COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 12 AVRIL 2012
N°2012/
Rôle N° 10/16563
[L] [C]
C/
SA COMASUD GROUPE POINT P
Grosse délivrée le :
à :
Me Stéphanie JACOB, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 09 Août 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 10/48.
APPELANT
Monsieur [L] [C], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Stéphanie JACOB, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SA COMASUD GROUPE POINT P, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Laura TETTI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2012
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
[L] [C] a été engagé par la SA Les Matériaux Réunis, suivant contrats à durée déterminée, le premier en date du 13 novembre 1996 pour accroissement d'activité en qualité de cariste manutentionnaire sur quatre mois, le second à effet du 17 février 1997 en remplacement d'un salarié absent en qualité de magasinier.
A compter du 1et juin 1997, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de cariste manutentionnaire.
Le 1er janvier 2005, par suite de l'absorption de la SA Les Matériaux Réunis, le contrat de travail a été transféré à la SA Comasud Groupe Point P ; dans le dernier état de la relation, le salarié a occupé les fonctions de vendeur conseil, niveau II C coefficient 195 de la convention collective ETAM du négoce des matériaux de construction pour une rémunération mensuelle de 1728,94 € (moyenne des trois derniers mois) pour un horaire de 151,67 heures.
Après convocation le 23 juin 2009 à un entretien préalable, par lettre recommandée du 15 juillet 2009 avec avis de réception, l'employeur a licencié le salarié en ces termes:
« Nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement pour faute grave le 6 juillet 2009, entretien auquel vous vous êtes présenté assisté.
Les faits reprochés sont les suivants : manipulations et forçage de prix, établissement de fausse facture et avoir, avec la complicité et au bénéfice d'un ancien salarié de l'entreprise.
Nous avons découvert au mois de juin après contrôle interne que le 30 mai dernier vous avez :
' Vendu de la marchandise à des prix forcés et erronés
' Edité un Avoir pour justifier de la différence de prix facturé et payé
' Facturé sur le compte d'un salarié de l'agence alors que la marchandise a été prise par un autre (ancien salarié de l'entreprise récemment licencié)
Les justificatifs et traces informatiques de ces opérations frauduleuses sont les suivantes :
' Commande initiale de 8 projecteurs de piscine du 14/01/09, réception du 23/01 et facture fournisseur du 25/01/09
' Facture F566464 du 13/02/09 pour 2 projecteurs,
' Commande Ci 12616 du 30/05/09 pour 6 projecteurs,
' Avoir A570398 du 30/05/09 pour une remise de 112.81 €,
' Facture F570397 du 30/05/09 pour 6 projecteurs de 453.45 €,
' Justificatif de règlement CB pour 340.64 €
Vous n'avez pas contesté la réalité, le caractère fautif, ni le bénéficiaire de ces opérations lors de l'entretien.
Vous avez seulement indiqué que c'est l'un de vos collègues de travail qui avait utilisé l'ordinateur pour « ajuster » les prix car vous n'arriviez pas à le faire.
Tous les documents évoqués, à 3 dates différentes, portent votre login : ceux du 30 mai (login et mention
manuscrite), facture du 13/02 (vous avez déclaré à l'entretien ne pas vous en souvenir) et commande initiale du 14/01.
Compte tenu de ces faits, à la demande et en accord avec votre supérieur hiérarchique, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave, motif privatif des indemnités de préavis et de licenciement.
Le licenciement prend effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date d'envoi de cette lettre.
Nous transmettrons prochainement à votre domicile par courrier recommandé les éléments de votre solde de tout compte.
Vous trouverez enfin ci-joint un dossier d'information relatif à la portabilité des garanties frais de santé et prévoyance accompagné d'un formulaire vous permettant, selon votre choix, d'opter pour le maintien ou de renoncer au maintien des régimes ».
Contestant la légitimité de son licenciement, [L] [C] a le 26 janvier 2010 saisi le conseil de prud'hommes de Martigues lequel section commerce par jugement en date du 9 août 2010 a:
* dit le salarié bien fondé en partie à son action,
*dit que la faute grave n'est pas avérée,
*dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse,
*condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 3514,20 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 371,42 € pour les congés payés afférents,
- 4392,75 € à titre d'indemnité de licenciement (351,42 X 12,5 ans),
-1200 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
*dit que les dispositions du jugement à intervenir relatives au paiement du préavis ainsi qu'à son incidence congés payés, à l'indemnité de licenciement sont exécutoires de droit en application des dispositions des articles R4 154 - 14 et R. 1454 - 28 du code du travail, fixé la moyenne à la somme de 1780 €,
*débouté le salarié du surplus de ses demandes et l'employeur de sa réclamation pour frais irrépétibles,
*dit que les intérêts légaux seront comptabilisés à compter du 26 janvier 2010,
*mis les dépens à la charge de l'employeur.
[L] [C] a le 13 septembre 2010 interjeté régulièrement appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions, l'appelant demande à la cour de :
*réformer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
*dire qu'il n'a commis aucune faute de nature à justifier son licenciement lequel doit être qualifié de sans cause réelle et sérieuse et d'abusif,
* condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes:
- 4392,75 € à titre d'indemnité de licenciement,
- 42'170 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (24 mois),
- 3500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ,
- 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
*fixé le salaire de référence à 1757,15 €,
*assortir les condamnations au paiement d'une somme d'argent de l'intérêt de droit à compter de la saisine du conseil des prud'hommes.
Il critique l'analyse des premiers juges qui se sont mépris sur l'obligation d'exclusivité du login informatique, personne ne s'étant échangé son login informatique.
Il fait valoir:
- qu'il n'a commis aucune faute en respectant et exécutant les tâches ordonnées par ses supérieurs successifs,
- qu'il n'est pas l'auteur des documents et règlements reprochés, que lorsque la commande initiale du 14 janvier 2009 est enregistrée, M. [W] était alors chef d'agence du magasin de [Localité 2], qui sera licencié courant mars avril 2009 alors qu'il lui restait du matériel à récupérer sur cette commande, que c'est M. [H] qui a pris la responsabilité de l'agence de [Localité 2] en plus de celle de Berre et a donné son accord pour que M. [W] puisse acquérir le matériel restant au tarif du bon de commande c'est-à-dire au tarif préférentiel réservé aux employés,
-que les documents, factures et avoir du 30 mai 2009 ont été établis par M. [A] sur les ordres de M [H] et que lui même n'a fait qu'exécuter les instructions de M. [W] son chef d'agences en ce qui concerne les commandes et factures du 14 janvier 2009 et du 13 de février 2009
- qu'il n'est pas à l'initiative de la décision de faire bénéficier à l'ancien directeur des tarifs préférentiels applicables aux salariés d'entreprise, qu'il n'a même pas prêté son concours à la concrétisation de cette décision.
Il considère la position de l'employeur infondée et injustifiée au regard des faits de l'espèce.
Il rappelle qu'en tout état de cause, le doute doit profiter au salarié.
Aux termes de ses écritures contenant appel incident, l'intimé conclut:
*à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a admis le principe de la légitimité de la rupture,
*à son infirmation en ce qu'il a rejeté la faute grave,
*statuant à nouveau, à ce que le salarié soit débouté de l'ensemble de ses demandes comme étant injustifiées et fondées,
*à la condamnation de l'appelant à lui payer 2500 €sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la prise en charge des dépens.
Elle précise que le salarié a reçu les formations nécessaires à l'exercice de ses fonctions et notamment au système dit VEGA, qu'il lui a été attribué un login GFS ( constitué de la première lettre de son prénom et de la première et dernière lettre de son nom) ainsi que d'un code secret qu'il est le seul à connaître afin que personne ne puisse utiliser en ses lieu et places sa clé de facturation, qu'il a violé l'ensemble des consignes qui lui avaient été données de façon précise en marge de la charte informatique.
Elle souligne que l'opération reprochée au salarié s'est déroulée en deux temps et qu'à chaque fois, c'est toujours sous son login GFS que les commandes et facturations litigieuses ont été faites, que ce qui est reproché, c'est d'avoir manipulé le système pour arriver à faire bénéficier un ancien salarié en l'occurrence M [W] non des tarifs réservés aux employés et pas même des tarifs correspondants au prix d'achat de la marchandise mais à des tarifs inférieurs au prix d'achat.
Elle réfute les attestations adverses, celle de M [U] contredite par celle de M [H], celle de de M [I] qui est un faux comme elle le démontre, [L] [C] ayant compétence pour faire certaines remises directement et enfin celle de M [T] qui doit être rejetée puisque ce dernier est l'oncle de l'appelant sans que ce soit précisé, qu'il a été curieusement et comme par hasard présent le jour des faits et s'est trouvé bien au fait des manipulations du système.
Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE
I sur le licenciement
La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur.
Il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave de son salarié d'en rapporter seul la preuve.
La SA Comasud Groupe Point P produit au débat notamment :
-la fiche de suivi des profils VEGA du salarié,
-la charte des utilisateurs des ressources informatiques,
-le document intitulé 'validation réception charte informatique' en date du 24 août 2006, signé par [L] [C],
-la note concernant la facturation de produits ou de matériaux vendus au personnel,
-la visualisation du compte informatique M [W] crée le 14 janvier 2009,
-la commande C 111 586 de 8 halogènes au prix de 47,47 € concernant M [W]
-le document intitulé 'réception fournisseur Aqualux' concernant les 8 projecteurs halogène au prix de 55,44 € du 23 janvier 2009,
-les factures du 25 janvier 2009 et du 13 février 2009,
-la commande du 30 mai 2009,
-l'avoir du 30 mai 2009 au nom de [J] [U] 94,32 € ,
-deux attestations de [J] [U] déclarant que le 30 mai 2009 , [L] [C] lui a demandé s'il pouvait lui facturer la marchandise de [Y] [W] ( présent à l'agence ce matin là ) sur son compte salarié agence et avoir accepté à partir du moment où la facture était réglé de suite,et que c'est bien [Y] [W] qui a réglé avec sa carte bleue,
-le compte rendu de l'entretien préalable où le salarié déclare que le 30 mai 2009, il n'arrivait à retomber sur le prix de 47,47 € qu'il a laissé la main à M [A] (qui ne travaillait pas ce jour là mais prenait du matériel à l'agence) pour faire la manipulation informatique pour le compte de M [W]
et que pour la commande de février il ne se souvient pas.
-le relevé de caisse Gignac en date du 30 mai 2009, mentionnant 340,64 € [U] [J], et le journal de caisse mentionnant facture 453,45 € moins 112,81 et un paiement carte de 340,64 € ,
-le récepissé de carte bleue ,
-le courrier de [F] [A] relatant les faits du 30 mai 2009 , déclarant qu'il a été interpellé par [L] [C] pour être aidé qu'il lui a répondu que le PRR n'était pas modifiable, qu'il lui fallait appeler le directeur régional, la seule solution étant la remise commerciale que seul le directeur peut cautionner,
- le journal de préfacturation démontrant que [L] [C] avait compétence pour certaines remises.
En l'état, au vu de ces pièces, si l'on peut admettre que pour la facture du 13 février 2009, époque où [Y] [W] était chef de l'agence de [Localité 2], [L] [C] ait pu agir sur l'ordre de celui ci qui était son supérieur et bénéficiaire des deux halogènes en litige, par contre, il apparaît que pour les faits du 30 mai 2009 , le comportement répréhensible tel que retenu dans la lettre de rupture est parfaitement établi.
Les pièces produites par l'appelant ne sont pas de nature à démontrer le contraire dans la mesure où d'une part doivent être écartés des débats, le témoignage de [Y] [W] qui a eu un litige prud'homal avec l'employeur ainsi que l'attestation de [S] [X] pour son lien de parenté non contesté avec l'appelant, où d'autre part, en l'état des déclarations de M [A] produites par l'employeur, il n'est pas justifié que M [A] aurait effectivement opéré les manipulations informatiques en litige et alors même que ce jour là, il ne travaillait pas , et enfin même à supposer que le nouveau chef d'agence M [H] aurait demandé la veille à ce que la remise des halogénes restants à M [W] soit facturée sur le compte de M [U], cela n'explique pas pourquoi à partir du login et code secret de [L] [C], il ait été consenti à [Y] [W] un tarif inférieur au prix d'achat des halogénes par l'entreprise.
En conséquence, le comportement du salarié qui a violé les consignes applicables et a ainsi permis à l'ancien chef d'agence de bénéficier d'un tarif inférieur au prix d'achat des marchandises, est bien constitutif d'une faute grave.
Dans ces conditions, le jugement déféré doit être réformé et le salarié doit être débouté de toutes ses demandes au titre de la rupture.
II sur les demandes annexes
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties.
L'appelant qui succombe ne peut bénéficier de cet article et doit être tenu aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Réforme le jugement déféré,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement pour faute grave fondé,
Déboute l'appelant de l'ensemble de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [L] [C] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT