COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 10 MAI 2012
N° 2012/424
M.A. V.
Rôle N° 11/15955
[K] [T]
C/
[H] [C]
[G] [V] épouse [C]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BADIE
SCP MAGNAN
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence en date du 06 Septembre 2011 enregistrée au répertoire général sous le N° 11/00696.
APPELANT :
Monsieur [K] [T]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 8]
demeurant [Adresse 10]
[Localité 2]
représenté par la SCP BADIE, SIMON-THIBAUT et JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, constituée aux lieu et place de la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL, avoués,
plaidant par Maître Jocelyne VOLTO-PASCUAL, avocat au barreau de MARSEILLE, substituant par la SCP BOUTY & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS :
Monsieur [H] [C]
né le [Date naissance 4] 1938 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 5]
Madame [G] [V] épouse [C]
née le [Date naissance 3] 1938 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 6]
représentés par la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître David TRAMIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785,786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour,
Composée de :
Monsieur Serge KERRAUDREN, Président
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Conseiller
Monsieur André JACQUOT, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2012.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2012.
Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, Président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*-*
EXPOSE DE L'AFFAIRE
M. [K] [T] est propriétaire depuis le 30 juin 2008 d'une maison d'habitation à [Adresse 9] qui jouxte la propriété de M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C], ceux-ci pratiquant l'élevage de paons. Il se plaint des nuisances sonores générées par ces animaux, particulièrement pendant la saison des amours.
Par ordonnance sur requête en date du 21 juin 2010, il a obtenu la désignation d'un constatant en la personne de Monsieur [P] aux fins de procéder à des mesures acoustiques des nuisances sonores générées par ces animaux.
Ce technicien a déposé son rapport le 29 novembre 2010.
Au vu des conclusions de celui-ci et suivant acte en date du 21 avril 2011, M. [K] [T] a fait assigner M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] devant le juge des référés aux fins qu'ils soient condamnés à éloigner leurs paons de sa propriété pour que leurs cris ne soient plus perceptibles de celle-ci et ce, à peine d'une astreinte, et à lui verser la somme de 5 000 euros de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral.
Par ordonnance en date du 6 septembre 2011, le président du tribunal de grande instance d'Aix en Provence l'a débouté de ses demandes au motif que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas suffisamment étayé.
M. [K] [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 14 novembre 2011.
Par ses conclusions récapitulatives en date du 22 mars 2012, il sollicite son infirmation en faisant valoir qu'il justifie que les nuisances sonores causées par les paons élevés par ses voisins et dont ils ont la garde contreviennent aux dispositions de l'article R 1334-31 du code de la santé publique et sont à l'origine d'un trouble illicite qu'il convient de faire cesser.
Par leurs écritures en date du 6 février 2012, M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] concluent à titre principal à l'irrecevabilité des demandes formulées par M.[K] [T] par application des dispositions de l'article
L 112-16 du code de la construction et de l'habitation et, à titre subsidiaire, à l'absence de trouble illite en l'état du caractère peu probant du constat effectué par Monsieur [P].
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes
L'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation dont les intimés entendent se prévaloir dispose : « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».
Ils soutiennent qu'ils sont exploitants agricoles sur le site depuis plus de 30 ans soit bien antérieurement à l'acquisition par M. [K] [T] de son habitation.
Il sera objecté qu'ils ne précisent pas en quoi l'élevage de paon qui depuis bien longtemps n'est plus considéré comme un animal destiné à l'alimentation humaine, se rattacherait à une activité agricole.
En tout état de cause, cet article soumet l'activité en cause au respect des dispositions législatives ou réglementaires applicables ce qui est contesté par M. [K] [T].
Ses demandes sont donc parfaitement recevables.
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite
Par application des dispositions de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, le président (du tribunal de grande instance) peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
M. [K] [T] soutient qu'il existe en l'espèce un trouble manifestement illicite du fait de la violation par M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] des dispositions de l'article R 1334-31 du code de la santé publique aux termes desquelles aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité, expliquant que les paons dont ils ont la garde génèrent pendant la saison des amours (entre mars et septembre) d'intolérables nuisances sonores.
A titre liminaire, il sera rappelé qu'il est dit du paon qu'il braille ou criaille, terme peu flatteur pour qualifier le cri de cet animal d'ornement, qui ne peut être assimilé à un animal de ferme comme entendent le soutenir les intimés et qui dès lors, ne peut être concerné par l'arrêté municipal en date du 28 juillet 2009, versé aux débats par ceux-ci, qui prévoit en son article 1 « les bruits des animaux de ferme et assimilés ne sauraient constituer une nuisance en zones naturelles à vocation agricole dès lors que les bruits d'animaux sont habituels et paisibles en zone rurale ».
Pour justifier du caractère excessif des nuisances sonores générées par les paons élevés par ses voisins, M. [K] [T] produit le rapport de constat établi par Monsieur [P], désigné par ordonnance sur requête en date du 21 juin 2010, dont la régularité a été vainement contestée par les intimés.
Les conclusions de ce technicien, qui a décrit de façon détaillée la méthode et le matériel utilisés et s'est placé à juste titre à l'intérieur de l'habitation de M. [K] [T] pour procéder aux mesures sollicitées, sont particulières nettes : les nuisances acoustiques mesurées au sein de celle-ci dépassent les seuils réglementaires.
Amené à compléter celles-ci à la suite des critiques émises par M.[H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C], il a rappelé dans un courrier du 15 juillet 2011, régulièrement versé aux débats, que la présence de deux personnes n'était pas nécessaire pour procéder à des mesures lorsque la source sonore était visible par des fenêtres depuis l'intérieur de l'habitation et a précisé :« indépendamment des critères techniques de mesurage évoqués par la partie défenderesse, je peux attester que sur place, la gêne acoustique m'a semblé évidente et surtout stressante compte tenu de la nature des cris stridents émis si tôt le matin. Ma pratique courante de l'expertise judiciaire en nuisances acoustiques et l'expérience que je possède à ce sujet me permettent d'énoncer ce point de vue qualitatif que ne peuvent reproduire totalement les mesures ».
Ces mesures techniques, non utilement contredites par les attestations versées aux débats de personnes dont on ignore à quelle distance de la propriété des époux [C] elles résident, suffisent à établir que les cris des paons dont il n'est pas démontré qu'ils seraient pour certains des paons sauvages ont un niveau sonore qui excèdent les nuisances habituelles et tolérables en la matière et constituent un trouble anormal de voisinage qu'il convient de faire cesser.
En conséquence, il sera fait droit à la demande de M. [K] [T] en condamnant M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] à éloigner leurs paons de sa propriété à une distance suffisante pour que leurs cris ne soient plus perceptibles de celle-ci dès la signification du présent arrêt et ce, à peine d'une astreinte de 200 euros par infraction constatée.
En l'état du certificat médical en date du 21 janvier 2010, versé aux débat par l'appelant, faisant état d'un syndrome dépressif réactionnel, la provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral peut être fixée à 1000 euros.
Les honoraires du constatant dont le rapport était utile à la solution du litige seront intégrés dans les dépens. Il en ira différemment du coût du procès-verbal de constat d'huissier dressé à la requête de M. [K] [T] qui doit être considéré comme entrant dans les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance du 6 septembre 2011,
Statuant à nouveau,
Déclare les demandes de M. [K] [T] recevables,
Condamne M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] à éloigner leurs paons de la propriété de M. [K] [T] à une distance suffisante pour que leurs cris ne soient plus perceptibles de celle-ci dès la signification du présent arrêt et ce, à peine d'une astreinte de 200 euros par infraction constatée,
Condamne M. [H] [C] et Mme [G] [V] épouse [C] à verser à M. [K] [T] la somme de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral,
Les condamne également à verser à M. [K] [T] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne également aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et comprendront les honoraires du constatant.
LE GREFFIERLE PRESIDENT