COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 28 JUIN 2011
N°2011/
PM/FP-D
Rôle N° 10/11091
[V] [X]
C/
SARL ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES
Grosse délivrée le :
à :
Me Sandrine ZEPI, avocat au barreau de GRASSE
Me Jean-pierre POLI, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 08 Juin 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1725.
APPELANT
Monsieur [V] [X], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Sandrine ZEPI, avocat au barreau de GRASSE
substitué par Me Céline BAUDRAS, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
SARL ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-pierre POLI, avocat au barreau de NICE substitué par Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Mai 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe MARCOVICI, Vice-Président placé, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Monsieur Philippe MARCOVICI, Vice-Président placé
Greffier lors des débats : Madame Monique LE CHATELIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2011
Signé par Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
M. [V] [X] a été engagé le 27 janvier 2003 en qualité de maçon, suivant contrat de travail à durée indéterminée, par la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES.
Victime, le 15 novembre 2005, d'un accident de trajet ayant entraîné des fractures et contusions multiples, il a passé le 22 mai 2008 une visite médicale de reprise à l'issue de laquelle le médecin de travail l'a déclaré inapte temporaire à son poste de maçon ; lors d'une seconde visite médicale, en date du 5 juin 2008, le médecin l'a déclaré « inapte à son poste de maçon. A reclasser à un poste sans postures à genoux ni travail accroupi. Livraison sans manutention par exemple, poste administratif, après évaluation des compétences et formation si nécessaire ; Etude du poste et des conditions de travail de l'entreprise réalisée le 4 juin 2008 après-midi ».
Il a alors été affecté à un poste administratif de classement des archives moyennant un salaire mensuel de 2.318,88 € incluant des primes de transport et de panier.
Cette tâche étant accomplie, l'employeur, après avoir consulté le médecin du travail, a convoqué M. [X] à un entretien et lui a ensuite remis une lettre du 1er juin 2009 ainsi rédigée :
« Suite à notre entretien, nous vous confirmons ci-dessous les nouvelles conditions de votre collaboration au service de notre Entreprise.
Vous êtes au service de notre Entreprise depuis le 27/01/2003 et vous y occupez l'emploi de [Localité 4].
Compte tenu des restrictions d'aptitudes liées à votre handicap, votre nouvel emploi sera:
Personnel d'Entretien.
Vos taches seront les suivantes:
Le nettoyage des bureaux, les lundis et mercredis de 5h00à 8h00
La collecte du courrier, tous les jours à 8h00à la poste à [Localité 3] et à 16h30 départ du bureau pour la dépose à la poste de [Localité 3].
Le nettoyage de la base de vie des chantiers (planning à fixer ultérieurement)
Les diverses courses (appels d'offres, dépose et reprise des travaux de reprographie ... )
Le rangement des archives
A compter du 1er juin 2009 votre horaire hebdomadaire sera de 38 heures, décomposé comme suit :
. Lundi : 5h00 à 9h00 et de 13h30 à 17h00
. Mardi : 8h00 à 13h00 et de 14h00 à 17h00
. Mercredi : 5h00 à 9h00 et de 13h30 à 17h00
. Jeudi : 8h00 à 13h00 et de 14h00 à 17h00
. Vendredi : 8h00 à 12h00 et de 13h00 à 16h00
Votre taux horaire reste inchangé, seules vos conditions de déplacement ne seront plus
appliquées du fait de votre nouvelle affectation.
Pour la bonne règle, nous vous prions de nous donner votre accord sur la présente lettre, en nous retournant un exemplaire après avoir porté au bas de la page la mention manuscrite «Lu et Approuvé» suivie de votre signature ».
Par lettre du 12 juin 2009, M. [X] a fait savoir à son employeur qu'il refusait cette modification de son contrat de travail en raison, d'une part, de la nature du nouveau poste, qu'il estimait incompatible avec les préconisations du médecin du travail, les tâches de nettoyage supposant un travail avec posture à genoux ou parfois accroupi, et d'autre part de la baisse de rémunération qui devait en découler.
La société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES lui ayant fait savoir, par lettre du 15 juin 2009, que le médecin du travail avait l'avait assurée de la compatibilité du poste avec son handicap et que la proposition ne modifiait pas sa rémunération, les frais professionnels devant lui être réglés dans les mêmes conditions qu'à l'ensemble du personnel administratif, le salarié a confirmé, par lettre du 16 juin 2009, son refus du poste proposé, l'employeur s'engageant à lui maintenir son salaire, mais non les primes de panier et de déplacements.
Par lettre du 30 juin 2009, la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES lui a notifié son licenciement dans les termes suivants :
« Par lettre du 17 juin 2009, nous vous informons que nous envisagions votre licenciement, M.[T] vous a reçu le 25 juin à 8h30 et vous étiez accompagné de Mme [C] [K] conseiller, pour vous exprimer nos motifs et recueillir vos explications.
Nous nous voyons dans l'obligation de rompre votre contrat de travail pour les motifs suivants:
Nous vous avons proposé par courrier 1er juin 2009, un poste administratif comprenant les tâches suivantes sans modification de vos conditions de salaires:
a/ Collecte du courrier,
b/ Nettoyage des bureaux,
c/ Nettoyage base de vie,
d/ Diverses courses (appels d'offres, dépose et reprise des travaux de reprographie .... )
e/ Tenue des archives.
- Le 29 mai 2009, M.C [F], Médecin du travail, nous a confirmé que les contraintes de ces taches étaient compatibles avec votre handicap.
Par courrier du 12 juin 2009, vous nous avez notifié votre refus de prendre le poste proposé et vous avez confirmé votre position lors de l'entretien du 25 juin 2009.
Vos fonctions se termineront à réception de la présente lettre.
Nous tenons à disposition les sommes que nous restons vous devoir préavis et indemnités de licenciement... ».
Suivant demande reçue le 27 août 2009, M. [X] a saisi le Conseil de prud'hommes de GRASSE aux fins de voir déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'obtenir paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité compensatrice de congés payés, et de voir ordonner
la remise de documents sociaux rectifiés.
Par jugement du 8 juin 2010, le Conseil de prud'hommes a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, condamné la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES à payer à M. [X] la somme de 962,00 € au titre des congés payés et celle de 800,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné la remise de documents sociaux rectifiés portant le 1er octobre 2009 au lieu du 1er juillet 2009 comme date de fin de contrat, sous astreinte de 15,00 € par jour de retard, ordonné l'exécution provisoire du jugement, débouté les parties de toutes autres demandes et condamné l'employeur aux dépens.
M. [X] a interjeté appel de cette décision.
PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs écritures, reprises oralement à l'audience, les parties formulent les prétentions ci-après.
M. [X] demande à la Cour, réformant partiellement le jugement, de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de condamner l'employeur à lui payer la somme de 80.208,00 à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et celle de 5.493,34 € correspondant à l'indemnité compensatrice de deux mois de préavis, d'ordonner la remise d'une attestation ASSEDIC rectifiée sous astreinte de 100,00 € par jour de retard et de condamner l'intimée au paiement de la somme de 3.000,00 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
La société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES sollicite de la Cour qu'elle déboute le salarié de toutes ses demandes le condamne au paiement de la somme de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour plus ample exposé des faits de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris, aux pièces de la procédure et aux écritures des parties.
SUR CE, LA COUR
Attendu que l'appel, interjeté dans les formes et délai de la loi, sera déclaré recevable ;
Sur la rupture du contrat de travail :
Attendu que pour déclarer le licenciement de M. [X] fondé sur une cause réelle et sérieuse, le Conseil de prud'hommes a relevé que le médecin du travail avait donné son accord sur le nouveau poste proposé et que si le salarié fondait surtout son refus sur le non-paiement des primes de déplacement et de panier perçues au cours de l'année écoulée, sur un poste également sédentaire, l'employeur n'était pas tenu de maintenir le paiement de ces primes, liées aux déplacements et repas effectifs ;
La société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES ajoute qu'elle a rempli son obligation de reclassement du salarié, déclaré inapte à son emploi de maçon, en l'affectant dans un premier temps à un poste créé spécialement avec pour mission ponctuelle la remise en ordre des archives et qu'il lui appartenait de tirer les conséquences du refus par M. [X] du nouveau poste de reclassement proposé une fois cette tâche accomplie, en procédant à son licenciement, faute de pouvoir lui proposer un autre poste disponible et conforme aux préconisations du médecin ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES a respecté son obligation de reclassement en affectant M. [X], à partir du mois dejuin 2008, à un poste administratif, avec maintien de sa rémunération dans toutes ses composantes, sans d'ailleurs modifier, de manière surprenante, la désignation de sa fonction de maçon figurant dans son contrat de travail et sur les bulletins de salaire ;
Attendu, quoi qu'il en soit, que le reclassement de l'intéressé ayant ainsi été effectué, il entrait, certes, dans le pouvoir de direction de la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES comme de tout employeur, une fois remplie la mission de classement des archives qui avait été assignée au salarié dans le cadre de son nouveau poste, de lui confier ultérieurement d'autres taches, dès lors qu'elles étaient compatibles avec son état de santé, mais non de lui imposer une modification de son contrat de travail portant sur des éléments essentiels comme, notamment, la rémunération ;
Attendu qu'à cet égard, constituait une telle modification l'indication que les primes de déplacement et de panier ne lui seraient désormais payées que dans les mêmes conditions que « l'ensemble du personnel administratif », c'est-à-dire de manière ponctuelle, alors qu'elles étaient systématiquement versées dans le cadre des fonctions administratives qu'il exerçait alors, pourtant tout aussi sédentaires que celles auxquelles l'employeur envisageait désormais de l'affecter ;
Attendu que dès lors, c'est à juste titre que le salarié soutient que l'employeur, qui avait procédé à son reclassement depuis un an, ne pouvait le licencier au seul motif qu'il refusait de signer un avenant à son contrat de travail impliquant une baisse de rémunération d'environ 250,00 € par mois par la renonciation aux primes de transports et de panier dont il n'avait jamais cessé de bénéficier, même une fois reclassé sur un poste administratif ;
Attendu que par suite, il y a lieu d'infirmer le jugement de ce chef et de déclarer le licenciement de M. [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que celui-ci a nécessairement causé à l'intéressé un préjudice qu'il convient d'évaluer à 25.000,00 € compte tenu des circonstances de la cause et notamment de la difficulté invoquée par M. [X] de retrouver un nouvel emploi, en raison de son handicap ;
Sur les autres demandes du salarié :
Attendu, en ce qui concerne le préavis, qu'il n'est pas contesté qu'aux termes de la convention collective, celui-ci était de trois mois et que M. [X] a perçu à ce titre une indemnité compensatrice correspondant à un mois de salaire ; que le salarié réclame paiement d'un reliquat de 5.493,34€ correspondant aux deux autres mois de préavis ;
Attendu que la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES soutient avoir payé au salarié la totalité de son préavis et produit à ce sujet, d'une part, l'attestation destinée à l'ASSEDIC sur laquelle il est mentionné que le préavis est non effectué mais payé, ce qui ne saurait constituer une preuve de paiement s'agissant d'un document établi de manière unilatérale, et d'autre part, le solde de tout compte, portant sur un montant de 7.623,43 € ;
Mais attendu que M. [X] fait observer à juste titre que l'examen du dernier bulletin de salaire révèle que ce montant correspond à hauteur de 5449,65 € à l'indemnité de licenciement et pour le solde à un mois de salaire et non trois mois ; qu'il n'est pas prétendu, par ailleurs, que l'intéressé aurait perçu d'autres sommes ultérieurement ;
Attendu qu'en conséquence, il convient de faire droit à la demande du salarié, dont le montant est justifié au regard des pièces versées aux débats ;
Attendu qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES au paiement de la somme de 962,00 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés dès lors que, comme l'indique le salarié, le dernier bulletin de salaire fait apparaître une retenue sur salaire correspondant à 98 jours d'absence pour congés, cependant que l'employeur affirme sans le démontrer que l'indemnité correspondante aurait été payée par la caisse de congés payés ;
Attendu qu'il convient également de le confirmer en ce qu'il a ordonné sous astreinte la délivrance d'une attestation ASSEDIC rectifiée ;
Attendu, enfin, que le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
***
Attendu que la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES, qui succombe, sera condamnée au paiement de la somme supplémentaire de 700,00 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel recevable.
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté M. [X] de ses demandes formées à titre de dommages-intérêts et à titre d'indemnité compensatrice de préavis ; et statuant à nouveau de ces chefs :
Dit que le licenciement de M. [X] par la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la société ENTREPRISE MAURO ET ASSOCIES à payer à M. [X] les sommes suivantes :
-25.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-5.493,34 € pour solde d'indemnité compensatrice de préavis.
Confirme le jugement pour le surplus.
Condamne l'intimée à payer à l'appelant la somme supplémentaire de 700,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux dépens.
Déboute les parties de toutes demandes, fins et conclusions autres, plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT