COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 27 OCTOBRE 2011
N°2011/
Rôle N° 10/05429
[X] [M]
C/
S.A.S. ARCELOR MITTAL MEDITERRANEE
Grosse délivrée le :
à :
Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Isabelle RAFEL, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARTIGUES en date du 08 Mars 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/67.
APPELANT
Monsieur [X] [M], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Benoît CHARIOU, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A.S. ARCELOR MITTAL MEDITERRANEE venant aux droits de la Société SOLLAC MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Isabelle RAFEL, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 26 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2011
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
[X] [M] a été engagé à compter de 1975 par la société Sollac Méditerranée aux droits de laquelle se trouve la SAS Arcelor Mittal Méditerranée suivant contrat à durée indéterminée en qualité d'ouvrier de maintenance électrique.
Le 15 février 1998, il a été victime d'un accident du travail ayant chuté d'un plate forme de quatre mètres de hauteur et a été licencié pour inaptitude le 30 juin 2000.
Contestant la légitimité de son licenciement, le salarié a intenté une action prud'homale qui a donné lieu à un jugement du tribunal d'instance Martigues statuant en matière prud'homale par délégation, en date du 21 mai 2001, réformé partiellement suivant arrêt en date du 15 mai 2003 par la cour d'appel d'Aix en Provence laquelle a confirmé le jugement en ce qu'il a dit que l'employeur avait organisé tardivement la visite de reprise auprès du médecin du travail et condamné l'employeur à lui payer 8671,57€ à titre de dommages et intérêts mais l'a réformé pour le surplus a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à payer au salarié 24000€ ( tous préjudices confondus) à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L122-32-7 du code du travail avec intérêts au taux légal et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil
Sur le pourvoi formé par l'employeur, la Cour de cassation a le 15 juin 2005 cassé partiellement cet arrêt du 15 mai 2003 mais seulement en ce qu'il a condamné l'employeur à payer la somme de 24000€ avec intérêts au taux légal et capitalisation.
La cour d'appel de Nîmes, sur renvoi a par arrêt du 19 septembre 2007 alloué au salarié 30 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre intérêts au taux légal et capitalisation.
Suite à cet accident du travail, une procédure pénale a été engagée qui a abouti à un jugement du tribunal correctionnel d'Aix en Provence le 9 juin 2004 retenant les blessures involontaires de plus de trois mois et la fournitures à un salarié d'équipement sans respect des règles d'utilisation.
Parallèlement, [X] [M] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône qui par jugement en date du 5 septembre 2007 a reconnu le caractère inexcusable de la faute de l'employeur, alloué une indemnité provisionnelle de 20 000€ à la victime, ordonné une expertise, puis par un second jugement en date du 12 novembre 2008 a après l'expertise du Docteur [J]:
-fixé l'indemnisation de [X] [M] de la façon suivante: 20 000€ pour les souffrances physiques et morales, 2000€ pour le préjudice esthétique, 10 000€ pour le préjudice d'agrément,
-dit n'y avoir lieu d'indemniser de [X] [M] du fait du préjudice professionnel et de la perte d'emploi.
Sur l'appel de l'assuré, la cour d'Aix en Provence 14ième chambre a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions.
Revendiquant la jurisprudence de la cour de cassation ( Cass Soc 17 mai 2006 n° 04-47455) sur l'admission du préjudice lié à la perte d'emploi, [X] [M] a le 27 janvier 2009 saisi à nouveau le conseil de prud'hommes de Martigues lequel section industrie en formation de départage par jugement en date du 8 février 2010 a:
*rejeté l'exception d'incompétence,
*rejeté la fin de non recevoir tirée du principe de l'unicité de l'instance,
*tenant la faute inexcusable de l'employeur, dit que le préjudice spécifique lié la perte d'emploi est réparable tout autant qu'il soit établi,
*constate que le salarié ne rapporte pas la preuve de l'existence et de l'étendue d'un tel préjudice dont il ne précise pas la nature,
*débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts,
*dit sans objet la demande d' exécution provisoire,
*dit le salarié infondé en ses prétentions à titre des frais irrépétibles,
*dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'employeur ,
*condamne le salarié aux dépens.
[X] [M] a le 19 mars 2010 interjeté régulièrement appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions, l'appelant demande à la cour de réformer le jugement déféré et de recevoir son action, de la déclarer fondée et de condamner la société intimée à lui payer outre la prise en charge des dépens:
-30 000€ de dommages et intérêts net de CSG-CRDS,
-3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que sa demande est parfaitement recevable:
- d'une part, qu'il n'y a pas de violation du principe de l'unicité de l'instance au motif que le débat relatif aux conséquences de la rupture était définitif à compter du 15 mai 2003, l'arrêt de cassation ne remettant pas en cause l'illégitimité de la rupture jugée par la cour d'Aix en Provence, que la cour de renvoi n'étant pas saisie des conséquences de la rupture, aucune demande nouvelle ne pouvait être portée devant elle, qu'enfin, à partir du moment où le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale est intervenu postérieurement à l'arrêt de la cour d'Aix en Provence et des débats devant la cour d'appel de Nîmes, l'existence de la reconnaissance de la faute inexcusable est dorénavant un élément nouveau lui permettant de saisir la présente juridiction,
-d'autre part, qu'il n'a pas violation de la règle 'non bis in idem' au motif que la présente demande indemnitaire n'a pas été revendiquée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, que si dans le corps de son jugement, ce tribunal en fait état, c'est une simple erreur matérielle, qu'en toute hypothèse, seul le conseil des prud'hommes est compétent pour statuer sur cette demande.
Il fait valoir sur le fond que le licenciement prononcé a directement pour cause l'avis d'inaptitude consécutif à l'accident dont il a été victime et qui a été reconnu comme découlant d'une faute inexcusable de l'employeur, que peu importe que le licenciement soit ou non légitime, ce qui compte et constitue le préjudice réparable c'est qu'il ait perdu son emploi à cause de cette faute inexcusable.
Il ajoute que la perte d'emploi constitue déjà en soi un préjudice indemnisable à tout le moins du point de vue moral et psychologique qu'il est en droit, d'obtenir la réparation financière d'un préjudice objectivement caractérisé et directement lié à la perte de son emploi.
Aux termes de ses écritures, la SAS Arcelor Mittal Méditerranée venant aux droits de la société Sollac Méditerranée conclut:
-au principal, à la réformation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté les moyens soulevés et à ce qu'il soit dit la demande du salarié irrecevable,
-à titre infiniment subsidiaire et au fond, à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande pour défaut de preuve d'un préjudice.
Elle sollicite la condamnation de l'appelant à lui verser 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les dépens.
Elle invoque l'irrecevabilité de la demande pour plusieurs motifs:
1°sur le fondement de la règle 'non bis in idem' c'est à dire l'impossibilité d'une double indemnisation, arguant à ce titre du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 12 novembre 2008 ainsi que de la motivation de l'arrêt confirmatif du 31 mai 2011, ce dernier ayant considéré que le préjudice professionnel ou de perte d'emploi est indemnisé par la rente servie par la caisse primaire d'assurance maladie, majorée du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable,
2° au titre des dispositions de l'article L451-1 du code de la sécurité sociale, relevant que l'appelante ne motive pas sa demande en droit hormis la référence à la jurisprudence,
3° au titre de l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit des juridictions de sécurité sociale notamment suite à l'avis du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et l'autorité de la chose jugée en l'état du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale et l'arrêt du 31 mai 2011.
4°au titre de la règle de l'unicité de l'instance, relevant que le salarié pouvait formuler la demande d'indemnisation devant la cour d'appel de Nîmes, que lors de l'audience de plaidories devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, elle s'en est rapportée sur la demande de la faute inexcusable.
Elle souligne sur le fond, que le salarié ne fournit aucun élément nouveau et que la reconnaissance d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse est réparée par l'allocation de dommages et intérêts qui ont pour objet de couvrir l'intégralité du préjudice lié à la rupture d contrat donc de la perte d'emploi.
Pour plus ample exposé, la Cour renvoie aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE
En droit, lorsqu'un salarié a été licencié en raison d'une inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle qui a été jugé imputable à une faute inexcusable de l'employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de son emploi due à cette faute; le préjudice résultant de la perte d'emploi constitue un préjudice distinct de celui donnant lieu à la réparation spécifique afférente à l'accident du travail ayant pour origine la faute inexcusable de l'employeur.
I Sur la recevabilité de la demande
La confirmation du jugement déféré qui a déclaré la demande du salarié recevable s'impose; aucun des moyens soulevées par l'intimé tant en première instance qu'en appel et qui sont examinés un à un ci-dessous ne peuvent prospérer.
* Quant à la règle 'non bis in idem', elle ne saurait être retenue dans la mesure où tant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans son jugement du 12 novembre 2008 que la cour d'appel dans son arrêt confirmatif du 31 mai 2011 se sont fondés sur le caractère limitatif de l'indemnisation de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale c'est à dire la réparation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales, les préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotions professionnelles pour rejeter la réclamation au titre du préjudice professionnel sans qu'il soit démontré que le salarié ait expressément revendiqué le préjudice consécutif à la perte d'emploi devant les dites juridictions.
*Le moyen fondé sur les dispositions de l'article L 451-1 du code de la sécurité sociale, ne peut être accueilli puisque ainsi qu'il a été rappelé ci dessus le préjudice résultant de la perte d'emploi est un préjudice distinct de celui donnant lieu à la réparation spécifique afférente à l'accident du travail et que l'appelant motive parfaitement sa demande par référence à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 mai 2006.
* S'agissant du moyen tiré de l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit des juridictions de sécurité sociale, il ne peut être retenu au motif que l'avis du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010 qui permet désormais une réparation des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle non plus limitée aux postes visées par les dispositions de l'articles L 452-3 de la sécurité sociale n'exclut nullement la compétence de la juridiction prud'homale pour l'indemnisation du préjudice consécutif à la perte d'emploi.
L'indemnisation spécifique afférente à l'accident du travail ne fait pas obstacle à celle destinée à la réparation du préjudice lié à la perte d'emploi qui relève de la compétence du conseil des prud'hommes.
La présente cour étant la juridiction d'appel du conseil des prud'hommes compétent, il ne saurait être fait droit à l'exception d'incompétence soulevée.
* En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée tirée du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale et de l'arrêt du 31 mai 2011, elle ne peut être utilement invoquée dès lors ainsi qu'il a été dit ce dessus, que les dites juridictions se sont situées dans le seul cadre de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale et qu' il n'est pas démontré que le salarié aurait expressément revendiqué le préjudice consécutif à la perte d'emploi devant les dites juridictions.
* Sur la règle de l'unicité de l'instance, il doit être considéré que cette fin de non recevoir ne peut jouer.
En effet, si l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes est intervenu le 19 septembre 2007 soit après le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 5 septembre 2007 qui a reconnu la faute inexcusable de l'employeur, il s'avère qu'à la date de l'audience des plaidoiries devant la cour d'appel de Nîmes où les demandes nouvelles pouvaient certes être faites soit le 27 juin 2007, le jugement du 5 septembre 2007 n'était encore rendu et que si la société Arcelor lors de l'audience de plaidoiries du 16 mai 2007 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale s'en est rapportée sur la demande de faute inexcusable, encore fallait il que la faute inexcusable soit judiciairement reconnue, ce qui n'était pas le cas le 27 juin 2007.
II sur la demande d'indemnité pour perte d'emploi
En l'état, dès lors qu'il a été définitivement jugé par le tribunal des affaires de sécurité sociale que l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur et qu'il est démontré que la faute de l'employeur est bien la cause directe et certaine de l'inaptitude au travail du salarié, inaptitude qui a servi de motif au licenciement, le licenciement est donc imputable à l'employeur et ouvre droit pour le salarié à une indemité réparant la perte d'emploi consécutive à cette faute.
Dans ces conditions sur le principe, l'existence d'un préjudice résultant de la perte d'emploi est établi.
Par contre, la question qui reste en litige est celle de son étendue.
Le préjudice consécutif à la perte d'emploi peut être notamment caractérisé par le changement de vie alors que la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée ouvre des perspectives d'emploi durable, par la remise en cause des projets matériels et par la souffrance morale indépendante de celle directement liée à l'accident
Or, en l'espèce, dans ses écritures devant la cour, l'appelant n' invoque que l'aspect 'à tout le moins moral ou psycholgique' sans autre précision, ce qu'il n'avait pas visé en première instance.
En conséquence, il doit lui être alloué une indemnité à hauteur de 2 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi compte tenu de son âge au moment de la rupture et de son ancienneté.
III Sur les demandes annexes
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'appelant et de lui octroyer à ce titre une indemnité de 1 000€
L'employeur qui succombe ne peut bénéficier de cet article et doit être tenu aux dépens première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non recevoir tirée du principe de l'unicité de l'instance.
Le réforme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant,
Rejette les autres moyens d'irrecevabilité de la demande soulevés en cause d'appel par l'intimée.
Condamne la SAS Arcelor Mittal à payer à [X] [M] les sommes suivantes de :
-2 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral résultant de la perte d'emploi.
-1 000€ à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS Arcelor Mittal aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT