COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 20 JUIN 2014
N°2014/
Rôle N° 11/21059
SAS ST MICROELECTRONICS
C/
[W] [H]
Grosse délivrée le :
à :
Me Lyne KLIBI-KOTTING, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section I - en date du 08 Novembre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1394.
APPELANTE
SAS ST MICROELECTRONICS, concerne l'établissement de [Localité 2], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Lyne KLIBI-KOTTING, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur [W] [H], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Cyril BOUDAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Avril 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Monsieur Philippe ASNARD, Conseiller
Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2014
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
[W] [H] a été engagé le 19 novembre 2004, aux termes d'un contrat de chantier, en qualité d'opérateur de fabrication, par la SAS ST Microelectronics.
La relation contractuelle s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 10 novembre 2005.
La convention collective applicable est celle des industries métallurgiques de la région parisienne.
En raison des problèmes de santé rencontrés par le salarié, la relation de travail a été suspendue à plusieurs reprises au cours des années 2008 à 2010.
Le 10 février 2010, à l'issue de son dernier arrêt de travail, le médecin du travail a émis l'avis suivant :
«Inapte au poste d'opérateur PT ' contre-indications au port de pods/charges lourdes ' pas de position debout statique prolongée.Pourrait faire des tâches administratives, pourrait occuper un poste assis /debout sans port de charges. Visite de poste prévue entre les deux visites médicales. ».
Le 26 février 2010, après visite de poste, le médecin du travail a émis l'avis suivant :
«Inapte au poste d'opérateur PT définitif ' contre-indications au port de pods /charges lourdes ' pas de position debout statique prolongée.
Pourrait occuper un poste de type administratif, poste assis /debout sans port de charges ».
Le salarié a été reconnu travailleur handicapé à compter du 14 avril 2010 par la Maison départementale des personnes handicapées des Bouches-du-Rhône.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 mai 2010, [W] [H] a été convoqué à un entretien préalable dans les termes suivants :
«Nous vous demandons de bien vouloir vous présenter le vendredi 21 mai 2010 à 11 heures, au bureau de la direction des ressources humaines, pour un entretien dans le cadre d'une procédure disciplinaire, où seront évoqués les griefs qui vous sont reprochés.
Vous pourrez vous faire assister, au cours de cet entretien, d'une personne de votre choix appartenant obligatoirement à l'établissement, etc... ».
Le salarié s'est étonné de la formulation de ce courrier et a fait part à son employeur de sa perplexité, dans un mail en date du 20 mai 2010.
Par courrier électronique du jour même, la responsable des ressources humaine lui a répondu qu'il s'agissait d'une erreur et que cette convocation avait trait à une mesure de licenciement pour inaptitude et non pas à une quelconque faute professionnelle.
Le salarié a été licencié par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 10 juin 2010 :
«Lors d'une visite médicale de reprise dans nos locaux le 10 février 2010, le médecin du travail vous a déclaré « inapte au poste d'opérateur PT (...). Suite à cela le médecin a effectué une étude de poste et vous a de nouveau convoqué 15 jours plus tard soit le 16 février 2010. L'avis rendu lors de cette visite a confirmé votre inaptitude définitive au poste d'opérateur.
Suite à cela, nous avons démarré le processus de reclassement.
Dans le cadre de la procédure de reclassement, nous avons donc effectué une recherche de poste tenant compte des contraintes médicales émises par le médecin du travail.
Les postes correspondant à votre qualification n'étant à pourvoir qu'en salle blanche, il n'a pas été possible de vous y affecter de part vos contraintes médicales même en procédant à un quelconque aménagement. En effet, le travail en salle blanche implique le port de pods ou la station debout.
Les autres postes à pourvoir entre le 26 février le 26 mars étant des postes de techniciens ou ingénieurs, ils ne pouvaient convenir à votre qualification et n'ont pu de ce fait vous être proposés.
Le 12 mai 2010, vous avez donc été convoqué en entretien pouvant aller jusqu'au licenciement dans le cadre de la procédure d'inaptitude, votre reclassement ayant été impossible.
Vous vous êtes donc présenté à cet entretien accompagné de Monsieur [G] [E], représentant du personnel.
Je vous ai expliqué notre impossibilité de reclassement de par vos contraintes médicales à votre poste de travail et n'ayant pas d'emploi pouvant convenir à vos contraintes et compétences au sein de l'entreprise.
Vous êtes donc licencié pour inaptitude à votre poste de travail et impossibilité de reclassement. Votre contrat de travail sera rompu au terme de votre préavis de un mois à compter de la présentation du présent courrier, préavis qui vous sera rémunéré mais que vous n'aurez pas à effectuer.
Votre droit au DIF, etc ... ».
Contestant la légitimité de son licenciement, [W] [H] a, le 7 décembre 2010, saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence section industrie, lequel, par jugement en date du 8 novembre 2011, a:
*condamné l'employeur à payer au salarié :
-1 € à titre de de dommages et intérêts pour utilisation abusive et injustifiée de la procédure disciplinaire,
-4195,47 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (deux mois),
-419,54 € pour les congés payés afférents,
-14 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
*ordonné l'exécution provisoire des chefs de condamnation qui n'en bénéficient pas de plein droit, en application de l'article 515 du Code de procédure civile,
*débouté l'employeur de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles et l'a condamné aux dépens.
La société ST Microelectronics a, le 8 décembre 2011, interjeté régulièrement appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions, la SAS ST Microelectronics, appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
A titre subsidiaire, elle entend voir ramener la demande indemnitaire du salarié à de plus justes proportions.
Elle réclame, en tout état de cause, la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
-elle s'est trompée lors de la convocation à entretien préalable, cette simple erreur matérielle a été immédiatement réparée et ne justifie pas l'allocation d'une somme même symbolique,
-elle a mené des recherches sérieuses de reclassement, au delà du délai d'un mois,
-une indemnité compensatrice majorée en raison de la qualité de travailleur handicapé n'est pas due puisque la société n'a pas été destinataire de la notification de reconnaissance de cette qualité.
Aux termes de ses écritures, l'intimé conclut à :
-la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a :
*dit abusive et vexatoire la procédure disciplinaire et lui a alloué à ce titre la somme symbolique de 1€ à titre de dommages et intérêts,
*déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement litigieux,
*fixé à 1000 € son indemnité au titre des frais irrépétibles,
-son infirmation pour le surplus.
Il demande à la cour de condamner la SAS ST Microelectronics au paiement des sommes suivantes :
*3586,14 € à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis spéciale en application des dispositions de l'article L5213-9 du Code du travail,
*358,61 € pour les congés payés afférents,
*20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
* « 1500 € ou 2500 € (selon que l'indication de cette somme se trouve portée en chiffres ou en lettres dans ses conclusions) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir que :
-l'erreur de l'employeur ayant consisté à le convoquer dans le cadre d'une procédure disciplinaire est suffisamment grossière pour être fautive. Elle ne constitue pas une simple erreur matérielle,
-les recherches de reclassement n'ont pas été sérieusement effectuées puisqu'il existait au sein de l'établissement de [Localité 2], où il était affecté, de nombreuses possibilités de reclassement, y compris par voie de transformation de postes,
-disposant de la qualité de travailleur handicapé, un reliquat d'indemnité compensatrice lui est dû par application de l'article L 1234-1 du Code du travail.
A l'audience, il précise ne pas remettre en cause la recevabilité de l'appel principal.
Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE
I -Sur le préjudice résultant de la convocation du salarié à un entretien disciplinaire et non à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude :
Le fait d'avoir adressé à [W] [H] une convocation inappropriée alors qu'il se trouvait dans une situation anxiogène puisqu'il était menacé de perdre son emploi pour des raisons tenant à sa santé, constitue incontestablement une faute d'inattention ou de négligence à la charge de l'employeur.
La cour confirme le jugement entrepris qui a alloué, conformément à sa demande, 1 € de dommages et intérêts au salarié en réparation de son préjudice moral.
II-Sur le licenciement :
Selon les dispositions de l'article L 1226-2 du Code du travail, 'lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnels, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des taches existantes dans l'entreprise.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.'
Si le salarié ne peut, en principe, prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude.
Conformément aux dispositions de l'article L5213-9 du Code du travail, la durée du préavis déterminée en application de l'article L 1234-1 est doublée pour les bénéficiaires du statut de travailleur handicapé, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au delà de trois mois la durée de ce préavis.
L'employeur verse aux débats :
-des mails, contenant les deux avis du médecin du travail, que la responsable des ressources humaines a adressés, en vain, à ses homologues au sein du groupe auquel appartient l'entreprise, afin de tenter de reclasser le salarié (ses pièces 8, 9 , 10, 11, 12, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23,),
-des mails envoyés à des entreprises extérieures (ses pièces 14 et 16),
-des attestations qui établissent que les postes que le salarié cite comme étant susceptibles de lui convenir par voie d'aménagement marginal, supposaient tous une manipulation récurrente et constante de pods (ses pièces 28 et 29, nouvelles en cause d'appel) constituant des charges lourdes,
-des registres du personnel correspondant aux sites de [Localité 3], [Localité 1] et [Localité 2] (ses pièces 24 à 27).
Considérant, d'une part, que c'est à tort que le salarié soutient que la société a procédé à son licenciement, « sans attendre » les réponses de tous les DRH contactés, dans la mesure où plus de trois mois se sont écoulés entre l'envoi des mails par la DRH du site de [Localité 2] et son licenciement, d'autre part, que la société démontre que les postes qu'il croyait adaptés à ses capacités supposaient le port de charges lourdes, enfin, qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'il pouvait prétendre occuper des postes administratifs qui nécessitent la maîtrise de la langue anglaise au motif qu'il avait effectué des séjours linguistiques en 1995 et 1997 dans un ou des pays étrangers qu'il ne désigne pas et qu'il avait obtenu un baccalauréat STT ACC en 2002 (pièce 15 de l'appelante), la cour considère que la société a satisfait à son obligation de reclassement.
Le jugement querellé est donc infirmé de ce chef et le salarié débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis.
III- Sur les autres demandes :
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'appelante. Le chef du jugement ayant alloué la somme de 1000 € au salarié sur ce fondement est infirmé
Le salarié, qui succombe, ne peut bénéficier de cet article et doit être tenu aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a alloué 1 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé à [W] [H] par l'envoi d'une convocation inappropriée,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit le licenciement pour inaptitude non professionnelle fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Dit que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement,
Déboute [W] [H] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne [W] [H] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT