COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 13 MARS 2014
N°2014/181
GP
Rôle N° 13/05760
SARL ELEIS
C/
[P] [D] [E]
Grosse délivrée le :
à :
Me Marina POUSSIN, avocat au barreau de NICE
Me Stéphanie JOURQUIN, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section IN - en date du 29 Janvier 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/710.
APPELANTE
SARL ELEIS, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marina POUSSIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Vanessa STARK, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [P] [D] [E], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Stephanie JOURQUIN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 28 Janvier 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Brigitte PELTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2014
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [P] [E] a été embauché en qualité de chauffeur man'uvre le 18 avril 2002 par la SARL ELEIS.
Par courrier remis en main propre le 13 décembre 2011, Monsieur [P] [E] a été convoqué à un entretien préalable pour le 22 décembre à une mesure de licenciement, entretien reporté au 4 janvier 2012, avec notification d'une mise à pied à titre conservatoire, puis il a été licencié pour faute grave le 23 janvier 2012 en ces termes, exactement reproduits :
« Le 12 décembre 2011, vous avez pris en charge un camion et son chargement constitué d'une pelle mécanique afin de vous rendre sur le chantier situé entre le lieu-dit de [Localité 2] et la commune de [Localité 1].
Sur le trajet que vous connaissez parfaitement bien, en raison des livraisons régulières que vous avez effectuées depuis plusieurs semaines pour ce chantier, vous avez percuté par inattention un rocher en surplomb avec votre chargement occasionnant d'une part, la casse et donc l'indisponibilité de la pelle mécanique et d'autre part l'arrêt immédiat du chantier et par voie de conséquence le renvoi du prestataire et de l'intérimaire détachés sur place, ainsi que l'impossibilité de finir le chantier avec toutes les conséquences pour notre client qui n'a pu respecter le planning.
Ceci est intolérable d'autant plus qu'il ne s'agit pas de la première fois que vous commettez une faute de conduite entraînant un sinistre à tort.
En effet, je vous rappelle que tous les sinistres dans lesquels vous avez été impliqué ont été systématiquement à vos torts :
-le 22 juillet 2004 lors d'une marche arrière, vous avez percuté un véhicule à [Localité 3],
-le 30 septembre 2004, vous avez lors d'une man'uvre [Adresse 3], accroché un véhicule,
-le 26 août 2008,
Enfin, le 13 septembre 2011, vous avez été à l'origine d'un accident de la circulation dans lequel de nouveau votre responsabilité a été totalement engagée pour lequel un deuxième et dernier avertissement vous a été notifié le 15 septembre 2011.
De plus, vos agissements causent un préjudice important à la société en ternissant son image de marque et sa crédibilité auprès de la clientèle.
Tous ces faits sont inadmissibles et constitutifs d'une faute grave justifiant la rupture immédiate de votre contrat de travail sans indemnité ni préavis et confirment la mise à pied qui vous a été notifiée à titre conservatoire, oralement le 13 décembre 2011 et par courrier du 22 décembre 2011.
Je vous notifie donc votre licenciement pour faute grave ».
Contestant le bien-fondé de la mesure ainsi prise à son encontre et réclamant le paiement d'indemnités de rupture, Monsieur [P] [E] a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 29 janvier 2013, le Conseil de prud'hommes de Nice a dit que le licenciement du salarié reposait sur une cause réelle et sérieuse non constitutive d'une faute grave, a condamné la SARL ELEIS à payer à Monsieur [P] [E] les sommes suivantes :
-778 € à titre de rappel de salaire durant la période de la mise à pied,
-77,80 € à titre de congés payés sur rappel de salaire,
-4823,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-482,36 € à titre de congés payés sur préavis,
-4703 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
-1098 € au titre du droit individuel à la formation,
a débouté Monsieur [P] [E] de ses autres demandes, a débouté la SARL ELEIS de l'ensemble de ses demandes et a condamné la SARL ELEIS à payer à Monsieur [P] [E] la somme de 1000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SARL ELEIS et Monsieur [P] [E] ont respectivement interjeté appel du jugement prud'homal par plis recommandés des 12 et 13 mars 2013. Les deux procédures d'appel enregistrées sous les numéros 13/05760 et 13/05840 ont été jointes par ordonnance de jonction du 16 mai 2013 sous le numéro 13/05760.
La SARL ELEIS conclut à ce que Monsieur [P] [E] soit déclaré irrecevable en sa demande formulée pour la première fois en cause d'appel au titre de la requalification du contrat à durée déterminée du 18 avril 2002 en contrat à durée indéterminée, ledit contrat n'étant pas le même que celui objet de la procédure devant le conseil de prud'hommes de Nice, subsidiairement, à ce que ladite demande de requalification du contrat du 18.04.2002 soit déclarée prescrite, à ce que Monsieur [P] [E] soit déclaré mal fondé en sa demande nouvelle d'octroi d'une indemnité de 5000 € au titre de l'exécution déloyale et fautive du contrat de travail, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement du salarié reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté Monsieur [P] [E] de ses demandes plus amples ou complémentaires, à l'infirmation du jugement rendu le 29 janvier 2013 par le conseil de prud'hommes de Nice en ce qu'il a déclaré la qualification de faute grave infondée et en ce qu'il a condamné la société concluante à verser au salarié un rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, des indemnités de rupture, une indemnité au titre des droits ouverts au droit individuel à la formation et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, à ce que la Cour constate la parfaite régularité du licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Monsieur [P] [E], au débouté du salarié de l'ensemble de ses demandes et à la condamnation de Monsieur [P] [E] à lui verser une indemnité de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la demande au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée du 18 avril 2002 est une demande nouvelle qui est prescrite depuis le 18 juin 2013, que les manquements les plus anciens ne figurent dans la lettre de licenciement qu'à titre informatif, que le licenciement est fondé sur les faits intervenus le 12 décembre 2011 à la suite de l'avertissement du 15 septembre 2011, que cet avertissement du 15 septembre 2011 a bien été remis à cette date au salarié, tel que cela ressort de la mention manuscrite portée par Monsieur [P] [E] lui-même sur le courrier du 15 septembre 2011, que Monsieur [P] [E] avait, en tant que conducteur du camion, qu'il ait ou non été l'auteur du chargement, la responsabilité de s'assurer que toutes précautions utiles avaient été prises pour que le chargement ne puisse être une cause de dommages ou de danger, qu'il est acquis que c'est bien du fait du manquement de Monsieur [P] [E] à son obligation de conduite avec vigilance, attention et maîtrise de son véhicule qu'il n'a pas porté attention au panneau, situé 150 mètres avant l'obstacle, lui signalant de se déporter à gauche puisque son camion chargé ne pouvait emprunter la voie de droite interdite aux véhicules de plus de 3m60 et qu'il a été surpris par le choc de son chargement heurtant la paroi rocheuse puisqu'il est patent qu'il n'a même pas eu le temps d'immobiliser son véhicule, que le salarié a donc bien été l'auteur d'une faute d'inattention et de surcroît dans un contexte de réitération avec de graves conséquences pour l'entreprise, ce qui donne à cette faute un caractère de gravité justifiant pleinement le licenciement prononcé, que Monsieur [P] [E] était titulaire d'un permis de conduire de la catégorie C et EC depuis le 23 mars 1980 et que l'employeur avait jusqu'au 10 septembre 2012 pour lui faire suivre la formation continue FCO prescrite par le Décret n° 2007-1340 du 11 septembre 2007, s'agissant de la demande au titre de l'exécution déloyale et fautive du contrat de travail, la société concluante verse aux débats la liste du personnel qu'elle a adressée le 3 janvier 2011 à la Médecine du travail au titre de l'année 2011 et sur laquelle figure le nom de Monsieur [P] [E], que l'employeur n'est en rien responsable du fait que la dernière visite médicale passée par le salarié remonterait au 31 mai 2010, que Monsieur [P] [E] doit être débouté de ses demandes, subsidiairement, que l'entreprise comportait un effectif de 9 salariés au jour du licenciement et que Monsieur [P] [E] doit justifier de son préjudice.
Monsieur [P] [E] conclut à ce qu'il soit déclaré recevable en ses conclusions et bien fondé en ses demandes, à l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a constaté l'absence de faute grave, statuant à nouveau, à ce que soit prononcée la requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée à compter du 18 avril 2002, à ce que soit annulé l'avertissement antidaté du 15 septembre 2011 remis le 13 décembre 2011, à ce que soit constatée l'absence de toute cause réelle et sérieuse du licenciement notifié le 23 janvier 2012 à son encontre, en conséquence, au débouté de la SARL ELEIS de l'ensemble de ses demandes, à la condamnation de la SARL ELEIS à lui payer les sommes de :
-2411,80 € à titre d'indemnité de requalification,
-778 € bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 13 décembre au 22 décembre 2011 inclus (congé sans solde ensuite),
-77,80 € bruts au titre des congés payés y afférents,
-4823,60 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois),
-482,36 € bruts au titre des congés payés sur préavis,
-4703 € à titre d'indemnité légale de licenciement (plus favorable que celle prévue par la convention collective),
-28 941,68 € nets à titre de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail (montant équivalent à 12 mois de salaires bruts),
-2411,80 € à titre de dommages intérêts pour absence des mentions obligatoires relatives au DIF et à la prévoyance dans la lettre de licenciement du 23 janvier 2012,
-5000 € à titre de dommages intérêts au titre de l'exécution déloyale et fautive du contrat de travail,
-2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les demandes à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour les demandes à caractère indemnitaire et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil et à la condamnation de la SARL ELEIS aux entiers dépens.
Il fait valoir que la SARL ELEIS comptait habituellement plus de 11 salariés, qu'il a été employé du 18 avril 2002 au 24 janvier 2012 dans le cadre de deux contrats de travail à durée déterminée et d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2004, que les deux contrats à durée déterminée ne précisent pas les motifs de recours et ne prévoient pas de délai de carence entre chaque contrat, que la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée doit être prononcée à compter du 18 avril 2002, qu'aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui du licenciement, que l'employeur ne peut pas invoquer des sinistres antérieurs à plus de trois ans à la procédure de licenciement sans encourir la prescription à ce titre, que la lettre d'avertissement datée du 15 septembre 2011 a été antidatée par l'employeur et n'a en réalité été remise en main propre au salarié que le 13 décembre 2011, en même temps que la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement, que l'employeur ne peut donc se prévaloir d'aucune sanction disciplinaire antérieure au licenciement pour faute grave, que l'incident qui lui est reproché ne résulte pas d'une faute d'inattention et était inévitable et n'a entraîné que des conséquences matérielles minimales, que l'employeur aurait dû lui faire passer la formation continue obligatoire (FCO) avant le 31 août 2010, que lors de son licenciement le salarié ne disposait pas de la formation obligatoire requise pour conduire un véhicule de 3,5 tonnes et plus, son titre étant invalide depuis plus de 16 mois, que dès lors l'employeur ne peut lui imputer de bonne foi l'accident survenu le 12 décembre 2011, que l'employeur ne rapporte pas la preuve de l'arrêt du chantier ni ne justifie du paiement des réparations et qu'il doit être reçu en ses demandes.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
SUR CE :
Sur la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée :
Attendu que l'action en requalification des contrats de travail à durée déterminée des 18 avril 2002 et 1er février 2003 en contrat à durée indéterminée était, antérieurement à la loi du 17 juin 2008, soumise à la prescription de droit commun et que ladite loi substituant le délai de prescription quinquennale au délai de prescription trentenaire est entrée en vigueur le 18 juin 2008, de sorte que c'est à cette date qu'a commencé de courir le délai de prescription quinquennale de l'action exercée par le salarié ;
Et attendu que Monsieur [P] [E] a présenté en cause d'appel, par conclusions du 22 janvier 2014, une demande nouvelle en requalification de ses contrats de travail à durée déterminée, postérieurement à la prescription acquise depuis le 18 juin 2013 ;
Qu'il est donc irrecevable en sa demande en requalification et en sa demande subséquente en paiement d'une indemnité de requalification ;
Sur l'avertissement du 15 septembre 2011 :
Attendu qu'un avertissement daté du 15 septembre 2011 a été notifié à Monsieur [P] [E] pour un accident de la circulation du 13 septembre 2011 dans lequel sa responsabilité a été engagée ;
Que ce courrier d'avertissement porte la mention « reçu en main propre ce jour », signée par le salarié ;
Attendu que Monsieur [P] [E] a contesté, par lettre recommandée du 20 décembre 2011, l'avertissement antidaté au 15 septembre 2011 et remis en main propre le 13 décembre 2011, le salarié affirmant que le courrier d'avertissement lui a été remis à la même date que le courrier de convocation à un entretien préalable au licenciement avec mise à pied conservatoire, soit le 13 décembre 2011, et qu'il a signé les deux courriers en même temps sans faire attention à la date portée sur le courrier d'avertissement et soutenant que cet avertissement est donc prescrit ;
Attendu que la SARL ELEIS a maintenu l'avertissement du 15 septembre 2011 qui, selon l'employeur, a bien été notifié le 15 septembre 2011 ;
Attendu que la mention « reçu en main propre ce jour » sans précision de date ne permet pas de conclure avec certitude que l'avertissement du 15 septembre 2011 a été notifié le jour même ;
Qu'à défaut de notification par lettre recommandée adressée par l'employeur, il y a lieu de réformer le jugement sur ce point et de constater qu'il n'est pas établi que les faits du 13 septembre 2011 ont été sanctionnés dans les deux mois qui ont suivi et qu'ils ne sont pas prescrits ;
Attendu qu'il convient, en conséquence, d'annuler l'avertissement daté du 15 septembre 2011, étant précisé que l'employeur était malgré tout en droit de rappeler dans la lettre de licenciement l'accident du 13 septembre 2011 et la responsabilité entière du salarié dans cet accident ;
Sur le licenciement :
Attendu que l'employeur n'a pas fait état, dans la lettre de rupture, de l'avertissement en date du 1er octobre 2004 prescrit conformément aux dispositions de l'article L.1332-5 du code du travail ;
Qu'il était en droit d'invoquer des agissements antérieurs prescrits mais procédant du même comportement fautif du salarié relatif à son implication dans un accident de la circulation, même s'il ne pouvait se prévaloir d'aucune sanction disciplinaire antérieure au licenciement ;
Attendu que Monsieur [P] [E], outre qu'il conteste la faute d'inattention, soutient que son employeur ne lui a pas permis de suivre le stage de formation continue obligatoire (FCO) pour les conducteurs routiers de marchandises titulaires d'un permis de conduire de catégorie C ou EC alors qu'il était titulaire d'une attestation de formation initiale en date du 1er septembre 2005 valable jusqu'au 31 août 2010 et que, l'employeur ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat, celui-ci ne pouvait lui imputer de bonne foi l'accident survenu le 12 décembre 2011 ;
Attendu que la SARL ELEIS réplique que Monsieur [P] [E] est titulaire d'un permis de conduire en cours de validité de la catégorie C ou CE délivré avant le 10 septembre 2009 et qu'il était réputé avoir obtenu la qualification initiale de conducteur de transport de marchandises en vertu des dispositions de l'article 7 du Décret n° 2007-1340 du 11 septembre 2007 relatif à la qualification initiale et à la formation continue des conducteurs de certains véhicules affectés aux transports routiers de marchandises ou de voyageurs et qu'en application de l'article 25 du même décret, le salarié devait avoir satisfait à l'obligation de formation continue avant le 10 septembre 2012 ;
Attendu qu'il convient d'observer que la SARL ELEIS, qui discute sa qualité d'entreprise de transport de marchandises, se réfère cependant au décret n° 2007-1340 du 11 septembre 2007 dont elle réclame l'application au cas d'espèce ;
Et attendu que Monsieur [P] [E], qui était titulaire d'un permis de conduire C délivré le 28 mars 1980 et valable jusqu'au 6 novembre 2005 (pièce 12 produite par l'employeur), était déjà soumis à la formation professionnelle initiale et continue antérieurement au décret du 11 septembre 2007 et a obtenu l'attestation de formation initiale obligatoire le 1er septembre 2005 en application du décret n° 2004-1186 du 8 novembre 2004 relatif à la formation professionnelle initiale et continue des conducteurs salariés du transport routier privé de marchandises, des conducteurs salariés et non salariés du transport routier public de marchandises et des conducteurs salariés de transport routier public interurbain de voyageurs ;
Qu'étant titulaire de l'une des attestations visées à l'article 25 II a) du décret du 11 septembre 2007, le salarié devait avoir satisfait à l'obligation de formation continue avant l'échéance de l'attestation de formation initiale et ne rentrait pas dans le cadre de l'article 25 II b), ce que ne pouvait ignorer l'employeur qui a apposé son cachet et sa signature sur l'attestation de formation initiale obligatoire de Monsieur [P] [E], avec mention de sa validité de 5 ans à compter de la date de sa délivrance ;
Attendu que la SARL ELEIS a manqué à son obligation de formation professionnelle et de sécurité en ne permettant pas à Monsieur [P] [E] de suivre la formation professionnelle continue obligatoire destinée à acquérir la maîtrise des règles de sécurité routière et qu'elle a laissé le salarié conduire un véhicule de plus de 3,5 tonnes alors que son attestation de formation n'était plus valide depuis plus de 15 mois ;
Qu'elle ne peut, dans ces conditions, reprocher au salarié une faute d'inattention et de conduite à l'origine de l'accident du 12 décembre 2011 ;
Qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement et de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont alloué à Monsieur [P] [E] la somme brute de 778 € à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire ainsi que la somme de 77,80 € à titre de congés payés sur rappel de salaire, peu importe que la SARL ELEIS soit adhérente à une caisse de congés payés car elle ne communique pas en tout état de cause la fiche navette des congés acquis par le salarié à la date du licenciement (elle communique une fiche navette établie à la date du 10.10.2011) ;
Qu'il y a lieu également de confirmer le jugement en ce qu'il a accordé au salarié la somme de 4703 € à titre d'indemnité légale de licenciement, dont le calcul du montant n'est pas discuté ;
Attendu que Monsieur [P] [E], qui a obtenu la qualité de travailleur handicapé par décision de la COTOREP en date du 29 août 2002 jusqu'au 29 août 2007 puis à partir du 14 février 2012, soit postérieurement à son licenciement, ne peut prétendre au doublement de son indemnité de préavis plafonné à 3 mois ;
Qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié la somme brute de 4823,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 482,36 € au titre des congés payés sur préavis, l'employeur ne justifiant pas avoir communiqué à la Caisse des congés payés des jours de congés payés acquis par le salarié sur la période du préavis dont ce dernier a été privé ;
Attendu Monsieur [P] [E] conteste que la SARL ELEIS occupait moins de 11 salariés et produit une fiche informatique de l'entreprise mentionnant un effectif moyen de 11 salariés sur l'exercice clos au 31 juillet 2011 et un effectif moyen de 13 salariés sur l'exercice clos au 31 juillet 2010, soutient qu'il ressort du registre du personnel produit par l'employeur que l'effectif était de 11 salariés permanents au 31 juillet 2011, passant temporairement à 10 salariés à compter du 1er août 2011, et relève que la SARL ELEIS a versé au débat plusieurs contrats concernant l'emploi d' intérimaires qui doivent être pris en compte dans le cadre de l'effectif ;
Attendu que la fiche informatique produite par le salarié fait état d'un effectif moyen calculé sur un an alors qu'il convient de prendre en compte le nombre de salariés présents dans l'entreprise au jour de la notification du licenciement, soit à la date du 23 janvier 2012 ;
Attendu qu'il ressort du registre du personnel produit par l'employeur qu'étaient présents au sein de l'entreprise, à la date du 23 janvier 2012, 10 salariés dont un apprenti qui n'est pas pris en compte dans le calcul de l'effectif de l'entreprise en vertu de l'article L.1111-3 du code du travail [Messieurs [X], [L], [U], [E], [R], [Z], [O], [A], [V] et [N] (apprenti)], soit un total de 9 salariés pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise ;
Et attendu qu'il ressort des contrats de prestation intérimaire versés par l'employeur que l'intérimaire employé par l'entreprise, Monsieur [Q] [G], a été employé du 2 janvier 2012 au 29 juin 2012 et ne travaillait pas, à la date de notification du licenciement de Monsieur [P] [E] depuis au moins un an dans l'entreprise, en sorte qu'il n'est pas pris en compte dans l'effectif de l'entreprise en vertu de l'article L.1111-2 du code du travail ;
Attendu que l'effectif de l'entreprise était donc inférieur à 11 salariés lors du licenciement de Monsieur [P] [E] ;
Attendu que le salarié produit des avis du pôle emploi dont des avis de prise en charge lui notifiant son admission au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 20 février 2012 pour un montant journalier net de 38,17 €, des relevés de situation de février 2012 à août 2012 (1183,27 € d'indemnités versées en mai 2012, une indemnisation partielle à partir de 06/2012 en fonction du nombre de jours travaillés), des courriers de recherche d'emploi et des réponses négatives faisant état notamment de l'absence de la FCO dont n'est pas titulaire le salarié et une attestation de fin de formation de FCO du 7 septembre 2012 ;
Qu'il ne fournit pas d'élément sur l'évolution de sa situation professionnelle postérieurement au mois de septembre 2012, ni sur ses ressources ;
Attendu qu'en considération des éléments fournis, de l'ancienneté du salarié de 9 ans dans l'entreprise, de son âge (52 ans) et du montant de son salaire mensuel, la Cour alloue à Monsieur [P] [E] la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur l'information au titre des droits au DIF et à la portabilité des garanties complémentaires santé et prévoyance :
Attendu qu'il n'est pas discuté que la SARL ELEIS n'a pas mentionné sur la lettre de licenciement, ni sur le certificat de travail, les droits acquis par le salarié au titre du droit individuel à la formation ;
Que ce n'est que sur réclamation du salarié, par courrier recommandé du 1er juin 2012, que la SARL ELEIS a établi une attestation relative aux 120 heures acquises par le salarié au titre du droit individuel à la formation en date du 5 juin 2012 ;
Attendu que le salarié a été privé pendant plusieurs mois de la possibilité d'utiliser son DIF pour valider son permis de conduire poids-lourds ;
Attendu que, par ailleurs, l'employeur n'a pas informé le salarié de son droit à portabilité des garanties de prévoyance lors de la notification du licenciement, ce dont il résulte indiscutablement un préjudice subi par le salarié ;
Attendu qu'il convient de réformer le jugement et d'allouer à Monsieur [P] [E] la somme de 2000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant du défaut d'information par l'employeur des droits acquis au titre du DIF et de la portabilité des garanties de prévoyance ;
Sur le défaut de visite médicale :
Attendu que Monsieur [P] [E] expose que sa dernière visite médicale datait du 31 mai 2010 alors que sa fiche de visite établie à cette date mentionnait qu'il devait revoir le médecin du travail 6 mois plus tard, qu'il était travailleur handicapé depuis de longues années et qu'à défaut pour l'employeur d'avoir organisé sa visite médicale auprès du médecin du travail, il réclame le paiement de la somme de 5000 € au titre de l'exécution déloyale et fautive du contrat de travail ;
Attendu que la SARL ELEIS ne verse aucun élément susceptible de démontrer qu'elle a sollicité la médecine du travail aux fins d'organiser la visite de contrôle médical du salarié dans les 6 mois ayant suivi la visite du 31 mai 2010 ;
Qu'elle justifie cependant avoir répondu à l'Association Paritaire de Santé au Travail du Bâtiment et des Travaux Publics des Alpes-Maritimes qui communiquait à l'employeur le 22 novembre 2010 la liste nominative de son personnel, sur laquelle figurait [P] [E] avec mention d'un contrôle dans les 180 jours suivant la visite du 31 mai 2010 (pièce 31 versée par l'employeur), en sorte qu'il ressort de cette liste que la médecine du travail reconnaissait elle-même ne pas avoir organisé la visite de Monsieur [P] [E] dans les 6 mois ;
Attendu qu'eu égard à la responsabilité partagée entre l'employeur et le service de médecine du travail, il convient d'accorder au salarié la somme de 100 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale et exécution fautive du contrat de travail ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
STATUANT PUBLIQUEMENT, EN MATIERE PRUD'HOMALE, PAR ARRET CONTRADICTOIRE,
Reçoit les appels en la forme,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SARL ELEIS à payer à Monsieur [P] [E] 778 € de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire, 77,80 € de congés payés sur rappel de salaire, 4823,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 482,36 € de congés payés sur préavis et 4703 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
Le réforme pour le surplus,
Ordonne l'annulation de l'avertissement daté du 15 septembre 2011,
Dit que le licenciement de Monsieur [P] [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SARL ELEIS à payer à Monsieur [P] [E] :
-10 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-2000 € de dommages-intérêts pour absence d'information des droits acquis au titre du DIF et de la portabilité des garanties de prévoyance,
-100 € de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale et exécution fautive du contrat de travail,
Condamne la SARL ELEIS aux dépens et à payer à Monsieur [P] [E] 1500 € supplémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre prétention.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT