COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 22 NOVEMBRE 2011
N°2011/896
Rôle N° 10/07547
SARL TOULON FREINAGE
C/
[Z] [W]
Grosse délivrée le :
à :
Me Fabien GUERINI, avocat au barreau de TOULON
Me Jean-Louis LAGADEC, avocat au barreau de TOULON
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 30 Mars 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/334.
APPELANTE
SARL TOULON FREINAGE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Fabien GUERINI, avocat au barreau de TOULON
INTIMÉ
Monsieur [Z] [W], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Jean-Louis LAGADEC, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Céline LORENZON, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Gisèle BAETSLE, Président
Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller
Madame Fabienne ADAM, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2011
Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller pour le Président empêché, et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Engagé par la SARL TOULON FREINAGE en qualité de 'commercial', suivant contrat de travail à durée indéterminée non écrit à compter du 9 mai 2000, Monsieur [Z] [W] a été licencié pour faute grave par lettre du 2 décembre 2008.
Contestant les motifs de son licenciement, Monsieur [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon, par requête reçue le 11 mars 2009, afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer plusieurs sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement du 30 mars 2010, le conseil de prud'hommes a dit ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes, outre à la remise des bulletins de paie des mois de novembre et décembre 2008 et de l'attestation Assédic rectifiés :
rappel de salaire sur mise à pied conservatoire 790,11 €
congés payés afférents 7,90 €
indemnité compensatrice de préavis 3.656,66 €
congés payés sur préavis 365,66 €
indemnité de licenciement 2.925,32 €
indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 10.970,00 €
article 700 du code de procédure civile 1.000,00 €
La société TOULON FREINAGE a interjeté appel de ce jugement le 19 avril 2010.
Aux motifs que, nonobstant le jugement de relaxe du chef de vol dont Monsieur [W] a bénéficié, les faits qui lui ont été reprochés à titre disciplinaire et qui n'étaient pas qualifiés pénalement dans la lettre de licenciement sont établis et constitutifs d'une faute grave, la société appelante a fait soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites aux fins d'infirmation du jugement entrepris, dans lesquelles elle demande à la cour de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, de dire que son licenciement repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses écritures plaidées à l'audience, dans lesquelles il conteste les motifs de son licenciement en se prévalant du jugement de relaxe et en faisant valoir que les faits antérieurs au 27 août 2008 sont prescrits, le salarié intimé sollicite la confirmation du jugement déféré, sauf à réévaluer l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 32.909,94 € et à lui allouer celle de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRÊT
- sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office.
- sur la cause du licenciement
Conformément aux articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.
En l'espèce, mis à pied à titre conservatoire et convoqué par lettre du 24 octobre 2008 à un entretien préalable fixé au 5 novembre 2008, Monsieur [W] a été licencié par lettre du 2 décembre 2008, ainsi motivée :
'(...) les 24, 25 et 26 septembre 2008, ainsi que les 14, 20, 21 et 23 octobre 2008, nous vous avons vu prendre sept batteries au magasin de la société (représentant un montant total de 400 € en prix de revente), sans qu'aucune facture n'ait été établie à un de nos clients.
Sur certaines images de nos caméras de surveillance, nous avons même observé que vous faisiez bien attention à ce que le magasinier ne soit pas présent au moment où vous les preniez.
Nous avons également retrouvé des factures de pièces que vous avez prises les 26/08/2008 et 24/09/2008 chez notre fournisseur VIDAL AUTO pour un montant total de 460,61 €, qui n'ont jamais été refacturées mais qui ne sont plus dans le stock de la société.
Vous avez fait commander, chez notre fournisseur ALGI, un pistolet de graissage électrique à batterie pour un montant de 192,46 € que nous avons retrouvé dans votre bureau et également non facturé.
Le 21 octobre 2008, vous avez commandé et vous avez récupéré un kit d'embrayage pour une Volkswagen Polo chez notre fournisseur PARTNER'S pour un montant de 83,72 € TTC.
Ces pièces n'ont une nouvelle fois fait l'objet d'aucune facture et ne font pas partie du stock au magasin. Cela prouve, une nouvelle fois, que vous avez récupéré des pièces que la SARL TOULON FREINAGE a réglé.
Lors de votre entretien, vous avez avoué ces faits et vous avez demandé à Monsieur [B] de vous refacturer ces pièces.
Le 15 avril 2008, vous avez facturé des pièces à Monsieur [A] [E] pour un montant de 278,19 € et vous avez encaissé cette somme en espèces à la livraison.
Nous n'avons jamais récupéré cette somme et suite à nos nombreuses relances pour que vous récupériez cette somme, vous avez même établi un avoir.
Nous avons en notre possession l'attestation d'un salarié à qui vous avez vendu des pièces et encaissé la somme en espèces et pour lequel vous n'avez établi aucune facture malgré les demandes répétées de celui-ci.
En agissant ainsi, vous avez délibérément nui à la SARL TOULON FREINAGE en dérobant une somme d'argent et, par la même occasion, terni notre image de marque vis'à-vis de ce client.
Enfin, nous avons également établi que vous avez agi de manière frauduleuse avec certains de nos clients et également des tiers, en profitant de votre situation et par là même de notre société. Compte tenu de l'enquête de police en cours, nous ne pouvons pas vous donner plus de précision.
Cette conduite met en cause la bonne marche du service. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 05 novembre 2008 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave (...)'
Bien que le jugement du Tribunal Correctionnel de Toulon ne soit communiqué par aucune des parties et que les faits de la prévention ne soient pas précisés, il est constant que Monsieur [W] a bénéficié d'un jugement de relaxe devenu définitif du chef de vol, suite à la plainte déposée à son encontre par le gérant de la société concernant l'ensemble de ses agissements.
* sur le premier grief
Pour preuve de ce grief, outre le procès-verbal de synthèse d'enquête établi le 25 septembre 2009 par le commissariat central de [Localité 3], plusieurs clichés extraits de la vidéo-surveillance du magasin, représentant un homme portant une ou deux batteries, et les factures-comptoir de la société établies entre le 23 septembre 2008 et le 24 octobre 2008, date de la mesure de mise à pied conservatoire, dont il résulte qu'aucune batterie n'a été facturée durant cette période, l'employeur communique deux témoignages, l'un du chef d'équipe, Monsieur [G], déclarant que Monsieur [W] 'prenait des pièces' en lui disant que 'ça ne le regardait pas', et l'autre du magasinier, Monsieur [V], attestant de la 'vente de certaines pièces du magasin (entre autre batteries) sans factures'.
Sauf à faire valoir de manière générale que 'le fait de prendre des batteries au sein du magasin de la société TOULON FREINAGE (faisait) partie de (ses) attributions', que l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il 'a mis lesdites batteries dans son véhicule ou encore qu'il les a revendues de façon illicite', et que les attestations précitées ont été établies par des salariés de la société, Monsieur [W], qui ne conteste pas être la personne représentée sur les photographies versées aux débats, ne fournit aucune explication justifiant la sortie de ces batteries sans émission corrélative de factures, ni aucune indication sur leur destination.
Outre qu'ils ne sont pas couverts par la prescription pour avoir été commis dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement, indépendamment des poursuites pénales ayant donné lieu au jugement de relaxe, ces faits sont établis.
* sur le second grief
L'employeur communique les deux factures VIDAL AUTO visées dans la lettre de licenciement, relatives à des achats de peinture, datées du 26 août 2008 et du 24 septembre 2008, d'un montant total de 460,61 €, ainsi que les procès-verbaux d'audition de :
- Monsieur [V], déclarant que cette marchandise ne pouvait pas être destinée à la société TOULON FREINAGE, d'une part en raison de sa faible quantité, et d'autre part, parce que cette société avait son propre fournisseur de peinture industrielle ;
- Monsieur [W], reconnaissant que les factures litigieuse portaient bien ses initiales ainsi que les numéros de bons de son livret de commande, et se bornant à faire état d'une probable commande des 'mécanos', sans autre précision, alors même que ces achats récents revêtaient un caractère manifestement anormal et exceptionnel.
Outre que les faits ne sont pas couverts par la prescription, ce grief, tel qu'il a été formulé dans la lettre de licenciement, indépendamment du résultat des poursuites pénales, est établi, dès lors que, sauf à procéder par simple allégation, le salarié ne justifie pas l'absence de refacturation de ces produits.
* sur le troisième grief
Si lors de son audition par la police, [D] [X] a nié être à l'origine de la commande du pistolet de graissage électrique à batterie découvert par l'employeur dans le bureau du salarié suite à sa mise à pied, commande d'un montant de 396 € que celui-ci avait passée auprès de la société ALGI le 9 juillet 2008, le témoin a toutefois ajouté que ses deux fils se fournissaient occasionnellement auprès de la société TOULON FREINAGE.
Dès lors qu'au vu des pièces de la procédure pénale versées aux débats, ces derniers n'ont pas été entendus, alors que Monsieur [W] a déclaré qu'il avait commandé ce pistolet pour les frères [X], sans autre précision, et qu'il avait préféré le garder dans son bureau en raison de son coût élevé, jusqu'à ce que le client vienne le chercher, ce qui expliquait l'absence provisoire de refacturation, le doute qui subsiste profite au salarié.
Ce grief n'est pas établi.
* sur le quatrième grief
Il résulte des pièces versées aux débats par l'employeur que, le 21 octobre 2008, Monsieur [W] a commandé à la société PARTNER'S, sous la référence VAL 826348, un kit d'embrayage pour un véhicule Volkswagen Polo, étant précisé que le certificat d'immatriculation d'un véhicule de ce type portant la même référence chiffrée manuscrite, suivie de la mention '100', a été retrouvée en copie dans le bureau de Monsieur [W].
Ainsi identifiée, la propriétaire du véhicule a déclaré à la police avoir acquis cette pièce, au prix d'environ 100 €, par l'intermédiaire d'un proche de son père, le nommé [U] [R], lequel a pour sa part indiqué l'avoir lui-même achetée à Monsieur [W], sans facture et à un prix anormalement bas payé en espèces, comme celui-ci l'avait exigé.
Reconnaissant son écriture sur la copie de la carte grise, Monsieur [W] a fait valoir auprès des enquêteurs qu'un client avait pu lui demander la référence de cette pièce, sans nullement reconnaître qu'il en avait passé la commande, alors que l'enquête a ensuite révélé qu'il l'avait commandée et livrée.
Outre que ces faits ne sont pas prescrits, le grief de vente sans facture, tel qu'il a été formulé dans la lettre de licenciement, indépendamment du délit de vol, est ainsi établi.
* sur le cinquième grief
L'employeur produit : - une facture datée du15 avril 2008 d'un montant de 278,19 € au nom de [H], afférente à la vente d'une pompe à eau et de deux sondes, mentionnant un règlement par chèque, - un avoir, daté du 26 septembre 2008, du montant de cette facture et au même nom, concernant les mêmes matériels et portant la mention 'pièces non prises', - une facture de vente des mêmes pièces à la société ONYX, également datée du 26 septembre 2008, - une attestation du nommé [A] [E] et le procès-verbal d'audition de ce témoin, confirmant avoir acheté auprès de la société TOULON FREINAGE les pièces mentionnées sur la facture, précisant qu'il n'avait pas réglé celle-ci par chèque mais en espèces et niant avoir bénéficié d'un quelconque avoir dans la mesure où le matériel vendu lui avait donné entière satisfaction.
Il résulte de son procès-verbal d'audition communiqué par l'employeur que Monsieur [W] a reconnu qu'il était bien l'auteur de la facture au nom de [H], qu'il avait 'inventé ce nom pour ne pas nuire à une personne qui (travaillait) à la société ONYX' et qu'il refusait de nommer, que celle-ci n'ayant 'pas pu le payer', il avait établi un avoir, que le matériel avait ensuite été refacturé à la société ONYX, laquelle avait 'trouvé un arrangement avec le 'client , et enfin qu'il ne connaissait pas Monsieur [A] [E], lequel n'avait selon lui aucune relation avec ces faits.
Force est ainsi de constater que les allégations de Monsieur [W], qui n'ont pas pu être vérifiées du fait même de son refus de désigner le client soi-disant concerné, sont en outre contredites par les déclarations claires et probantes de [A] (diminutif [O]) [E], dont l'existence est avérée et qui correspond en tous points, par son patronyme, ainsi que par la nature et la date des achats effectués auprès de la société TOULON FREINAGE, au nommé '[H]' prétendument inventé par le salarié.
Outre que les faits ne sont pas couverts par la prescription, dès lors que l'avoir dont l'employeur a fait état dans la lettre de licenciement a été établi le 26 septembre 2008, la preuve est ainsi rapportée, indépendamment du délit de vol ayant donné lieu au jugement de relaxe, du bien-fondé de ce grief tiré de l'encaissement par le salarié des espèces remises par [A] [E], suivi de l'établissement d'un avoir non causé, tel qu'il a été formulé dans la lettre de licenciement.
* sur le sixième grief
L'employeur produit la copie du certificat d'immatriculation d'un véhicule au nom de Monsieur [P], découverte dans le bureau du salarié suite à sa mise à pied conservatoire et portant des références manuscrites, ainsi qu'une attestation de l'intéressé déclarant avoir commandé et payé en espèces à Monsieur [W] des filtres correspondant à ces références, sans jamais obtenir une facture en retour.
Dès lors qu'il a été reproché au salarié dans la lettre de licenciement d'avoir dérobé une somme d'argent, ce grief sera écarté en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement de relaxe devenu définitif.
*
**
Les faits ainsi établis constituent une violation réitérée par le salarié des obligations résultant de son contrat de travail, d'une importance telle qu'elle empêchait son maintien dans l'entreprise pendant le préavis.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail.
- sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
En équité, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait application de ces dispositions au profit du salarié et celui-ci sera condamné à payer à l'employeur une indemnité de 1.000 € sur le même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par le salarié et le jugement sera également infirmé à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,
Reçoit l'appel,
Infirme le jugement déféré,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement repose sur une faute grave,
Déboute Monsieur [W] de l'ensemble de ses demandes,
Le condamne à payer à la SARL TOULON FREINAGE une indemnité de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER.LE CONSEILLER,
POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ.