COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 05 DECEMBRE 2013
N° 2013/ 414
Rôle N° 11/21616
SAS DNP PHOTO IMAGING EUROPE
C/
SAS CAMBRONNE GESTION
Grosse délivrée
le :
à :
ERMENEUX
BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d'Aix en Provence en date du 05 Septembre 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 2010/00760.
APPELANTE
SAS DNP PHOTO IMAGING EUROPE,
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Isabelle ARMAND, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SAS CAMBRONNE GESTION Venant aux droits des Sociétés COPAL ET TNT LOGISTIC,
dont le siège social est [Adresse 2]
représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Françoise ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 31 Octobre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur PRIEUR, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Décembre 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Décembre 2013,
Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Le 27 novembre 2000, la société KONICA, aux droits de laquelle se trouve la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE, a conclu avec la société CAMBRONE GESTION venant aux droits de la société COPAL un contrat de prestations logistiques pour des entrepôts situés à Roissy et à Trappe.
À la suite de contestations émises dès janvier 2001 par la société KONICA, un protocole d'accord a été passé le 9 mai 2001 entre les parties prévoyant de rechercher la conclusion d'un nouveau contrat de prestations logistiques dans un délai de deux mois, à défaut de quoi, elles s'accorderont pour trouver une date de résiliation amiable du contrat.
En juillet 2001, la société KONICA contestant le montant des factures qui lui étaient réclamées et la société COPAL menaçant d'exercer un droit de rétention sur les marchandises, la société KONICA a saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence qui, par ordonnance du 3 août 2001 a condamné la société COPAL à exécuter ses engagements contractuels et lui a interdit d'exercer un quelconque droit rétention. Cette même décision a désigné un expert en la personne de M. [C]. Cette ordonnance a été confirmée par la présente cour.
Le 18 juillet 2003, la société KONICA a fait assigner la société COPAL devant le tribunal de commerce d'Aix en Provence pour demander un complément d'expertise. Cette demande a été rejetée par jugement du 13 septembre 2004.
Par arrêt de la présente cour du 26 septembre 2006 statuant sur un jugement rendu le 24 juin 2004 par le juge de l'exécution, la société CAMBRONE GESTION a été condamnée au paiement d'une somme de 9000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte ordonnée par l'ordonnance de référé du 3 août 2001.
Par acte du 30 juin 2010, la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE venant aux droits de la société KONICA a fait assigner la société CAMBRONE GESTION devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence pour obtenir un complément d'expertise aux motifs qu'elle reprochait à l'expert d'avoir effectué une mission incomplète et notamment de ne pas avoir répondu à l'ensemble des questions posées, et subsidiairement, pour obtenir à titre provisionnel une somme de 11 332 257 euros à titre de dommages et intérêts.
La société CAMBRONE GESTION concluait à l'homologation du pré-rapport d'expertise établi le 20 novembre 2001 et sollicitait le paiement d'une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 5 septembre 2011, le tribunal a rejeté la demande de complément d'expertise sollicitée et a débouté les parties de leurs demandes financières.
La société DNP PHOTO IMAGING EUROPE a interjeté appel de cette décision et soutient :
- que malgré l'ordonnance du 3 août 2001 la société COPAL a refusé de livrer les marchandises dans le délai,
- que cette société a commis de multiples défaillances dans l'accomplissement de sa mission,
- que la société COPAL est responsable de la résiliation amiable et sans indemnité du contrat conclu le 27 novembre 2000 pour trois années, résiliation intervenue le 9 mai 2001,
- que les conditions dans lesquelles le contrat a été résilié constituent l'aveu d'échec par la société COPAL et de sa responsabilité du fait de ses manquements,
- que le comportement de la société COPAL est responsable de difficultés subies par la société KONICA lors du transfert des marchandises,
- que le comportement fautif de la société COPAL a entraîné un préjudice important pour la société KONICA se traduisant par une perte d'éléments d'actif, une perte de marge brute, des surcoûts d'exploitation, un préjudice d'image,
- qu'elle subit aussi un préjudice lié à la perte de chance de mettre à disposition du public une nouvelle gamme de produits,
- que l'expert n'a pas rempli sa mission puisqu'il n'a pas procédé au chiffrage du préjudice subi, n'a pas fait les comptes entre les parties, n'a pas tenu compte de ses observations et a rendu des conclusions contradictoires,
- que la société intimée ne saurait se prévaloir d'une quelconque autorité de la chose jugée au titre du complément d'expertise qu'elle sollicite.
La société DNP PHOTO IMAGING EUROPE demande donc notamment la réformation du jugement attaqué, un complément d'expertise.
A titre subsidiaire, elle réclame le paiement d'une somme de 11 332 257 euros à titre provisionnel en réparation des différentes fautes et des préjudices qui en ont résulté.
La société CAMBRONE GESTION rétorque que :
- le jugement rendu le 13 septembre 2004 a autorité de la chose jugée et que la demande d'expertise est irrecevable,
- les conclusions de l'expert [C] n'ont pas mis en évidence les prétendues inexécutions fautives de la société COPAL ayant concouru à un dommage au préjudice de la société KONICA,
- l'expert a répondu aux observations de la société KONICA qui était assistée de son propre expert,
- M. [C] a mis en évidence l'absence de coopération de la société KONICA au cours de l'exécution du contrat,
- la rupture du contrat s'est faite d'un commun accord entre les parties en application du protocole d'accord passé le 9 mai 2001,
- la prétendue inexécution fautive de la société COPAL a été mise en échec par l'arrêt rendu le 27 septembre 2006 par la 15ème chambre de cette cour qui a limité à 9.000 euros la liquidation de l'astreinte en ne relevant que quelques légers manquements de sa part,
- l'expert [C] a écarté l'ensemble des préjudices invoqués par la société KONICA au soutien de sa demande en réparation de manière détaillée, circonstanciée et objective,
La société intimée demande le rejet des réclamations présentées à son encontre et formant appel incident sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, demande paiement d'une somme de 300.000 euros.
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non recevoir soulevée par la société CAMBRONE GESTION
Selon l'article 480 du code de procédure civile, « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ».
L'article 482 précise que « Le jugement qui se borne, dans son dispositif, à ordonner une mesure d'instruction ou une mesure provisoire n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ».
Il résulte de l'application de ces textes ainsi que de l'article 1351 du code civil que le jugement du 13 septembre 2004 qui a refusé d'ordonner un complément d'expertise a l'autorité de chose jugée.
La demande de complément d'expertise présentée par la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE est donc irrecevable par application de l'article 122 du code de procédure civile.
Sur la demande subsidiaire de la société DNP PHOTO IMAGINING EUROPE
Le rapport d'expertise et les pièces produites aux débats font apparaître que la société KONICA France, qui jusqu'alors traitait en interne ses problèmes de logistique va procéder à une externalisation de cette activité. En janvier 2000, elle a établi un cahier des charges et procédé à un appel d'offres en vue de conclure un contrat de prestations logistiques avec un partenaire extérieur.
La reprise de l'activité est intervenue au 1er juillet 2000, dans deux entrepôts situés à ROISSY et TRAPPE, sans inventaire contradictoire.
L'exploitation sera par la suite concentrée dans le seul entrepôt de Roissy, une des exigences émises par la société KONICA France à l'externalisation de son activité logistique étant en effet que cette prestation soit directement réalisée dans les locaux situés à proximité immédiate de son siège social.
Les parties ont cessé leurs relations commerciales le 9 octobre 2001 et le transfert des stocks vers les locaux d'un autre prestataire de services a été achevé le 30 novembre 2001.
Après une analyse très approfondie du contrat et de son exécution, l'expert et son sapiteur soulignent à plusieurs reprises que les deux parties ont pris conjointement des risques quant à l'externalisation de cette activité.
L'expert judiciaire indique dans ses pré-rapports et rapport, que la société COPAL n'a pas reçu les informations pré-contractuelles nécessaires à la rédaction d'un contrat définitif et le cahier des charges préparé par KONICA est apparu complètement inadapté à la réalité des prestations demandées.
Le cahier des charges prévoyait un nombre total de références à gérer de 9.803, alors que le nombre réel de références à gérer était en réalité de 15000.
Le sapiteur de l'expert, M. [G], indique qu'il s'agit « d'un contrat qui transforme les relations en poudrière, ce contrat n'est pas satisfaisant' ». Il est en effet relevé que le contrat présente des différences de contenu par rapport au cahier des charges, est flou au niveau des produits à gérer et des éléments fonctionnels, est approximatif sur des aspects précis du cahier des charges, palettes, colis, références, volume et valeur plus précise en stock à gérer et est muet sur les définitions opérationnelles ;
L'expert et le sapiteur, qui ont fait une analyse détaillée et minutieuse, en présence d'experts en logistique de chacune des parties, affirment que les sociétés KONICA et COPAL ne se sont pas données les moyens de réussir l'externalisation puisque se sont enchevêtrées deux formes de gestion, l'ancienne et la nouvelle, avec une absence de rigueur des deux parties dans le contenu du contrat et les modalités de collaboration qui devaient être mises conjointement au point.
Le rapport précise que KONICA, qui a la maîtrise des codes des produits en commande et en arrivée à l'entrepôt, n'a pas fourni des articles tous codés en respectant le principe de bi-unicité et n'a pas donné toutes informations nécessaires sur les nouvelles codifications produits.
Il insiste sur le fait que si, selon les usages de la profession, il revenait au prestataire de s'entourer des meilleurs conditions de définition de sa mission, KONICA qui gère ses stocks depuis sa création devait donner les moyens en information, codification, adaptation, délégation, autonomie pour la réussite de cette mission.
Les experts relèvent que COPAL n'a pas rempli la mission qui lui était confiée mais que KONICA ne peut pas pour autant reporter sur COPAL le poids de ses préjudices invoqués, faute de lien de causalité. Ils indiquent aussi que KONICA, pour avoir géré elle même ses stocks depuis 20 ans, date de sa création a ignoré tous les indicateurs de gestion logistique.
Ce rapport met en évidence des carences des deux parties dans l'exécution de leurs obligations.
Les allégations de l'appelante sur les manquements de l'expert (lequel a examiné 5000 pièces transmises par KONICA) sont totalement infondées au regard des réponses qu'il a fournies suite aux dires qui lui ont été adressés.
L'expert précise que les comptes rendus de réunion n'ont donné lieu à aucune contestation de KONICA laquelle n'a jamais manifesté son désir d'approfondir d'autres aspects que ceux pour lesquelles les parties ont été interrogées par l'expert et le sapiteur.
La société DNP PHOTO IMAGING EUROPE n'établit pas l'existence d'un quelconque préjudice imputable au comportement allégué de la société CAMBRONE GESTION.
En effet, au titre du préjudice commercial sur la perte de marge brute produits grands publics, l'expert précise : « qu'après les avoir examinés, il existe une infinité de raisons qui peuvent expliquer une chute des ventes des clients KONICA, Dans chacun des trois métiers où KONICA revendique un préjudice de chiffre d'affaires, elle ne fait pas la démonstration du lien spécifique qui reposerait sur la gestion des stocks. ».
Sur la perte de marge brute en imagerie médicale, l'expert précise qu'après avoir analysé les documents fournis par KONICA, les résultats présentés ne font pas apparaître une fracture avant et pendant la prestation COPAL et là encore de nombreux autres aspects stratégiques ou du marché peuvent expliquer des écarts du chiffre d'affaires»
Sur les pertes d'éléments d'actif : « (écart d'inventaire, vol, surcoût d'exploitation) l'expert estime qu'en l'absence de convention entre les parties en cas de surcoût des prestations, (comme analysé dans la première partie de son rapport) les parties ont assumé l'une et l'autre les surcoûts d'une collaboration mal organisée. »
Sur le préjudice de perte de chance : KONICA alléguait un préjudice de 2.000.000 Frs au motif que COPAL serait responsable du non lancement de son produit nouveau papier pour imprimante. L'expert a estimé que « KONICA ne faisait pas la démonstration de l'opportunité de son lancement et de son chiffre prévisionnel ».
Concernant le préjudice d'image, l'expert judiciaire écarte le préjudice considérant «de bons produits en phase avec le marché et une logistique véritablement externalisée capable de résoudre les problèmes rencontrés serait une réponse plus logique à la situation qu'une campagne de presse de 10 millions de francs à un moment où KONICA annonce 9 millions de perte en 2001 ».
Les conclusions péremptoires de l'expert qui a tiré toutes conséquences de son analyse financière quant à l'absence de préjudice de la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE ne sont infirmées par aucun document probant remis par cette société qui veut faire supporter à l'intimée le recul de son chiffre d'affaire alors que celui-ci résulte d'un contexte économique lié au développement de l'outil numérique.
La demande de communication de factures réclamée par la société appelante n'est nullement justifiée et doit être rejetée.
Les réclamations présentées par la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE sont donc rejetées.
Il convient de rappeler que les condamnations prononcées sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile relèvent de la seule initiative de la juridiction saisie, et que par conséquent la demande en paiement d'une somme de 300.000 euros présentée par la société CAMBRONE GESTION est rejetée.
Il convient néanmoins de préciser que cette société qui ne justifie d'aucun préjudice ne pourrait percevoir des dommages et intérêts.
Il est équitable de condamner la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE à verser à la société CAMBRONE GESTION une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement attaqué,
Y ajoutant,
Condamne la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE à verser à la société CAMBRONE GESTION une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société DNP PHOTO IMAGING EUROPE aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,