COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 16 DECEMBRE 2010
N° 2010/ 420
Rôle N° 09/03143
SAS BRICORAMA FRANCE
C/
SCI LES COLONNES
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 09 Janvier 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 06/12859.
APPELANTE
SAS BRICORAMA FRANCE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 3]
représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
assistée de Maître Jean CHAUMANET, avocat au barreau de PARIS, substituée par Maître CHARDON Sabine, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SCI LES COLONNES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,
demeurant [Adresse 1]
représentée par la SCP COHEN - GUEDJ, avoués à la Cour,
assistée de la SCP VIDAL-NAQUET ALAIN NORBERT MORANT, avocats au barreau de MARSEILLE substituée par Maître Johann LEVY, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Novembre 2010 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Eric JAMET, vice-président placé, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Daniel ISOUARD, président
Monsieur Bruno NEDELEC, conseiller
Monsieur Eric JAMET, vice-président placé
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Christine RAGGINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2010.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2010,
Signé par Monsieur Daniel ISOUARD, président et Madame Marie-Christine RAGGINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 septembre 1987, la SCI les colonnes a signé un bail commercial avec la société les établissements Vigne portant sur des locaux situés à [Adresse 2], pour une surface approximative de 5 500 m², outre la terrasse et le parking. Le bail était destiné à ' tous commerces sans aucune restriction possible d'activité, si ce n'est les règlements administratifs en cours ou à venir'.
Le 1er octobre 1996, la société Bricorama a acquis le fonds de commerce comprenant le droit au bail.
Par lettre du 18 mars 1996, la SA Bricorama écrit à la SCI des colonnes, qu'il 'semblerait qu'un affaissement est lieu sur la dalle du niveau 1 première partie'.
Par courrier recommandé du 7 mai 2004, le conseil de Bricorama France a indiqué à la SCI les Colonnes que 'des désordres importants affectant les sols et planchers du magasin sont apparus. Ces désordres consistent en une dégradation des dalles à tous les étages, étant notamment précisé que le plancher du local de réception situé au niveau 4 est percé, ce qui entraîne des risques de chutes.' et a demandé la remise en état des sols du magasin.
Par acte délivré le 29 novembre 2006, la SCI les colonnes a assigné la SA Bricorama devant le tribunal de grande instance de Marseille, afin qu'elle soit condamnée sous astreinte de mille euros par jour de retard à effectuer les travaux préconisés par Monsieur [U], expert désigné par ordonnance de référé du 3 décembre 2004.
Par jugement du 9 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- mis hors de cause la société Bricorama SA et reçu la société Bricorama France en son intervention volontaire,
- condamné la société Bricorama France à faire réaliser à ses frais les travaux préconisés par Monsieur [U] dans son rapport du 29 août 2006, et ce dans un délai de trois mois à compter de la signification de la décision, puis sous astreinte de deux cents euros par jour,
- rejeté les autres demandes.
La SAS Bricorama France a interjeté appel par déclaration du 18 février 2009.
Par conclusions récapitulatives déposées le 25 octobre 2010 , auxquelles il convient de se référer, la SAS Bricorama France demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la SA Bricorama, et l'infirmer pour le surplus,
- juger que la SCI les colonnes avait manqué à son obligation de délivrance,
- condamner la SCI les colonnes à lui payer la somme de 357 500 euros, sous réserve d'actualisation calculée en fonction de l'indice INSEE du bâtiment national BT01 depuis le 28 août 2006, au titre du coût des travaux de remise en état des planchers et sols du magasin préconisés par l'expert,
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de demander des dommages et intérêts pour le préjudice d'exploitation subi pendant les travaux,
- rejeter les prétentions adverses,
- condamner l'intimée à lui payer 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
La société Bricorama France fait valoir que son activité nécessite l'entreposage de marchandises et matériaux et leur circulation à l'intérieur du magasin. Elle précise avoir constaté, dès son entrée dans les lieux, des désordres affectant les sols et la structure même de la dalle de béton.
Elle rappelle avoir assigné son bailleur en référé, afin qu'un expert soit désigné.
La société Bricorama conteste l'analyse du tribunal, en ce qu'il n'a pas jugé que les désordres découlaient de la structure même des sols et planchers, mais a retenu comme cause, les conditions d'exploitation des lieux. Il soutient qu'il ne peut lui être reproché d'utiliser des transpalettes, comme ses prédécesseurs, et relève que la SCI Colonne avait connaissance de ces désordres dès 1973 et continuait d'autoriser un usage ' tous commerces'. Elle estime que les travaux ressortent de l'article 606 du code civil, auquel est tenu le bailleur.
Dans ses dernières écritures déposées le 10 novembre 2010, qui seront visées, la SCI les colonnes conclut aux fins suivantes :
- confirmer le jugement,
- homologuer le rapport d'expertise,
- ajoutant au jugement, condamner l'appelante à faire réaliser à ses frais et sous astreinte de mille euros par jour de retard les travaux de réparations préconisés dans le rapport d'expertise,
- rejeter les demandes adverses,
- condamner 'solidairement la société Bricorama France' à lui régler 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
La SCI les colonnes affirme que les dégradations aux locaux sont présumées être le fait du locataire, et met en avant le rôle prépondérant du poids excessif des transpalettes dans l'apparition des désordres. Elle assure que Bricorama connaissait l'état et la structure de l'immeuble et a fait un usage anormal des lieux, en leur faisant subir des contraintes anormales.
Elle argue que les parties ont dérogé conventionnellement aux obligations des articles 1719 et 1720 du code civil, le bail interdisant formellement aux locataires de faire supporter au plancher des charges excessives.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2010.
MOTIFS
Attendu qu'il n'est pas contesté que la SAS Bricorama France justifie être immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour l'exploitation du fonds de commerce de la [Adresse 4], succédant à la SA Bricorama ; qu'il convient donc de mettre hors de cause cette dernière société ;
que le bail prévoyait que les lieux étaient pris 'dans leur état actuel et total sans pouvoir demander au bailleur aucune réparation d'aucune sorte ; faire exécuter tant au début du présent bail que pendant son cours, toutes réparations quelconques, petites ou grosses, sans aucune exception, entretenir la devanture, la fermeture et le sol des lieux loués' ; que le bailleur conservait cependant à sa charge les travaux prévus à l'article 606 du code civil ; que le règlement d'immeuble mentionné dans le bail mentionnait 'ne faire supporter aux planchers aucune surcharge et, en cas de doute, s'assurer du poids autorisé auprès de l'architecte de l'immeuble' ;
Attendu que l'expert judiciaire constate, au rez-de-chaussée, trois types de désordres : 'une altération de surface du radier en béton, un décollement des dalles thermoplastiques, une altération des dalles thermoplastiques (écaillage) ; qu'au premier niveau (en fait entresol), il relève une déformation du sol 'avec pentes générales et 'vagues' au niveau de la zone 'aménagements, armoires' ou le sol est parqueté' ; qu'au deuxième niveau, l'expert trouve des poinçonnements de la chape sous les roues des transpalettes utilisées, dont les palettes sont très chargées ; que l'expert estime leur poids entre deux et trois tonnes ; que l'expert judiciaire note que la dalle de la zone d'approvisionnement est perforée par une roue de transpalette ou une charge localisée ; qu'il souligne que 'les problèmes des dalles thermoplastiques est généralisé à tous les niveaux où elles sont présentes, soit au rez-de-chaussée (côté avenue de [Localité 5]), au niveau 1 (en partie) au niveau 3' ;
Attendu que l'expert judiciaire indique également que 'le bâtiment a subi au cours du temps plusieurs modifications structurelles peut-être pour s'adapter à ses différentes destinations' ;
que le local loué était initialement utilisé comme garage au début des années 1970, avant d'être transformé en quincaillerie ;
Attendu qu'il apparaît suite aux investigations dans le cadre de l'expertise que dans les zones de désordres allégués, 'des matériaux constitutifs de qualité très médiocres, de mise en oeuvre peu soignée, de conception ancienne très sollicitée' ; que l'expert ajoute que 'tout défaut de surface ou de résistance entraîne des désordres, que ce soit un défaut de revêtement (sur sous couche), de résistance, de résistance de dalle dans son épaisseur ou de portance plus générale' ; que l'utilisation des transpalettes, parfois chargés à leur capacité maximale sollicite énormément les planchers ;
Attendu que l'expert judiciaire souligne 'l'extrême difficulté d'apprécier aujourd'hui la capacité portante du plancher même renforcé par le réseau de profilés en sous face' ; qu'il conclut qu'
' avec des transpalettes à galets polyamide les pressions de contact sont toujours supérieures aux valeurs ultimes de résistance du béton et que pour éviter un écrasement de surface il serait préférable d'utiliser des galets en matériaux plus tendres comme le polyuréthane ou le Vulkollan en regard de la résistance au poinçonnement, il apparaît que la qualité des galets n'est pas prépondérante ; sous un transpalette de 2 000 kg de charge utile, le risque de poinçonnement existe quelle que soit la résistance du béton constatée ; la qualité médiocre des bétons prélevés explique les poinçonnements constatés' ;
Attendu que l'expert judiciaire estime qu'il 'est impossible de justifier par le calcul la tenue d'un tel plancher sous les surcharges d'exploitation, aussi paraît-il plus raisonnable d'envisager sa démolition et sa reconstruction' ;
Attendu que les parties ne contestent ni les constatations, ni l'analyse de l'expert judiciaire ; que s'agissant d'un avis apporté aux juridiction, le rapport d'expertise n'a pas à être homologué ;
Attendu que l'extrême hétérogénéité des dalles en béton et la diversité de leur résistance ont été soulignées par le BET LAUPIES antérieurement au rapport d'expertise ; que le BET avait préconisé différents travaux, dont il est impossible de savoir ceux qui ont été réalisés et ceux qui ont été négligés, en l'absence de plans et de factures précises ; que dès 1989, le BET LAUPIES préconisait le remplacement complet du plancher corps creux par une dalle en béton armé, ce qui n'a jamais été réalisé ;
Attendu que l'expert judiciaire rappelle qu'à l'origine, le bâtiment était calculé pour une surcharge de 250 à 300 kilogrammes par m², et que si suite à des renforcements constatés par un rapport de 1997, le plancher de stockage, en bordure de la rue [J] [W], était susceptible de reprendre deux tonnes/ m², les transpalettes sont chargés à raison de deux à trois tonnes au m² ;
Attendu que si la structure des planchers est incontestablement de mauvaise qualité, le bail comprenait une stipulation spéciale sur la surcharge des planchers, de sorte que le preneur, qui n'a émis aucune réserve lors de son entrée dans les lieux, devait s'enquérir du poids maximal possible, ce qu'il ne justifie pas avoir fait ; que par ailleurs, l'expert judiciaire considère que le matériaux des galets sur lesquels reposent les transpalettes est en lui-même cause de désordre, quelle que soit la qualité de la structure du sol ;
Attendu par ailleurs que la mention de bail tous commerces et les obligations générales du bailleur doivent s'apprécier au regard avec la stipulation spéciale relative à la surcharge du sol et de l'obligation d'entretien du sol par le locataire ; qu'ainsi, le bailleur n'a pas méconnu son obligation de délivrance, comme le soutient le preneur ;
Attendu que si le local était loué comme quincaillerie avant l'arrivée de Bricorama, il n'est pas allégué que le matériel de transport de marchandises utilisé antérieurement était similaire à celui du preneur actuel et aurait causé des désordres tels que ceux objets de l'instance ;
Attendu qu'eu égard au rôle déterminant des transpalettes dans les désordres et nonobstant la qualité médiocre de la structure, il convient de mettre à la charge de l'appelante les travaux, dès lors qu'en l'absence d'utilisation des transpalettes particulières par Bricorama, il n'est pas établi que les surfaces auraient été dégradées ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu d' augmenter le montant de l'astreinte telle que fixé dans le jugement, qui sera confirmé ;
Attendu qu'outre les dépens, l'appelante sera condamnée à verser 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement,
CONFIRME le jugement rendu le 9 janvier 2009 par le tribunal de grande instance de Marseille ;
REJETTE les prétentions de la SAS Bricorama France et de la SCI les colonnes ;
CONDAMNE la SAS Bricorama France à verser à la SCI les colonnes une somme de mille cinq cents euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS Bricorama France aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par la SCP COHEN-GUEDJ, avoués près la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,