprises, elle a adopté des comportements inadmissibles, notamment le 11 décembre 2009.

L'appelante ne conteste pas que le 11 décembre 2009, elle a eu une altercation violente avec M. [R] [S], chef du département logistique et administration et qu'elle a projeté sur le bureau de son collègue un pot de crayons.

M. [S] a attesté qu' « en fin d'année 2009, l'ambiance de travail était extrêmement tendue entre le service devis et le service des affaires économiques. En effet, de plus en plus fréquemment, dès que nous étions en désaccord, souvent pour des raisons sans importance, Mme [O] ne se contrôlait plus et ne maîtrisait plus ses paroles et ses gestes. Elle s'emportait très rapidement, haussait le ton et tenait des propos dévalorisants et vexatoires qui s'entendaient dans tous les couloirs, à l'égard de mes collaborateurs. Quelqu'en soit la raison cette attitude nous perturbait beaucoup ; notamment mes collaborateurs du service devis les plus fragiles. Un d'entre eux a tenu à le mentionner sur le compte rendu de son entretien individuel. M. [NL] qui se plaignait depuis quelque temps des remarques désobligeantes émanant du service des affaires économiques ne supportant plus la pression a même quitté son poste de travail et l'établissement en vélomoteur le jeudi 9 décembre 2009 à 9h30. Nous nous sommes inquiétés jusqu'à ce que nous ayons de ces nouvelles vers 15h30. M. [NL] a été immédiatement mis en arrêt de travail par son médecin pendant plusieurs semaines. Mme [O] reprochait à mes collaborateurs de ne pas faire leur travail correctement, particulièrement à ceux du service devis ; ce qui n'était pas de son ressort et n'acceptait pas que je les soutienne. Alors que je n'ai quasiment jamais eu de reproches sur la qualité des devis par les responsables de programmes et les directeurs. Fin septembre, elle s'est emportée envers moi-même et le directeur de l'établissement présent dans mon bureau à propos d'un problème mineur. Lors de notre dernière altercation, au mois de décembre, alors que j'essayais de la calmer, elle a projeté violemment sur mon plan de travail mon porte crayon dont le contenu s'est réparti dans le bureau. Une nouvelle fois, moi-même et tous mes collaborateurs avons été choqués par son attitude... »

Suite à cet incident, le directeur de l'établissement, M. [JC] [Z] a dû procéder à une réorganisation des bureaux, afin que Mme [O] ne soit plus à proximité géographique du service géré par M. [S].

L'appelante ne saurait soutenir que cette réorganisation était essentiellement motivée par la récente réorganisation du département logistique et administration, alors que dans la notification de décision du 8 janvier 2010, M. [Z] évoque «de regrettables événements qui ne doivent plus se reproduire» et indique : «Je compte sur le sens des responsabilités de Mme [O] et de M. [S] pour que le relatif éloignement géographique n'impacte pas l'indispensable collaboration entre le service SAE et le département DLA.»

Elle soutient que c'était la première fois en 30 ans que la direction lui faisait un reproche sur son comportement. M. [Z] atteste néanmoins que plusieurs incidents impliquant la salariée ont émaillé l'année 2009, dont deux où il est personnellement intervenu pour lui faire comprendre que son attitude autoritaire et intransigeante envers certains salariés devait changer absolument et qu'elle devait travailler dans le respect de tous. Il indique qu'il n'a pas jugé productif d'en faire état dans les entretiens individuels, estimant qu'il s'était exprimé clairement à diverses occasions et que c'est d'ailleurs dans cet esprit d'apaisement qu'au début de l'entretien individuel du 1er mars 2010, il a fait savoir à la salariée qu'il ne souhaitait pas revenir sur les événements de fin 2009, la lettre du 18 janvier 2010 étant explicite et soldant l'affaire.

Le témoignage de M. [Z] ne saurait être écarté des débats, dans la mesure où la plainte que la salariée a déposée à son encontre a été classée sans suite le 15 octobre 2013, après audition de M. [Z] par un officier de police judiciaire.

Il ressort des éléments du dossier que si M. [Z] a tardé à sanctionner la salariée, alors qu'il reconnaît avoir été informé du comportement inadapté de la salariée à l'égard de ses collaborateurs et collègues de travail depuis plusieurs années, c'est principalement en raison des relations qu'il entretient avec le conjoint de la salariée, M. [OZ] [Z], lequel occupe le poste de directeur des essais en vol et travaille en étroite collaboration avec lui, tous les deux ayant en outre fait leurs études au sein de la même école d'ingénieur, ce qu'elle ne conteste pas.

L'employeur établit ensuite que depuis la mise en garde du 1er février 2010, d'autres faits similaires ont été portées à sa connaissance et que la salariée a persisté dans son comportement fautif.

Il verse tout d'abord au débat un courrier que Mme [N] [G] a adressé le 15 mars 2010 à M. [J] [A], directeur des affaires économiques de la société basé à Saint Cloud, ainsi que l'attestation qu'elle a rédigée, desquels il ressort que cette salariée, qui était comptable au sein du service dirigé par l'appelante jusqu'à son départ à la retraite le 1er février 2010, a subi pendant une dizaine d'années le comportement humiliant et discriminatoire de l'appelante.

C'est ainsi qu'elle indique dans son courrier : « j'ai toujours été valorisée, tirée vers le haut, jusqu'à l'arrivée de l'actuelle hiérarchie. À compter de ce jour, ne faisant pas partie des cadres, j'ai été traitée (je ne suis pas seule mais je ne parle qu'en mon nom) en 'inférieure', les humiliations, la dévalorisation, la discrimination ont mis à mal ma santé physique et morale. [...] Je voulais dénoncer cette période d'après 2000 où j'ai perdu tout espoir de réussite et ait subi les pires méchancetés de toute ma carrière. »

Dans son attestation, elle relate que pendant sa dernière décennie d'activité, elle a été dévalorisée, humiliée, harcelée moralement et victime de discrimination ; que son salaire n'a pas progressé comme il aurait dû l'être ; que les indemnités kilométriques qui lui étaient accordées lui ont été supprimées ; que fréquemment ses priorités dans le travail étaient modifiées pour qu'elle effectue des tâches de saisie qu'une dernière embauchée ne voulait pas faire ; qu'elle subissait des réflexions du genre 'vous ne savez pas travailler' quand sa chef avait ses humeurs et qu'elle venait se défouler dans son bureau en vociférant des méchancetés et notamment en lui disant que la société n'avait pas besoin d'éléments comme elle et que c'était par pitié qu'on la gardait ; que très souvent, on lui faisait remarquer qu'elle n'avait pas de BTS, ce qui signifiait qu'elle était limitée ; qu'à plusieurs reprises, elle a formulé des demandes de formation en excel car elle devait faire de la gestion, mais que ses demandes ne sortaient pas du bureau de sa hiérarchie, alors que le service du personnel était d'accord ; qu'elle n'a pas pu utiliser ses 113 heures de droit individuel à la formation acquis au jour du départ à la retraite ; qu'elle aurait aimé passer le BTS par la validation des acquis comme elle l'avait fait pour le BAC PRO, mais que sa hiérarchie l'en avait vivement dissuadé ; qu'après le décès de son fils, elle a été malade et a dû subir des examens approfondis et qu'elle a eu la désagréable surprise de voir que ses certificats médicaux justifiant son absence n'avaient pas servis et qu'on avait pris ses congés payés.

L'appelante ne saurait valablement soutenir que les comportements dénoncés par Mme [G] ne la concernent pas, au motif qu'elle n'est pas expressément mentionnée dans le courrier du 15 mars 2010, ni dans l'attestation, alors qu'il est constant qu'elle s'est vu confier le service des affaires économiques en 2000 et que Mme [G] faisait partie de ce service jusqu'à son départ à la retraite.

En outre, M. [R] [DF], délégué du personnel, atteste que c'est bien Mme [O] qui est à l'origine des comportements dénoncés par Mme [G]. Il expose ainsi que pendant plusieurs années Mme [G] a été victime de façon constante de brimades, de propos méprisants et d'actions discriminatoires infligés pas Mme [O] ; que Mme [G] l'a sollicité en 2006 à propos d'une prime de caisse injustement et arbitrairement supprimée par Mme [O] ; que celle-ci a refusé de la demander et qu'il a fallu qu'il intervienne directement auprès du chef de département principal à la direction des services comptables pour que cette prime soit rétablie ; que Mme [G] l'avait informé en 2005 que Mme [O] refusait de prendre en considération, pour son évolution professionnelle, la valorisation des acquis de l'expérience, l'ayant amené à obtenir un baccalauréat professionnel et que les suggestions qu'elle faisait à Mme [O] pour améliorer le traitement de certains travaux comptables était immanquablement classée sans suite.

Il apparaît que c'est à la suite du courrier de Mme [G] du 15 mars 2010 que la direction générale de la société a pris connaissance de la situation de tension extrême que la salariée faisait subir à ses collaborateurs et collègues de travail, ainsi que l'atteste M. [A] : « en janvier 2010, lorsque j'ai pris mes nouvelles fonctions, je n'avais jamais entendu parler de problèmes particuliers à [Localité 1]. Je savais tout au plus que les relations professionnelles avec [K] [O] pouvaient être tendues, certains de mes collaborateurs faisant état de mails désagréables et de propos durs tenus au téléphone ou en réunion. Le 16 mars 2010, je reçois un courrier de Mme [G], collaboratrice de [K] [O] récemment partie à la retraite, faisant état de difficultés graves qu'elle aurait connues du fait de l'attitude de sa responsable hiérarchique. Je me rapproche alors de [I] [U], DRH de la société, pour envisager les suites à donner à ce courrier. Celui-ci me fait part d'une situation préoccupante à [Localité 1] concernant plus particulièrement l'équipe de [K], du fait du comportement détestable sur le plan humain de cette dernière. Je contacte alors [JC] [Z], directeur de l'établissement d'[Localité 1] responsable hiérarchique de Mme [O] qui me confirme en tous points les déclarations de [I] [U] et me fait état d'incidents qui surviennent régulièrement depuis plusieurs années... »

Le 28 avril 2010, M. [Q] [GH], contrôleur de gestion au sein du service des affaires économiques dirigé par l'appelante, a sollicité un entretien auprès de M. [Z], afin de lui faire part de son mal-être au travail lié au comportement de l'appelante et de sa volonté de quitter le service.

M. [Q] [GH] a établi une attestation décrivant le comportement méprisant de Mme [O] à son égard et les raisons pour lesquelles il a sollicité un entretien avec le directeur de l'établissement : « le 27 avril à 15 h 30, face au mécontentement exprimé par d'autres personnes du service, Mme [O] organise une réunion impromptue pour que chacun puisse exprimer ses reproches. Mais le tour de table n'a servi à rien car elle n'a pas écouté les arguments énoncés et a même continué à insulter une personne passant dans le couloir (la porte de la salle étant heureusement fermée) en la qualifiant de 'peste'. Suite à la tourn ure de la réunion, quand vient mon tour de parler, je dis mon souhait de partir et Mme [O] me répond en haussant les épaules 'mais mon pauvre [Q], à ton âge, qui voudrait de toi ''... »

Dans son attestation, M. [Z] relate que M. [GH] s'est plaint d'une surveillance permanente, de critiques injustifiées, de propos vexatoires, d'absence de communication, d'abus d'autorité ; qu'il a demandé de quitter le service des affaires économiques pour faire 'n'importe quoi' et qu'il s'est effondré en pleurs.

Le 3 mai, M. [Z] s'est rapproché de Mme [M] [HO], médecin du travail coordinateur, pour lui faire part de cette situation. Celle-ci relate dans son attestation qu'elle a assisté à l'entretien téléphonique entre M. [Z], M. [A] et M. [LX], directeur financier, au sujet des mesures à prendre concernant Mme [O], à l'issue duquel il été décidé que M. [A] viendrait à [Localité 1] pour rencontrer les équipes. Elle indique également que le 28 avril, alors qu'elle animait une session de formation à [Localité 1], afin de sensibiliser les cadres sur la prévention du stress, elle a été heurtée par l'attitude de Mme [O], agressive et irrespectueuse ; que tout au long de la matinée, celle-ci n'a pas cessé de ricaner, de tenir des propos sarcastiques et dénigrant tels que 'la médecine du travail, ça ne sert à rien' et qu'elle s'est même laissée aller à tenir des propos désobligeants sur le médecin du travail de l'établissement. Elle ajoute que le 4 mai, Mme [O] a souhaité la rencontrer pour s'excuser pour son attitude, ce qui révèle que la salariée avec conscience du fait que son attitude n'était pas adaptée.

Le 6 mai, M. [Z] a convoqué Mme [O] pour lui exposer les griefs que lui a rapportés M. [Q] [GH]. Il atteste que pour toute réponse, elle a nié toute difficulté au sein de son service et récusé les plaintes d'[Q] [GH] sur un ton agressif, voire menaçant en lui disant « si tu me mets une sanction, tu auras du souci à te faire... » ; que le lendemain, elle est rentrée précipitamment dans son bureau et lui a jeté des lettres attestant qu'il n'y avait aucun souci dans le service et en lui disant d'un temps provocateur et agressif « tu ne peux plus dire qu'il y a des problèmes dans mon service, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ' ».

C'est ainsi qu'à la suite de l'entretien du 6 mai 2010, Mme [O] a demandé à ses sept collaborateurs de rédiger des lettres de soutien, afin d'établir que leurs relations étaient empreintes de respect mutuel et de considération, voire d'affection. Or, le 10 mai 2010, quatre d'entre eux, M. [Q] [GH], Mme [H] [KQ], Mme [P] [Y] et Mme [UP] [XR], se sont rétractés en indiquant avoir rédigé le courrier du 7 mai sous la pression de Mme [O].

Ils ont réitéré leur propos devant M. [A] qui a rencontré individuellement les membres de l'équipe de Mme [O], le 11 mai. Celui-ci relate qu'ils ont décrit chacun un tableau noir de la situation et que les éléments qui lui restent à l'esprit sont : « l'interdiction que leur a faite [K] de travailler avec une personne du service devis : les appels téléphoniques incessants depuis quelques jours de [K], le favoritisme vécu comme une injustice... [Q] [GH] déclare qu'il a peur. Tous me confirment qu'ils ne sont vraiment pas bien et qu'ils ne peuvent plus travailler avec [K] [O]. »

M. [L] [D], également collaborateur de Mme [O], a attesté avoir témoigné le 7 mai 2010 en faveur de cette dernière sous le coup de l'émotion et l'avoir regretté par la suite.

L'appelante soutient que l'enquête menée par M. [A] le 11 mai 2010 n'a pas été menée de manière loyale, au motif qu'elle n'a pas été interrogée et qu'il n'a pas auditionné les collaborateurs ayant témoigné en sa faveur.

Or, elle ne produit pas le moindre élément établissant que seuls certains de ses collaborateurs ont été reçus par M. [A]. Au contraire, celui-ci indique avoir rencontré individuellement les membres de l'équipe de la salariée. Il a également noté que Mme [QN] [C] et Mme [F] [T] ont témoigné en sa faveur. Le fait que ces dernières n'aient formulé aucune plainte, ne signifie pas que la salariée avait un comportement dénué de tout reproche à l'égard de ses autres collaborateurs.

En outre, elle ne conteste pas avoir joint M. [A] par téléphone quelques jours auparavant et s'être entretenu longuement avec lui. Celui-ci atteste : « juste avant mon déplacement sur [Localité 1], [K], après avoir vu le directeur d'établissement, m'appelle longuement pour me faire part de son incompréhension et de son sentiment d'injustice face à la situation. Elle m'enjoint de jouer mon rôle de protection en tant que responsable fonctionnel et je lui réponds que je ne peux pas me prononcer sur des faits que j'ignorais et qui concernent son comportement dans l'établissement. Elle me demande de ne pas écouter les fausses accusations, me parle de jalousie et nie tous les faits. Lorsque je l'invite à réfléchir sur la situation, elle ne fait part d'aucun doute sur son absence de responsabilité et dit être dans la totale incompréhension. De plus, elle m'envoie par fax des courriers de toute son équipe datés du 7 mai 2010, dans lesquels ses collaborateurs témoignent de l'absence de comportement inadapté de sa part. [...] Elle m'a appelé longuement au téléphone, prétendant que tout cela était un coup monté contre elle, qu'il ne fallait pas 'écouter les petites gens'... À aucun moment, je n'ai senti de sa part la moindre remise en question. Elle était parfois agressive, d'autres fois en pleurs et en recherche de compassion et a tenu certains propos ambigus : 'après mon éventuel départ, je contacterai des personnes de [Localité 3] et il y aura des dommages collatéraux...' 'Je connais des gens...' J'ai mis ces propos sur le compte de son désarroi devant cette situation difficile et ai essayé de la conduire à une analyse objective de la situation sans y parvenir... »

M. [A] indique également qu'à l'issue des différents entretiens qu'il a menés, il a acquis la conviction que les faits rapportés étaient réels et graves et que le comportement de la salariée vis-à-vis de ses équipes et de certains de ses collègues était intolérable.

L'employeur produit également l'attestation de Mme [E] [X], médecin du travail au sein de l'établissement d'[Localité 1], laquelle expose que le 12 mai 2010, elle a été dans l'obligation professionnelle de rédiger une alerte médicale à l'attention du directeur M. [Z], faisant suite au constat depuis 2003 de plusieurs situations médicales de souffrance psychique concernant différents salariés du service affaires économiques et d'autres services en relation avec ce dernier, encadré par Mme [O] ; qu'elle a porté à la connaissance de la direction l'émergence de trois nouvelles situations depuis janvier 2010, ce qui portait à 10 le nombre de cas identifiés par le service de santé au travail et qu'elle a conseillé à la direction d'analyser les causes de ces dysfonctionnements à l'origine de troubles de santé psychique ou/et mentale de salariés.

Il verse aussi au débat plusieurs attestations de salariés qui ont été psychologiquement et/ou physiquement affectés par le comportement de la salariée et notamment celles de :

-Mme [V] [WD] qui exerçait les fonctions de comptables au sein du service dirigé par l'appelante : « Mme [O] , par son attitude néfaste a été en grande partie responsable de l'aggravation de ma dépression. [...] de critiques en critiques, l'usure psychologique s'est installée et je n'ai pas tenu. C'est pourquoi aujourd'hui je suis en invalidité. »

-Mme [ZF] [B] qui travaillait au service comptabilité dirigé par l'appelante atteste avoir fait une dépression du fait du comportement de cette dernière à son égard : « Vu l'ambiance qu'elle a créée dans le service par son attitude froide et distante (sauf pour une personne dont l'entente faisait régner un climat malsain) j'ai fait une demande de mutation dans un autre service. Ma demande n'aboutissant jamais et le ressenti que j'avais à travailler dans son service m'a amené à faire une dépression... À ce jour, je peux certifier que, même à la retraite depuis quelques mois, il m'est encore difficile de parler de la période travaillée avec Mme [O] sans ressentir des angoisses. ».

Il apparaît que les instances représentatives du personnel ont également signalé le comportement inadmissible salarié. C'est ainsi que le syndicat CFE-CGC a alerté la direction par voie d'affichage, suite à la réunion du CHSCT du 22 janvier 2010, dans les termes suivants : « La CFE-CGC déplore que les faits de harcèlement de la part de chefs de service ayant occasionné des arrêts maladie pour cause de surmenage et de stress ne soient pas considérés comme accident de travail. Depuis plusieurs années, notre organisation syndicale a détecté et dénoncé des comportements inacceptables et a proposé des pistes afin d'analyser les facteurs psychosociaux, les reconnaître et trouver des solutions palliatives. »

M. [W] [BY] et M. [JC] [CL], délégués syndicaux des deux syndicats les plus représentatifs au sein de l'établissement d'[Localité 1] (CGT UGICT-CGT et CFE CGC) ont témoigné être intervenu à plusieurs reprises afin d'aider des salariés du service des affaires économiques ayant des problèmes générés par l'attitude de leur responsable, Mme [K] [O].

Il ressort de ces différents éléments que la salariée a adopté envers certains de ses collaborateurs et collègues de travail un comportement inapproprié, à la fois vexatoire et agressif, ayant eu des conséquences sur la santé de ces derniers apparaissent suffisants et que malgré les mises en garde qui lui ont été adressées, elle a persisté dans cette attitude.

Ces éléments apparaissent suffisants pour établir le caractère réel et sérieux du licenciement, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une enquête à la barre afin d'entendre toute personne en vue de la découverte de la vérité, comme le demande la salariée. Il convient par conséquent de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de [Localité 2] le 31 août 2012.

Sur les autres demandes :

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la salariée à régler à l'employeur la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La salariée qui succombe doit être tenue aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Condamne Mme [K] [O] à payer à la SA DASSAULT AVIATION la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Mme [O] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/17111
Date de la décision : 31/10/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9B, arrêt n°12/17111 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-31;12.17111 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award