COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT MIXTE
DU 09 SEPTEMBRE 2014
N°2014/
GB/FP-D
Rôle N° 13/07500
SARL BIOCOOP
C/
[E] [T]
Grosse délivrée le :
à :
Me Dominique D'ORTOLI, avocat au barreau de NICE
Me Tina COLOMBANI-
BATAILLARD, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section C - en date du 25 Mars 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/289.
APPELANTE
SARL BIOCOOP, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Dominique D'ORTOLI, avocat au barreau de NICE substitué par Me Richard PELLEGRINO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Mademoiselle [E] [T], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Tina COLOMBANI-BATAILLARD, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 26 Mai 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président , chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Madame Martine ROS, Conseiller
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2014
Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE
Par lettre recommandée postée le 9 avril 2013, la société Biocoop Azur a relevé appel du jugement rendu le 25 mars 2013 par le conseil de prud'hommes de Nice la condamnant à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
9 900 euros pour licenciement illégitime,
3 300 euros, ainsi que 330 euros au titre des congés payés afférents, pour préavis,
1 980 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
L'employeur demande à la cour d'infirmer ce jugement en toutes ses dispositions ; son conseil réclame 2 000 euros pour frais irrépétibles.
Au bénéfice de son appel incident, la salariée saisit la cour des demandes suivantes :
16 500 euros après résiliation de son contrat de travail,
15 000 euros pour préjudice moral,
3 300 euros, ainsi que 330 euros au titre des congés payés afférents, pour préavis,
1 980 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
2 500 euros pour frais non répétibles.
Son conseil réclame la délivrance de bulletins rectifiés mentionnant sa classification conventionnelle.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 26 mai 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme [T] a été au service de la société Biocoop Azur, en dernier lieu en qualité de responsable de rayon fruits et légumes au sein d'un point de vente 'bio', du 3 août 2004 au 27 juin 2011, date à laquelle elle a été licenciée pour une faute grave.
Préalablement à son licenciement, cette salariée saisissait le juge social d'une demande tendant à la résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral.
La salariée soutient que son employeur n'a eu de cesse de la brimer depuis 2008, d'émettre des remarques désobligeantes puis, progressivement et insidieusement, de la mettre 'au placard'.
Elle établit des faits qui établissent l'existence d'un harcèlement moral en versant aux débats plusieurs certificats médicaux mentionnant son état de stress et plusieurs attestations d'anciens collègues de travail faisant état de la surcharge de travail qui fut la sienne et dont les conséquences furent désastreuses au plan de sa santé.
Le docteur [Q], son médecin traitant, atteste le 1er juillet 2010 que l'intéressée est suivie depuis mars 2008 en raison de son stress et de troubles du sommeil, puis d'un début de grossesse constatée en février 2010, le tout ayant nécessité un arrêt de travail du 10 février 2010 au 27 mars 2010.
En raison de son état de grossesse, le 26 février 2010, la gynécologue [B] contre-indiquait 'formellement' le port de charges lourdes.
Informé par la salariée de cette contre-indication par une lettre du 15 mars 2010, l'employeur, dans un courrier recommandé du 18 mars 2010, l'informait comme suit : 'Votre poste nécessitant le port de lourdes charges il ne vous est dont pas possible de l'occuper actuellement. Tous les poste de travail de la société nécessite de soulever des poids y compris à la caisse poste qui de surcroits et déjà pourvu. Il n'y a pas de travail administratif dans la société. C'est pourquoi il ne me semble pas souhaitable que vous repreniez le travail avant la visite à la médecine du travail. En attendant, je vous suggère de vous rapprocher de votre médecin généraliste.'.
Cette réponse établit que cet employeur, comme il est soutenu, a 'placardisé' un temps la salariée.
Un médecin du travail confirmait l'avis de la gynécologue [B] à l'occasion d'une fiche de visite rédigée le 30 mars 2010 dans ces termes : 'Durant la grossesse apte à tout poste ne nécessitant pas de manutention de charges.'.
