COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 11 SEPTEMBRE 2012
A.V.
N° 2012/
Rôle N° 11/16993
[J] [C]
C/
L'ETAT FRANCAIS
CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Jean marie JAUFFRES
SCP COHEN GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 14 Juin 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 09/05980.
APPELANT
Monsieur [J] [C]
né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 10], demeurant [Adresse 4]
représenté par la SCP COHEN GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Jean pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
L'ETAT FRANCAIS,
prise en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor Public [Adresse 3]
représenté par Me Jean Marie JAUFFRES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Marie-laure BREU-LABESSE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE, prise en la personne de son représentant légal en exercice d omicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 2]
Défaillante
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 11 Juin 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Anne VIDAL, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président
Monsieur Jean VEYRE, Conseiller
Madame Anne VIDAL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2012
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2012,
Signé par Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Suivant acte d'huissier en date du 22 avril 2009, M. [J] [C] a fait assigner l'Etat français et la CPAM des Bouches du Rhône devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins d'obtenir le versement d'une somme de 10.000 € à titre provisionnel à valoir sur l'indemnisation de son préjudice à évaluer après expertise à la suite des violences policières qu'il disait avoir subies le 23 mars 2006 au cours d'une manifestation.
Par jugement réputé contradictoire en date du 14 juin 2011, le tribunal de grande instance de Marseille a débouté M. [J] [C] de ses demandes et a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [J] [C] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration électronique en date du 4 octobre 2011.
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M. [J] [C], aux termes de ses conclusions en date du 3 janvier 2012, demande à la cour de réformer la décision déférée et, au visa de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, de l'article 9 du décret du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police et de l'arrêt de l'Assemblée plénière de la cour de cassation du 23 février 2001, de :
Déclarer l'Agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat français tenu de réparer l'ensemble des conséquences dommageables des violences commises par les forces de l'ordre à son encontre le 23 mars 2006, et de le condamner à ce titre à lui payer une somme de 10.000 € à titre provisionnel à valoir sur son préjudice tant moral que corporel et matériel,
Désigner un expert médical avec la mission habituelle,
Condamner en outre l'Agent judiciaire du Trésor à payer une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir :
Sur la responsabilité de l'Etat : qu'il a, certes, la charge de la preuve de la faute lourde commise par les agents de police dans l'exercice de leurs fonctions, mais qu'il apporte le témoignage de M. [G] qui n'est pas moins crédible que celui des policiers qui ont cherché à se disculper mutuellement ; que les certificats médicaux viennent accréditer sa version des faits ; que l'Etat français ne démontre pas, quant à lui, qu'il aurait eu un comportement fautif de nature à justifier que les policiers utilisent la force pour l'interpeller ;
Sur le préjudice : que le Dr [W] ne pouvait, dans son certificat médical, attribuer la fracture de son bras à une chute, n'ayant pas pu vérifier lui-même les circonstances de la blessure ; que le Dr [D] a, quant à lui, constaté, le 10 avril 2006, une douleur du péroné procédant d'un hématome profond qui prouve l'intensité du coup reçu sur le bras et qui ne peut être le résultat d'une chute ; que la fracture de l'humérus gauche a été opérée mais qu'il subsiste des séquelles.
L'Agent judiciaire du Trésor, représentant l'Etat français, en l'état de ses écritures déposées le 22 février 2012, conclut à la confirmation de la décision déférée au regard des conclusions de l'enquête de l'IGPN et des certificats médicaux des Dr [S] et [B] et demande à la cour de dire que la preuve d'une faute lourde et de l'engagement de la responsabilité de l'Etat n'est pas rapportée et de débouter M. [J] [C] de toutes ses demandes. Il réclame en outre sa condamnation à lui verser une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il développe les moyens et arguments suivants :
Les gardiens de la paix qui ont procédé à l'interpellation de M. [J] [C] dans le cadre d'une opération de police judiciaire ont donné une version concordante des faits dont il résulte qu'il s'est fracturé le bras en chutant du véhicule de police dans lequel il avait été emmené, et ce, tant dans le PV initial établi le jour de l'interpellation que dans l'audition par l'IGPN deux mois plus tard ;
Les déclarations de M. [J] [C] sont contradictoires et celles de M. [G] ont varié entre son attestation, sa déposition et la confrontation et sont peu crédibles ;
Les médecins ayant examiné M. [J] [C] n'ont pas relevé d'hématomes sur le bras gauche pouvant correspondre à la marque du coup de matraque prétendu et que le Dr [W] a retranscrit dans son certificat médical les circonstances de la blessure telles qu'elle lui était relatées par son client, M. [J] [C], à savoir « dans les suites d'une chute » ;
A titre très subsidiaire, sur le préjudice, il convient de relever que M. [J] [C] a engagé son action plus de trois ans après les faits, de sorte que les constatations médicales sollicitées sont moins décisives.
La CPAM des Bouches du Rhône, bien que régulièrement assignée à personne habilitée, n'a pas comparu.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 mai 2012.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu qu'en application de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice et que sa responsabilité est engagée en cas de déni de justice ou de faute lourde prouvée par le demandeur en indemnisation ;
Qu'il appartient donc à M. [C] d'établir l'existence d'une faute lourde commise par les agents de la force publique lors de son interpellation, le 23 mars 2006, au cours d'une manifestation anti-CPE sur la Canebière, qui serait directement à l'origine du préjudice dont il se plaint, à savoir la fracture de son bras gauche et les séquelles qui en résultent ;
Attendu qu'il est utile de remarquer, de manière liminaire, qu'il n'est pas contesté que M. [C] participait à une manifestation anti-CPE sur la Canebière et qu'il avait été vu et photographié parmi les jeunes ayant jeté des pierres sur les policiers ; qu'il reconnaissait d'ailleurs avoir ramassé des cailloux au sol et les avoir jetés en direction des policiers, tout en affirmant qu'il était trop loin pour les toucher ; que c'est dans ces circonstances, qu'il a été interpellé par Mme [Y], brigadier de police de la BAC en civil ;
Attendu que le tribunal a procédé à une analyse précise, détaillée et exhaustive des déclarations faites par l'ensemble des protagonistes des faits, à savoir M. [C], le plaignant, et les trois policiers ayant procédé à son interpellation, Mme [Y], M. [F] et M. [R], ainsi que du témoignage de M. [G], ayant manifesté aux côtés de M. [C] et assisté à son arrestation ;
Que le tribunal a très justement relevé que les déclarations des trois policiers lors de l'enquête de l'IGPN étaient en parfaite cohérence entre elles et correspondaient à la relation de l'interpellation de M. [C] telle qu'elle avait été faite le jour même, le 23 mars 2008, par Mme [Y], brigadier de police, à savoir que M. [C], au moment de son interpellation par Mme [Y], s'était débattu et avait appelé à la rescousse des jeunes manifestants qui avaient pris les policiers à partie, qu'il avait été, malgré ce, conduit dans le véhicule de police sans être menotté et qu'il avait alors, en tentant de sortir du véhicule pour fuir, chuté au sol sur le bras gauche, à la suite de quoi il s'était plaint de vives douleurs à ce bras ;
Que le tribunal a noté qu'il existait au contraire des contradictions entre les déclarations de M. [C] et de son témoin, M. [G], sur le déroulement des faits ; qu'ainsi, alors que M. [J] [C] affirmait ne pas s'être débattu, son camarade indiquait que lorsque le policier femme l'avait attrapé, [J] avait essayé de se débattre, ce qui avait nécessité l'intervention d'un second policier, et que plusieurs jeunes s'étaient alors portés à hauteur de [J] [C] pour l'aider à s'échapper ; qu'il en ressort que, conformément à ce qu'ont indiqué les policiers, ceux-ci ont dû intervenir à deux pour le maîtriser et ont dû, parallèlement, faire face à l'agression de jeunes manifestants et empêcher la fuite de l'individu qu'ils interpellaient ;
Que par ailleurs, alors que M. [C] disait avoir reçu un coup de matraque qui l'aurait fait tomber au sol - ce qui était plus ou moins confirmé par M. [G] dans son attestation du 13 avril 2006 où il indiquait que le policier venu en renfort aurait attrapé le bras gauche de son camarade et lui aurait donné un coup volontaire et violent ' le témoin, lors de sa déposition auprès des services de police, revenait sur ses déclarations et relatait ne pas avoir vu le policier donner un coup de matraque à [J] [C] ; qu'il indiquait pourtant qu'il se trouvait face à son camarade, le policier se trouvant derrière lui, et déclarait avoir seulement vu qu'à la suite d'un mouvement brusque de ce policier sur [J], ce dernier était tombé au sol et avait eu la face maintenue au sol par le policier qui lui avait donné des coups au visage, ce qui, comme l'a relevé le tribunal, apparaît peu vraisemblable ;
Attendu que le tribunal a également fait une analyse minutieuse des certificats médicaux successifs établis :
- le premier par le Dr [S] à l'arrivée de M. [C] au commissariat de police, notant le handicap de naissance de celui-ci au bras gauche (lésion du plexus brachial) et constatant la lésion survenue au cours de l'interpellation et analysée alors comme une luxation du coude gauche, à l'exclusion de toute autre lésion ou hématome,
- le deuxième par le Dr [B], lors de l'arrivée de M. [C] à l'hôpital de [8], le 23 mars 2006 à 15h30, diagnostiquant une fracture de la diaphyse humérale gauche nécessitant une intervention chirurgicale, une contusion à l'arcade gauche et une dermabrasion à l'oreille droite ainsi qu'une contusion à l'avant-bras droit (et non au bras gauche),
- le troisième par le Dr [W], le 27 mars 2006, qui indiquait avoir pris en charge M. [C] pour une fracture fermée du tiers inférieur de la diaphyse humérale gauche 'survenue dans les suites « d'une chute de sa hauteur »', et n'avoir constaté aucune trace de traumatisme direct au niveau cutané,
- le quatrième du Dr [D], en date du 10 avril 2006, relatant avoir fait pratiquer une radiographie à la suite de la plainte du patient concernant une « douleur exquise médio péroné G » dont il indiquait qu'à défaut de fracture constatée, « il devait s'agir d'un hématome profond et la douleur est aujourd'hui diminuée. » ;
Qu'il en ressort qu'aucun hématome n'a été constaté au niveau du bras gauche sur lequel le coup de matraque aurait prétendument été porté, le seul hématome relevé étant sur l'avant-bras droit et pouvant résulter des conditions d'interpellation de M. [C] alors qu'il se débattait ; qu'il en résulte également que M. [C] lui-même, dans ses déclarations à son médecin traitant, le Dr [W], a indiqué que la fracture était survenue « dans les suites d'une chute de sa hauteur », le médecin ayant indiqué cette cause entre guillemets, faisant ainsi ressortir qu'il s'agissait des déclarations qui lui étaient faites ;
Attendu qu'au regard des déclarations contradictoires de M. [C] et de son témoin et des constatations médicales sus-analysées, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que le demandeur ne justifiait pas que la fracture de son bras gauche était le résultat de violences policières commises sur sa personne et pouvant constituer de la part des agents de police ayant procédé à son interpellation une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Que le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire,
en matière civile et en dernier ressort,
Déboute M. [C] de son appel et confirme le jugement du tribunal de grande instance de Marseille déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [C] à payer à l'Etat français une somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Le condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT