COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 19 NOVEMBRE 2013
N°2013/946
Rôle N° 12/16942
[V] [D]
C/
SA SPOT IMAGE
Grosse délivrée le :
à :
- Monsieur [V] [D]
- Me Claire TOUMIEUX, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance référé du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 06 Septembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/115.
APPELANT
Monsieur [V] [D], demeurant [Adresse 3]
comparant en personne
INTIMEE
SA SPOT IMAGE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Me Claire TOUMIEUX, avocat au barreau de PARIS ([Adresse 2]) substitué par Me Aude DE FONTMICHEL (collaboratrice)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Fabienne ADAM, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Madame Fabienne ADAM, Conseiller
Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Octobre 2013 et prorogé au 19 novembre 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2013
Signé par Madame Fabienne ADAM, Conseiller pour le Président empêché et Mme Julia DELABORDE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [V] [D] a relevé appel le 12 septembre 2012 d'une ordonnance de référé rendue le 6 septembre 2012 par le conseil de prud'hommes de Grasse qui a :
- dit n'y avoir lieu à référé,
- débouté M.[D] de la totalité de ses demandes,
- renvoyé M.[D] à mieux se pourvoir pour ses demandes,
- condamné, au titre de l'équité entre les parties, M.[D] à payer à la société SPOT IMAGE la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M.[D] aux dépens.
' Dans ses écritures développées à la barre et par des moyens qui seront analysés dans le corps du présent arrêt, l'appelant demande à la cour :
- de rejeter les fins de non recevoir soulevées par l'intimée,
- d'infirmer en toutes leurs dispositions les ordonnances de référé du 6 septembre 2012 et du 25 janvier 2013,
- d'ordonner à la SA SPOT IMAGE de porter à M.[D] les bulletins de paie de mai à septembre 1995, sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard et par bulletin non conforme aux constatations de l'URSSAF,
- de condamner la SA SPOT IMAGE à verser à M.[D] une provision de 144.826,55€ au titre de rappel de salaire net pour la période du 1er mars 2011 au 30 septembre 2012,
- d'ordonner à la SA SPOT IMAGE de porter à M.[D] les bulletins de paie d'octobre 2011 à septembre 2012, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard et par bulletin non conforme passé un délai d'un mois,
- d'ordonner à la SA SPOT IMAGE de porter à M.[D] son certificat de travail pour la période du 1er mai 1995 au 30 septembre 2012 et l'attestation Pôle Emploi pour la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, par document, passé un délai d' un mois,
- de dire que le conseil de prud'hommes de Grasse, en sa formation de référé, sera compétent pour liquider les astreintes prononcées par la cour,
- de condamner la SA SPOT IMAGE à verser 4.000 € à M.[D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SA SPOT IMAGE aux entiers dépens.
' Dans ses écritures également soutenues sur l'audience, l'intimée demande à la cour
- de rappeler que la relation contractuelle de M.[D] a relevé d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de travail ,
- de constater que l'action de M.[D] se heurte à une fin de non recevoir liée à l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions précédemment rendues,
- de constater que la présente action se heurte en outre au principe de concentration des moyens et des demandes,
- de constater que cette action se heurte également à une fin de non recevoir liée à l'autorité de la chose jugée revêtue par le protocole transactionnel conclu entre les parties le 11 octobre 2002,
et en conséquence,
- de déclarer les demandes de M.[D] irrecevables,
et à titre reconventionnel,
- de condamner M.[D] à verser à la SA SPOT IMAGE la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- de condamner M.[D] à verser au Trésor la somme de 3.000 € à titre d'amende civile et, en tout état de cause,
- de condamner M.[D] à verser à la SA SPOT IMAGE la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
M.[D], visant la convention européenne des droits de l'homme, le code du travail , le code de procédure civile, en vigueur en 1995 et aujourd'hui, et l'ensemble des pièces versées aux débats, soutient :
- que son titre de séjour, les décisions de l'URSSAF et de la CPAM, rendent irréfragables la présomption de salariat antérieurement au mandat social qu'il a exercé,
- que son contrat de travail s'est poursuivi au terme du mandat social,
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- que faute de licenciement ou de résiliation judiciaire, son contrat de travail a continué à produire tous ses effets, par termes mensuels successifs jusqu'à sa rupture,
- qu'aucune décision de justice, venant trancher la contestation par l'intimée du contrat de travail, n'est intervenue depuis un temps manifestement déraisonnable, en dépit de très nombreuses procédures,
- que la rupture du contrat de travail est intervenue par la prise d'acte qu'en a fait M.[D] et est devenue définitive le 1er octobre 2012,
- que l'obligation pour la SA SPOT IMAGE de porter à M.[D] ses bulletins de salaire pour la période allant de mai à septembre 1995 n'est pas sérieusement contestable,
- que l'obligation pour la SA SPOT IMAGE de payer les salaires pour la période allant du 1er mars 2011 au 30 septembre 2012 et de porter les bulletins de salaire à M.[D] n'est pas sérieusement contestable,
- que l'obligation pour la SA SPOT IMAGE de porter les documents légaux n'est pas sérieusement contestable.
La SA SPOT IMAGE a soulevé deux fins de non recevoir, l'autorité de la chose jugée et le principe de concentration de moyens et des demandes.
Elle relève que l'ensemble des demandes de M.[D] repose sur le postulat qu'il a bénéficié d'un contrat de travail avec la société (société ISTAR à l'époque) entre mai et septembre 1995, alors que la question a définitivement été jugée par le conseil de prud'hommes de Grasse le 3 mai 2002 qui s'est déclaré incompétent au motif que la relation entre M.[D] et la société ISTAR ne s'était jamais située dans le cadre d'un contrat de travail et que M.[D] ne pouvait se prévaloir d'un contrat de travail, la juridiction prud'homale ayant même indiqué « les décisions prises à ce sujet par la CPAM et l'URSSAF n'ont de valeur que vis-à-vis de leur propre réglementation interne et ne sauraient seules suffire à établir la réalité d'un lien de subordination », décision confirmée par la cour d'appel par un arrêt du 20 mars 2003 et que le pourvoi formé contre cette dernière décision a été déclaré irrecevable.
Sur le principe de concentration des moyens et des demandes, l'intimée indique que M.[D], poursuivant toujours la même demande, tente de donner à son argumentaire l'apparence de la nouveauté, alors qu'il incombe au demandeur de présenter, dès la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, de même qu'il lui appartient de concentrer toutes les demandes fondées sur la même cause.
Enfin l'intimée fait valoir que l'action de M.[D] se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au protocole transactionnel conclu le 11 octobre 2002 et ayant mis un terme aux procédures opposant M.[D], la société ISTAR et la société EADS DSSA.
La cour n'est saisie que de l'appel formé contre l'ordonnance rendue le 6 septembre 2012 par le conseil de prud'hommes de Toulon en formation de référé. Il ne peut être statué sur l'appel qui aurait été formé contre une ordonnance rendue par la même juridiction le 25 janvier 2013, non audiencé à ce jour.
-sur l'autorité de la chose jugée-
La question de la nature de la relation contractuelle, ayant lié du 1er mai au 30 septembre 1995, M.[D] et la société ISTAR, dont la société SPOT IMAGE vient désormais aux droits, question dont dépend le sort de toutes les demandes de M.[D] puisqu'elles sont rattachées à l'existence d'un contrat de travail , a été examinée et jugée par le conseil de prud'hommes de Grasse le 3 mai 2002 et confirmée par la cour d'appel d'Aix en Provence le 20 mars 2003.
En effet, contrairement à ce qu'affirme M.[D], le conseil de prud'hommes de Grasse ne pouvait être compétent que si cette relation était un contrat de travail, l'article L511-1 désormais L1411-1 du code du travail, qui régit la compétence matérielle du conseil de prud'hommes, prévoyant que cette juridiction règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient.
En conséquence, contrairement à ce qu'affirme l'appelant, obligatoirement avant d'affirmer qu'il n'était pas compétent matériellement, le conseil de prud'hommes devait analyser la relation de travail liant les parties et se prononcer sur sa nature.
C'est effectivement ce qu'a fait la juridiction prud'homale de Grasse, dans son jugement du 3 mai 2002, qui après avoir analysé chaque élément, chaque aspect de cette relation , a indiqué « que la relation entre les parties ne s'est jamais située dans le cadre d'un contrat de travail » avant d'en conclure qu'elle
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était incompétente à juger des demandes de M.[D] en renvoyant les parties vers le tribunal de commerce.
La cour d'appel qui, dans son arrêt du 20 mars 2003, a confirmé cette décision d'incompétence au profit du tribunal de commerce, a, à nouveau, examiné toutes les facettes de la relation liant les parties au vu des conclusions, moyens et pièces produits de part et d'autre, pour, à nouveau, en conclure, « les parties ont placé le travail de Monsieur [D] dans le cadre d'un contrat d'entreprise (...) Seule l'existence d'un lien de subordination justifierait la requalification du contrat. Ce lien ne résulte d'aucun des éléments produits ou invoqués par Monsieur [D] ». En outre, il sera rappelé que le conseil de prud'hommes de Grasse a également évoqué, contrairement à ce qu'affirme M.[D], l'incidence que pouvait avoir sur la nature du contrat les décisions de la CPAM et de l'URSSAF en indiquant que celles-ci n'avaient de valeur que vis à vis de leur propre réglementation interne et ne sauraient à elles seules suffire à établir la réalité d'un lien de subordination.
Tous ces rappels démontrent que l'examen de l'existence ou non d'un lien de subordination, qui seul caractérise un contrat de travail, a été effectué et que la décision qui en est résultée, à savoir l'absence de lien de subordination donc l'absence d'un contrat de travail et par conséquent, l'incompétence du conseil de prud'hommes, décision à ce jour définitive, ne peut pas à nouveau être examinée.
Certes, cette conclusion sur l'inexistence d'un contrat de travail entre les parties a été faite dans la motivation des décisions sus visées sans qu'elle apparaisse expressement dans le dispositif de ces décisions, mais dans la mesure où l'incompétence en raison de la matière de la juridiction prud'homale ne pouvait intervenir que parce que le contrat n'était pas un contrat de travail, l'absence de cette mention dans le dispositif, ne la prive pas pour autant de l'autorité de la chose jugée qui s'y attache.
De plus et surtout, par l'effet d'un protocole transactionnel signé entre M.[D] et les sociétés EADS DEFENSE SECURITY AND SYSTEMS et ISTAR le 11 octobre 2002, M.[D] s'est désisté de toutes les instances et actions engagées tant sur le plan civil, commercial, prud'homal que pénal, avec une seule réserve concernant l'instance engagée devant le conseil de prud'hommes de Grasse le 13 mars 2001 au sujet du contrat de travail (instance sus évoquée), que M.[D] demeurait libre de poursuivre mais « exclusivement devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ou, sur renvoi de cette dernière, devant le Conseil de prud'hommes de Grasse ». Néanmoins, M.[D] a formé, à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence le 20 mars 2003, un pourvoi qui, par un arrêt du 18 mai 2005 a été déclaré non-admis, puis un recours en révision qui a été déclaré irrecevable par un arrêt de cette cour du 5 décembre 2005, le pourvoi formé contre cet arrêt étant également déclaré non admis par un arrêt de la cour de cassation du 21 février 2008).
Enfin ce protocole a fait l'objet d'une action de M.[D] en rescision et en annulation pour défaut de concessions réciproques devant le tribunal de grande instance de Grasse, demande qui a été rejetée par jugement du 5 février 2008, confirmée par la cour d'appel de céans par un arrêt du 7 mai 2010.
Or, il résulte de l'article 2052 du code civil que les transactions ont entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et l'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le delai-préfixe, la chose jugée.
Or, toutes les demandes faites par M.[D] dans le cadre de la saisine du conseil de prud'hommes de Grasse en formation de référé le 20 octobre 2010 et dont a à connaître la cour, découlent encore de l'affirmation selon laquelle il y a eu un contrat de travail entre M.[D] et la société ISTAR aux périodes susvisées qui s'est ensuite poursuivi au terme du mandat social que M.[D] a exercé au sein de cette entreprise.
Dès lors, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens avancés par les parties, il ne peut qu'être constaté que l'autorité de la chose jugée, attachée tant au protocole d'accord qu'aux décisions sus-visées, rend effectivement irrecevables les demandes de M.[D].
Vu le nombre de procédures engagées par M.[D] pour les mêmes demandes sans qu'il obtienne satisfaction (40 procédures listées par l'intimée), à l'occasion desquelles il a été parfaitement informé du mal-fondé de celles-ci, il sera considéré que cet usage intensif des procédures judiciaires est abusif et cause à la SA SPOT IMAGE un dommage qui va au-delà des frais qu'elle a dû engager pour
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assurer sa défense, que l'appelant sera donc condamné à réparer ce dommage en versant à la SA SPOT IMAGE la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société intimée. Une somme de 3.000 € sera mise à la charge de M.[D] à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Reçoit l'appel,
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle n'a pas fait droit aux demandes de Monsieur [V] [D], la cour jugeant qu'elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée attachée au protocole d'accord du 11 octobre 2002 et aux décisions du conseil de prud'hommes de Grasse en date du 3 mai 2002 et de la cour d'appel en date du 20 mars 2003, et qu'elles sont de ce fait irrecevables,
Condamne Monsieur [V] [D] à payer à la société la SA SPOT IMAGE la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur [V] [D] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER.LE CONSEILLER
POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ.