COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 21 JUIN 2012
N°2012/
Rôle N° 10/14156
S.A.R.L. EXPRIMER
C/
[O] [B]
Grosse délivrée le :
à :
Me Jean-pierre RAYNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 22 Juin 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 08/688.
APPELANTE
S.A.R.L. EXPRIMER, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Jean-pierre RAYNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [O] [B], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne assisté de Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte BERTI, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2012
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [B] a été employé par la société EXPRIMER en qualité d'infographiste à compter du 25 juillet 2005 suivant contrat de travail à durée déterminée puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 septembre 2005. A compter du 1er octobre 2006, il a été promu responsable studio, statut cadre. Il a été licencié le 28 octobre 2008 pour une cause réelle et sérieuse.
Suivant jugement rendu le 22 juin 2010 le conseil de prud'hommes d'AIX-EN-PROVENCE a :
Requalifié le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée
Confirmé l'avertissement en date du 18 avril 2008
Dit le licenciement de M. [B] sans cause réelle et sérieuse
Condamné la société EXPRIMER à payer à M. [B] les sommes de :
- 2.362 € à titre d'indemnité de requalification
- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
Débouté les parties pour le surplus et autres demandes
La société EXPRIMER a relevé appel de cette décision par acte du 20 juillet 2010 dont la régularité n'est pas contestée.
Vu les conclusions de la société EXPRIMER développées oralement à l'audience par lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter M. [B] de toutes ses demandes et de lui allouer la somme de 1.000 € pour frais irrépétibles.
Vu les conclusions de M. [B] développées oralement à l'audience par lesquelles il est demandé à la cour de :
« Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence du 22 juin 2010 en ce qu'il a :
- Dit et jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Requalifié le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ;
- Condamné la société EXPRIMER au paiement de la somme de 2.362 € à titre d'indemnité de requalification ;
Réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence du 22 juin 2010 pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que la rupture du contrat est nul et de nul effet ;
- Dire et juger que la société EXPRIMER a abusé de son pouvoir disciplinaire ;
- Prononcer l'annulation de l'avertissement en date du 18 avril 2005 ;
- Dire et juger que la société EXPRIMER a exécuté de manière lourdement fautive le contrat de travail de [O] [B]
En conséquence,
- Condamner la Société EXPRIMER à payer et à porter à [O] [B], les sommes suivantes :
- 36.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique ;
- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution lourdement fautive du contrat de travail ;
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire ;
A titre subsidiaire et en toute hypothèse,
- Dire et juger que le licenciement de [O] [B] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;
- Dire et juger que la société EXPRIMER a abusé de son pouvoir disciplinaire ;
- Prononcer l'annulation de l'avertissement en date du 18 avril 2005 ;
- Dire et juger que la société EXPRIMER a exécuté de manière lourdement fautive le contrat de travail de [O] [B].
En conséquence,
- Condamner la Société EXPRIMER à payer et à porter à [O] [B], les sommes suivantes :
- 36.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 15.000,00 € en réparation du préjudice moral;
- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution lourdement fautive du contrat de travail ;
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire ;
- 1.021,44 € à titre de rappel des majoration d'heures supplémentaires ;
- 102,14 € à titre d'incidence congés payés;
En toute hypothèse,
- 236,56 € à titre de remboursement des frais d'huissiers engagés pour exécuter le jugement du Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence du 22 juin 2010 ;
- 2.000 € au titre de l'article 700 du NCPC ;
- Dire et juger, qu'à défaut de règlement spontanée des condamnations prononcées par le jugement à intervenir et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la Société EXRPIMER, en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Ordonner la rectification des documents de fin de contrat soit astreinte de 100 € par jour de retard et par document manquant à compter de la notification du jugement »
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de requalification :
Par une exacte analyse des faits et une juste application du droit, les premiers juges ont requalifié le contrat de travail à durée déterminée en cause en un contrat de travail à durée indéterminée et ont alloué à M. [B] la somme de 2.362 € à titre d'indemnité de requalification ;
Sur les heures supplémentaires :
A compter du 1er octobre 2006, la rémunération de M. [B] a été fixée à hauteur de 2.700 € pour un horaire mensuel de 169 heures ;
Au vu des bulletins de salaire, les heures entre la 35ème et la 39ème heure, ne font l'objet d'aucune majoration pour heures supplémentaires ;
Il y a donc lieu de faire droit à la demande en paiement, qui n'est d'ailleurs pas contestée, selon décompte exactement effectué par l'intéressé, qui ne fait non plus l'objet d'aucune contestation, à hauteur de 1.021,44 € outre 102,14 € de congés payés y afférents ;
Sur le harcèlement :
M. [B] soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral à l'arrivée en fonction de M. [G], son supérieur hiérarchique, en début d'année 2008 ;
A l'appui de sa position, M. [B] produit les témoignages suivants :
Mme [U], secrétaire, « Vers la mi-mars 2008, et du jour au lendemain, la direction a décidé de lui faire déménager ses affaires et de le changer de bureau pour y mettre à la place, Monsieur [J], directeur de création chez EXPRIMER' Du jour au lendemain, et sans aucune autre forme de procès, Monsieur [B] n'a plus eu aucun pouvoir de décision sur le travail effectué par son équipe Hiérarchiquement, la direction a fait passer M. [B] de chef de studio à simple infographiste sans aucune explication et entente préalable à ma connaissance. C'est, par ailleurs, la « brutalité» et la rapidité de cette décision qui m'ont le plus choquée » ;
Mme [W], graphiste : « En quelques semaines, Monsieur [B] a été démis de la plupart de ses fonctions de responsable de studio et son poste physique remplacé par autrui » ;
Mme [T], chef de publicité : « La Direction a d'un seul coup changé d'attitude à son égard, réprimande sur la qualité de son travail, propos agressifs devant tout le monde, installation de son poste de travail avec celui des membres de son équipe et son ancien poste occupé par le directeur de création sans en avoir été prévenu en amont, diminution de ses responsabilités' » ;
M. [B] ajoute qu'il a fait l'objet d'un avertissement le 18 avril 2008 pour manquements professionnels, pour manque de respect à l'égard de M. [J] et pour des rapports négatifs avec son équipe, griefs que l'intéressé conteste formellement ;
M. [B] fait valoir que les pressions qu'il a subies ont porté atteinte à son état de santé ;
M. [B] s'est trouvé en position d'arrêt de travail pour maladie du 13 au 30 mars 2008 puis du 5 mai au 31 août 2008 ;
Au vu des ces éléments d'information, M. [B] établit des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
La société EXPRIMER fournit une lettre de la société ODIS du avril 2008 qui se plaint de l'exécution du dernier catalogue, diverses plaquettes publicitaires, un courriel de M. [J] du 5 mai 2008 qui se plaint d'avoir à corriger de multiples erreurs d'exécution, un courriel du 5 septembre 2008 de la société KAUFMAN ET BROAD qui se plaint de problèmes de qualité sur les documents produits par la société EXPRIMER ;
Ces divers éléments ne permettent pas de justifier l'avertissement susvisé en ce que les erreurs dont il est fait état ne peuvent être imputées de manière certaine à M. [B], les reproches adressés par ailleurs quant au manque de respect et aux rapports négatifs avec l'équipe n'étant d'aucune manière avérés ;
La société EXPRIMER fournit également le témoignage de M. [J] qui ne saurait emporter la conviction de la cour comme portant des considérations de nature subjective sur l'intéressé à savoir « En, 2008 des congés lui ont été refusés à cause d'une charge de travail importante lui incombant. M. [B] a très mal pris de refus et a transformé celui-ci en maladie. » ;
Le témoignage de M. [Z] confirme qu'il existait une situation conflictuelle entre M. [B] et M. [G] préjudiciable à la qualité du travail au sein de l'entreprise ;
De même, le courrier adressé le 11 mai 2007 par le directeur de groupe à M. [B] confirme que la méthode de management de M. [G] était sujette à caution : « Nous lui avons donc demandé (M. [G]) également un effort de self control dans son management » ;
La situation de harcèlement subie par M. [B] ayant eu pour effet d'altérer sa santé est donc suffisamment établie ;
Dès lors, l'avertissement susvisé est annulé ;
Les « nouvelles erreurs professionnelles » reprochées à l'appui du licenciement de l'intéressé ne sont pas plus avérées et ledit licenciement, résultant en réalité de la situation de harcèlement telle que retenue, est également frappé de nullité ;
Doit en découler l'infirmation du jugement entrepris ;
Compte tenu de l'ancienneté de M. [B], de son âge (né en 1967) et des justificatifs produits quant à l'indemnisation perçue de POLE EMPLOI, il convient d'allouer à l'intéressé la somme de 35.000 € en réparation de l'intégralité du préjudice subi par celui-ci en raison de la nullité de son licenciement et en application des dispositions des articles L 1132-1 et L 1132-4 du code du travail ;
Il n'y a pas lieu à dommages et intérêts complémentaires pour exécution fautive du contrat de travail et pour usage abusif du pouvoir disciplinaire ;
La société EXPRIMER devra remettre à M. [B] les documents de fin de contrat sans qu'il y ait lieu à astreinte ;
La demande au titre des frais d'exécution non engagés et postérieurs au présent arrêt est rejetée en application des dispositions de l'article 11 2° du décret du 8 mars 2001.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
- Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension,
- Annule l'avertissement en date du 18 avril 2008,
- Dit que le licenciement de M. [B] est nul,
- Condamne la société EXPRIMER à payer à M. [B] les sommes de :
- 2.362 € à titre d'indemnité de requalification
- 1.021,44 € à titre de rappel d'heures supplémentaires outre 102,14 € de congés payés y afférents
- 35.000 € à titre de dommages et intérêts
- Dit que la société EXPRIMER devra remettre à M. [B] les documents de fin de contrat,
- Dit n'y avoir lieu à astreinte,
- Déboute M. [B] du surplus de ses demandes,
- Condamne la société EXPRIMER à payer à M. [B] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société EXPRIMER,
- Condamne M. [B] aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution du jugement entrepris.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT