COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 11 DECEMBRE 2012
N° 2012/
Rôle N° 10/14021
[G] [U]
C/
SARL RENOVE AZUR
Grosse délivrée
le :
à :
Me Audrey MENANT-
SASPORTAS, avocat au barreau de NICE
Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 29 Juin 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 10/415.
APPELANT
Monsieur [G] [U]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/001177 du 26/01/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Audrey MENANT-SASPORTAS, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SARL RENOVE AZUR, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 Octobre 2012 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUSSEL, Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Madame Corinne HERMEREL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Décembre 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Décembre 2012.
Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [G] [U] a été embauché par la SARL RENOVE AZUR le 9 mars 2007, à compter du 12 Mars suivant, selon contrat de travail à durée déterminée jusqu'au 31 Juillet 2007, en qualité de menuisier, moyennant une rémunération de 1300 euros net mensuel pour 39 heures hebdomadaires.
La convention collective applicable au contrat de travail est celle des Ouvriers employés par les entreprises du bâtiment-moins de 10 salariés.
Le 30 Mai 2007, Monsieur [U] a été victime d'un accident du travail. Il a bénéficié d'un arrêt de travail prolongé régulièrement jusqu'au 10 Août 2007.
Le 31 juillet 2007, la SARL RENOVE AZUR lui a remis les documents sociaux de fin de contrat.
Le 23 Février 2010, Monsieur [U] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Nice.
Selon jugement prononcé le 29 Juin 2010, le Conseil de Prud'hommes de NICE a requalifié le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et a condamné la SARL RENOVE AZUR à lui payer :
*1215,15 euros au titre de l'indemnité de requalification
*759,63 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
*75,96 euros au titre des congés payés y afférents
*1644,60 euros au titre du non respect de la procédure de licenciement
*1644,60 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le Conseil de Prud'hommes a ordonné la rectification des documents sociaux, débouté les parties de leurs autres demandes et condamné la société RENOVE AZUR aux dépens.
Le 16 Juillet 2010, Monsieur [U] a interjeté appel de la décision dont il demande la confirmation sur la requalification du contrat et l'infirmation en ce qu'il a été débouté de sa demande de dommages te intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche , formulée à hauteur de 5000 euros et sur le quantum de l'indemnité de requalification qu'il fixe à la somme de 1644,60 euros.
Il demande à la Cour de tirer les conséquences juridiques de la rupture du contrat de travail intervenue alors que le contrat était suspendu à la suite de l'accident du travail,
*De constater que par suite de la requalification du contrat conclu le 12 mars 2007 en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat de travail intervenue le 31 juillet 2007 est illicite et le licenciement est nul ;
En conséquence:
*de dire et juger qu'au 31 juillet 2007, le contrat de travail de M. [U] était suspendu du fait de l'accident du travail survenu le 31 mai 2007 ;
*de condamner la SARL RENOVE AZUR à réintégrer Monsieur [U] dans son emploi ou un emploi équivalent;
*de condamner la SARL RENOVE AZUR à lui payer, sous astreinte journalière de 500 euros,
la somme de 106899 euros représentant le montant des salaires qu'il aurait perçus depuis le 31 juillet 2007 jusqu'au 31 décembre 2012, outre la somme de 10689,90 euros au titre des congés payés y afférents;
*de dire que la Cour d'appel se réservera la liquidation de l'astreinte;
*de lui remettre les bulletins de salaire rectifiés du 31.07.2007 au 31.12.2012
*d'organiser la visite médicale de reprise
*de condamner la SARL RENOVE AZUR au paiement de la somme de 3.500 euros au visa des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 dont Maitre SASPORTAS, avocat bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, pourra poursuivre personnellement le recouvrement en renonçant à la part contributive de l'Etat en application de l'article 37 de la loi précitée.
*d'ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil;
*de condamner la société RENOVE AZUR aux entiers dépens;
La SARL RENOV AZUR sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce que le jugement a requalifié le contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée - confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de NICE en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche, et à titre subsidiaire, en cas de requalification du contrat par la Cour, de constater que la demande de réintégration a été formulée pour la première fois le 28 Mars 2012, que dès lors que le salarié a opté pour une indemnisation , il ne peut y renoncer pour changer d'option et demander sa réintégration constater, que Monsieur [U] ne déduit pas les sommes reçues depuis son licenciement de ses demandes, qu'il n'a jamais justifié de sa situation. En conséquence, la SARL RENOVE AZUR soutient que Monsieur [U] ne peut formuler aucune demande indemnitaire pour la période antérieure au 28 mars 2012 et qu'il ne peut formuler une demande indemnitaire sans déduire les sommes perçues par lui depuis sa cessation d'activité (salaires, indemnités pôle emploi, indemnités journalières de sécurité sociale). Elle sollicite le débouté de sa demande de réintégration ainsi que de ses autres demandes, et sa condamnation à lui verser 3000 euros à titre de dommages et intérêts et 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure des moyens et des prétentions des parties, il est renvoyé au jugement entrepris, aux pièces de la procédure, et aux conclusions des parties oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la requalification du contrat de travail
Le contrat de travail à durée déterminée signé par le salarié le 9 Mars 2007 ne comporte aucune définition de son motif. En application de l'article L 1242-12 du contrat de travail, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En application de l'article L 1245-2 du Code du Travail, le salarié a droit à une indemnité de requalification, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ;
L'indemnité sera en conséquence fixée à la somme de 1650 euros.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur l'indemnisation du préjudice subi du fait du défaut de visite médicale d'embauche
L'article L 4624-10 du Code du Travail énonce que le salarié doit bénéficier d'un examen médical avant l'embauche, ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai, par le médecin du travail.
En l'espèce, cette visite n'a pas eu lieu. Le salarié sollicite une indemnité de 5000 euros à ce titre sans justifier d'un préjudice précis.
Le préjudice qu'a nécessairement supporté le salarié sera indemnisé par la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 250 euros.
Sur les effets de la rupture du contrat de travail
La requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée conduit à appliquer à la rupture les règles régissant le licenciement.
L'employeur, qui a remis au salarié le 30 Juillet 2007 ses documents de fin de contrat, n'a pas rompu le contrat selon les dispositions légales applicables à la rupture d'un contrat de travail à durée indéterminée . Au surplus, le salarié était à cette date en accident du travail.
L'article L 1226-7 du Code du Travail stipule que le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident.
Or, en application de l'article L 1226-9 , au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.
Selon l'article L 1226-13, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L 1226-9 et L 1226-18 est nulle.
Tel est bien le cas en l'espèce puisque Monsieur [U] était arrêté pour accident du travail lorsque l'employeur a mis un terme au contrat de travail le 31 Juillet 2007.
Le salarié dont le licenciement est nul peut demander sa réintégration à son poste ou dans un emploi équivalent. Il a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre la rupture et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.
Si le salarié dont le licenciement est nul ne demande pas sa réintégration, il a droit, en toute hypothèse, outre les indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quelle que soit la durée de son emploi dans l'entreprise.
En l'espèce le salarié dont le contrat a été rompu le 31 Juillet2007 a d'abord opté, deux ans et demi après la rupture, devant le Conseil de Prud'hommes qu'il a saisi le 23 Février 2010, pour une demande d'indemnisation du préjudice et règlement des indemnités de rupture, avant de se raviser et d'opter le 23 Mars 2012, devant la Cour d'Appel, soit quasiment cinq ans après la rupture, pour une demande de réintégration, que l'employeur refuse.
Dans la période postérieure à la rupture, le salarié ne s'est pas manifesté auprès de son employeur pour l'informer de ce qu'il était arrivé au terme de son arrêt de travail et qu'il se tenait à sa disposition pour la reprise et l'organisation de la visite médicale nécessaire en pareil cas. Lorsqu'il a saisi la justice du contentieux de la rupture, et alors qu'il avait l'occasion d'exprimer son souhait d'être réintégré, il n'a pas choisi cette option. Il a en effet opté dans un premier temps pour la voie de l'indemnisation de son préjudice, outre les indemnités pour rupture abusive et non pour la voie de la réintégration, option à laquelle il avait implicitement renoncé.
Si cette faculté offerte au salarié de demander sa réintégration a pour finalité légitime de lui permettre de retrouver l'emploi dont il bénéficiait antérieurement à la rupture annulée, encore faut-il que ce droit soit exercé dans un délai qui ne fasse pas obstacle à l'exécution de la mesure de réintégration.
Compte tenu de la nature même de la mesure revendiquée et de ses incidences sur les charges salariales, le budget prévisionnel, l'organisation des services et la répartition de la charge de travail, a fortiori dans une petite entreprise de six salariés, il importe que cette demande soit formulée dans un délai raisonnable qui ne dépende pas du bon vouloir du demandeur , lequel ,en retardant l'expression de sa demande jusqu'à la limite de la prescription, aggrave lui même son préjudice, au risque de placer ensuite l'entreprise en péril, faute pour elle de pouvoir supporter le poids économique d'une mesure de réintégration.
En formulant la demande de réintégration pour la première fois en Mars 2012 alors que la rupture datait du 31 Juillet 2007, Monsieur [U] a excédé le délai raisonnable dans lequel il devait former une telle demande et ainsi abusé de son droit de demander la réintégration.
Il sera, pour chacun de ces motifs, débouté de sa demande de réintégration.
Monsieur [U] n'a formé aucune demande subsidiaire.
Il a seulement sollicité le paiement par l'employeur de la somme de 106 899 euros correspondant aux salaires qu'il aurait perçu entre le 31 Juillet 2007 et le 31 Décembre 2012 (mois du délibéré) outre la somme de 10689,90 euros au titre des congés payés y afférents, et ce sans fournir à la Cour le moindre élément justificatif de sa situation professionnelle depuis la rupture.
En l'état du débouté de la demande de réintégration et en restant dans les limites de sa demande chiffrée, il sera alloué à Monsieur [U] la somme de 11000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice.
Les intérêts au taux légal sur ces sommes pourront être capitalisés, conformément à la demande qui en est faite, selon les dispositions de l'article 1154 du Code Civil.
Le jugement déféré sera confirmé en ce que la SARL RENOVE AZUR a été débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive puisque que l'action en justice de Monsieur [U] était justifiée et qu'il a été fait droit, au moins partiellement, à ses demandes.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de quiconque.
Les dépens de l'instance seront supportés par la société RENOVE AZUR.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement par arrêt contradictoire en matière prud'homale
Confirme le jugement déféré en ce que le contrat à durée déterminée a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée et en ce que la SARL RENOVE AZUR a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Infirme le jugement déféré sur le quantum de l'indemnité de requalification allouée.
Statuant à nouveau,
Condamne la SARL RENOVE AZUR à payer à Monsieur [U] la somme de 1.644,60 €.
Infirme le jugement déféré en ce que Monsieur [U] a été débouté de sa demande au titre du défaut de visite médicale préalable à l'embauche.
et statuant à nouveau sur ce point,
Condamne la SARL RENOVE AZUR à payer à Monsieur [U] la somme de 250 euros en réparation du préjudice subi.
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société RENOVE AZUR à verser des sommes à Monsieur [U] en indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Statuant de nouveau sur ce point,
Dit que la rupture du contrat de travail intervenue le 31 Juillet 2007 est nulle.
Condamne la SARL RENOVE AZUR à payer à Monsieur [U] la somme de 11000 euros au titre de l'indemnisation de la rupture illicite du contrat de travail.
Dit que les intérêts au taux légal pourront être capitalisés en application de l'article 1154 du code civil.
Et ajoutant au jugement déféré,
Déboute Monsieur [U] de sa demande de réintégration.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 au profit de quiconque.
Condamne la SARL RENOVE AZUR aux dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT