COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 09 DECEMBRE 2010
N° 2010/ 406
Rôle N° 09/02521
[Y] [P]
C/
SARL CAMILLE
SARL LATIF
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX-EN-PROVENCE en date du 19 Janvier 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 08/7962.
APPELANT
Monsieur [Y] [P]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 6] (99),
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
assisté de Maître Elie ABOUTEBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
SARL CAMILLE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,
demeurant [Localité 7]
représentée par la SCP BLANC-CHERFILS, avoués à la Cour,
assistée de Maître Guillaume BUY, avocat au barreau de MARSEILLE
SARL LATIF, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,
demeurant [Adresse 3]
représentée par la SCP BLANC-CHERFILS, avoués à la Cour,
assistée de Maître Guillaume BUY, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Novembre 2010 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Bruno NEDELEC, conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Daniel ISOUARD, président
Monsieur Bruno NEDELEC, conseiller
Monsieur Eric JAMET, vice-président placé
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Christine RAGGINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Décembre 2010.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 09 Décembre 2010,
Signé par Monsieur Daniel ISOUARD, président et Madame Marie-Christine RAGGINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 16 janvier 2007, la SARL CAMILLE, dont M. [B] est le gérant unique et M. [F] l'associé unique, a cédé, pour la somme totale de 80 000 €, à M. [Y] [P] un fonds de commerce de vente au détail de fruits et légumes, charcuteries, fromages, exploité sous l'enseigne CAMILLE, situé à [Localité 5].
L'acte de vente prévoyait une clause d'interdiction pour les représentants de la SARL CAMILLE de créer ou exploiter un fonds de commerce dans un rayon de 5 kilomètres , pendant 5 ans.
M. [P], ayant constaté que M. [B] avait travaillé à compter de mars 2007 au sein de la société LATIF qui dispose depuis décembre 2006 et janvier 2007 de deux commerces de fruits et légumes, l'un à [Localité 4], l'autre à [Localité 5], entamait des démarches auprès de lui, en particulier en lui adressant un courrier le 17 janvier 2008 ainsi que deux sommations interpellatives les 29 février 2008 et 15 mai 2008. Ces démarches demeuraient infructueuses.
Par acte du 12 juin 2008, M. [Y] [P] assignait la SARL CAMILLE et la SARL LATIF devant le tribunal de commerce d'Aix en Provence, en soutenant que l'embauche de M. [B] par la société LATIF violait la clause contractuelle d'interdiction de rétablissement et lui causait un préjudice très important.
Par jugement du 19 janvier 2009, le tribunal de commerce considérait que la clause de non concurrence visait la SARL CAMILLE et son gérant unique, mais non la SARL LATIF, et qu'elle n'interdisait pas à M. [B] de se faire embaucher comme salarié dans une autre société. Il a donc débouté M. [P] de toutes ses demandes.
M. [P] a formé appel de cette décision le 10 février 2009.
Dans ses conclusions en date du 25 mai 2009, il a fait valoir que la société CAMILLE était liée par la clause de non concurrence qui devait s'appliquer en l'espèce, que la société LATIF connaissait l'existence de cette condition mais avait néanmoins racheté un fonds de commerce similaire à M. [F], associé unique de la société CAMILLE, dans lequel elle avait embauché M. [B], que la violation de la clause contractuelle était ainsi préméditée et lui causait un grave préjudice, sa clientèle ayant été détournée.
Il a réclamé 50 000 € à la société CAMILLE, sous astreinte de 5 000 € par infraction constatée par huissier, et 35 000 € à la société LATIF, sous astreinte de 5 000 € par infraction constatée, outre 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans des conclusions communes du 24 juillet 2009, les sociétés intimées ont conclu à la confirmation du jugement. Elles ont soutenu notamment que la société CAMILLE n'avait commis aucune faute car elle avait respecté le contrat : elle ne s'est pas rétablie et se trouve même désormais en liquidation. Par ailleurs, M. [B] n'a pas créé ou exploité un fonds de commerce mais a été embauché comme salarié par la société LATIF, ce que la clause n'excluait pas et que la jurisprudence admet parfaitement. En outre, il exerce cette activité dans le fonds situé à [Localité 4], soit à plus de dix kilomètres, et non à [Localité 5] et il n'a pas détourné de clientèle. Quant à la société LATIF, elle n'était aucunement partie au contrat. Enfin, les intimées considèrent que le préjudice allégué de 85 000 € n'est nullement constitué.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu qu'il est constant que M. [P] a racheté le 16 janvier 2007 à la SARL CAMILLE un fonds de commerce, acquis par cette dernière le 25 août 2005 avec entrée en jouissance au 1er septembre 2005 mais qu'elle n'aurait commencé à exploiter qu'en août 2006 ; Que le contrat de cession contenait une clause intitulée «Interdiction de se rétablir» stipulant que «les représentants soussignés de la venderesse agissant tant au nom et pour le compte de la société CAMILLE qu'en ce qui les concerne personnellement, déclarent renoncer au droit de créer, d'exploiter ou de faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce de la nature de celui présentement cédé et de s'intéresser directement ou indirectement à quelque titre que ce soit, dans l'exploitation d'un commerce semblable dans un rayon de cinq mille mètres à vol d'oiseau autour du siège actuel du fonds cédé et pendant un délai de cinq ans.» ;
Attendu que M. [Y] [P] excipe d'une violation de cette interdiction de rétablissement et fait valoir à ce titre que :
- M. [F], associé unique de la SARL CAMILLE a vendu à la SARL LATIF un autre commerce sis à [Localité 5], 'le jardin de San Baquis',
- M. [B] a été embauché par la SARL LATIF comme salarié dans ce commerce de [Localité 5],
- la SARL LATIF a en toute connaissance de cause accepté d'embaucher M. [B],
Attendu qu'estimant que 'M. [B], dans le cadre d'une action concertée entre les sociétés CAMILLE et LATIF, a violé les obligations découlant de l'acte de cession et qu'il a détourné la clientèle du fonds de commerce appartenant à Monsieur [P]', il a engagé une action en responsabilité contractuelle à l'encontre des sociétés CAMILLE et LATIF, mais pas à l'encontre de M. [B] à titre personnel ;
Attendu que, concernant la société CAMILLE, la Cour relève que, conformément à la clause litigieuse, cette société n'a effectué aucun acte, ni conclu aucun contrat ; Qu'à ce jour, elle n'exerce plus d'activité et est actuellement en liquidation ; Que, par ailleurs, son unique associé, M. [F], avait, en qualité de gérant de la société LE JARDIN DES SENS (et non en qualité d'associé de la SARL CAMILLE), revendu à la SARL LATIF un autre fonds de commerce de fruits et légumes, lui aussi situé à [Localité 5] par acte sous seing privé du 20 décembre 2006, soit à une date antérieure à la cession en faveur de M. [Y] [P] qui n'est intervenue que le 5 janvier 2007 ; Que, dès lors, ce dernier n'est pas recevable à faire grief à M. [F] d'avoir vendu ce fonds à la SARL LATIF ou à la SARL LATIF de l'avoir acheté et à en déduire une prétendue fraude à ses droits ;
Attendu que M. [Y] [P] soutient encore que la société CAMILLE violerait ses obligations contractuelles au motif que M. [B] aurait été embauché par la SARL LATIF pour exercer une activité salariée dans le magasin de cette dernière à [Localité 5] et aurait détourné une grande partie de la clientèle du fonds de commerce dont s'agit, ce qui lui aurait causé un grave préjudice qu'il évalue à la somme globale de 85 000 € ;
Attendu que la clause de non concurrence figurant dans l'acte de cession interdisait de créer, exploiter, faire valoir un fonds de commerce de la nature de celui cédé, de s'intéresser à quelque titre que ce soit dans l'exploitation d'un fonds de commerce semblable ; Que, comme le rappellent les sociétés intimées dans leurs écritures, il est de jurisprudence constante que le libellé de ce type de clause, au demeurant de facture tout à fait classique dans des contrats de cession de fonds de commerce, n'a ni pour objet, ni pour effet de prohiber l'exercice d'une activité en qualité de simple salarié ;
Attendu en outre que force est constater que la convention invoquée par M. [P] au soutien des prétentions ne contient par ailleurs aucune autre disposition expresse interdisant à M. [B] d'exercer une activité de 'salarié';
Attendu en conséquence que M. [B] pouvait valablement exercer son activité au sein de la société LATIF ;
Attendu que, concernant la société LATIF, ladite clause d'interdiction ne lui était en tout état de cause nullement opposable puisqu'elle est un tiers à la convention que M. [P] a signée avec la société CAMILLE le 16 janvier 2007 ; Qu'elle n'a par ailleurs souscrit aucune convention ou engagement avec M. [P] ; Que, dès lors, il ne saurait lui être fait grief d'avoir commis une quelconque violation de ses 'obligations contractuelles', au motif qu'elle aurait recruté comme salarié M. [B] ; Qu'en outre, la responsabilité délictuelle de la SARL LATIF ne peut pas plus être recherchée, l'embauche de M. [B] en qualité de salarié n'encourant aucune critique et aucune faute dans l'exploitation de son commerce à [Localité 5] ne pouvant lui être reprochée ;
Attendu qu'en conséquence, les griefs formulés par M. [Y] [P] à l'encontre des sociétés CAMILLE et LATIF ne peuvent qu'être rejetés ;
Attendu qu'il convient de faire droit aux demandes des sociétés CAMILLE et LATIF à l'encontre de M. [P] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner ce dernier à leur verser la somme de 1 000 € à chacune ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne M. [Y] [P] à payer à la SARL CAMILLE la somme de 1000 € et à la SARL LATIF la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, pour la procédure d'appel,
Condamne M. [Y] [P] aux entiers dépens et autorise la SCP BLANC et CHERFILS, avoués associés, à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIERLE PRESIDENT