COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 19 JUIN 2012
N°2012/518
Rôle N° 11/04637
Société CBC
C/
[T] [M]
Grosse délivrée le :
à :
Me Eric HOULLIOT, avocat au barreau de TOULON
Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON
Copie délivrée
le :
à :
Pôle Emploi - [Adresse 5]
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de TOULON en date du 08 Février 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 09/523.
APPELANTE
Société CBC ayant pour nom commercial COMPTOIRS DES BOIS & CONTREPLAQUES, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Eric HOULLIOT, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Alexis KIEFFER, avocat au barreau de TOULON
INTIME
Monsieur [T] [M], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Monsieur Alain BLANC, Conseiller
Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2012
Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller pour le Président empêché, et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Embauché par la SNC Comptoir des Bois et Contreplaqués en qualité d'opérateur machine outil, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1996, placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 3 mars 2005, Monsieur [T] [M] a été licencié pour faute grave par lettre du 20 mars 2008.
Par requête déposée le 29 avril 2009, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer plusieurs sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité pour frais irrépétibles.
Déclarant au cours de l'instance qu'il prenait acte de son licenciement dont il ignorait l'existence, du fait que la lettre de notification avait sans doute été retirée par sa mère qui n'avait pas toute sa lucidité, Monsieur [M] a modifié ses demandes en conséquence.
Par jugement de départage du 8 février 2011, le conseil de prud'hommes a dit que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes, outre à la remise d'une attestation Assedic, d'un bulletin de salaire et d'un certificat de travail conformes :
indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 29/04/092.647,20 €
indemnité compensatrice de préavis (id.) 2.522,26 €
congés payés afférents (ibid.) 252,26 €
dommages-intérêts 7.566,78 €
article 700 du code de procédure civile 1.200,00 €
Le conseil de prud'hommes a en outre condamné l'employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois.
La société C.B.C. a interjeté appel de ce jugement le 7 mars 2011.
Faisant grief au jugement déféré d'avoir considéré qu'elle aurait dû organiser une visite de reprise, alors qu'en violation des dispositions de l'article 42 de la convention collective applicable, le salarié avait cessé de justifier de son absence depuis le 2 février 2008, n'avait réclamé aucun des deux courriers recommandés qui lui avaient été adressés le 18 février 2008 et le 25 février 2008, ne lui avait pas notifié la fin de son arrêt de travail et n'avait jamais manifesté une quelconque intention de reprendre son poste, la société appelante a fait soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites dans lesquelles elle demande à la cour d'infirmer cette décision, de débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à payer la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Répliquant essentiellement qu'il était en arrêt de travail pour maladie depuis trois ans, que la société C.B.C. ne pouvait donc pas ignorer qu'il ne percevait plus les indemnités journalières de sécurité sociale, qu'ayant été informé de son placement en invalidité lors de l'entretien préalable, l'employeur aurait dû le faire convoquer par la médecine du travail et qu'il n'était donc pas en situation d'absence injustifiée, le salarié intimé a fait plaider des conclusions écrites dans lesquelles il sollicite la confirmation de la première décision en ce qu'elle a dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais son infirmation pour le surplus et la condamnation de la société appelante à lui payer les sommes suivantes :
mise à pied conservatoire 972,00 €
congés payés afférents 97,20 €
indemnité de préavis (2 mois) 3.072,00 €
congés payés sur préavis 307,20 €
indemnité légale de licenciement 3.900,00 €
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 15.000,00 €
article 700 du code de procédure civile 3.588,00 €
MOTIFS DE L'ARRÊT
- sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office.
- sur la cause du licenciement
Conformément à l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.
En l'espèce, Monsieur [M], convoqué par lettre du 3 mars 2008, lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, à un entretien préalable fixé au 17 mars 2008, a été licencié par lettre adressée le 20 mars 2008 et reçue le 4 février 2008, ainsi motivée :
'En date du 3 mars 2008, vous avez été validement convoqué à un entretien préalable au licenciement le 17 mars 2008.
Au cours de notre entretien nous vous avons fait part du fait que nous étions depuis le 2 février face à une absence injustifiée de votre part.
Nous vous avions signifié par lettre recommandée du 25 février une mise en demeure de reprendre le travail que vous n'êtes pas allé chercher.
Nous vous avons donc signifié le 3 mars une mise à pied à titre conservatoire jusqu'au 31 mars afin de nous mettre en conformité par rapport à votre absence.
Lors de l'entretien préalable au cours duquel vous avez été assisté par Monsieur [D] (délégué du personnel), vous avez admis ces différents éléments et mis en avant votre volonté de mettre un terme au contrat de travail qui nous lie.
Nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement.
A compter de la réception de la présente, vous ne ferez plus partie du personnel.
Votre solde de tout compte sera quérable en nos bureaux dès le 31 mars 2008.'
Bien que la faute grave ne soit pas expressément invoquée dans cette lettre, il n'est pas discuté que le licenciement a bien été prononcé pour une telle faute, le salarié s'étant vu notifier la rupture immédiate de son contrat de travail.
L'article 42 de la convention collective nationale du travail mécanique du bois, des scieries, du négoce et de l'importation des bois du 28 novembre 1955, applicable au contrat de travail, est ainsi libellé :
'Toute absence doit donner lieu de la part du salarié à une notification motivée adressée à l'employeur dans le plus court délai. Sauf cas de force majeure, cette notification doit être parvenue à l'employeur dans les trois jours.
Dans les cas d'absences prévisibles, le salarié doit en aviser son employeur.
La justification de la maladie ou de l'accident par certificat médical pourra être exigée pour les absences de plus de quatre jours.
Après une absence justifiée dépassant trois mois, l'ouvrier devra prévenir son employeur trois jours avant la date de son retour au travail.'
Pour preuve du grief d'absence injustifiée fondant ce licenciement, l'employeur produit ses deux courriers recommandés A.R. adressés les 18 et 25 février 2008 et retournés avec la mention 'non réclamé', indiquant à Monsieur [M] que son absence n'était plus justifiée depuis le 2 février 2008, dès lors que son dernier arrêt de travail se terminait le 1er février 2008 inclus, et le mettant en demeure de transmettre un nouveau certificat (1ère lettre) et à défaut, de reprendre le travail (2ème lettre).
L'employeur communique en outre une attestation de Monsieur [D], délégué du personnel ayant assisté le salarié lors de l'entretien préalable au licenciement, assurant que celui-ci 'a reconnu les faits qui lui (étaient) reprochés et notamment son absence injustifiée depuis le 2 février 2008', 'a fait part de sa volonté de mettre fin à son contrat de travail pour en trouver un autre', et 'a demandé qu'à l'éventuel prononcé du licenciement, les documents du solde de tout compte soient tenus à sa disposition dans l'entreprise et non envoyés afin de les obtenir plus vite pour un autre travail.'
Contestant ce témoignage, mais reconnaissant qu'il s'est abstenu de justifier son absence à l'issue de son dernier arrêt de travail expirant le 2 février 2008, ce qui caractérise une violation de ses obligations résultant des dispositions conventionnelles précitées, Monsieur [M] fait valoir de manière inopérante que l'employeur ne pouvait pas ignorer qu'après un délai de trois années, les indemnités journalières ne sont plus versées aux salariés, que 'plus aucun arrêt ne lui était prescrit', qu'il a informé l'employeur de son placement en invalidité lors de l'entretien préalable et qu'il appartenait à celui-ci d'organiser une visite de reprise, alors qu'il résulte du courrier qui lui a été adressé par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Var, dès le 28 septembre 2007, que 'les trois ans prévus à l'article 323-1 du code de la Sécurité Sociale (venaient) à expiration le 03/03/2008', que son classement en invalidité de première catégorie, à compter du 1er février 2008, ne lui a été notifié que postérieurement à l'entretien préalable, par une lettre de la C.P.A.M. en date du 7 avril 2008, qu'il ne justifie pas ni même ne prétend avoir informé l'employeur de cette demande de classement et qu'il n'allègue pas davantage avoir sollicité la visite de reprise prévue aux articles R. 4622-21 et R. 4622-22 du code du travail, ni avoir manifesté d'une manière quelconque sa volonté de reprendre le travail.
Si elle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, cette seule absence de justification ne rendait toutefois pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, dès lors que l'employeur avait été informé de l'arrêt de travail initial et de ses prolongations successives par la remise de certificats médicaux.
Le jugement qui a dit que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse sera infirmé en ce sens.
- sur ses conséquences
La suspension du contrat de travail s'étant poursuivie pour un motif non imputable à l'employeur, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, mais infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.
Ce jugement sera par ailleurs confirmé sur l'indemnité de licenciement, dont l'employeur ne discute pas le montant, mais infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.
Enfin, l'employeur devra remettre au salarié un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de sa notification.
- sur la demande reconventionnelle du chef de procédure abusive
La preuve d'une faute commise par le salarié dans l'exercice de son droit d'agir en justice et de son droit d'appel n'étant pas rapportée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande de ce chef et celle-ci sera pareillement rejetée en cause d'appel.
- sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait application de ces dispositions au profit du salarié et ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens.
Les demandes des parties sur ce fondement en cause d'appel seront rejetées et chaque partie supportera la charge de ses propres dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,
Reçoit l'appel,
Infirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, à l'indemnité de licenciement, à la demande reconventionnelle du chef de procédure abusive, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Statuant de nouveau des autres chefs et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Monsieur [M] est justifié par une cause réelle et sérieuse ne constituant pas une faute grave,
Déboute Monsieur [M] de ses demandes à titre d'indemnités de préavis, de congés payés y afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que l'employeur devra remettre au salarié un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié et dit qu'une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe à Pôle Emploi - [Adresse 5],
Déboute la société C.B.C. de sa demande du chef de procédure abusive en cause d'appel,
Rejette les demandes des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel,
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel.
LE GREFFIER. LE CONSEILLER,
POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ.