COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 05 AVRIL 2011
N°2011/344
Rôle N° 09/15646
[J] [V]
C/
SAS B.H.L
Grosse délivrée le :
à :
Me Sandrine GUIDICELLI, avocat au barreau de TOULON
Me Laurent COUTELIER, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 30 Juillet 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 08/706.
APPELANTE
Madame [J] [V],
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sandrine GUIDICELLI, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SAS B.H.L,
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Laurent COUTELIER, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 Février 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise JACQUEMIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jacques MALLET, Président
Madame Françoise JACQUEMIN, Conseiller
Mme Fabienne ADAM, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2011
Signé par Monsieur Jacques MALLET, Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [J] [V] a été embauchée par la SAS B.H.L. en qualité d'agent d'opération puis de chef de groupe par contrat à durée indéterminée du 8 janvier 1996 pour une rémunération mensuelle brute de 1.500 € au dernier état de sa collaboration.
En arrêt de travail à compter du 14 février 2005, elle a fait l'objet d'un classement en invalidité le 1er janvier 2008 ; déclarée inapte à tout poste de l'entreprise au terme de deux visites de reprise des 21 janvier et 4 février 2008, elle a été licenciée par courrier RAR du 3 mars 2008 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.
Elle a saisi d'une contestation de son licenciement, de demandes en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités et de dommages-intérêts liés à la rupture, le Conseil de Prud'hommes de TOULON qui, par jugement du 30 juillet 2009, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Elle a relevé appel de cette décision demandant à la Cour de :
dire qu'en raison de la dénomination de son poste et de ses responsabilités effectives au sein de l'agence de location de la [Localité 3], elle aurait dû bénéficier du statut d'agent de maîtrise et lui allouer les rappels de salaire en découlant
dire qu'elle rapporte la preuve de faits susceptibles de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral en conséquence requalifier le licenciement pour inaptitude physique en licenciement nul et lui allouer 39.085,68 e à ce titre
subsidiairement lui allouer 19.542,84 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de consultation des délégués du personnel dans le cadre de la procédure de licenciement dont elle a fait l'objet
Dans ses écritures soutenues sur l'audience, la SAS B.H.L. s'oppose aux moyens soulevés et sollicite la confirmation du jugement, et 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
MOTIFS
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office.
Sur la requalification de ses fonctions.
Attendu qu'il résulte de la consultation des bulletins de paie de la salariée que la dénomination de son poste était celle de 'chef de groupe opérations' ;
Qu'il n'est pas sérieusement contesté que celle-ci assurait la gestion administrative de l'agence tant dans ses rapports avec les clients que dans l'organisation du travail des trois autres salariés composant l'effectif de celle-ci ;
Qu'il ressort des courriers échangés entre les parties que l'employeur la considérait comme 'responsable de l'agence' faisant sans cesse référence à 'votre agence' ;
Que selon le répertoire national des qualifications annexé à la convention collective 'services de l'automobile', l'échelon de base applicable à ce poste est l'échelon 20 correspondant à un statut d'agent de maîtrise alors que son niveau de qualification est demeuré à l'échelon 4, statut employé.
Attendu que la salariée percevait un salaire mensuel brut total de 1.500,14 € pour 164,67 h de travail, qu'il n'y a pas lieu d'y soustraire la clause de non-concurrence illégalement intégrée au salaire qui n'a jamais été individualisée, que le salaire minimum à respecter, en application de l'échelon 20, était de 1.628,57 € bruts soit un différentiel de 128,63 € bruts ;
Qu'elle est ainsi fondée à se voir allouer un rappel de salaire du 1er juin 2003 au 13 février 2005 de : (2.572,60 + 57,79) = 2.630,39 € et les congés payés afférents : 263,03 € ;
Qu'elle se verra également allouer les compléments de salaire jusqu'au 30 mars 2005 et les indemnités complémentaires maladie qu'elle sollicite jusqu'au 31 décembre 2007 ainsi qu'un solde d'indemnité de licenciement en considération de son salaire revalorisé en application de l'échelon 20 de la classification conventionnelle des emplois.
Sur le licenciement.
La salariée soutient qu'elle a subi un harcèlement moral de la part de son employeur manifesté par :
omission ou refus de ses demandes de congés ;
multiplication de griefs non fondés à son encontre ;
non-respect des dispositions légales relatives à la surveillance médicale et à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
Elle expose que le 31 mai 2003, elle a perdu 18 jours de congés acquis sur sa période de référence 2001/02, qu'au jour de son arrêt de travail pour maladie en février 2005, il lui restait 13 jours de congés acquis sur la période 2003/04 et 23 jours sur la période 2004/05 ;
Que le 19 juin 2003, victime d'un accident du travail, elle a repris ses fonctions sans que l'employeur ait respecté son obligation de lui faire passer la visite médicale de reprise dont l'initiative lui appartient.
L'employeur fait valoir que la salariée s'obstinait au prétexte de ses obligations familiales à solliciter des congés pendant certaines périodes d'intense activité ce qui rendait impossible un quelconque accord de sa part, que cependant des congés lui ont été accordés pour la période qu'elle sollicitait, que pour la seconde période elle n'a pu prendre ses congés en raison de sa maladie, qu'il n'y a rien dans la discussion des congés qui puisse constituer un acte de harcèlement
Que sur le second moyen, il appartenait à la salariée, chef de groupe, de veiller à prendre les rendez-vous auprès de la médecine du travail.
Attendu que ces griefs ne sont pas établis ;
Que la salariée reproche également à son employeur de n'avoir cessé à compter de septembre 2003, de mettre en doute ses compétences et son investissement dans la gestion de l'agence de [Localité 3] ;
Qu'il lui a reproché de ne pas avoir informé la Direction du refus d'un salarié de travailler le samedi matin et de ne pas l'y avoir contraint; que par un autre courrier il évoquait la baisse du chiffre d'affaires de l'agence, les plaintes d'un client important, au mépris des difficultés récurrentes auxquelles celle-ci était confrontée et qu'elle consignait dans un carnet de note dès 2002 ;
Qu'il lui a ainsi été reproché à tort la baisse de chiffre d'affaires et de rentabilité de l'agence, son absence de participation active aux réunions, son manque d'initiative, son approche commerciale non professionnelle au téléphone, ainsi que l'absence de dispositions prises pour pourvoir au remplacement de l'agent de comptoir en congé de formation ;
Que Monsieur [G] a été nommé en qualité de responsable d'agence en janvier 2005 sans qu'elle en soit avisée au préalable, celui-ci lui demandant de venir dorénavant travailler tous les samedis, sans s'impliquer lui même puisqu'il refusait de venir le samedi matin.
.../...
L'employeur fait valoir que la salariée refusait tout reproche considérant toute remarque comme une offense personnelle, qu'elle connaissait de graves problèmes familiaux qui avaient une influence négative sur la qualité de son travail, qu'il ne faisait que répondre aux courriers dont l'abreuvait la salariée remettant en cause la stratégie salariale de l'entreprise, le contraignant pratiquement à justifier de sa politique, qu'elle n'a subi aucune rétrogradation ayant toujours exercé les mêmes fonctions.
Attendu cependant qu'il ressort des pièces et des débats, que celle-ci qui exerçait depuis plusieurs années les fonctions de responsable d'agence, sans en avoir ni le statut ni la rémunération, s'est vu remplacée au retour d'un congé et contrainte de reprendre des fonctions subalternes sur le même plan que les salariés qu'elle encadrait auparavant, contrainte également de modifier ses horaires de travail ;
Qu'il s'agit sans conteste d'un déclassement, l'employeur lui ayant au surplus retiré ses responsabilités au sein de l'agence pour les confier à un salarié récemment embauché sans même prendre le soin de l'en informer au préalable ;
Qu'en présence de ces éléments entraînant la détérioration des conditions de travail de la salariée et de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur ne justifie pas que ces agissements n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Qu'en effet, s'il aurait été possible de considérer que, par les courriers successifs adressés à la salariée, l'employeur ne faisait qu'user de son pouvoir de direction, il n'est pas justifié du bien fondé de ses reproches ;
Qu'au demeurant par courrier du 3 janvier 2005, il mettait en avant l'absence de motivation plutôt que l'incompétence de la salariée indiquant :'je constate d'ailleurs que vous revendiquez aujourd'hui cette fonction dont vous avez dit à plusieurs reprises qu'elle ne vous intéressait pas' ce qui est contesté et non justifié ;
Qu'ainsi il y a lieu de considérer que la salariée a été victime de harcèlement moral ;
Qu'elle justifie par les certificats médicaux et attestations produites que, profondément affectée par les reproches et les mesures prises par l'employeur, dès le 14 février 2005, elle a été en arrêt de travail avec traitement lourd par antidépresseurs et anxiolytiques et qu'elle n'a pu reprendre son emploi.
Attendu que le licenciement d'un salarié pour inaptitude physique résultant d'agissements fautifs de l'employeur est privé de cause réelle et sérieuse ;
Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris et d'allouer à la salariée la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts.
Attendu que les dommages intérêts pour procédure irrégulière ne sont pas cumulables avec les dommages-intérêts attribués en application des dispositions de l'article L 1235-3 du CT.
Attendu que la salariée est également fondée à se voir allouer une indemnité compensatrice de préavis tant au titre de l'article 2-10 de la convention collective des 'services de l'automobile' applicable qu'en raison du fait que l'inexécution du préavis est imputable à l'employeur, responsable des faits de harcèlement moral ayant contribué à l'affection à l'origine du licenciement.
L'équité justifie en la cause l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur qui succombe, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,
REÇOIT l'appel,
INFIRME le jugement entrepris,
DIT que la salariée en raison de ses fonctions aurait dû bénéficier du statut d'agent de maîtrise échelon 20,
DIT sans cause son licenciement pour inaptitude physique,
En conséquence,
CONDAMNE le SAS B.H.L à payer à madame [J] [V] les sommes de :
2.630,39 € bruts à titre de rappel de salaire du 1/06/03 au 13/02/05,
263,03 € bruts au titre des congés payés afférents,
129,14 € nets au titre des compléments de salaire employeur,
363,10 € nets au titre des indemnités de prévoyance,
1.496,07 € bruts au titre des compléments d'indemnités de prévoyance,
434,65 nets à titre de complément d'indemnité de licenciement,
3.257,14 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
30.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause en raison d'un harcèlement moral,
1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ORDONNE la remise par la société B.H.L des bulletins de salaire et de l'attestation ASSEDIC rectifiés à la lumière de la présente décision,
La CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.