COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 21 MARS 2013
N° 2013/
Rôle N° 11/09340
[I] [N]
C/
Société CHAILLAN
Grosse délivrée
le :
à :
Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 11 Mai 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/729.
APPELANT
Monsieur [I] [N], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Société CHAILLAN, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Janvier 2013 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Monsieur Philippe ASNARD, Conseiller
Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2013.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2013.
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
[I] [N], a été embauché par la société LES TRAVAUX DU MIDI, en qualité d'aide conducteur, 1er échelon, du 2 janvier 1990 au 31 décembre 1991.
Il est devenu aide conducteur de travaux, 2ème échelon, du 1er janvier 1992 au 30 juin 1993, puis conducteur de travaux, 1EA, du 1er juillet 1993 au 31 décembre 1998, puis conducteur de travaux, 1EB, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001 et enfin cadre technique, du 1er janvier 2002 au 13 janvier 2003.
A compter du 13 janvier 2003, il a été engagé au service de la société SOVAME, en qualité de conducteur de travaux, position dans la classification cadre B1.1, au coefficient hiérarchique 090, avec affectation à [Localité 2].
Le 12 janvier 2009, il a été muté au sein de la société CHAILLAN en tant que conducteur de travaux principal
Il s'est trouvé en arrêt maladie à compter du 13 octobre 2009 jusqu'au 15 décembre 2009.
Il a mis fin à son contrat de travail par lettre remise en main propre le 3 juin 2010 dans les termes suivants :
« Pour faire suite à notre entretien de ce jour, je vous confirme ma volonté de rompre mon contrat de travail à compter de ce jour. Mon préavis étant de 3 mois je vous demande la possibilité de l'arrêter au 31 juillet 2010 et de pouvoir l'indemniser au 03/09/2010.»
Il a saisi le conseil des prud'hommes de MARTIGUES qui l'a, par jugement du 11 mai 2011, débouté de toutes ses prétentions.
Il a régulièrement interjeté appel de cette décision, par acte du 20 mai 2011.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans le dernier état de ses conclusions, l'appelant demande de :
dire que sa lettre en date du 3 juin 2010 doit être requalifiée en prise d'acte de rupture aux torts de la société CHAILLAN,
en conséquence,
condamner la société CHAILLAN à lui payer les sommes suivantes :
-96 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-48 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
-40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,
-40 443.16 euros, avec intérêts de droit au jour de la demande en justice,
-10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non mention du droit au droit individuel à la formation,
-5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sollicite en outre, la condamnation de la société CHAILLAN à lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
La société intimée, conclut à la confirmation totale du jugement dont appel et réclame en outre une indemnité de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé, la Cour renvoie aux écritures des parties déposées à l'audience et réitérées lors des débats oraux.
SUR CE
sur le harcèlement moral
Il ressort de l'article L. 1152-1 du Code du travail qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel .
Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
[I] [N] établit, par les notes qui lui ont été adressées par son supérieur hiérarchique [E] [Y], par les attestations précises et concordantes [S], [Z], [J],[M], [B], [U], [K], [D], par la plainte de [T] [Z] et son audition par la gendarmerie de [Localité 1], par les certificats médicaux notamment des docteurs [V] et [F] qu'il produit, qu'un conflit l'a opposé à [E] [Y], qu'au cours de la relation de travail ce dernier s'est adressé à lui à plusieurs reprises de manière agressive, que ce conflit a culminé lors d'une réunion de chantier du 30 septembre 2009, qu'au cours de cette réunion [E] [Y] est entré dans une fureur incontrôlable donnant un coup de pied dans une chaise et traitant [I] [N] de « mongolien et de connard », ce en présence d'autres salariés, que cette attitude et cet incident ont eu des répercussions sur son état de santé, alors que l'employeur reconnaît dans ses écrits, avoir organisé une réunion dite « d'apaisement » au cours de laquelle [E] [Y] a présenté ses excuses, avoir mis en place une cellule visant à prévenir les risques psychosociaux et avoir procédé à la mutation du salarié, afin de lui éviter tout contact avec [E] [Y], ce qui constitue un véritable aveu des difficultés dénoncées par le salarié.
Il est donc ainsi suffisamment établi des faits précis et répétés, laissant supposer un harcèlement moral, que l'employeur ne justifie par aucun fait objectif étranger à tout harcèlement, l' incompétence de [I] [N] telle qu'alléguée, ne pouvant justifier un tel comportement, excédant largement les prérogatives d'un supérieur hiérarchique.
Eu égard au préjudice subi par [I] [N], tel qu'il résulte des documents médicaux fournis et à la durée de la situation de harcèlement, à laquelle l'employeur a rapidement remédié dès qu'il en a été informé, il lui sera alloué la somme de 12 000€ de dommages intérêts.
sur le manquement à l'obligation de sécurité résultat
L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur son lieu de travail d'agissement de harcèlement moral exercés par l'un ou par l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.
Au vu de ce qui précède, il est patent que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, quant bien même il a pris des mesures rapidement et organisé l'éloignement de [I] [N], pour le soustraire au harcèlement moral.
De ce chef, au vu des certificats médicaux produits, il sera alloué à [I] [N] la somme de 8000€ .
Sur la rupture du contrat
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.
Les faits de harcèlement s'étant produits plus de 6 mois avant la rupture du contrat, alors que l'employeur y a rapidement mis fin, il n'est pas possible de considérer qu'ils rendent la démission équivoque.
Par ailleurs, après sa mutation consécutive aux faits de harcèlement qu'il a subi, le salarié n'a reproché son employeur aucun manquement grave à ses obligations.
Contrairement à ce qu'il soutient, [I] [N], n'établit aucune rétrogradation consécutive à sa mutation, qu'il a acceptée, caractérisée par la perte d'une partie de ses responsabilités, étant relevé en outre qu'il n'a émis aucune doléance sur ce point au cours de la relation de travail.
Ni la mise en congé de [I] [N] durant son préavis , ni la lettre de son conseil du 15 juillet 2010 adressée à son employeur, ne caractérisent de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, de nature à rendre celle ci équivoque.
De même, la saisine du conseil des prud'hommes, plus d'un mois après la démission, ne peut valoir rétractation de celle ci.
En conséquence, comme l'ont décidé les premiers juges, il doit être jugé que [I] [N] a exprimé sa volonté claire claire et non équivoque de démissionner, pour des raisons qui lui appartiennent.
Il sera donc débouté de l'ensemble de ses prétentions, afférentes à la prise d'acte.
sur les autres demandes
Il convient d'ordonner la communication par l'employeur, des documents rectifiés selon les indications du présent arrêt.
Succombant en appel, la société CHAILLAN sera condamnée aux entiers dépens.
Sur l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges sera infirmée et il sera alloué à l'appelant la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a considéré que la lettre de rupture du salarié constituait une démission claire et non équivoque ;
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant :
Condamne la société CHAILLAN à payer à [I] [N] les sommes de :
-12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
-8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité résultat,
-1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette les demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la société CHAILLAN aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT