COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 22 MAI 2012
J.V
N°2012/
Rôle N° 11/12073
[L] [F]
C/
[X] [W]
Grosse délivrée
le :
à :la SCP ERMENEUX CHAMPLY-LEVAIQUE
la SCP MAYNARD - SIMONI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 10 Mai 2011 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 10/69.
APPELANT
Maître [L] [F]
né le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
représenté par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Nikita SICHOV, avocat au barreau de GRASSE
INTIME
Monsieur [X] [W]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
représenté par la SCP MAYNARD SIMONI, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Alexandra SCHULER, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2012 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean VEYRE, Conseiller, et Madame Anne VIDAL, Conseiller, chargés du rapport.
Monsieur Jean VEYRE, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président
Monsieur Jean VEYRE, Conseiller
Madame Anne VIDAL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2012.
Signé par Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement rendu le 10 mai 2011 par le Tribunal de Grande Instance de GRASSE dans le procès opposant Monsieur [X] [W] à Maître [L] [F],
Vu la déclaration d'appel de Maître [F] du 7 juillet 2011,
Vu les conclusions déposées par Monsieur [W] le 1er décembre 2011,
Vu les conclusions déposées par Maître [F] le 30 janvier 2012,
SUR CE
Attendu que suivant acte du 17 mars 2003, Monsieur [W] a offert à Monsieur [N] d'acquérir les 500 parts composant le capital de la SARL LE POLICHINEL moyennant le prix de 23.782 euros et le remboursement du compte courant de Monsieur [N] pour un montant de 83.847 euros comptant le jour de la cession et le solde de 7622 euros en 5 mensualités ; que la cession de parts sociales a été reçue le 22 avril 2003 par Maître [F], avocat, qui a établi l'acte de cession, ainsi qu'un acte de garantie de passif aux termes duquel Monsieur [N] indiquait qu'il ne connaissait aucun passif, dette ou obligation quelconque échu ou à échoir éventuel ou autre ne figurant pas dans les comptes y compris les engagements hors bilan, que la société LE POLICHINEL était titulaire d'un bail commercial établi le 28 janvier 1991 pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 1991 avec cette précision qu'il n'était dû aucun arriéré ou charges et qu'aucune sommation d'exécuter l'une quelconque des charges et conditions du bail ni aucun congé ou dénonciation du droit à la location n'avaient été délivrées par le bailleur, avec qui il n'existait aucun différend ;
Attendu que Monsieur [W] recherche la responsabilité de Maître [F] à qui il reproche d'avoir manqué à ses obligations en ne vérifiant pas la validité du bail commercial de la SARL LE POLICHINEL, et le montant du solde dû au titre des échéances du crédit vendeur, ou des autres créances non échues ; qu'il expose, ce qui n'est pas contesté et établi par les pièces versées aux débats, que trois jours après la cession Monsieur [N] avait quitté le territoire national ne respectant pas son engagement de présentation de la clientèle à son successeur ni même son engagement de demeurer chef cuisiner pendant 6 mois, que dès le 25 avril 2003, il avait lui-même reçu une lettre recommandée du bailleur faisant état d'un arriéré de loyers de plus de 11 mois soit un total de 17.914,88 euros, puis le 26 avril 2003, un courrier de Monsieur [K] qui avait consenti un crédit vendeur à la SARL LE POLICHINEL et réclamait un arriéré d'échéances impayées pour un montant total de 6730 euros, qu'il apprenait également que la société SDBM avait consenti en février 2003 à la SARL LE POLICHINEL un prêt de 15.000 euros pour soulager sa trésorerie, passif non identifié au titre du passif reconnu par le cédant, que Monsieur [N] n'avait restitué qu'un seul carnet de chèque de la SARL LE POLICHINEL à Monsieur [W] et ensuite effectué des achats avec ce carnet à des fins personnelles, que suite à son dépôt de plainte avec constitution de partie civile, Monsieur [N] avait été condamné pour escroquerie et abus de biens sociaux par un jugement du 19 décembre 2008 qui lui avait alloué 88.420 euros à titre de dommages et intérêts et qu'il avait enfin été amené à déposer le bilan, le 21 juillet 2003, de la société LE POLICHINEL, placée en redressement judiciaire selon jugement rendu par le Tribunal de Commerce de NICE le 4 septembre 2003, puis en liquidation judiciaire le 12 novembre 2003 ;
Attendu que l'efficacité de la cession de la totalité de parts sociales d'une SARL exploitant un fonds de commerce dans un local faisant l'objet d'un bail commercial étant dépendant de l'existence même de ce bail, Maître [F] aurait dû, ce qu'il n'a pas fait, vérifier qu'il n'existait aucune difficulté à cet égard et qu'une simple démarche auprès du bailleur lui aurait permis d'apprendre qu'un commandement visant la clause résolutoire du bail avait été délivré le 29 novembre 2002 et qu'au jour de l'acte de cession l'arriéré de loyer s'élevait à 17.914,88 euros ; qu'en ne procédant pas à cette vérification, Maître [F] a manqué une première fois à ses obligations ;
Attendu par ailleurs qu'il résulte d'une attestation de Maître [F] en date du 2 avril 2003, qu'il a reçu en qualité de séquestre de la SARL POLICHINEL la somme de 15.426,39 euros représentant les échéances de novembre 2000 à mars 2002 soit 17 mensualités du crédit vendeur accordé par Monsieur [K] lors de la cession des éléments du fonds de commerce selon acte du 2 mai 2000 ;
Attendu, certes, que Maître [F] n'a plus reçu de règlement à ce titre après mars 2002 ; que figurait néanmoins dans l'offre d'achat la mention d'une créance de Monsieur [K] de 54.424 euros ; que cette créance ayant été apparemment régulièrement prise en compte, il ne peut être reproché à Maître [F] de ne pas s'en être autrement inquiété ;
Attendu que le courrier du 25 mars 2003 de l'URSSAF qui fait état d'une confirmation par l'étude de Maître [F] que Monsieur [N] est à cette date responsable des dettes de la SARL POLICHINEL, établit que Maître [F] a eu connaissance de l'existence d'une créance de l'URSSAF de la société et qu'il aurait du se renseigner sur ce point ;
Attendu en revanche qu'il n'est pas absolument certain, au vu des pièces versées aux débats, et notamment le jugement du Tribunal de Commerce de NICE rendu le 11 juillet 2003 dans un litige opposant à propos d'une créance de compte courant Monsieur [C] à la SARL LE POLICHINEL assisté de Maître [Y] [O], collaboratrice de Maître [F], et le courrier qui a été adressé le 21 juillet 2003, soit quatre mois après la vente, par son cabinet à la société pour l'informer du résultat de cette procédure, que Maître [F], qui soutient que seule sa collaboratrice était intervenue dans ce litige à titre strictement personnel, était informé, avant que n'intervienne la cession, de l'existence de cette procédure ; qu'il n'est pas plus démontré qu'il avait une connaissance précise de la situation de la société ;
Attendu que Monsieur [W] est ainsi fondé à reprocher à Maître [F] de ne pas s'être informé sur le sort du bail du local sur lequel la SARL LE POLICHINEL exerçait son activité et de ne pas s'être renseigné sur la créance de l'URSAFF contre cette société ;
Attendu qu'ainsi que l'a fait observé à juste titre le tribunal ni le fait que Monsieur [W] se soit entouré des conseils de divers professionnels avant de présenter son offre d'achat, ni le comportement de Monsieur [N], même s'il a amplement concouru aux dommages subis par Monsieur [W], n'exonère Maître [F] de sa responsabilité ;
Attendu que si Monsieur [W] avait eu connaissance des informations que Maître [F] aurait du lui transmettre notamment sur le bail, et même si celui-ci n'a été saisi qu'après que son client ait formulé une offre d'achat, ce dernier aurait pu renoncer à son offre et à conclure l'opération projetée, ou plus vraisemblablement, renégocier les conditions de la cession pour tenir compte du passif révélé au titre des arriérés de loyer et de cotisations sociales ; qu'il a ainsi perdu une chance sérieuse de ne pas s'engager dans une opération de cession de parts déséquilibrée à son désavantage, ou d'en renégocier les conditions ; que l'on ne peut en revanche pas considérer, alors qu'il n'est pas précisé si le bailleur a mené à son terme la procédure en résiliation du bail, et que le montant des loyers impayés ne s'élevaient qu'à la somme de 17.914,88 euros, que les manquements de Maître [F] expliquent la perte financière de Monsieur [W], que celui-ci évalue à 121.288 euros ;
Attendu dans ces conditions et compte tenu des éléments d'appréciation dont elle dispose, la Cour estime devoir fixer à 30.000 euros le montant des dommages intérêts réparant la perte de chance résultant des manquements de Maître [F], à l'exclusion des autres préjudices invoqués par Monsieur [W], dont il n'est pas établi qu'ils soient en relation directe avec ces manquements ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui la fixe ;
Attendu que Maître [F], qui succombe au principal, doit supporter les dépens et qu'il apparaît équitable de le condamner en outre à payer à son adversaire 3000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la demande tendant à l'application de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 modifié par le décret du 8 mars 2011 est prématurée et que l'application de ce texte ne nécessite pas qu'elle soit ordonnée par une disposition spéciale du présent arrêt ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Réformant le jugement entrepris,
Condamne Maître [F] à payer à Monsieur [W] 30.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant la perte de chance résultant des manquements de l'appelant, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et 3000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne Maître [F] aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,