COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 NOVEMBRE 2011
N° 2011/876
Rôle N° 10/03647
SA NAPHTACHIMIE
C/
[S] [F]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Laurent DEBROAS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Patrice PASCAL, avocat au barreau de TARASCON
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 27 Janvier 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 06/1009.
APPELANTE
SA NAPHTACHIMIE , Monsieur [P] [J] - Responsable du Service Juridique de la Société., demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assistée de Me Laurent DEBROAS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par la SELAFA FIDAL, avocats au barreau de NANTERRE
INTIME
Monsieur [S] [F], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Patrice PASCAL, avocat au barreau de TARASCON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Farida ABBOU.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2011..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2011.
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [F] [S] est entré le 9 décembre 1958 au sein de la société NAPHTACHIMIE en qualité d'Ingénieur et affecté à l'Usine de LAVERA.
Il a accepté, à l'âge de 57 ans, la résiliation anticipée de son contrat de travail, dans le cadre d'
un licenciement économique collectif , le 31 décembre 1984 et a adhéré à la convention conclue avec le FNE, se trouvant en situation de pré-retraite jusqu'à sa mise à la retraite.
Ses droits à pension de retraite ont été liquidés à compter du 1er juillet 1990.
La société NAPHTACHIMIE a institué en 1950, par une décision unilatérale, un régime de retraite supplémentaire, dénommé Régime de pensions complémentaires NAPHTACHIMIE (RCPN), prévoyant le versement d'une allocation différentielle de vieillesse révisable annuellement en fonction de l'évolution générale des appointements ;
Qu'estimant que, lors du calcul de ladite pension de retraite complémentaire qui lui a été attribuée par l'employeur à compter de 1990, en application du régime RCPN, certaines retenues avaient été opérées pour des prestations dont la déduction n'était pas prévue par le RCPN, Monsieur [F] a saisi le Conseil des Prud'hommes de [Localité 3] le 21 novembre 2006, des demandes suivantes :
. remboursement des retenues indûment effectuées sur l'allocation complémentaire versée au titre du régime dit RCPN : 109.339 €, créance arrêtée au 31 décembre 2009, sauf à parfaire,
. intérêts au taux légal à compter de la saisine avec capitalisation,
. indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3.000 €.
Par jugement avant dire droit du 21 mai 2008 le Conseil de Prud'hommes a désigné un expert en la personne de Monsieur [Y], Expert Comptable, avec pour mission :
« Au vu des éléments comptables communiqués par la Société NAPHTACHIMIE et des éléments personnels produits par Monsieur [F], il y a lieu de vérifier si, au moment du calcul initial de son avantage RPCN, ont été opérées des déductions, non prévues par l'article 25 de l'accord instituant le RCPN et évaluer le préjudice. »
L'expert a déposé son rapport le 26 février 2009.
Par jugement en date du 27 janvier 2010, le Conseil de Prud'hommes de MARTIGUES a condamné la société NAPHTACHIMIE au remboursement au profit de Monsieur [F] [S], des retenues indûment effectuées sur le fondement de l'article 25 du régime d'allocation supplémentaire dit RCPN, des articles 1101 et 1134 du code civil, pour une somme de 220.339,10 €, montant arrêté au 31 mars 2009, cette somme avec intérêts légaux de droit compris, a condamné la société NAPHTACHIMIE au paiement au profit de Monsieur [F] [S] de l'intégralité de la pension complémentaire réajustée due, sous astreinte de 400 € par infraction constatée, le Conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte, a débouté Monsieur [F] de sa demande d'exécution provisoire et a condamné la société NAPHTACHIMIE à lui payer une somme de 1.200 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, rejetant la demande reconventionnelle de la société.
La société NAPHTACHIMIE a régulièrement interjeté appel de ladite décision.
Elle demande à la cour, à titre principal,de :
. infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
. dire et juger les demandes de Monsieur [F] irrecevables comme prescrites,
. le débouter de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement :
. dire et juger irrecevables comme prescrites les demandes de rappels de pensions versées avant les 11 décembre 2001,
. débouter Monsieur [F] de ses demandes relatives aux points non cotisés au titre des services passés,
. dire que le point de départ des intérêts ne peut être fixé par application de l'article 1153 alinéa 3 du Code Civil qu'à compter du 19 juin 2009,
. dire que la capitalisation ne peut être ordonnée qu'à compter de l'arrêt à intervenir pour les intérêts échus,
. dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
. dire et juger que les dépens seront partagés par moitié.
Elle fait valoir que :
. les demandes de Monsieur [F] doivent être qualifiées de rappels de pensions,
. lesdites demandes sont prescrites,
. à titre subsidiaire, s'agissant d'un manquement à un engagement unilatéral, seule la responsabilité délictuelle de l'ex employeur peut être recherchée et la prescription en la matière est décennale.
. à titre plus subsidiaire, elle conteste avoir commis une quelconque faute dans le calcul et versement dudit avantage retraite, ajoutant que Monsieur [F] était depuis l'origine, en 1990, en possession des éléments de calcul dudit avantage.
. sur le préjudice, elle en conteste le montant.
Monsieur [F] demande pour sa part à la cour de :
. Confirmer le jugement dont appel sur le principe de la condamnation ,
. d'actualiser son préjudice au 30 septembre 2011, soit la somme de 247.355,32 €, intérêts au taux légal inclus.
. subsidiairement, retenir comme point de départ du préjudice le 21 novembre 2001, si la Cour entendait appliquer la prescription quinquennale, et fixer son préjudice à la somme de 130.611,09 €.
. condamner l'appelante à lu payer à compter du 1er octobre 2011 la pension complémentaire réajustée, soit en excluant les points indûment déduits.
. condamner la société NAPHTACHIMIE à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il rétorque que :
. la prescription est de droit commun et en tout état de cause, elle ne court pas , le débiteur de la pension ayant manqué à son obligation d'information et ayant commis une faute dolosive.
. sa demande a pour finalité la réparation d'une inexécution par l'employeur d'une obligation contractuelle contenue dans l'article 25 du RCPN, et son action est fondée sur les articles 1101 et 1134 du Code civil,
. s'agissant de la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l'employeur, la prescription encourue est en tout état de cause trentenaire.
. subsidiairement, il s'agit d'un quasi-contrat et l'action en exécution de celui-ci est soumise à la prescription trentenaire.
. au fond, il est établi que l'employeur a procédé à des déductions de points gratuits non cotisés par ses soins au mépris du texte clair, ne souffrant pas d'interprétation, de l'article 25 RCPN et notamment pendant la période FNE, durant laquelle le salarié n'était pas présent dans l'entreprise.
. cette violation dudit article a entraîné une minoration du montant de la pension RCPN dès l'origine.
MOTIFS
Sur l'exception de prescription
Attendu qu'en saisissant la juridiction prud'homale, Monsieur [F] a invoqué une violation par son ancien employeur de l'article 25 du régime RCPN , par l'imputation d'autres pensions que celles expressément visées par ce texte, et demandé à être rétabli dans ses droits, de par l'allocation d'une somme de 109.339 €, créance arrêtée au 31 décembre 2009, « en remboursement des retenues indûment effectuées sur l'allocation complémentaire versée au titre du régime dit RCPN. »
Que ce faisant, il fonde son action sur les articles 1101 et 1134 du Code civil, s'agissant selon lui de la réparation d'une inexécution par l'employeur d'une obligation contractuelle contenue dans l'article 25 du RCPN.
Que l'employeur oppose la prescription quinquennale tirée de l'ancien article 2277 du Code civil à ladite demande s'analysant selon lui à une demande de rappel de pension issue du RCPN .
Que constitue une fin de non recevoir susceptible d'être soulevée en tout état de cause et donc en appel, le moyen soutenant qu'une demande est prescrite.
Que ladite exception est donc recevable ;
Qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une simple demande en paiement d'arrérages de pension de retraite complémentaire, laquelle est soumise à la prescription abrégée de cinq ans
prévue pour tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts.
Qu'il s'agit bien de l'action en réparation d'un préjudice né d'une exécution fautive d'un engagement pris par l'employeur.
Que dès lors, les salariés ayant subi des déductions non prévues par l'article 25RCPN au moment du calcul initial de leur avantage RCPN ont droit à un « préjudice additionnel ».
Attendu que la seule énonciation contenue dans la lettre d'embauche de Monsieur [F] « vous bénéficierez du régime particulier de Régime de Prévoyance et de Retraite de notre Personnel » n'emporte pas engagement unilatéral de la société d'appliquer à titre individuel au salarié le régime RCPN, comme la remise de document résumant les usages et engagements unilatéraux de l'employeur n'ont pas pour effet de contractualiser les avantages qui y sont décrits et leur conférer le caractère d'un avantage individuel acquis dont le salarié pourrait se prévaloir.
Qu'il s'agit en l'espèce d'un engagement unilatéral de l'employeur qui a été contracté pour l'ensemble des salariés de l'entreprise et le non-respect par l'employeur de son engagement unilatéral ouvre droit à réparation pour le salarié victime d'un tel préjudice, sur le fondement de l'article 1142 du code civil.
Qu'une telle action échappe à la prescription abrégée de l'action en paiement des prestations de retraite complémentaire mais relève de la prescription trentenaire de droit commun.
Que le préjudice allégué consistant dans la minoration de l'avantage RCPN servi à l'intéressé est devenu actuel au moment où ce salarié s'est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits , soit en 1990 et son action introduite en novembre 2006, n'était pas atteinte par la prescription de l'article 2262 ancien du Code civil.
Que l'exception soulevée sera rejetée.
Sur le bien fondé de la demande
Attendu que le salarié conteste le mode de calcul opéré par l'employeur de l'avantage RCPN au regard de la lecture de l'article 25 dudit régime, faisant valoir qu'ont été pris en compte des points acquis pendant sa période de préretraite et de chômage subséquent de même que des points attribués « gratuitement » pendant sa période d'activité dans la société NAPHTACHIMIE.
Que pour lui, seuls les points ayant donné lieu à des cotisations de la part de NAPHTACHIMIE peuvent être déduits.
Que l'employeur soutient qu'il y a lieu à interprétation des dispositions dudit article et notamment les expressions « pendant le temps de présence » et « en fonction des seules cotisations patronales », alors que le règlement ne fait nulle part de points gratuits.
Attendu que le salarié a droit à une allocation complémentaire égale à la différence entre « les Pensions Totales « et les prestations visées à l'article 25 dudit Régime dont il peut bénéficier par ailleurs, pour lui verser in fine une garantie de pension calculée en fonction de son ancienneté.
Que le litige porte sur la nature des prestations à déduire telles que prévues à l'article 25, lequel est libellé en ces termes :
« sont notamment déductibles :
pour les pensions de retraite ;
Les pensions de retraite versées par la Sécurité Sociale, à l'exception des majorations pour conjointe et enfants à charge. Ces pensions sont retenues seulement pour leur fraction acquise pendant le temps de présence à NAPHTACHIMIE ou sociétés actionnaires et correspondant aux seules cotisations incombant à l'employeur.. »
Que de même pour les pensions de retraite complémentaire, il est de nouveau mentionné :
« Ces pensions sont retenues seulement pour leur fraction correspondant au nombre de points acquis pendant le temps de présence à NAPHTACHIMIE ou sociétés actionnaires en fonction des seules cotisations incombant à l'employeur ».
Que dès lors, les pensions déductibles devaient réunir les deux critères (temps de présence et cotisation pour l'employeur).
Attendu qu'en l'espèce, peut donc être assimilé à « ce temps de présence « au sens du texte susvisé, la période du FNE correspond entre la date du départ anticipé du salarié et celle de son soixantième anniversaire et que dès lors, les prestations complémentaires de retraite qui lui seraient acquises pour ladite période doivent être exonérées des déductions des « parts patronales des pensions » qui sont dues au titre de la même période.
Attendu qu'il résulte de l'expertise un mode de calcul et d'intégration des points gratuits que la société NAPHTACHIMIE ne peut plus contester ayant formellement admis qu'elle avait gelé le RCPN.
Qu'il en résulte un préjudice correspondant à la période d'activité et aux points gratuits non cotisés par l'employeur.
Qu'en effet, l'expert a relevé que la société NAPHATCHIMIE avait lorsqu'elle a calculé l'avantage RCPN, opéré des déductions au titre de la totalité des points gratuits attribués au salarié et pour lesquels elle n'avait pas cotisé.
Qu'il importe peu que le texte ne mentionne pas expressément le terme de points gratuits, mais celui-ci se déduit a contrario de l'expression « en fonction des cotisations incombant à l'employeur ».
Que c'est à juste titre que le salarié conteste la déduction par l'employeur de fractions de retraite acquise grâce à des points donnés par les Caisses sans cotisation versée en échange par l'employeur.
Que les calculs opérés par l'expert en ce qu'il a distingué les points cotisés et ceux attribués gratuitement au salarié ne sont pas contestés par la société NAPHTACHIMIE.
Qu'il y a donc lieu à confirmer le jugement sur le principe de l'existence d'un préjudice et sur l'allocation des sommes indûment retenues au salarié en réparation dudit préjudice, sans que celui-ci ne puisse être défini comme le soutient à tort l'employeur, comme une perte de chance d'obtenir des pensions complémentaires non minorées.
Qu'en revanche, le jugement sera réformé sur le quantum de la réparation, en ce qu'il a accordé à M. [F] une somme de somme de 220.339,10 €, montant arrêté au 31 mars 2009, cette somme incluant les intérêts légaux de droit .
Attendu que tant en matière délictuelle qu'en matière contractuelle, la créance de réparation ne peut produire d'intérêts moratoires que du jour où elle est allouée judiciairement.
Que le jugement a homologué à tort le montant chiffré par l'expert sans statuer sur le point de départ des intérêts ni sur l'existence d'une réparation complémentaire, alors que l'expert a inclus dans la fixation du préjudice les intérêts légaux depuis le versement desdits avantages.
Qu'il convient en conséquence de chiffrer le préjudice de Monsieur [F] à la somme de 162.765 euros nets et de dire que ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Que de même, les intérêts échus pour une année entière au moins seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.
Que le salarié peut désormais prétendre à un montant réajusté de l'avantage RCPN lequel a cependant été gelé depuis le 1er janvier 1998 , et qui a été fixé par l'expert à la somme de 1.693,43 € par mois.
Qu'il y a lieu de condamner la société NAPHTACHIMIE à payer à Monsieur [F] à compter de la première échéance suivant le mois de signification du présent arrêt, sous astreinte de 50€ par jour de retard, le RCPN mensuel gelé au 1er janvier 1998 porté à un montant de 1.693,43 €.
Attendu qu'aucun motif tiré de l'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Qu'en revanche, l'appelante succombant principalement, doit être condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Réforme le jugement déféré,
Rejette l'exception de prescription,
Condamne la société NAPHTACHIMIE à payer à Monsieur [S] [F] une somme de 162.765 euros en réparation du préjudice résultant de retenues indûment effectuées sur le fondement de l'article 25 du régime d'allocation supplémentaire dit RCPN, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts échus conformément à l'article 1154 du Code civil.
Condamne la société NAPHATCHIMIE à payer à Monsieur [F] à compter de la première échéance suivant le mois de signification du présent arrêt, sous astreinte de 50€ par jour de retard, le RCPN mensuel gelé au 1er janvier 1998 porté à un montant de 1.693,43 €.
Rejette toute autre demande.
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'appelante aux entiers dépens.
Le GreffierLe Président