COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 07 MARS 2013
N°2013/226
Rôle N° 10/22369
S.A.R.L. SAINT RAPHAEL IMMOBILIER
C/
[R] [F]
Grosse délivrée le :
à :
- Me Alexandre ZAGO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
- Me Pierre MONTORO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS en date du 11 Décembre 2008, enregistré au répertoire général sous le n° 08/116.
APPELANTE
S.A.R.L. SAINT RAPHAEL IMMOBILIER, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Alexandre ZAGO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué par Me Pascale PALANDRI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIME
Monsieur [R] [F], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Pierre MONTORO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Fabienne ADAM, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Madame Fabienne ADAM, Conseiller
Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Julia DELABORDE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2012 prorogé au 07 mars 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 mars 2013
Signé par Madame Fabienne ADAM, Conseiller, pour le Président empêché et Mme Julia DELABORDE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Monsieur [R] [F] a été embauché par la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER en qualité de négociateur immobilier selon contrat à durée indéterminée du 9 janvier 2007. Il était rémunéré à la commission et bénéficiait d'une avance sur commission calculée sur la base de 70 heures par mois au taux horaire du SMIC.
M.[F] était alors associé à hauteur de 33% des parts de la société, les deux autres associés étant, d'une part le gérant, M.[S] et, d'autre part, M. [E].
Par courrier du 9 juillet 2007, l'employeur a demandé au salarié de respecter un certain nombre d'obligations, présence les lundi et mardi de chaque semaine, justification de l'assurance du véhicule personnel qu'il utilisait pour des visites accompagnées de la clientèle, nécessité d'être présent au mois d'août d'où refus de congé à cette période, nécessité de produire un rapport écrit hebdomadaire de son activité, plus aucune tolérance quant aux erreurs et omissions relevées dans la rédaction des mandats et dans la constitution des dossiers des biens à la vente. Il y était rappelé l'obligation de respecter les consignes données à ce sujet, et notamment la nécessité de constituer un dossier pour chaque affaire, dont un rappel du contenu était joint au courrier.
M.[F] y a répondu par une lettre du 11 juillet 2007, indiquant qu'aux termes de son contrat de travail il n'avait pas d'obligation d'horaires ni de jours de présence, qu'il n'avait aucun compte à rendre sur son travail dans la mesure où s'il ne travaillait pas il n'était pas payé, qu'une demande de congé n'avait, ni été faite, ni été refusée, puisqu'il occupait comme il le souhaitait son temps libre, que son employeur ferait mieux de s'occuper de ses affaires, ce dernier d'après M.[F] ne réalisant que très peu de ventes, que lui-même avait enregistré beaucoup plus de mandats que son employeur et de plus sans erreurs, il conseillait au gérant de l' entreprise de travailler sans s'occuper de lui et qu'ainsi tout le monde serait content, lui reprochant de l'agresser verbalement et moralement et lui signalant qu'en cas de poursuite de cette attitude agressive, il n'hésiterait pas à le dénoncer pour harcèlement. Il lui indiquait profiter de ce courrier pour lui adresser une lettre de frais et salaires à régler dès réception, à défaut de quoi il saisirait la justice. Il terminait en lui rappelant qu'il était également son associé, détenant 33% des parts de la société.
Par courrier du 12 juillet 2007, M.[F] a adressé un décompte des sommes qu'il estimait lui être dues, pour un total de 8.091,30€ (commissions et indemnités kilométriques) en indiquant qu'à défaut de paiement dans les huit jours, il intenterait une action en justice.
Par courrier du même jour, le gérant de la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER lui a répondu, lui demandant de modérer ses propos lui rappelant le contrat de travail et le lien de subordination qui en découlait, et lui rappelant que les directives qui lui étaient données l'étaient dans un cadre normal et non vexatoire. Sur le calcul des commissions, il lui rappelait le mode de calcul et, par suite, lui indiquait qu'il avait déjà été rempli de ses droits. Il terminait le courrier en le mettant en garde au sujet des menaces qu'il avait proférées à son encontre, retranscrivant des propos qu'aurait tenus M.[F].
Par courrier du 19 juillet 2007, M.[F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur en invoquant un refus persistant de lui payer son salaire et du harcèlement.
Saisi le 18 février 2008 par le salarié d'une constatation des conséquences de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de demandes en paiement de diverses sommes, le conseil de prud'hommes de Fréjus a, par jugement du 11 décembre 2008, dit que la rupture du contrat de travail était imputable à la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER et a condamné cette dernière à payer à M.[F] les sommes suivantes au titre :
-de commissions et des congés payés y aférents, 7.591,82€ et 759,18€,
-de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés correspondants, 1.550,13€ et 155,01€,
-de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1.500€,
-de l'article 700 du code de procédure civile, 1.500€,
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a ordonné à la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER la remise du bulletin de salaire et de l'attestation Assedic rectifiés conformément au jugement,
a débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
a ordonné l'exécution provisoire du jugement,
a condamné la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER aux dépens.
Le 18 décembre 2008, la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 12 octobre 2010, la cour a ordonné la radiation de l'instance qui a été réenrôlée le 9 décembre 2010.
' Dans ses écritures développées à la barre, l'appelante demande à la cour de constater que M.[F] a été totalement rempli de ses droits et en conséquence de le débouter de l'intégralité de ses demandes, de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau de constater que la rupture des relations contractuelles est imputable à M.[F] et non à la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER et qu'elle s'analyse en une démission et non en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, de condamner M.[F] à verser à la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER la somme de 5.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
' Dans ses écritures également soutenues sur l'audience, l'intimé conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il demande à la cour de fixer à la somme de 6.200,52€ (quatre mois de salaire), et en ce qui concerne la demande au titre des indemnités de déplacement qu'il fixe à la somme de 499,21€. Il sollicite donc la condamnation de la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER à lui payer les sommes sus indiquées, outre la somme de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et il demande la rectification des bulletins de salaire et de l'attestation Assedic sous astreinte de 50€ par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Sur la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office.
Sur le fond :
-sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail-
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail peut se définir comme la situation dans laquelle l'une des parties au contrat considère que le comportement de l'autre rend impossible le maintien du contrat de travail.
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais constituer des manquements d'une gravité suffisante.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixant pas les limites du litige, le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
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Dans l'écrit du 19 juillet 2007 concrétisant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, M.[F], d'une part fait référence à son précédent courrier dans lequel il réclamait le paiement des commissions qu'il estimait lui être dues et, d'autre part, évoque comme motifs, à la fois le refus persistant de lui payer son salaire et le harcèlement pratiqué sur lui durant les derniers mois de son activité.
-sur le harcèlement moral-
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Le salarié doit établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Pour établir des faits de harcèlement moral, M.[F] fait état du courrier qu'il a adressé à son employeur le 12 juillet 2007dans lequel il énumère les griefs qu'il formule à l'encontre de ce dernier notamment en réponse au courrier de reproches qu'il avait précédemment reçu. Or, les demandes de l'employeur formulées dans le courrier du 9 juillet
ne peuvent en aucun cas être considérées comme constitutifs d'actes de harcèlement dans la mesure où il s'agit de légitimes demandes basées sur l'exécution du contrat de travail. En revanche, la réponse apportée par le salarié dans son courrier du 11 juillet 2007 et qu'il se garde bien d'évoquer, démontre au contraire que M.[F] conteste totalement le lien de subordination caractérisant la relation contractuelle de travail salarié. Dès lors, aucun élément sérieux n'est versé aux débats pouvant laisser présumer un harcèlement. Ce n'est donc pas ce motif qui pouvait justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
-sur le paiement des commissions-
Au sujet de la rémunération, le contrat de travail prévoit : « le salarié sera rémunéré sur la base d'une avance mensuelle sur commissions établie sur la base de 70 heures par mois travaillées et payées au SMIC horaire soit 8,03€ brut.
Trimestriellement, la commission, pratiquée sur la base de vingt six pour cent brut du chiffre d'affaire hors taxes net de toute rétrocession (commission d'apporteur, droit éventuellement dû à des tiers), sera calculée pour chaque négociateur.
De ce fait une régularisation devra être effectuée et se caractérisera soit par un complément de salaire, qui devra être versé par la société, soit par un remboursement de la part du salarié au compte de la société ».
La base de calcul n'est pas contestée, 26% du montant perçu par l'agence hors taxes, net de toute rétrocession. En revanche il doit être tenu compte du fait que pour le déclenchement du droit à commission, le négociateur doit avoir pris part à l'une ou l'autre des deux opérations fondatrices, à savoir soit l'apport de la vente (il a rentré le mandat de vente) soit la finalisation de la vente (présence à la signature de l'acte de vente voire même préalablement du compromis). Si le même négociateur a présidé aux deux temps de la vente, il a droit dès lors à la totalité de la commission (26% du chiffre d'affaires), s'il n'a participé qu'à l'une des phases, il a droit dès lors à la moitié de la commission. Ce calcul résulte des explications données par l'employeur et est confirmé pour tous les agents immobiliers interrogés.
*sur la vente MARIOTINI/SALIBA*
Il résulte des pièces versées aux débats que M.[F] est intervenu pour l'entrée de ce mandat de vente, en revanche sa qualité de salarié est discutée, l'employeur affirmant qu'il n'était alors qu'associé et M.[F] affirmant qu'il y travaillait comme salarié. Il est versé une lettre de démission de M.[F] d'un poste de salarié datée du 10 novembre 2006 mais qui ne contient aucune précision sur le contrat de travail dont il s'agit de même que sur l'employeur dont il s'agit. L'attestation de l'autre associé, M. [E] vient affirmer qu'il est lui même intervenu dans cette vente en même temps que M.[F] mais tous deux en leur qualité d'associés. En l'absence de tout autre élément versé aux débats, M.[F] ne rapporte pas la preuve qu'il a droit à une commission sur cette vente.
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*sur la vente PELLEGRINETTI/TACK*
Le droit à commission pour 26% du montant perçu par l'agence soit 26% de 5.434,78=1.413,04€ n'est pas contesté. En revanche la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER
affirme que M.[F] l'a déjà perçu. L'examen des bulletins de salaire des mois de janvier, février et mars 2007 démontre que cette somme a bien été perçue dans le cadre des avances sur commissions.
*vente [J]/[L]*
Il résulte des pièces versées aux débats notamment attestations du vendeur et de l'acheteur (deux attestations de cette dernière) que M.[F] et M.[S] ont tous deux participé à cette vente, M.[F] étant présent à la signature du compromis le 17 janvier
2007, qu'il s'ensuit qu'il a droit à la moitié de la commission, soit la somme de 2.173,91:2= 1.086,95€.
*ventes Vallon d'Azur- [N] et [V]*
L'employeur, en l'espèce, ne conteste pas que M.[F] avait droit à des commissions sur ces deux ventes et démontre, sur ses chiffres à savoir, 913,04€ et 1.586,96€, que M.[F] les a bien perçues par les avances sur salaire des mois d'avril, mai et juin 2007 (578,90€ X 3==1.536,70€) plus le versement de 295,40€ en juillet 2007 et celui de 467,90€ en septembre 2007, soit un total de 2.500€. En revanche le montant même des commissions dues est contesté, M.[F] avançant les chiffres de 1.826,09€ et 2.826,09€ soit un total de 4.652,18€. Faute par l'employeur de fournir les pièces susceptibles de permettre la vérification des chiffres avancés, ceux donnés par le salarié seront retenus, et la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER sera condamnée à verser à M.[F] la différence, soit la somme de 2.152,18€.
-sur les indemnités de trajet-
En l'absence de toute précision sur ce point dans le contrat de travail, la position adoptée par le premier juge sera reprise.
En conclusion, les griefs reprochés à l'employeur et susceptibles de justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail se réduisent à des calculs de commissions qui étaient discutables mais qui dans le doute ont profité au salarié. Il résulte davantage de cette procédure une mésentente entre le gérant de l' entreprise et le salarié, venant possiblement d'une mauvaise intégration de la notion de subordination entre des personnes toutes deux associées dans l'entreprise. En conséquence, les griefs formulés à l'encontre de la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER ne sont pas suffisamment graves pour justifier une rupture aux torts de l'employeur et la prise d'acte de la rupture du contrat de travail sera dès lors considérée comme une démission du salarié. Il s'ensuit que M.[F] sera débouté de ses demandes ayant trait à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER sera condamnée au paiement des sommes suivantes au titre de rappel de commissions et des congés payés y afférents, 3.239,13€ et 323,91€ et il lui sera ordonné la remise d'un bulletin de salaire conforme à la présente décisiopn sans qu'il soit nécessaire de prévoir une astreinte.
-sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens-
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de l'une quelconque des parties; le jugement sera donc réformé sur ce point et les parties déboutées de leurs demandes respectives faites en ce sens. Les dépens seront supportés par moitié par les parties.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Reçoit l'appel,
Infirme le jugement entrepris,
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Et statuant à nouveau,
Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission de Monsieur [R] [F],
Condamne la SARL ST RAPHAEL IMMOBILIER à payer à Monsieur [R] [F] les sommes suivantes au titre de rappel de commissions et de congés payés y afférents, 3.239,13€ et 329,13€, et lui ordonne la remise d'un bulletin de salaire rectifié,
Déboute Monsieur [R] [F] du surplus de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes réciproques en ce sens,
Condamne les parties aux dépens de première instance et d'appel qu'elles supporteront chacune par moitié.
LE GREFFIER.LE CONSEILLER
POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ.