COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2ème Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 26 OCTOBRE 2011
N° 2011/ 403
Rôle N° 10/11290
[O] [X]
[K] [N]
épouse [X]
C/
[J] [Z]
Grosse délivrée
le :
à : LIBERAS
TOUBOUL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 28 avril 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 2007F00237
APPELANTS
Monsieur [O] [X]
né le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 7] (21)
Madame [K] [N] épouse [X]
née le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 5] (60)
tous deux demeurant [Adresse 1]
représentés par la SCP LIBERAS BUVAT MICHOTEY, avoués à la Cour,
plaidant par Me Fabienne BERNERON, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [J] [Z]
né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 8]
représenté par la SCP MJ DE SAINT FERREOL ET COLETTE TOUBOUL, avoués à la Cour,
plaidant par Me Sophie CAIS substituée par Me Corinne BONVINO-ORDIONI, avocats au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 29 septembre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de procédure civile, Monsieur Robert SIMON, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Robert SIMON, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Mireille MASTRANTUONO
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2011,
Signé par Monsieur Robert SIMON, Président, et Madame Mireille MASTRANTUONO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
Monsieur [O] [X] a acheté, par acte sous seing privé des 7 septembre et 18 octobre 2005 l'officine de pharmacie appartenant à Monsieur [J] [Z] et situé à [Localité 10] (83) moyennant le prix de 1.750.000 €, représentant 113 % du dernier chiffre d'affaires. L'acte de cession a été réitéré, le 6 janvier 2006, avec prise de possession du fonds de commerce, le 8 janvier 2006, l'acte comportait une clause de conciliation en cas de contestation sur l'exécution de la vente. Monsieur [O] [X] a dénoncé, le 28 février 2006, auprès du Conseil régional de l'Ordre des Pharmaciens certaines pratiques de son prédécesseur qu'il jugeait illégales et a saisi, le 13 mars 2006, le juge des référés civils pour obtenir une mesure d'instruction et le 26 décembre 2006, le tribunal de commerce de Toulon au fond pour obtenir une réfaction du prix de cession. La Cour d'Appel d'Aix en Provence par arrêt en date du 27 mars 2007 lui a donné satisfaction en désignant monsieur [I], en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport d'expertise, le 30 juin 2008.
Par jugement contradictoire en date du 23 avril 2010, le Tribunal de Commerce de TOULON a débouté Monsieur [O] [X] de l'ensemble de ses demandes tendant principalement à une réfaction du prix de cession et à l'allocation de dommages-et-intérêts, ainsi que Monsieur [J] [Z] de ses demandes reconventionnelles.
Monsieur [O] [X] a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret N° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.
Vu les conclusions récapitulatives et en réponse de Monsieur [O] [X] et de son épouse Madame [K] [N] en date du 27 septembre 2011 tendant à faire juger :
- que le moyen d'irrecevabilité de sa demande devra être rejeté, la non-mise en place de la procédure préalable de conciliation dans le délai d'un mois incombant à Monsieur [J] [Z] qui n'a pas répondu aux courriers l'invitant à le faire,
- au fond, qu'une décision du Conseil National des Pharmaciens en date du 16 mars 2010 met en lumière les 'pratiques illicites' de Monsieur [J] [Z] (organisation d'un système frauduleux au sein de l'officine avec la complicité de médecins prescripteurs qui donnait lieu à la facturation de médicaments alors que ceux-ci n'étaient pas véritablement délivrés),
- que Monsieur [J] [Z] n'a pas fourni conformément à l'article L 141-1 du code de commerce l'indication d'un chiffre d'affaires établi conformément aux dispositions du code de la Santé Publique et que le chiffre d'affaires déclaré dans l'acte de cession et servant de base à la valorisation du prix de cession procède de comportements délictueux récurrents, Monsieur [J] [Z] ne pouvant ignorer sa fausseté lors de sa déclaration, et a procédé à 'une purge informatique' du disque dur de son ordinateur pour faire disparaître ces données comptables irrégulières et n'a pas informé son acheteur des procédures disciplinaires dont il faisait l'objet,
- que Monsieur [J] [Z] avait déjà fait l'objet en 2000 d'une précédente sanction disciplinaire pour des infractions de la même nature ('délivrance irrégulière de médicaments listés'),
- que Monsieur [J] [Z] tente insidieusement de jeter le discrédit sur Monsieur [O] [X] en lui imputant les mêmes comportements lors de la cession de son officine de pharmacie par Monsieur [O] [X] à [Localité 9] (66) en mai 2005, des décisions de justice faisant litière de ces imputations,
- que l'expert judiciaire en dépit de la difficulté liée à la purge informatique a chiffré à 64.203,60 € le 'surplus' du prix,
- que le préjudice comprend aussi * la perte d'une chance par suite de la purge informatique, de pouvoir obtenir une réelle indemnisation du préjudice, l'ampleur des pratiques irrégulières étant difficile à appréhender, soit 111.489,22 € et * le préjudice moral, 20.000 € ;
Vu les conclusions en réponse et récapitulatives de Monsieur [J] [Z] en date du 19 septembre 2011 tendant à faire juger :
- que l'action de Monsieur [O] [X] est irrecevable comme n'ayant pas été précédée par la mise en oeuvre de la procédure de conciliation selon les stipulations précises de l'acte de cession, la preuve de la réception du courrier du 17 novembre 2005 émanant du conseil de Monsieur [O] [X] n'étant pas faite, et aucune désignation d'un conciliateur par Monsieur [O] [X] n'étant intervenue,
- subsidiairement, que les salariés de l'officine de pharmacie témoignant sur l'organisation d'un système frauduleux sont sujets à caution, que l'imputabilité au pharmacien sortant de la purge informatique n'est pas rapportée, Monsieur [O] [X] ayant pu y procéder, le 13 février 2006, et l'utilisation à des fins frauduleuses de la touche TAB-U est une simple allégation,
- que l'expert judiciaire est insuffisante, 'fort critiquable', 'superficielle' et reposant sur 'des hypothèses non vérifiées' et elle procède d'un 'parti-pris inacceptable ou évident',
- que rien ne permet de conclure que le prix de cession est déterminé en pourcentage des chiffres d'affaires déclarés,
- qu'au titre de l'obligation de loyauté professionnelle, il n'avait pas à révéler les procédures disciplinaires dont il faisait ou avait fait l'objet, cette information ne présentant aucun intérêt pour la cession en cours, outre que la mesure d'interdiction qui l'a frappé ne l'empêchait pas de se faire remplacer et ne le conduisait pas à céder son officine,
- que le consentement de Monsieur [O] [X] n'a pas été vicié par l'absence de connaissance des procédures disciplinaires, l'incidence des pratiques sanctionnées étant au surplus négligeable sur les chiffres d'affaires (de 1,80 à 2,48 % de majoration),
- subsidiairement, que l'évaluation du préjudice est exagérée et ' extravagante' et la perte de chance invoquée est aussi 'extravagante qu'infondée' ;
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 26 septembre 2011.
Attendu que l'acte réitératif de la cession d'officine de la pharmacie en date du 6 janvier 2006 comportait une clause de conciliation prévoyant que les parties soumettraient toute contestation sur l'exécution du contrat 'préalablement à toute instance judiciaire, à des conciliateurs, chacune des parties en désignant un, sauf le cas où elles se mettraient d'accord sur le choix d'un conciliateur unique... A défaut de parvenir à un accord dans le délai d'un mois à compter de la désignation du premier conciliateur, les tribunaux du siège de l'officine seront seuls compétents pour tout litige opposant vendeur et acquéreur' ; que par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 novembre 2006, présentée au domicile connu de Monsieur [J] [Z], (un mandataire ayant accepté la lettre recommandée), après une tentative infructueuse à une autre adresse, le 7 novembre 2006, le conseil de Monsieur [O] [X] proposait à Monsieur [J] [Z] la mise en place de la conciliation 'relative à la cession et aux conditions de réalisation des chiffes d'affaires' ; que Monsieur [J] [Z] n'y a pas répondu alors qu'il était invité à faire 'connaître ses intentions quant à la désignation d'un ou des conciliateurs' ; que la procédure de conciliation a été régulièrement mise en oeuvre par Monsieur [O] [X] qui a manifesté sa volonté d'y recourir ; que l'absence de mise en place de la conciliation préalable est due à Monsieur [J] [Z] qui n'a pas entendu faire connaître ses intentions quant à l'offre qui lui était faite de désigner d'un commun accord un conciliateur unique ; que Monsieur [J] [Z] ne peut se prévaloir de 'l'infraction' qui serait constituée par le non recours à la procédure préalable de conciliation dès lors que l'échec de sa mise en place à laquelle il devait pourtant collaborer, lui incombe exclusivement ; que la tentative de mettre en place la procédure de conciliation est intervenue avant toute instance au fond ; que l'instance antérieure en référé tendant uniquement à la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, s'était terminée par une décision de débouté total ;
Attendu que l'expert judiciaire Monsieur [Y] [I] a pointé une série d'irrégularités aux dispositions du Code de la Santé Publique affectant la délivrance et les ventes de médicaments et autres produits et a conclu que les pratiques irrégulières de Monsieur [J] [Z] ont eu pour effet d'inscrire en comptabilité un chiffre d'affaires illicite sur lequel Monsieur [O] [X] 'ne pouvait compter dans la mesure où il n'envisageait pas d'enfreindre les dispositions du Code de la Santé Publique' ; que l'expert judiciaire évalue le préjudice résultant pour Monsieur [O] [X] de l'irrégularité du chiffre d'affaires litigieux dans une fourchette comprise entre 50.328 € et 64.206 € ; que par ailleurs l'expert judiciaire note qu'une purge dans les archives informatiques de l'officine a été pratiquée par Monsieur [J] [Z] 'sans aucune raison technique' , conduisant à la disparition des historiques antérieures à trois mois et qu'il est logiquement envisageable que Monsieur [J] [Z] ait agi 'afin de faire disparaître des informations embarrassantes' ; que les mécanismes frauduleux sont décrits par l'expert judiciaire ; que la chambre de discipline du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens a prononcé, le 16 mars 2010, à l'encontre de Monsieur [J] [Z] la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant cinq années à compter du 1er septembre 2010 en visant les 'malversations' diverses commises par Monsieur [J] [Z] (facturation de médicaments prescrits mais non délivrés, ajouts sur les ordonnances à l'insu des médecins ...) ; que l'organisme disciplinaire des assurances sociales a sanctionné Monsieur [J] [Z] d'une interdiction permanente de servir des prestations aux assurés sociaux à compter du 1er mai 2010 ;
Attendu que la mention ht des chiffres d'affaires réalisés par l'officine de pharmacie au cours des trois dernières années d'exploitation est inexacte, leurs montants étant affectés et majorés par les diverses pratiques illicites mises en place dans l'officine, ainsi que l'expert judiciaire l'a démontré ; que l'incidence est significative, l'expert notant que 'les irrégularités ont permis à Monsieur [J] [Z] de réaliser dans l'exploitation de son officine un chiffre d'affaires qui n'aurait pas existé s'il avait respecté les dispositions du Code de la Santé Publique', tout en admettant que la 'détermination du montant exact s'avère extrêmement difficile pour ne dire impossible' ; que l'existence d'un chiffre d'affaires 'frauduleux' n'est pas contestable, même si son appréhension est malaisée, notamment en raison de la purge des données sur le disque dur qui a été effectuée à dessein par Monsieur [J] [Z] ;
Attendu que Monsieur [J] [Z] est tenu en application de l'article L 141-3 du code de commerce de donner sa garantie à son cessionnaire, Monsieur [O] [X] à raison de l'inexactitude des énonciations de l'acte de cession ; que ces inexactitudes, non insignifiantes ou accessoires, concernant un élément important dans l'appréciation de la valeur de l'officine de pharmacie par Monsieur [O] [X], ont déterminé ce dernier à acquérir à un prix qui était surévalué ; que le consentement de Monsieur [O] [X] a été vicié par un dol, caractérisé par la dissimulation de pratiques illicites qui aboutissaient à une majoration artificielle du chiffres d'affaires ; que Monsieur [O] [X] en connaissance des pratiques irrégulières et de leur nécessaire incidence sur le montant du chiffre d'affaires aurait été amené à reconsidérer le prix du vente qui avait été arrêté d'un commun accord et qui, représentant 113 % du chiffre d'affaires, était supérieur à la norme en usage pour ce type d'acquisition (autour de 100 % du chiffre d'affaires) ; que l'action en réfaction du prix de cession est bien fondée ; qu'il convient de fixer à la somme de 64.206 € , estimation haute faite par l'expert judiciaire compte tenu de la difficulté pour ce dernier à appréhender toute l'étendue de la fraude ; qu'au surplus, Monsieur [J] [Z] ayant délibérément (et naturellement) caché à Monsieur [O] [X] *qu'une partie du chiffre d'affaires provenait de procédés illicites mis en place et *qu'il ne pourrait donc obtenir le même chiffre d'affaires, sera tenu à payer à Monsieur [O] [X] des dommages-et-intérêts sur le fondement de l'article 1645 du code civil ; qu'il convient d'allouer à cet égard à Monsieur [O] [X] la somme de 15.000 € en réparation de son préjudice moral ; que la baisse du chiffre d'affaires pour la première année d'exploitation de Monsieur [O] [X] ne constitue pas un élément de préjudice, la réduction du prix de vente réparant déjà ladite baisse ;
Attendu qu'il apparaît équitable en application de l'article 700 du code de procédure civile, d'allouer à Monsieur [O] [X] la somme de 6.000 Euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
La Cour, statuant suivant arrêt contradictoire par sa mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour d'Appel,
Déclare recevable l'appel interjeté par Monsieur [O] [X].
Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau, condamne Monsieur [J] [Z] à porter et payer à Monsieur [O] [X] les sommes de 64.206 € et de 15.000 €, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur [J] [Z] aux dépens dont distraction au profit de la S.C.P. d'Avoués Associés Pierre LIBERAS ' Robert BUVAT - Françoise MICHOTEY qui en a fait la demande, à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le Greffier Le Président