Sans prendre en compte cet avis médical porté à sa connaissance, lequel relevait du simple bon sens, l'employeur a permis que Mme [T] porte des charges lourdes et la preuve de ce fait est apportée par le témoignage du salarié Schwerkold, versé aux débats par le conseil de l'employeur, lequel déclare : 'J'ai travaillé à Biocoop-Azur de mars 2010 à décembre 2011.. J'ai très souvent aidé Mlle [T] lors des dechargements des palettes de fruits et légumes, je déchargeais entierement la palette et ne laissé à Mlle [T] que ce qu'elle pouvait mettre en rayon, et le reste je le rentrais en chambre froide.'.
Ce témoignage permet d'écarter l'affirmation de l'employeur selon laquelle, à sa reprise au mois de mars 2010, elle aurait été affectée à la caisse centrale pour lui éviter les manutentions.
Les attestations encore produites par le conseil de l'employeur, démontrent toutes que Mme [T] a continué son travail de responsable de fruits et légumes durant sa grossesse : Mmes [I], [A] et [D] dans son attestation du 31 septembre 2011, MM. [H], [D] et [K].
Ceci caractérise un grave manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
De son côté le conseil de la salariée verse aux débats plusieurs attestations, régulières en la forme, qui établissent des faits de harcèlement moral :
- Mme [Y], responsable adjoint de la structure Biocoop Azur de février 2006 à juillet 2009, : 'Malgré mes remarques à propos de l'organisation du travail, la gérante puis la chef du magasin n'ont jamais pris au sérieux la situation de surcharge de Mlle [T], lui refusant toute aide à la manutention et tout dialogue avec moi à ce sujet. Cette rupture de Communication mettait Mlle [T] dans un état de stress qu'elle s'est fait un devoir de masquer à la clientèle, réclamant encore plus d'effort.'.
- M. [P] : 'Je travaille à la BiocoopAzur depuis janvier 2008. Je fais l'ouverture à 6h.30 depuis avril 2008, cinq jours sur sept. En décembre 2009 et janvier 2010, [E] [T] demandait de l'aide régulièrement avant 9h.00 auprès de la direction car le stand Fruits et Légumes s'était agrandit. Elle devait tout faire toute seule. Elle se débrouillait bien et plus rien ne trainait dans le magazin à 9h.00. Malgré tout, la direction semblait toujours insatisfaite du travail fourni et [E] était régulièrement convoquée seule dans le bureau avec [Z] [J] et [V] [D]. Elle en ressortait abattue et triste.'.
- Mme [C] : 'au début du mois de janvier 2010, Mlle [V] [D] m'a menacé d'une lettre d'Avertissement si je continue à aider madame [E] [T] de debarrasser les cagettes vides du rayon fruits et légumes. J'ai refusé et je lui dis la necesité d'avoir le magazin propre et à l'heure. [V] [D] m'a répondu 'ça lui apprendra'. Au début de grossesse de madame [T], madame [N] [S] à demandé des nouvelles de Madame [T] [E] [V] [D] à repondu dans le rayon des légumes, j'étais là en plus 'na pas Besoin d'elle, c'est une personne de trop. Il faut que je face quelque chose'. Je peux attester que madame [T] à demander de l'aide, dieu sait combien de fois, en manutention. C'est toujours refusé.'.
Ce harcèlement moral est un manquement grave et répété de l'employeur à ses obligations.
Par ailleurs, la salariée n'a eu de cesse de réclamer l'indication sur ses bulletins de salaire d'une classification conventionnelle N5 au lieu de N4.
L'avenant n° 40 du 5 octobre 2000 relatif à la classification des emplois relevant de la convention collective des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers applicable aux rapports de travail liant les parties, le niveau N5 est attribué à un vendeur hautement qualifié: agent de maîtrise chargé d'un rayon alimentaire traditionnel et/ou libre-service, contrôle les DLC et les DLUO, organise la vente. Apte à passer les commandes, assure le bon écoulement des marchandises en réserve, peut répartir le travail des vendeurs sous sa responsabilité. Apte à tenir la caisse. Peut également participer au nettoyage des rayons du magasin et des réserves. Assure le respect des règles d'hygiène.
En sa qualité de responsable d'un rayon, comme telle chargée de passer les commandes et d'assurer le bon écoulement des produits en réserve, Mme [T], apte à tenir la caisse relevait de ce niveau N5 et non N4 comme l'indique ses bulletins de salaire.
Il suffit pour en être convaincu de reprendre la lettre de licenciement qui lui reproche l'absence de réassort du rayon, de ne pas nettoyer son rayon, de ne pas suivre régulièrement les ventes et les achats, de ne pas dynamiser son rayon, puis de refuser d'effectuer un soutien en tenant la caisse, autant de tâches de travail dévolues à un vendeur hautement qualifié.
La fiche de poste du responsable de rayon fruits et légumes reprend très exactement les fonctions d'un vendeur hautement qualifié : passe la commande des fruits et légumes, vérifie les livraisons, veille à la propreté du rayon, propose des opérations marketing, veille au rangement logique et efficace de la chambre froide, participe à la réalisation des objectifs généraux définis par la direction, actualise quotidiennement les prix des marchandises reçues à l'aide du bon de livraison, vérifie les 'dates limites de consommation' et les 'dates limites d'utilisation optimale', veille à la propreté des rayons, réserve, chambre froide, matériel et magasin, puis tiens la caisse.
Le conseil de la salariée réclame justement l'édition d'un bulletin de salaire mentionnant ce niveau N5 depuis le 1er septembre 2006, date à laquelle elle passe d'un emploi de vendeuse manutentionnaire à un emploi de responsable de rayon.
Pour réclamer une mesure d'instruction aux fins de déterminer une régularisation du salaire, la cour observe que le niveau N5 ouvrait droit à une rémunération horaire brute minimale de 12,48 euros au 1er janvier 2011.
Au 1er janvier 2011 Mme [T] percevait une rémunération horaire brute de10,87 euros.
La cour constate que cette salariée dispose des éléments suffisants pour proposer un décompte de sa créance de salaire, dont le principe est certain, sans qu'il soit besoin de recourir à un expert.
Ce nouveau manquement de l'employeur ajoute à l'argumentation développée au soutien de la demande de résiliation.
En l'état d'une ancienneté de sept ans, du 3 août 2004 au 27 juin 2011, au sein d'une entreprise occupant habituellement plus de onze salariés, Mme [T] a perdu un salaire brut de 1 650 euros par mois, qui sera pris en considération à hauteur de la somme de 1 893 euros après reconstitution au niveau N5.
Âgée de 30 ans au moment de la rupture de son contrat de travail, l'intéressée justifie être toujours demandeur d'emploi, ayant pour seule ressource l'allocation d'aide au retour à l'emploi.
La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour arrêter à la somme réclamée de 16 500 euros la juste et exacte réparation de la rupture illégitime de son contrat de travail.
Son conseil voudra bien reconsidérer le montant des indemnités de rupture à l'aune du salaire reconstitué.
Le préjudice moral de cette salariée harcelée est évident car son état de santé fut sévèrement dégradé durant deux ans et demi par le comportement de son employeur.
La cour dispose des éléments d'appréciation pour arrêter à 10 000 euros l'exacte réparation de son nécessaire préjudice.
Les dépens sont réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Statuant par arrêt définitif :
Infirme le jugement ;
Et, statuant à nouveau :
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, prenant effet le 27 juin 2011 ;
Condamne la société Biocoop Azur à verser 26 500 euros à Mme [T] ;
Dit que la salariée devait être rémunérée au niveau N5 du 1er septembre 2006 au 27 juin 2011;
Ordonne à la société Biocoop Azur de délivrer à Mme [T] un bulletin de salaire indiquant le niveau N5 à compter du 1er septembre 2006 ;
Statuant par arrêt préparatoire :
Invite la partie la plus diligente à proposer un décompte de la créance de salaire née de la revalorisation du niveau de qualification ;
Invite la partie la plus diligente à proposer des indemnités de rupture conformes au salaire horaire de niveau N5 ;
Dit que le dossier sera à nouveau évoquée à l'audience du lundi 9 février 2015 à 9 h, la notification du présent arrêt valant convocation des parties;
Réserve le surplus des demandes et les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Gilles BOURGEOIS faisant fonction.