COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 22 NOVEMBRE 2011
N°2011/
YR
Rôle N° 10/07956
[I] [X]
C/
SARL EVASION CULINAIRE BOUTIQUE
Grosse délivrée le :
à :
Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE
Me Sophie BOYER MOLTO, avocat au barreau de GRASSE
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CANNES en date du 25 Mars 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 07/726.
APPELANTE
Madame [I] [X], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE substitué par Me Richard PELLEGRINO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SARL EVASION CULINAIRE BOUTIQUE, anciennement dénommée SARL REMONDE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sophie BOYER MOLTO, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Nathalie HAESEBAERT, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Yves ROUSSEL, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUSSEL, Président
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Monsieur Philippe MARCOVICI, Vice-Président placé
Greffier lors des débats : Madame Monique LE CHATELIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2011
Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Madame Monique LE CHATELIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [I] [X] a été embauchée en qualité de vendeuse par la société EXOFRAIS, à laquelle a succédé la société REMONDE, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 8 juillet 1999.
Lors de la reprise de son poste, après un congé parental d=éducation en 2003, elle a sollicité la mise en place d=temps partiel à 80 %. Cette modification, qui a perduré jusqu'en 2007, est à l'origine du litige, Mme [I] [X] considérant qu'elle a dû se tenir en permanence à la disposition de son employeur.
Le 11 août 2007 elle a adressé une lettre de démission à ce dernier, puis a présenté des réclamations devant le conseil de prud'hommes de Cannes.
Elle est appelante du jugement rendu le 25 mars 2010, lequel a rejeté sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et ses demandes subséquentes, jugé par ailleurs que sa démission présentait un caractère équivoque et devait s=comme une prise d=de rupture pour des faits imputés à son employeur ; que toutefois les manquements invoqués par elle ne justifiaient pas la rupture aux torts de la société REMONDE et que cette rupture à son initiative produisait tous les effets d=démission.
Critiquant la décision déférée, Mme [I] [X] demande à la cour de : «constater qu'aucun avenant au contrat de travail n=a été régularisé en suite du passage à temps partiel d=[I] [X] au mois de mars 2003 ; constater que l'employeur ne respectait nullement le délai de prévenance quant aux changements d=horaires de sa salariée ; constater que la salariée a été mise dans l=impossibilité de connaître à quel rythme elle devait travailler et était contrainte de ce fait de se tenir en permanence disposition de l=employeur ; constater, en outre, que l=employeur ne la mettait pas en mesure de prendre les jours de repos fixés les lundis et mardis ; constater, enfin, que l=employeur violait régulièrement le droit au repos quotidien de la salariée ; constater, ainsi, que les griefs que la salariée reproche à l'employeur sont établis et sérieux ; constater que la démission d=[I] [X] ne résultait nullement d=une manifestation claire et non équivoque de volonté ; en conséquence, requalifier le contrat de travail d=[I] [X] en contrat à temps plein à compter du mois de mars 2003 ; dire et juger que l=employeur a manqué à ses obligations ; dire et juger que la démission de la salariée est équivoque ; dire et juger, que dès lors, celle-ci s=analyse en une prise d=acte de rupture (qui) produit les effets d=un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, l=employeur ayant rendu impossible, du fait de ses manquements, la poursuite du contrat de travail ; En conséquence, condamner la SARL REMONDE au paiement des sommes suivantes: Rappel de salaire (temps plein):14.701,00i,Congés payés sur rappel de salaire : 1.410,00 i, Rappel de salaire (prime d=ancienneté) : 570,00 i, Congés payés sur rappel de salaire : 57,00 i, Dommages et intérêts (exécution déloyale du contrat) : 3.000,00 i, indemnité compensatrice de préavis : 3.106,00 i, congés payés sur préavis :310,00 i, Indemnité conventionnelle de licenciement : 885,00 i, dommages et intérêts (licenciement sans cause réelle et sérieuse) :37.277,00 i, remise des documents sociaux et bulletins de salaire rectifiés sous astreinte, 3 000 i par application des dispositions de l=article 700 du C.P.C. et dépens ».
La SARL EVASION CULINAIRE BOUTIQUE (venant aux droits de la SARL REMONDE) demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de juger que Madame [X] exerçait un emploi à temps partiel à compter du mois de mars 2003 et de rejeter ses autres demandes.
Elle sollicite également sa condamnation à lui payer la somme de 1000 i, au titre de l=700 du code de procédure civile, ainsi que sa condamnation aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est renvoyé au jugement entrepris, aux pièces de la procédure et aux conclusions des parties oralement reprises.
SUR CE, LA COUR,
Régulièrement formé, l'appel est recevable.
Sur la requalification du contrat en contrat de travail a temps complet,
En l'absence de signature d'un contrat écrit à temps partiel, [I] [X] demande à la cour de requalifier le lien contractuel en contrat de travail à temps plein, excipant des dispositions de l'article L 212-4-3 du code du travail ainsi que de l'article 24 la Convention Collective Nationale de la Restauration Rapide.
Elle fait valoir que les plannings étaient distribués le plus souvent le samedi pour la semaine suivante ; qu'en dépit de sa situation familiale, elle se voyait imposer de soudaines fluctuations horaires et qu'en définitive, elle était dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler.
De fait, Madame [X] a prsi l'initiative de demander le passage un travail à temps partiel à son employeur, ceci dans une lettre du 17 mars 2003, dont les termes sont les suivants : « Les événements intervenus dans ma vie privée ces derniers mois, liés à l'arrivée d'un nouvel enfant me conduisent à vous demander un aménagement de mon contrat de travail par la mise en place d'un temps partiel à 80 % qui s'établirait de la manière suivante : Plannings d'horaires : Lundi de 10 heures à 17 heures Mardi : de 10 heures à 17 heures, Mercredi : de 7 heures à 14 heures, Jeudi : de 7 heures à 14 heures, vendredi : repos, Samedi : repos. Bien entendu si vous acceptez ma demande, je consentirais de mon côté à la diminution de mon salaire de 1.189,20 € nets mensuels à 1.067,24 € nets mensuels. Si cette demande ne devait aboutir, je resterais sur les termes de notre contrat actuel ».
Cette proposition de travail à temps partiel a été acceptée par l'employeur sur le principe, par lettre datée du 26 mars 2003 mais celui-ci a offert une rémunération de 1050 € par mois et deux jours non travaillés entre le lundi et le jeudi.
Dès le 11 avril 2003, Madame [X] a refusé cette proposition par lettre recommandée, au motif que sa demande comprenait, de manière indissociable une réduction du temps de travail à 80 %, une plage de travail allant du lundi au jeudi et un salaire net mensuel de 1067,24 €.
Elle a ajouté, de manière explicite: « en conséquence, les termes de notre contrat restent inchangés ».
En dépit de cela, et alors même qu'aucun avenant au contrat de travail n'a été formalisé, Madame [X] a été soumise à un nouvel horaire de travail, suivant les propositions contenues dans la lettre du 26 mars 2003 et avec une rémunération de 1050 € par mois.
Si Mme [I] [X] s'est adaptée à ces conditions, sans jamais les avoir accepté explicitement, et si elle a rempli des documents administratifs pour la caisse d'allocations familiales faisant état d'un travail à temps partiel, ce qui était sa situation de fait, il ne peut en être déduit qu'un contrat de travail à temps partiel s'était régulièrement formé entre elle-même et son employeur.
C'est donc à tort que , sur ces bases, les premiers juges ont rejeté les demandes de Mme [I] [X] en lien avec la requalification du contrat de travail demandé par elle.
En conséquence, il sera fait droit à la demande de rappel de salaire et de congés payés sur rappel de salaire.
Les calculs de rappel de salaires proposés par Madame [X] sont pertinents et justifié. Du mois de mars 2003 au mois de décembre 2004, pour un salaire de base brut moyen de 1152,58 euros pour 121 h 24, le taux horaire est de 9,50 euros, soit appliqué à 151,67 heures mensuelles le manque à gagner est de 288,28 euros, d'où pour 22 mois 6342 €.
Entre le mois de janvier et 2005 et le mois de décembre 2005, sur la base du même taux horaire et de la même durée de travail hebdomadaire le manque à gagner est de 3459 €, soit 12 mois à 288,28 euros.
Les mêmes paramètres aboutissent à un manque à gagner de 3459 € pour la période allant du mois de janvier 2006 au mois de décembre 2006.
Pour la période allant du mois de janvier 2007 au mois d'août 2007, toujours sur les mêmes bases, le manque à gagner est de 1441 €.
Dans ces conditions le rappel de salaire sera chiffré à la somme de 14.701 €, outre les congés liquidés à 1470 €.
Madame [X] prétend aussi que l'employeur n'a respecté ni le repos journalier ni le délai de prévenance sur les jours de travail et les horaires et appuie sa demande de dommages-intérêts, au titre de l'exécution déloyale du contrat, sur les plannings de l'entreprise et sur une attestation en sa faveur de M. [W] [O].
Mais, s'il est vrai que l'organisation des plannings faisait varier ses jours de travail et de repos d'une semaine à l'autre, l'examen des pièces produites ne fait pas la preuve suffisante que les prétentions de Madame [X] sont fondées, alors au surplus que M. [O] s'est rétracté dans une attestation délivrée le 17 mai 2008 : « j'atteste sur l'honneur que l'attestation que j'ai faite à l'encontre de M. [V] et de son entreprise m'a été simplement demandée et dictée mot à mot par Mme [X] [E] [I] c'est pourquoi l'attestation contre M. [V] écrite par ma main doit être considérée comme nulle,Madame SISOUVANH [E] [I] m'a sans aucun doute manipuler ».
En conséquence la demande sera rejetée de ce chef.
D'autre part, il est prétendu par Mme [I] [X] que son employeur lui doit une prime d'ancienneté d'un montant de 570 €, mais elle ne communique aucun élément justifiant cette demande.
Cette demande sera donc rejetée, y compris en ce qu'elle a trait au paiement de la somme de 57 €, à titre de congés payés sur le rappel réclamé.
Sur la rupture du lien contractuel et ses conséquences,
Le 11 aout 2007 Mme [I] [X] a adressé à son employeur la lettre suivante : « suite à notre désaccord sur l'aménagement de mes horaires et me sachant seule avec deux enfants veuillez trouver ci-joint ma lettre de démission à la date du 17 aout 2007. A la fin de mon préavis, je recevrai mon solde de tout compte ».
Cette lettre avait été précédée par un courrier, daté du 12 septembre 2006, dans lequel Mme [I] [X] réclamait à son employeur des horaires de travail fixes : « par la présente, j'aimerais vous demander des horaires de travail fixe ainsi que les jours de repos. Comme vous le savez, je suis seule avec mes enfants et l'organisation au quotidien ne m'est pas facile étant donné que mon planning change régulièrement. C'est pourquoi je souhaiterai ces heures suivants : 10 à 17h et les jours de repos tel que lundi et mardi (...) ».
L'employeur a répondu négativement par une lettre datée du 21 septembre 2006 : «l'organisation du planning est d'une grande complexité (...) dans l'organisation actuelle et après consultation de votre responsable, nous ne pouvons répondre favorablement à votre demande ».
Il s'en déduit qu'il n'a pas contesté le fait, déploré par Mme [I] [X], que l'organisation des plannings faisait varier ses jours de travail et de repos d'une semaine à l'autre.
Au demeurant, les plannings produits devant la cour montrent bien qu'il en était ainsi (par exemple pour la semaine 14 de 2007, Mme [I] [X] a été de repos le lundi et le mardi, la semaine 15 elle était de repos le mardi et le jeudi, la semaine 17 le lundi et le mardi, la semaine 18 le lundi et le vendredi, etc...).
Or, à défaut de contrat écrit, aucune disposition contractuelle expresse ne permettait à l'employeur de modifier la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine. D'autre part, en raison des modifications incessantes de son emploi du temps , Mme [I] [X] ne pouvait pas prévoir à quel rythme elle devait travailler et devait ainsi se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
C'est donc à juste raison qu'en raison de ces manquements, qui sont suffisamment graves, Mme [I] [X] demande à la cour de juger que sa démission était équivoque et que la rupture du contrat de travail est imputable aux torts exclusifs de l'employeur.
Cette prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au moment de la rupture, Mme [I] [X] comptait une ancienneté de plus de deux ans dans son emploi. Elle peut donc prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 3106 €, soit deux mois de salaire, outre l'indemnité de congés payés sur préavis, soit 310 €.
Les calculs par lesquels elle évalue l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 885 €, sont conformes aux dispositions de l'article L. 122-9 du code du travail et de l'article 13 de la convention collective nationale de la restauration rapide.
Il sera donc fait droit à cette demande.
Les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être liquidés à une somme au moins égale au salaire des six derniers mois, au cas particulier.
Mme [I] [X] réclame 24 mois de son salaire mensuel s'élevant à la somme de 1553,23 euros.
Mais son préjudice sera justement réparé par l'allocation de la somme de 9500 €.
La société EVASION CULINAIRE BOUTIQUE sera condamnée à remettre à Mme [I] [X] les bulletins de salaire et les documents sociaux rectifiés, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.
Partie perdante, la société EVASION CULINAIRE BOUTIQUE sera condamnée aux dépens et devra verser à Mme [I] [X] la somme de 1500 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT PUBLIQUEMENT, EN MATIERE PRUD'HOMALE, PAR ARRET CONTRADICTOIRE,
REÇOIT l'appel,
RÉFORMANT le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
REQUALIFIE le contrat de travail à temps partiel de Madame [X] en contrat de travail à temps plein, à compter du mois de mars 2003,
DIT que la démission de Madame [I] [X] constitue une prise d'acte de rupture, aux torts de l'employeur, produisant des effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
CONDAMNE la société EVASION CULINAIRE BOUTIQUE à payer à Mme [I] [X] à la somme de 14 701 € à titre de rappel de salaire, celle de 1470 €, à titre de congés payés sur rappel de salaire, celle de 3106 €, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, celle de 310 €, à titre de congés payés sur préavis, celle de 885 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et celle de 9500 €, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ORDONNE à la société EVASION CULINAIRE BOUTIQUE de remettre à Mme [I] [X] les documents sociaux et bulletins de salaires rectifiés, en accord avec le présent arrêt,
CONDAMNE la société EVASION CULINAIRE BOUTIQUE à payer à Mme [I] [X] la somme de 1500 €, par application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens,
REJETTE toute autre demande,
LE GREFFIER LE PRESIDENT