COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 06 MARS 2014
N°2014/110
Rôle N° 12/18760
(Jonction avec le n°12/19794)
SAS LAPP MULLER
C/
[W] [I]
Grosse délivrée le :
à :
- Me Véronique BOURGOGNE, avocat au barreau de GRASSE
- Me Felipe LLAMAS, avocat au barreau de DIJON
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS - section Encadrement - en date du 21 Septembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/39.
APPELANTE
SAS LAPP MULLER, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Véronique BOURGOGNE, avocat au barreau de GRASSE
INTIME
Monsieur [W] [I], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Felipe LLAMAS, avocat au barreau de DIJON ([Adresse 1])
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Février 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Madame Fabienne ADAM, Conseiller
Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Julia DELABORDE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2014
Signé par Madame Gisèle BAETSLE, Président et Mme Julia DELABORDE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Dans le délai légal et par déclaration écrite régulière en la forme reçue le 9 octobre 2012 au greffe de la juridiction, la société SAS Lapp Muller a relevé appel du jugement rendu le 21 septembre 2012 par le conseil de prud'hommes de Fréjus qui l'a condamnée à payer à M. [W] [I], sous déduction de 20 000 € déjà versés selon ordonnance du bureau de conciliation, 2 500 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, 22 000 € à titre d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, déduction faite des versements effectués au titre du délai de prévenance, 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, 17 500 € à titre de prime contractuelle et 1 750 € à titre de congés payés afférents, 751 € à titre de remboursement de frais professionnels justifiés, 6 000 € au titre du paiement des « RTT », 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et lui a en outre ordonné de remettre à l'intéressé des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés en conséquence ;
Dans le délai légal et par déclaration écrite régulière en la forme reçue le 17 octobre 2012 au greffe de la juridiction, M. [W] [I] a lui-même relevé appel incident du même jugement ;
Les deux instances d'appel en résultant ont été enregistrées sous le n° 12/18760 et le n° 12/19794 ;
Dans ses écritures déposées le 4 février 2014, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses moyens et prétentions, la société Lapp Muller demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré, réduire les sommes dues à M. [I] à 5 771,58 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 € symbolique à titre d'indemnité non respect de la procédure de licenciement, 22 000 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, déduire de ces sommes 20 000 € de provision déjà versés selon ordonnance de conciliation, débouter l'intéressé de ses autres demandes, le condamner à lui payer 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Dans ses écritures pareillement déposées, développées oralement, et auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses moyens et prétentions, M. [I] demande pour sa part à la cour de confirmer partiellement le jugement déféré relativement aux condamnations prononcées en sa faveur à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de prime contractuelle et congés payés afférents, de remboursement de frais professionnels, d' élever à 10 000 € l'indemnité due au titre non respect de la procédure de licenciement, à 23 000 € bruts l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de condamner en outre la société Lapp Muller à lui payer 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, 30 000 € d'indemnité au titre de la nullité de clause de non concurrence, 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce :
En raison de leur connexité et dans l'intérêt d'une bonne justice, l'instance enregistrée sous le n°12/19794 doit être jointe à celle déjà enregistrée sous le n° 12/18760 ;
La société SAS Lapp Muller est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de câbles spéciaux ;
Selon les pièces produites, elle a embauché M. [W] [I] suivant contrat écrit du 10 janvier 2011 à partir du 1er mai 2011 pour une durée indéterminée à temps complet en qualité de responsable du service des ventes, position III A ' coefficient 135 selon la convention collective nationale des ingénieurs et cadre de la métallurgie, et en contrepartie d'un salaire mensuel brut de 10 000 € ;
Le contrat stipulait une période d'essai de six mois ;
La société Lapp Muller a notifié à M. [I] par lettre du 20 octobre 2011 la rupture de son contrat de travail « en cours de période d'essai » avec délai de prévenance d'un mois, payé mais assorti d'une dispense d'exécution ;
sur les demandes afférentes à la rupture :
La société Lapp Muller acquiesce au jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'accord des parties pour analyser la rupture litigieuse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ni observation de la procédure légale de congédiement, dès lors qu'elle est intervenue après l'expiration du délai maximum de 4 mois de la période initiale d'essai seul autorisé par la convention collective applicable ;
En application de l'article 27 de cette même convention collective prévoyant un délai de préavis de 3 mois en cas de licenciement, il y a lieu en conséquence d'allouer à M. [I] une indemnité compensatrice de 33 000 € y inclus l'indemnité de congés payés afférente, soit après déduction de 10 000 € déjà versés à titre d'indemnité de prévenance et 20 000 € de provision en exécution de l'ordonnance du bureau de conciliation du 20 avril 2012, un solde à lui payer de 3 000 € bruts ;
Après la rupture M. [I] a subi le chômage jusqu'au 1er mars 2012, date de son engagement pour une durée indéterminée au service d'un nouvel employeur dans le secteur de l'industrie, avec des fonctions analogues et une rémunération au moins équivalente ;
Il est également établi que l'intéressé a bénéficié de 21 085,42 € d'allocations chômage du 24 novembre 2011 au 28 février 2012 ;
En réparation du préjudice global résultant tant du non respect de la procédure de licenciement que du caractère abusif de la rupture, y compris sur le plan moral pour le salarié, il est justifié dans ces conditions par application de l'article L. 1235-5 du Code du travail d'allouer à M. [I] une indemnité globale de 15 000 € ;
sur la demande de rappel de salaire pour RTT :
M. [I] réclame le paiement de 18 jours de RTT selon lui acquis pendant la durée d'exécution de son contrat de travail, à raison de deux jours par mois, selon l'accord d'entreprise en vigueur ;
Pour s'y opposer la soiciété Lapp Muller se prévaut de l'article 7-3 du contrat de travail liant les parties et stipulant que « la rémunération globale allouée à M. [I] (') revêt un caractère forfaitaire sans référence horaire. Elle n'est liée ni aux horaires de travail de Lapp Muller, ni à la durée effective de travail de M. [I] étant entendu (') que les modalités (') le conduisent à travailler selon des horaires journaliers de travail effectif variables et difficilement contrôlables » ;
L'accord d'entreprise en vigueur sur l'aménagement du temps du travail du 4 février 2009 entre les organisations syndicales représentatives et la société Lapp Muller intervenu dans le cadre de l'article L.3122-2 du Code du travail, prévoit cependant que seuls les cadres dirigeants (PDG, DG, DI, DAF, DC, DRD) ne sont pas soumis aux dispositions relatives à la réglementation de la durée du travail, au contraire des cadres autonomes dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leur fonction mais qui bénéficient néanmoins d'une réduction de nombre de jours travaillés sur la base de 215 jours annuels, soit 1,5 jour par mois de présence ;
Tel est le cas de M. [I] qui en sa qualité de cadre autonome comme responsable du service des ventes, et non pas directeur, est donc fondé à solliciter le paiement au titre de ses droits acquis sur RTT d'un rappel de salaire de 4 500 € bruts ;
sur la demande de remboursement de frais professionnels :
M. [I] prétend au remboursement de 751 € de frais professionnels, sans toutefois produire les justificatifs des dépenses prétendument engagées, se limitant à communiquer des extraits de son relevé de compte bancaire personnel ;
Or, en accord avec la règlementation fiscale, le contrat de travail liant les parties stipulait clairement à l'article 8-2 « les frais professionnels de M. [I] à l'occasion de l'exercice de ses fonctions lui seront remboursés sur présentation de justificatifs » ;
Le jugement déféré doit en conséquence être infirmé de ce chef, et M. [I] débouté de sa demande comme infondée ;
sur la demande en paiement de prime contractuelle :
Le contrat de travail liant les parties stipulait en son annexe I : « Pour les six premiers mois de l'exercice de ses fonctions professionnelles, M. [I] percevra en sus de sa rémunération forfaitaire de base une prime de 17 500 € brut une fois la période d'essai confirmée. » ;
Selon la commune intention des parties l'attribution de la prime litigieuse est donc subordonnée, d'une part à la poursuite de la relation contractuelle au-delà du terme de la période d'essai, d'autre part à une durée d'exercice des fonctions du salarié de six mois révolue ;
Or du fait la rupture intervenue cinq mois et trois semaines après son embauche, il est constaté que M. [I] n'a pas exercé ses fonctions professionnelles pendant la durée minimale convenue de six mois ;
De ce chef également, le jugement déféré doit en conséquence être infirmé, et M. [I] débouté de sa demande comme infondée contractuellement ;
sur la demande d'indemnité au titre de la nullité invoquée de la clause de non concurrence :
Le contrat de travail liant les parties stipule à l'article 9 une clause de non concurrence aux termes de laquelle M. [I] s'interdit en cas de rupture, contre indemnité mensuelle égale à 5/10ème de la moyenne de ses appointements durant son exécution, « pendant une durée d'un an (') d'exercer directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit, une activité similaire ou concurrente de celle exercée dans l'entreprise. Cette obligation couvre tout le secteur commercial en France et à l'étranger attribué à M. [I]. » ;
Ainsi la clause est limitée dans le temps à la brève durée d'un an, limitée par son objet à toute activité similaire ou concurrente de celle de la société Lapp Muller elle-même cantonnée à la seule commercialisation de câbles spéciaux, et limitée enfin dans l'espace au seul secteur commercial attribué en France et à l'étranger à M. [I], donc seulement « les marchés d'exports » de la société Lapp Muller, selon la mention portée à l'article 2 du contrat ;
Cette clause, libellée en des termes qui ne placent pas le salarié dans l'impossibilité absolue d'exercer de façon normale une activité conforme à ses connaissances et à sa formation, apparaît licite tant au regard de l'article L.1221-1 du Code du travail que de l'article 28 de la convention collective applicable ;
Le jugement déféré doit par suite être confirmé de ce chef, et M. [I] débouté de sa demande d'indemnité à ce titre, l'intéressé ne justifiant au demeurant d'aucun préjudice quelconque pour avoir été explicitement libéré de toute obligation de non concurrence par la société Lapp Muller dès la lettre de rupture du 20 octobre 2011 ;
Sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, les parties succombant pour partie en leurs prétentions respectives, il apparaît équitable de laisser à chacune la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale ;
Joint l'instance enregistrée sous le n°12/19794 à celle déjà enregistrée sous le n° 12/18760 ;
Confirme en son principe le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Lapp Muller à payer à M. [W] [I], une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement et pour licenciement abusif, une indemnité de préavis et de congés payés afférents, un rappel de salaire au titre des « RTT », 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et lui a en outre ordonné de remettre à l'intéressé des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés en conséquence ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Condamne la société Lapp Muller à payer à M. [I] 3 000 € bruts à titre de solde de complément d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents, 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour inobservation de la procédure de licenciement et rupture abusive, 4 500 € bruts de rappel de salaire au titre de la réduction du temps de travail ;
Dit M. [I] mal fondé en ses autres demandes et l'en déboute ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
Condamne la société Lapp Muller aux dépens.
LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.