COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 14 MARS 2013
N°2013/
Rôle N° 11/11502
[F] [Y]
C/
[D] [A]
Grosse délivrée le :
à :
Me Patrice PASCAL, avocat au barreau de TARASCON
Me Michel GOUGOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 17 Mai 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1435.
APPELANTE
Madame [F] [Y], prise en qualité de mandtaire ad hoc dela SCEA DOMAINE DES TERRES BLANCHES, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Patrice PASCAL, avocat au barreau de TARASCON
INTIME
Monsieur [D] [A], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Michel GOUGOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 28 Janvier 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Monsieur Philippe ASNARD, Conseiller
Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2013
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Le domaine des Terres Blanches situé à [Localité 1] est une exploitation agricole géré au travers du GFA les Tessonières et de la SCEA les Terres Blanches.
La SCEA Les Terres Blanches a fait l'objet d'une liquidation amiable, dans le cadre de laquelle [Q] [Y] a été désigné liquidateur et qui a abouti à sa dissolution et à sa radiation enregistrée au registre du commerce le 29 janvier 2010 avec effet rétroactif au 14 décembre 2009.
Le 15 décembre 2010,[Q] [A] a saisi à l'endroit de [F] [Y] mandataire ad hoc chargée de représenter les intérêts de la SCEA Les Terres Blanches et désigné par ordonnance du 28 septembre 2010, le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence prétendant avoir été salarié de la société aux termes d'un contrat à durée déterminée non conforme à l'article L 1242-2 du code du travail et ayant vu son contrat rompu abusivement par le liquidateur.
Par jugement en date du 17 mai 2011, la juridiction prud'homale, section agriculture a :
*requalifié le contrat de travail en un contrat à durée indéterminée,
*dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*condamné la SCEA Les Terres Blanches à payer à [Q] [A] les sommes suivantes:
- 1123,59 € à titre d'indemnité de requalification,
- 10'112,31 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3370,77 € à titre d'indemnité de préavis et 337,08 € pour les congés payés afférents,
- 520 € à titre d'indemnité compensatrice de travail à domicile,
- 3172 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
*rappelé l'exécution provisoire de droit et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 1123,59 €,
*débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
*dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier et le montant des sommes de l'article 10 du décret du 8 décembre 2002 à un portant notification du décret du 12 décembre 1996 numéro 96 - 1080 tarifs des huissiers devra être supportés par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
*condamné la SCEA Les Terres Blanches aux entiers dépens.
[F] [Y] ès qualitès de mandataire ad hoc de la SCEA Les Terres Blanches a le 23 juin 2011 interjeté régulièrement appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions, l'appelante demande à la cour au visa notamment des conclusions en date du 17 février 2011 déposées et développées à l'audience du 22 février 2011 et visées ce jour-là, par le greffe prud'homal de:
*annuler le jugement déféré et statuant à nouveau sur l'ensemble du litige,
*au principal, dire que l'intimé ne peut en aucune manière se prévaloir d'un lien de subordination vis-à-vis de la SCEA et en conséquence le débouter de l'intégralité de ses demandes,
*subsidiairement, débouter l'intimé de sa demande tendant à la requalification du contrat de travail, fixer sa créance aux sommes suivantes:
- 1123,59 € à titre d'indemnité de préavis en vertu de l'article 1234 -1 du code du travail,
- 1123,59 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- un euro à titre de l' indemnité de travail à domicile,
*constater que l'indemnité compensatrice de congés payés et l'indemnité de fin de contrat ont été acquittées,
*en toute hypothèse, condamner l'intimé à lui payer 3588 € à titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel.
Elle fait valoir:
-que le jugement a manqué aux obligations que l'article 455 du code de procédure civile imposait à la juridiction sur deux motifs: le visa des conclusions sans indication de leur date et le défaut de réponse à conclusions invoquant l'absence de lien de subordination,
-que la contestation de ce lien n'est pas irrecevable dès lors qu'il appartient au conseil de prud'hommes et à lui seul de trancher cette difficulté,
Elle soutient qu'il résulte de la personnalité de [Q] [A], de ses liens avec la famille [N], des conditions dans lesquelles il est entré en relations avec la SCEA et des relations justement avec cette entité qu'en aucune manière l'intimé ne s'est trouvé dans un lien de subordination.
Sur le subsidiaire, elle souligne que les deux contrats doc 2 et 3 constituent un ensemble indivisible qui prévoit une pseudo embauche jusqu'à la désinstallation du matériel pour mettre à jour la comptabilité en vue de la clôture des opérations de liquidation ce qui rentre dans les prévisions de la loi.r
Aux termes de ses écritures, l'intimé conclut à :
*à la requalification le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
*à la confirmation du jugement déféré en ce qui lui a alloué l'indemnité de requalification, l'indemnité de préavis, l'indemnité compensatrice du travail à domicile et à sa réformation pour le surplus sollicitant:
- 21 348,21 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-5047,80 € au titre des congés payés et indemnité de fin de contrat,
-6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* à la condamnation de la SCEA Les Terres Blanches à rectifier, dans le délai d'un mois de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 200 € par jour de retard, les bulletins de salaire en y faisant apparaître les cotisations de retraite AGIRC et dans le même délai et sous la même astreinte, à verser les charges sociales y afférentes et à prendre en charge les entiers dépens.
Il considère:
-que les moyens aux fins de nullité du jugement ne résistent pas à l'examen au motif que les conclusions y sont expressément visées et qu'en requalifiant le contrat de travail les premiers juges ont nécessairement rejeté le moyen et admis l'existence d'un lien de subordination,
-que le moyen tiré de l'absence de lien de subordination est irrecevable et non fondé, dès lors que s'agissant d' une exception de procédure, il devait être soulevé avant toute défense au fond et que l'appelante entretient la confusion entre la licence d'exploitation du logiciel Banko qui n'a pas été finalement installé et le contrat de travail pour lequel il recevait des instructions.
Il insiste sur son préjudice qui a été sous évalué par les premiers juges précisant qu'un autre contrat de travail le liant à [V] [N] a été également rompu fautivement fin 2008 et qui a donné lieu à un jugement de départage devenu définitif en date du 14 mai 2012 par la même juridiction prud'homale, qu'il a ainsi été privé de ses deux emplois par l'Hoirie [N] et qu'il ne dispose plu que de 12000 € par an d'allocations Assedic.
Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE
I Sur la nullité du jugement
Le premier moyen soulevé ne peut être accueilli dans la mesure où il est mentionné dans le jugement que' les conseils des parties ont développé oralement leurs conclusions respectives, datées et visées par le greffier d'audience conformément à l'article 455 du code de procédure civile'.
Par contre, sur le second moyen, il convient de faire droit à la demande de nullité sollicitée; en effet, dans sa motivation les premiers juges n'ont pas répondu aux conclusions de la SCEA Les Terres Blanches sur l'absence de lien de subordination qu'ils ont considéré sans examiner cette question, que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée déterminée et le fait d'avoir requalifié ce contrat en contrat à durée indéterminée ne peut implicitement valoir rejet de l'argumentation sur l'absence de tout lien de subordination.
En conséquence, la nullité du jugement sera en l'état prononcé et la cour statuera ci dessous sur le tout par suite de l'effet dévolutif de l'appel.
II sur l'existence ou non d'un contrat de travail,
En droit, il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre moyennant rémunération.
Il découle de cette définition trois éléments indissociables, l'exercice d'une activité professionnelle, la rémunération, le lien de subordination; ce dernier élément qui est caractérisé par l'éxecution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné est déterminant puisqu'il s'agit du seul critère permettant de différencier le contrat de travail d'autres contrats. .
D'autre part, il convient de rappeler :
-qu'en l'absence d'écrit, il appartient à la partie qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail, d'en rapporter la preuve,
-qu'à l'inverse en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.
En premier lieu, la contestation de l'absence de lien de subordination est parfaitement recevable dans la mesure où même si on l'analyse en une exception de procédure, il s'avère qu'elle a bien été soulevée in limine litis devant la juridiction prud'homale et que les premiers juges devaient l'examiner ce qu'ils n'ont pas fait.
Sur le fond, le moyen soulevé par l'appelante est parfaitement justifié.
[D] [A] produit au débat:
-pièce 1 un contrat de travail à durée déterminée en date du 1er octobre 2007 mentionnant notamment une durée minimum de 4 mois et qui prendra fin le dernier jour du mois de la clôture de la liquidation de l'employeur, renouvelable une fois, à temps partiel ( 17h33) par lequel [D] [A] est engagé à compter du 1er octobre 2007 par la SCEA Les Terres Blanches en liquidation en qualité d' 'ingénieur conseil en informatique et gestion afin de mettre en place une solution informatique complète permettant de gérer les comptes de l'employeur, société en liquidation, M [A] fournira cette solution lui même, comprenant notamment une application dénommée 'Banko' fonctionnant sous 4e dimension et sous système Mac Osx 10.4.10 application dont il a affirmé détenir les droits d'auteur', le salarié devant exercer ses fonctions à son domicile, les échanges d'information devant se faire par message internet à l'exclusion de tout autre moyen, chaque partie s'engageant à disposer chacune à leur propre charge respective d'un accès internet pendant toute la durée du contrat, et ce moyennant une rémunération de 50 € par heure qui lui sera versé à la fin de chaque mois civil et à laquelle s'ajoutera le remboursement des frais de déplacement effectués pour les nécessités du service sur présentation de justificatifs,
-une attestation Assedic établie le 31 décembre 2008 signé par le liquidateur visant comme motif de rupture la fin du CDD,
-divers échanges de courriels entre [D] [A] et le liquidateur en date des 10 octobre 2007 14 novembre 2007, de 22 février 2008, des 13 et 15 octobre 2008, ceux échangés entre [D] [A] et le cabinet comptable [M] [R] ,
-la photocopie d'une lettre du liquidateur adressant à [D] [A] les bulletins de novembre et décembre 2008 avec le règlement correspondant , l'attestation Assedic et le reçu pour solde de tout compte;
-la photocopie du courrier en date du 9 décembre 2008 du liquidateur annonçant à [D] [A] qu'il a demandé au cabinet [R] de régulariser sa situation auprès de la MSA et que dans l'immédiat, la clôture de la liquidation de la société est envisagée pour la fin de l'année.
Au vu de ces pièces produites par l'intimé et notamment du contrat de travail signé le 1er octobre 2007, il existe bien l'apparence d'une relation de travail entre [D] [A] et la SCEA Les Terres Blanches représentée par son liquidateur.
Toutefois, il s'avère que l'appelante qui argue de l'absence de lien de subordination verse au débat notamment:
-copie du contrat à durée déterminée signé le 1er octobre 2007 le même que celui ci dessus visé,
-copie d'une convention intitulée ' licence utilisateur professionnelle' signée le même jour 1er octobre 2007 entre [D] [A] et la SCEA Les Terres Blanches représentée par son liquidateur et par lequel le premier consent un droit d'usage à la seconde sur le logiciel Banko qui est la propriété exclusive de [D] [A] , étant mentionné dans la dite convention le paragraphe suivant : ' en contre partie de ce droit d'usage, l'utilisateur s'engage à établir un contrat de travail à [D] [A] pour toute la durée de l'utilisation du logiciel Banko. [D] [A] exercera son contrat de travail à son domicile, à l'exceptions des cas nécessitant sa présence dans les locaux de l'utilisateur, comme l'installation du logiciel Banko ou la formation du personnel de l'utilisateur. .... le contrat de travail se terminera le jour où l'utilisateur cessera définitivement de se servir du logiciel Banco et procédera à la désinstallation sur le matériel dont il dispose',
-deux bulletins de salaires de novembre et décembre 2008,
-divers courriels: ceux du 10 octobre 2007, du 14 novembre 2007, du 11 décembre 2007, du 23 février 2008, 27 février 2008, du 30 juin 2008, dont celui en date du 9 octobre 2007 que lui a adressé [D] [A] sur le projet de contrat ainsi qu'en pièce jointe le projet de contrat de travail remanié par ce dernier lui même, et celui envoyé le 5 janvier 2009 par [D] [A] au liquidateur ayant pour objet la fin du CDD et où [D] [A] précise les éléments de cette fin de contrat éléments qui sont repris dans le courrier du liquidateur en date du 9 décembre 2008 et les bulletins sus visés,
En l'état, des pièces produites par l'appelante ès qualité et en particulier la convention intitulée ' licence utilisateur professionnelle' intervenue entre les parties et on ne peut plus explicite, il apparaît que le contrat de travail était fictif et que le salaire qui était alloué à l'intimé n'avait en fait d'autre but que de rémunérer le droit d'usage du logiciel appartenant à l'intimé, qu'il n'existait en fait aucun lien de subordination entre les parties, que bien au contraire, il ressort des mails échangés, que le comportement de [Q] [A] était exclusif de tout lien de subordination notamment quant il complète et modifie le projet de contrat de travail, quand c'est lui même qui donne des ordres au liquidateur notamment dans le mail du 14 novembre 2007, quand il formule des reproches à l'égard du liquidateur et enfin quand il décide lui même dans le mail réexpédié du 5 janvier 2009 la fin de son contrat de travail et notifie les salaires qui doivent lui être payés.
Dans ces conditions, il convient de considérer que faute de lien de subordination, il n'a existé entre les parties aucun contrat de travail .
III sur les conséquences à en tirer
En l'absence de contrat de travail, les demandes de l'intimé ne peuvent être accueillies de sorte que le débouté s'impose sur l'ensemble de ses réclamations.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties.
L'intimé qui succombe doit être tenu aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Annule le jugement déféré,
Statuant sur le tout par l'effet dévolutif de l'appel,
Dit qu'il n'existe pas entre les parties de contrat de travail, faute de lien de subordination,
Déboute [Q] [A] de l'ensemble de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de [Q] [A] .
LE GREFFIERLE PRESIDENT