COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2ème Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 27 NOVEMBRE 2008
No 2008 / 433
Rôle No 07 / 07084
S. A. R. L. GEMMES et CREATION
C /
Société AXA FRANCE
Grosse délivrée
le :
à : BOISSONNET
BLANC
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de SALON-DE-PROVENCE en date du 23 mars 2007 enregistré au répertoire général sous le no 2006-6258
APPELANTE
S. A. R. L. GEMMES et CREATION
dont le siège est sis rue des Roseaux-Zone des Etangs-13920 SAINT MITRE LES REMPARTS
représentée par la SCP BOISSONNET-ROUSSEAU, avoués à la Cour,
plaidant par Me Florence CARRE, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
INTIMEE
Société AXA FRANCE nouvelle dénomination de AXA ASSURANCES
dont le siège est sis 26 rue Drouot-75009 PARIS
représentée par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
plaidant par Me Camille CENAC, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
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COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 6 novembre 2008 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Robert SIMON, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur André JACQUOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Mireille MASTRANTUONO
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2008.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2008,
Signé par Monsieur Robert SIMON, Président, et Madame Mireille MASTRANTUONO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
E X P O S E D U L I T I G E :
Le 25 octobre 2005 la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS, qui exploite un magasin de bijoux à SAINT MITRE LES REMPARTS (13), a souscrit auprès de la société AXA ASSURANCES un contrat d'assurances globale bijoutier no ... avec effet au 15 précédent. A compter du 1er janvier 2006 ce commerçant a conclu un contrat de télésurveillance et d'intervention avec la société ANSWER SECURITE.
La S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a été victime le 24 janvier 2006 à 19 heures d'un vol sous la menace d'une arme. Le 22 février suivant la société AXA ASSURANCES a refusé de prendre en charge ce sinistre, au motif que l'installation d'alarme protégeant les locaux assurés est raccordée à une société de télésurveillance qui, contrairement à ce qu'exige l'article III. B. 3 des conditions particulières du contrat, n'est pas agréée P3 auprès de l'Assemblée Plénière des Sociétés d'Assurances Dommages (APSAD). L'assurée a répondu le 20 mars suivant qu'était applicable non l'article précité, mais l'article III. B. 4 contre le risque d'agression, texte qui prévoit des mesures auxquelles elle avait effectivement satisfait.
Le 17 août 2006 la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a assigné la société AXA ASSURANCES devant le Tribunal de Commerce de SALON DE PROVENCE, qui par jugement du 23 mars 2007 a :
* débouté la première société de sa demande d'indemnité de 150 000, 00 euros formulée à l'encontre de la seconde, au motif qu'elle est infondée au vu des termes du contrat d'assurances ;
* débouté de la même façon et pour le même motif la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS de sa demande de dommages et intérêts de 60 000, 00 euros ;
* débouté la société AXA ASSURANCES de sa demande subsidiaire d'annulation du contrat la liant à la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS ;
* écarté toute indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
* condamné la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS en tous les dépens.
La S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a interjeté appel. Le 12 juillet 2007 elle a assigné la société ANSWER SECURITE devant le Tribunal de Commerce de MARSEILLE en lui reprochant de ne pas l'avoir informée qu'elle n'était pas agréée P3 par l'APSAD. Par jugement du 2 juillet 2008 cette juridiction a sursis à statuer dans l'attente du présent arrêt.
Concluant le 24 septembre 2008 l'appelante soutient :
- qu'elle a été victime d'un vol par agression, et non d'un vol simple ; qu'elle a satisfait aux mesures imposées par l'article III. B. 4 du contrat d'assurance dans la première hypothèse ; que les dispositions de cet article seules applicables ne se cumulent en aucune manière avec celles des articles III. B. 2 et 3 ; que l'agression s'est produite aux heures d'ouverture de la bijouterie, c'est-à-dire à un moment où l'installation d'alarme contre le vol était logi-quement non enclenchée ; que la société AXA ASSURANCES, en stipulant dans l'article III. B. 4 " La garantie vol par agression n'est acquise que si tous les dispositifs et mesures contre l'agression cités ci-dessous sont observés et / ou utilisés (...) ", doit supporter les conséquences de l'équivoque des termes employés ;
- que des agents mandatés par la société AXA ASSURANCES ont été présents sur les lieux de son commerce du début à la fin de la mise en place du système de sécurité ; que par suite cet assureur se devait avant de signer le contrat de prévenir sa future assurée de la non-conformité ;
- que lors du vol le coffre-fort était légitimement ouvert et vide, dans la mesure où les bijoux se trouvaient en vitrine ;
- que le préjudice s'est élevé à la somme de 287 368, 72 euros, alors que l'indemnité d'assurance est plafonnée par le contrat à 150 000, 00 euros ; et qu'elle a donc dû, pour continuer tant bien que mal son activité, être renflouée par des fonds propres injectés notamment par son gérant, ce qui justifie l'octroi de dommages et intérêts.
L'appelante demande à la Cour de réformer le jugement et de :
- dire et juger que la société AXA FRANCE doit garantir le sinistre du 24 janvier 2006 ;
- la condamner à lui payer :
. au titre de la garantie la somme de 150 000, 00 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 mars 2006 ;
. à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1146 et suivants du Code Civil la somme de 60 000, 00 euros ;
. sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile la somme de
2 000, 00 euros.
Par conclusions du 12 novembre 2007 la société AXA FRANCE nouvelle dénomination de la société AXA ASSURANCES répond :
- que les prescriptions du contrat d'assurance relatives à l'agrément de la société de surveillance par l'APSAD sont stipulées sous peine de non-garantie ; qu'il importe peu que la méconnaissance de cette condition de garantie n'ait aucune incidence sur la réalisation du risque ; que la société ANSWER SECURITE, avec laquelle la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a signé un contrat de télésurveillance, n'était pas au moment du vol agréée P3 auprès de l'APSAD ;
- qu'elle-même n'aurait pas contracté avec la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS si elle avait su ce défaut d'agrément ;
- que les mesures de protection prises contre le vol par agression (article III. B. 4) se cumu-lent avec celles concernant l'installation et la liaison de l'alarme (articles III. B. 2 et 3), les secondes s'imposant même si le vol est commis pendant les heures d'ouverture du local de la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS ; que le fait que le dispositif d'alarme n'ait pas été enclenché au moment du sinistre est indifférent, seul comptant l'agrément P3 de l'APSAD ; que de plus lors du vol du 24 janvier 2006 l'option anti-agression n'avait pas été souscrite auprès de la société ANSWER SECURITE, tandis qu'elle l'a été après ce sinistre ;
- que son agent Monsieur Z..., qui n'est pas un technicien, ne connaissait pas lors de la signature du contrat d'assurance la non-conformité des protections minimums ; que dans l'hypothèse inverse elle-même n'aurait pas accepté de signer ce contrat ;
- et enfin que la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a ouvert sa porte à deux individus non connus, alors qu'il faisait nuit et que le coffre-fort était ouvert pour permettre d'y ranger les bijoux, ce qui constitue une imprudence caractérisée de sa part.
L'intimée demande à la Cour de confirmer le jugement et de :
- dire et juger que les stipulations du contrat d'assurance imposant une liaison du système d'alarme à une société de télésurveillance agréée par l'APSAD s'analysent comme des conditions de la garantie ; constater que cette condition de garantie n'est pas réunie ; dire et juger que le sinistre subi le 24 janvier 2006 n'est pas garanti par la police ; débouter la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS ;
- subsidiairement, vu la fausse déclaration intentionnelle de l'assurée, prononcer la nullité de cette police en application de l'article L. 113-8 du Code des Assurances, et débouter la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS ;
- condamner cette dernière au paiement d'une indemnité de 2 500, 00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2008.
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M O T I F S D E L'A R R E T :
Le vol sous la menace d'une arme commis au préjudice de la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS le 24 janvier 2006 à 19 heures est intervenu lors de l'ouverture du magasin, c'est-à-dire à un moment où le contrat d'assurance souscrit auprès de la société AXA ASSURANCES n'imposait pas l'enclenchement de l'installation d'alarme (article III. B. 2 des conditions particulières). L'article III. B. 3 de ces dernières, qui requiert que la société de surveillance auprès de laquelle était raccordée cette installation soit agréée P3 auprès de l'Assemblée Plénière des Sociétés d'Assurances Dommages (APSAD), n'était donc pas applicable et ne constituait pas une condition de la garantie, contrairement à ce qu'a décidé le Tribunal de Commerce.
En outre, et parce que la société AXA ASSURANCES a fait souscrire le contrat d'assurance sans avoir vérifié si la société de surveillance à laquelle était liée la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS était agréée P3 par l'APSAD, la Cour déboutera la société AXA FRANCE de sa demande de nullité de la police d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle fondée sur l'article L. 113-8 du Code des Assurances.
La S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS a respecté les 3 mesures contre le risque d'agression rendues obligatoires par l'article III. B. 4 des mêmes conditions, mesures qui ne se cumulent pas avec celles de l'article III. B. 3, ce qui oblige la société AXA ASSU-RANCES à garantir le sinistre. Aucun élément du dossier ne permet en outre de retenir que l'assurée a commis une imprudence caractérisée, puisqu'un commerçant ne reçoit évidemment pas que des personnes qu'il connaît, et ferme logiquement son magasin à l'heure prévue même si la nuit est déjà tombée ; enfin le coffre-fort était alors normalement ouvert mais vide, car les bijoux étaient encore en vitrine en attendant la fermeture.
Le jugement sera par suite infirmé.
Le montant du préjudice subi par la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS est largement supérieur au plafond contractuel de 150 000, 00 euros, lequel sera payé par la société AXA FRANCE sauf à déduire le montant de la franchise selon l'article III. E des conditions particulières (en cas d'agression 20 % du montant des dommages avec mini-mum de 1 525, 00 euros) soit en l'espèce une indemnité de 148 475, 00 euros.
La S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct de celui causé par le non-versement de l'indemnité d'assurance, que répareront les intérêts au taux légal sur cette indemnité à compter de la mise en demeure du 20 mars 2006 ; par suite la Cour déboutera cette société de sa demande de dommages et intérêts sur le foncement des articles 1146 et suivant du Code Civil.
Enfin ni l'équité, ni la situation économique de la société AXA FRANCE, ne permettent de rejeter la demande faite par son adversaire sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
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D E C I S I O N
La Cour, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au Greffe.
Infirme le jugement du 23 mars 2007, et décide que la société AXA FRANCE doit garantir le sinistre subi le 24 janvier 2006 par la S. A. R. L. GEMMES ET CREATIONS.
Condamne la première société à payer à la seconde les sommes de :
* 148 475, 00 euros à titre principal, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2006 ;
* 2 000, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne la société AXA FRANCE aux entiers dépens, avec droit pour la S. C. P. d'Avoués BOISSONNET et ROUSSEAU de recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le GREFFIER. Le PRÉSIDENT.