COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 13 DECEMBRE 2011
N°2011/
MV/FP-D
Rôle N° 10/18024
[N] [B]
C/
[S] [L]
[Y] [L]
Grosse délivrée le :
à :
Me Christine GAILHBAUD, avocat au barreau de GRASSE
Me Isabelle BENSA, avocat au barreau de GRASSE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 23 Septembre 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1511.
APPELANT
Monsieur [N] [B], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Christine GAILHBAUD, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Jennifer HADAD, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Monsieur [S] [L], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Isabelle BENSA, avocat au barreau de GRASSE
Madame [Y] [L], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Isabelle BENSA, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 31 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Madame Corinne HERMEREL, Conseiller
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2011
Signé par Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [N] [B] a été engagé par Monsieur [S] [L] et Madame [Y] [L] à compter du 4 juin 2007 en qualité de jardinier-employé de maison dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée moyennant la rémunération mensuelle nette de 1500 € pour 39 heures de travail.
Le 28 septembre 2009 M. [B] prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts des époux [L] dans les termes suivants :
« Aucune suite n'a été donnée à mes précédentes demandes relatives aux congés payés.
Mon salaire a été réduit par suite de prélèvements consécutifs à un outil détérioré, alors que le salarié n'est nullement responsable de ce genre de faits, sauf faute lourde, ce qui n'est évidemment pas le cas.
C'est ainsi que, par un procédé déloyal, vous avez, notamment, depuis le mois de février, retiré arbitrairement et en dépit de mon désaccord, 50 euros de ma rémunération mensuelle, au titre d'un prétendu remboursement des réparations effectuées sur une tronçonneuse.
Vous n'avez toujours pas répondu à la question relative aux prestations que vous m'avez fait effectuer au titre d'un maçon, aux lieu et place de celles d'un employé de maison, connaissant ma qualification à ce titre.
Vous n'avez pas non plus donné suite à mes griefs relatifs à la modification unilatérale de mon contrat de travail depuis le mois d'octobre 2008 : je vous rappelle que j'ai été engagé à temps plein pour une rémunération mensuelle nette de 1.500 €. Or, force est de constater que vous ne respectez aucunement les temes du contrat. Vous m'avez notamment imposé une réduction du temps de travail depuis le mois d'octobre 2008 à 32 heures par semaine.
Aucune suite n'ayant été donnée à mes demandes précédentes, et ma situation s'étant encore gravement détériorée, je suis dans l'obligation de prendre acte d'une rupture qui ne m'est pas imputable.
La rupture de mon contrat interviendra dès la première présentation de la présente.
Je quitte donc l'entreprise de votre fait et j'entends faire requalifier cette situation en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Par ailleurs, vous n'ignorez pas que j'ai effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne m'ont jamais été réglées.
Normalement, mon travail se terminait à 5 h et vous savez très bien que je suis toujours parti, au moins une heure ou une heure et demie après pour pouvoir terminer l'ensemble des tâches que vous m'aviez confiées. ... »
Le 9 novembre 2009 M. [B] saisissait le Conseil de Prud'hommes de GRASSE d'une demande tendant à voir requalifier la prise d'acte de la rupture en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ainsi qu'en paiement de diverses sommes, lequel, par jugement du 23 septembre 2010, disait que la prise d'acte de la rupture s'analysait en une démission, condamnait les époux [L] à lui verser les sommes de:
- 637,50 euros au titre du solde de salaire,
- 1372,12 euros à titre de rappel de salaire du mois de MAI 2009,
- 700 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ,
ordonnait la rectification du bulletin de salaire de mai 2009,
déboutait les parties du surplus de leurs demandes et condamnait les époux [L] aux dépens.
Ayant le 7 octobre 2010 régulièrement relevé appel de cette décision M. [B] conclut à son infirmation en ce qu'elle a qualifié la prise d'acte en une démission et demande de requalifier la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner Monsieur et Madame [B] à lui verser les sommes de :
12 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5 552 € au titre des heures supplémentaires non payées,
3000 € au titre du paiement des congés payés pendant deux années,
8 379,49 € au titre des amendes illégalement perçues,
de confirmer le jugement concernant la somme de 637,50 € allouée en règlement du solde de salaire et de 1372,12 € allouée à titre de rappel de salaire du mois de mai 2009 ainsi que dans sa disposition relative à la rectification du bulletin de salaire du mois de mai 2009.
En tout état de cause il sollicite la condamnation des époux [B] à lui verser la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir qu'il a en réalité effectué un emploi de maçon pendant de nombreux mois, que les époux [L] ont imputé sur son salaire la prise de ses congés payés, ont réduit son salaire en prétextant une détérioration de matériel, l'ont obligé à effectuer des travaux de maçonnerie en méconnaissance des termes de son contrat de travail, ont prélevé mensuellement des sommes sur son salaire pour le leasing de la voiture qui leur appartenait , lui ont demandé d'effectuer des heures supplémentaires sans jamais les lui payer et ont diminué son temps de travail de manière unilatérale ; qu'au regard des manquements manifestes de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail la prise d'acte de la rupture doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M.[S] [L] et Mme [Y] [L] demandent à la Cour de constater l'abandon de poste de M. [B], en conséquence, de débouter ce dernier de sa demande de requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de confirmer en conséquence le jugement rendu en ce qu'il a débouté M. [B] de ses demandes, de constater qu'ils ont versé à ce dernier la somme de 637,50 € au titre du rappel de salaire, d'infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnés au paiement de la somme de 1372,12 € à titre de rappel du salaire de mois de mai 2009.
Ils sollicitent reconventionnellement la condamnation de M. [B] à leur verser les sommes de :
2500 € à titre de réparation du préjudice,
915,30 € au titre de la prise en charge des frais de réparation du véhicule Honda,
2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que M. [B] n'apporte pas la preuve de griefs prétendus à l'encontre de son employeur de nature à justifier que la rupture soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que tous les jours fériés ont été pris et payés alors que l'employeur aurait pu s'abstenir en application de la convention collective de les payer ; que M. [B] ne justifie aucunement ses dires quant aux achats nécessaires à une prestation de maçonnerie, que les congés payés ont bien été payés car ils sont déjà inclus dans le versement mensuel du salaire ; que c'est eux qui ont payé le leasing de la voiture, les réparations et l'assurance ; que lors de son départ M. [B] a rendu un véhicule nécessitant une réparation de 915,30 € ; que M. [B] ne démontre pas avoir effectué d' heures supplémentaires ; qu'en mai 2009 M. [B] n'a travaillé que 16 heures ; que M. [B] ne justifie d'aucun prélèvement indu sur son salaire ; que M. [B] oublie d'indiquer à la Cour que lors de son dernier jour de travail il était convoqué à la gendarmerie pour faux permis de conduire ; que le contrat de travail prévoyait l'acceptation par M. [B] d'une réduction de son temps de travail compensée par un temps équivalent régi par un autre contrat dans le même département ; qu'à compter d'octobre 2008 M. [B] a travaillé un jour de moins pour eux mais a été engagé par M. [L] en qualité d'homme d'entretien au sein du GIE AMIGALE qu'il dirige pour un salaire net mensuel de 300 € ; que M. [B] a bafoué plusieurs fois la clause de confidentialité et doit payer les frais de réparation pour la remise en état à neuf du véhicule qu'ils lui ont prêté.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du Conseil de Prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
Sur ce,
Attendu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire,d'une démission, précision faite d'une part que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, le juge étant tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit ;
Attendu que M. [B] soutient que les époux [L] l'ont empêché de bénéficier des jours fériés, ce qu'il n'établit pas, précision faite qu'en application de la Convention Collective Nationale des Salariés du Particulier Employeur du 24 novembre 1999 seul le 1er mai est un jour férié chômé et payé, s'il tombe un jour habituellement travaillé tandis que les jours fériés ordinaires ne sont pas obligatoirement chômés et payés, de sorte que le reproche formulé à ce titre n'est pas établi ;
Attendu que M. [B] ne démontre par ailleurs nullement que les époux [L] l'ont sollicité pour qu'il procède sur ses deniers personnels à certains achats nécessaires à l'exercice de ses prestations de maçonnerie effectuées pour leur compte, de sorte qu'il ne démontre ni l'achat ni la réalisation de telles prestations ;
Attendu que les articles 4 et 5 du contrat de travail prévoient que M. [B] percevra une rémunération mensuelle de 1500 € nets pour 39 heures de travail hebdomadaire et qu' il « aura droit aux congés payés prévus par les articles L. 223. 1 et suivants du code du travail et par la Convention Collective applicable » ce qui ne signifie nullement que les congés payés doivent être rémunérés en «plus» du salaire net comme le soutient l'intéressé, cet article ne mentionnant pas une rémunération supplémentaire mais consacrant comme dans tout contrat de travail le droit à congés de sorte qu'étant constaté que le Centre National de Chèque Emploi Service fait état de ce que le salaire net de 1500 € comprend 10 % au titre des congés payés M. [B] ne peut prétendre obtenir une somme supplémentaire à ce titre ;
Attendu qu'il apparaît par ailleurs que M. [B] a de fait jusqu'au 1er octobre 2008 été très souvent rémunéré 1500 € net pour un nombre d'heures de travail (152 ou 145 heures) inférieur à celui qu'il était contractuellement tenu d'effectuer, 39 heures par semaine et donc 169 heures par mois de sorte que c'est à tort et sans l' établir qu'il indique n'avoir jamais bénéficié de ses congés payés précision faite que la convention Collective applicable prévoit à l'article 16 f) que «Lorsque l'employeur et le salarié ont opté pour le chèque emploi-service, le salaire horaire net figurant sur le chèque emploi-service est égal au salaire horaire net convenu majoré de 10 % au titre des congés payés. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de rémunérer les congés au moment où ils sont pris » de sorte que la demande faite sur ce fondement a à juste titre été rejetée par le jugement déféré ;
Attendu que M. [B] n'établit nullement les prélèvements indus qui auraient été pratiqués à hauteur de 8379,49 € sur son salaire puisque les pièces qu'il produit à ce titre concernent un échéancier au nom de M. [L], deux factures de mécanique du concessionnaire Honda au nom de M. [L], une facture de Briconautes sans nom, des chèques CESU de 50 € au nom de Mme [L] et la photocopie d'un post-it dépourvu de toute valeur probante de sorte qu'il ne démontre pas en quoi l'une quelconque de ces sommes aurait été « prélevée indûment sur le salaire » et correspondrait à des «amendes irrégulièrement perçues », de sorte que cette demande doit être rejetée ;
Attendu que concernant les heures supplémentaires sollicitées à hauteur de 552 heures M. [B] n'étaye nullement sa demande, procédant sur ce point par affirmation ;
Attendu en effet que contrairement à ce que soutient M. [B], le courrier de M. [L] en date du 4 octobre 2009 faisant état de ce que « vos nombreuses absences et réguliers retards étaient parfois compensés par ce que vous appelez des heures supplémentaires » ne constitue nullement la reconnaissance d'heures supplémentaires mais seulement la constatation du rattrapage des absences et des retards de sorte que M. [B] doit être débouté de sa demande à ce titre ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la somme de 637,50 € restait due au titre du solde de salaire de sorte que les époux [L] ne démontrant pas comme ils le soutiennent s'être acquittés du paiement de cette somme la condamnation prononcée sur ce point par le jugement déféré sera prononcée en deniers ou quittance ;
Attendu par ailleurs qu'il apparait qu'en mai 2009 M. [B] n'a été rémunéré que pour la somme de 147,43 €, les époux [L] soutenant sans l'établir et sans démontrer l'existence d'une absence injustifiée qu'il n'a travaillé sur cette période que 16 heures, de sorte que c'est à juste titre que le jugement déféré les a condamnés au paiement de la somme de 1372,12 € non sérieusement contestée dans son quantum correspondant au solde de salaire dû sur le mois considéré ;
Attendu en revanche que par courrier du 1er octobre 2008 M. [L] informait M. [B] de sa volonté « de réduire votre temps de travail à 32 heures par semaine ; elles seront en général réparties sur quatre jours de travail : mardi, jeudi, vendredi, samedi », courrier qui constitue une modification unilatérale du temps de travail et qui contrairement à ce que soutiennent les époux [L] n'est pas compensée comme le prévoit l'article 9 du contrat de travail par « un temps équivalent régi par un autre contrat dans le même département » puisqu'il apparaît que l'emploi de M. [B] au sein du GIE AMIGALE remonte au 1er janvier 2008, soit neuf mois plus tôt, et ne peut donc venir compenser la diminution d'heures unilatéralement décidée par son employeur dans le courrier du 1er octobre 2008 ;
Attendu qu'il s'agit là d'un élément touchant à un élément essentiel du contrat de travail, à savoir la durée du travail, dont la modification unilatérale imposée par les époux [L] sans avoir obtenu l'accord exprès du salarié justifie à elle seule la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
Attendu qu'il y a donc lieu à réformation du jugement sur ce point ;
Attendu qu' eu égard à l'ancienneté de M. [B], deux ans et trois mois mais compte tenu de ce qu'il ne justifie pas de sa situation professionnelle actuelle ni d'un préjudice autre que celui résultant de la perte de son emploi, il y a lieu de condamner les époux [L] à lui verser la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que les époux [L] ne démontrant pas en quoi M. [B] aurait bafoué la clause de confidentialité figurant à son contrat de travail, ce qui ne saurait résulter de la production de documents qu'il estime utiles à sa défense et ne démontrant pas que M. [B] soit à l'origine de la dégradation du véhicule qu'ils lui avaient prêté et ayant nécessité une réparation de 915,30 €, ils doivent être déboutés de leur demande reconventionnelle ;
Attendu qu'il y a lieu de condamner les époux [L] à payer à M. [B] en cause d'appel la somme de 1200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de confirmer la somme allouée sur ce fondement en première instance ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale,
Réforme le jugement déféré,
Requalifie la prise d'acte de la rupture en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne Monsieur [S] [L] et Madame [Y] [L] à payer à Monsieur [B] la somme de :
2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
Confirme pour le surplus sauf à dire que la somme de 637,50 € sera allouée en deniers ou quittance,
Rejette toute demande plus ample ou contraire,
Condamne Monsieur [S] [L] et Madame [Y] [L] aux dépens ainsi qu' à payer à Monsieur [B] la somme de 1200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT