COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 05 JUIN 2012
N°2012/477
Rôle N° 11/02895
[W] [G]
[F] [H]
C/
[Q] [P]
Grosse délivrée le :
à :
Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON
Me Catherine MEYER ROYERE, avocat au barreau de TOULON
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de TOULON en date du 21 Janvier 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 08/1318.
APPELANTS
Monsieur [W] [G], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Jeremy VIDAL, avocat au barreau de TOULON
Madame [F] [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Jeremy VIDAL, avocat au barreau de TOULON
INTIMÉ
Monsieur [Q] [P]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2011/005856 du 25/05/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX EN PROVENCE), demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Catherine MEYER ROYERE, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Monsieur Alain BLANC, Conseiller
Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juin 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juin 2012
Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller pour le Président empêché, et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 31 août 2006, Monsieur [P] a signé avec Monsieur [G] et Madame [H] un contrat de location d'un appartement situé dans une villa à [Localité 1], prévoyant qu'il ne paierait pas le loyer moyennant l'exécution de certains travaux.
Par requête reçue le 2 décembre 2008 et conclusions ampliatives, Monsieur [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon afin de voir constater l'existence d'un contrat de travail et voir condamner Monsieur [G] et Madame [H] à lui payer plusieurs sommes à titre de rappel de salaires et congés payés, d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement abusif et irrégulier et d'indemnité pour travail dissimulé, outre une indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement de départage du 21 janvier 2011, le conseil de prud'hommes, rejetant l'exception d'incompétence soulevée par les défendeurs, a requalifié la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée, a dit que la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné Monsieur [G] et Madame [H] au paiement des sommes suivantes, ainsi qu'à la remise des documents sociaux conformes :
rappel de salaire brut du 31/08/06 au 13/01/09 35.286,58 €
indemnité de congés payés 2.486,88 €
indemnité pour licenciement irrégulier et abusif 3.000,00 €
indemnité de préavis 1.321,02 €
congés payés afférents 132,10 €
indemnité pour travail dissimulé 7.926,12 €
article 700 du code de procédure civile 1.000,00 €
Le 15 février 2011, Monsieur [G] et Madame [H] ont interjeté appel de ce jugement dont il ont sollicité l'annulation, au motif qu'il avait statué sur le fond du litige, alors que l'affaire n'avait été plaidée que sur la compétence de la juridiction prud'homale.
Par ordonnance de référé du 30 mai 2011, l'exécution provisoire de droit attachée au jugement entrepris a été suspendue.
Aux termes de leurs conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, les appelants demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de dire que les parties n'ont pas été liées par un contrat de travail mais par un bail d'habitation, qu'en conséquence seul le Tribunal d'instance de Toulon est compétent pour connaître du litige et, vu l'article 79 du code de procédure civile, de condamner Monsieur [P] à leur payer la somme de 14.055 € à titre de rappel de loyers et charges, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2009, date du commandement délivré par la SCP MERIC-THEVENIN.
Subsidiairement, si la cour devait faire droit à la demande de rappel de salaires, ils demandent de déduire de la somme allouée le montant de l'évaluation forfaitaire de l'avantage en nature prévue par la convention collective des salariés du particulier employeur, de débouter Monsieur [P] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive en l'absence de justification d'un préjudice, de rejeter la demande d'indemnité pour travail dissimulé en raison de leur bonne foi, de dire qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la remise des bulletins de paie d'août 2006 à septembre 2009, sauf très subsidiairement à dire qu'un seul bulletin de paie pourra être établi, et en tout état de cause, de condamner l'intimé à payer la somme de 5.980 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Répliquant dans ses conclusions écrites plaidées à l'audience que les parties ont bien été liées par un contrat de travail et que la rupture de ce contrat est irrégulière et abusive, Monsieur [P] demande à la cour de confirmer partiellement le jugement entrepris et de condamner les appelants au paiement des sommes suivantes, outre à la remise des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte de 75 € par jour de retard :
rappel de salaire brut du 31/08/06 au 13/01/09 33.812,58 €
(déduction faite de l'avantage en nature fixé à 67 € par mois)
congés payés afférents 3.381,25 €
dommages et intérêts pour rupture abusive 7.926,12 €
indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement 1.321,02 €
indemnité de préavis 1.321,02 €
congés payés sur préavis 132,10 €
indemnité forfaitaire pour travail dissimulé 7.926,12 €
article 700 du code de procédure civile 3.500,00 €
MOTIFS DE L'ARRÊT
- sur l'annulation du jugement
Il résulte des pièces versées aux débats et des écritures concordantes des parties que la formation de départage du conseil de prud'hommes a statué sans avoir invité les parties à s'expliquer sur le fond, seule ayant été débattue la question relative à la compétence.
Le jugement sera donc annulé.
- sur l'existence d'un contrat de travail
Le contrat de travail est celui par lequel une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l'accomplissement d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
En l'espèce, il est stipulé à l'annexe du 'contrat de location' signé par les parties le 31 août 2006, au visa de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :
- que 'Monsieur [P] [Q] s'engage à effectuer les travaux suivants : aménager la salle de bains sous sol pour son logement ; cloison de séparation entre les 2 appartements ; mettre un évier en place dans la cuisine appartement 2 ; aménager le salon séjour appartement 2 ; diverses interventions selon les pannes dans l'ensemble de la villa' ;
- '(qu') en conséquence, il ne payera pas le loyer de sa location pendant la première année, soit 600 € mensuel charges comprises' ;
- '(qu') ensuite pour bénéficier de cet avantage de non règlement de son loyer, Monsieur [P] [Q] s'engage à effectuer les travaux suivants : nettoyer le terrain 2 fois par an dans les parties communes ; l'entretien de la piscine (moteur, produit) ; l'entretien de sa partie extérieure (terrasse, jardin) ; de gérer l'ensemble de la propriété sur les divers travaux à effectuer avec l'accord des propriétaires'.
Dans une lettre du 16 juillet 2008, Monsieur [G] et Madame [H] ont indiqué à Monsieur [P] qu'à leur arrivée de La Réunion (où ils étaient domiciliés), ils avaient constaté 'plusieurs anomalies', formulées dans les termes suivants : '1) la piscine que vous avez vidée pour nettoyage et diverses réparations dues à des fuites n'est toujours pas réparée au niveau des fuites - 2) les terrasses autour de la piscine n'ont pas été nettoyées - 3) le jardin n'a pas été suffisamment entretenu.'
Se plaignant par ailleurs d'une consommation excessive et non justifiée d'électricité, ils l'ont mis en demeure de régler un tiers des charges de la villa, celle-ci étant divisée en trois logements, soit la somme de 798,66 €, et ils lui ont fait part de leur intention de vendre la propriété en lui notifiant un préavis de trois mois.
Par lettre du 13 octobre 2008, lui faisant grief de ne plus honorer son contrat puisqu'il n'effectuait 'plus aucun travail sur la propriété', ils l'ont mis en demeure de régler la somme de 1.035 €, déduction faite de certaines factures, et de quitter les lieux comme prévu avant fin octobre 2008, en ajoutant : 'Il n'y a aucune raison pour que vous continuiez à occuper notre logement gratuitement et sans contrepartie.'
Outre ces correspondances, Monsieur [P] verse aux débats plusieurs factures de matériels et matériaux divers, datées d'août à octobre 2006, des photographies et plusieurs attestations confirmant la réalité et l'ampleur des travaux d'aménagement et d'entretien qu'il a accomplis sur la propriété, et dans lesquelles les témoins le présentent comme 'gardien' ou 'homme à tout faire', une occupante, Madame [B], ajoutant qu'aux dires du propriétaire, c'est à lui qu'elle devait s'adresser pour toute question relative à l'entretien.
Il résulte ainsi des termes mêmes du contrat, ainsi que des correspondances, attestations et autres pièces versées aux débats :
- que les travaux confiés à Monsieur [P], moyennant la fourniture d'un appartement, ne concernaient pas seulement son logement, mais 'l'ensemble de la propriété', et présentaient en outre un caractère habituel s'agissant de l'entretien, en sorte qu'ils dépassaient manifestement le cadre de ceux prévus par les dispositions de l'article 6 a) de la loi du 6 juillet 1989 dont les propriétaires appelants ne sont pas fondés à se prévaloir ;
- que Monsieur [G] et Madame [H] avaient le pouvoir de donner des ordres et des directives à Monsieur [P], de contrôler l'exécution de son travail et de sanctionner ses manquements, comme le révèlent les lettres précitées démontrant qu'il était placé sous leur subordination.
L'existence d'un contrat de travail étant ainsi établie, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige.
- sur le rappel de salaires et congés payés
Quand bien même Monsieur [G] et Madame [H] ont adressé à Monsieur [P] de nouvelles correspondances, le 13 octobre 2008, afin de le mettre en demeure de payer les charges et de quitter les lieux avant la fin du mois courant, et le 13 janvier 2009, afin de l'informer du non-renouvellement de son bail expirant le 30 août 2009, il n'en demeure pas moins que la relation de travail a été rompue dès la lettre du 16 juillet 2008, dans laquelle, après avoir formulé divers griefs à son encontre, ils lui ont indiqué : 'les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas convaincues', et l'ont mis en demeure de quitter les lieux avant le 31 octobre 2008.
Au demeurant, Monsieur [P] indique lui-même dans ses écritures que la forme de ce courrier est 'digne d'une lettre de licenciement.'
En conséquence, la demande de rappel de salaires bruts, présentée sur la base du SMIC, est justifiée pour la période du 1er septembre 2006 au 16 juillet 2008, à hauteur de :
(1.254,28 € x 10 ms) + (1.280,07 € x 10 ms) + (1.308,88 € x 2 ms) + (1.321,02 €/2) = 28.621,77 €.
En application des dispositions de la convention collective des salariés du particulier employeur, applicable en l'espèce comme en conviennent subsidiairement les appelants, il y aura lieu de déduire de l'équivalent net de cette somme celle de 67 € x 22,5 ms = 1.507,50 €.
L'indemnité de congés payés s'établit à la somme brute de 2.862,18 €.
- sur la cause de la rupture
L'article 12 de la convention collective applicable prévoit que le contrat de travail peut être rompu par l'employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse et que la lettre de licenciement doit préciser clairement le ou les motifs de licenciement.
En l'espèce, si elle s'analyse en une lettre de licenciement, la lettre du 16 juillet 2008 ne fait nullement état d'une telle mesure et ne satisfait donc pas aux dispositions conventionnelles.
Au surplus, les griefs invoqués ne sont justifiés par aucun élément de preuve.
Partant, ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- sur ses conséquences
Conformément à la demande, l'indemnité de préavis d'un mois de salaire s'établit à 1.321,02 €,
et l'indemnité de congés y afférents à 132,10 €.
Monsieur [P] ne communique aucun élément sur sa situation postérieure à la rupture de la relation contractuelle.
Le préjudice qu'il a toutefois nécessairement subi du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse sera réparé par une somme de 1.321,02 € sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail.
- sur l'inobservation de la procédure de licenciement
Le non-respect de la procédure prévue à l'article 12 de la convention collective, prévoyant notamment la tenue d'un entretien préalable au licenciement, a nécessairement causé au salarié un préjudice qui sera réparé par une somme de 500 € à titre de dommages et intérêts.
- sur la remise des documents sociaux
Monsieur [G] et Madame [H] devront remettre à Monsieur [P] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi mentionnant un emploi d'hommes toutes mains, conformément au présent arrêt, dans le délai de deux mois à compter de sa notification, sous astreinte de 20 € par jour de retard.
- sur le travail dissimulé
L'article L. 8223-1 du code du travail prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié dont l'emploi a été dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois, la preuve de l'intention de l'employeur de se soustraire à la formalité de la déclaration préalable à l'embauche et à l'obligation de délivrer des bulletins de paie, qui ne peut résulter de la seule qualification erronée du contrat signé par les parties, n'est pas suffisamment rapportée en l'espèce.
En conséquence, cette demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,
Reçoit l'appel,
Annule le jugement déféré,
Statuant de nouveau sur le tout,
Dit que Monsieur [G] et Madame [H] ont été liés à Monsieur [P] par un contrat de travail à durée indéterminée soumis à la convention collective des salariés du particulier employeur pendant la période du 1er septembre 2006 au 16 juillet 2008,
Dit que le licenciement, prononcé par lettre du 16 juillet 2008, est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne Monsieur [G] et Madame [H] à payer à Monsieur [P] les sommes suivantes :
rappel de salaires bruts 28.621,77 €
congés payés afférents 2.862,18 €
indemnité compensatrice de préavis 1.321,02 €
congés payés afférents 132,10 €
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 1.321,02 €
dommages-intérêts pour inobservation de la procédure de licenciement 500,00 €
frais irrépétibles de 1ère instance et d'appel (art. 700 C.P.C.) 1.500,00 €
Dit que la somme de 1.507,50 € sera déduite de l'équivalent net de celle de 28.621,77 € allouée à titre de rappel de salaires bruts,
Dit que Monsieur [G] et Madame [H] devront remettre à Monsieur [P] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi mentionnant un emploi d'hommes toutes mains, conformément au présent arrêt, dans le délai de deux mois à compter de sa notification, sous astreinte de 20 € par jour de retard.
Déboute Monsieur [P] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,
Rejette la demande de Monsieur [G] et Madame [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel,
Condamne Monsieur [G] et Madame [H] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER. LE CONSEILLER,
POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ.