COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2ème Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 2 OCTOBRE 2008
No 2008/ 323
Rôle No 07/06523
E.U.R.L. ANTISECHE
C/
S.A. GROUPE GRAND SUD
Grosse délivrée
le :
à :COHEN
PRIMOUT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 5 avril 2007 enregistré au répertoire général sous le no 2006F00320
APPELANTE
E.U.R.L. ANTISECHE
dont le siège social est sis 37 rue Rennequin - 75017 PARIS
représentée par la SCP COHEN - GUEDJ, avoués à la Cour, plaidant par Me Corinne MATOUK, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A. GROUPE GRAND SUD prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice
dont le siège social est sis Immeuble Grand Ecran - Avenue André Roussin - B.P. 202 - 13322 MARSEILLE CEDEX 16
représentée par la SCP PRIMOUT-FAIVRE, avoués à la Cour, plaidant par Me Gérard DI CARA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 8 septembre 2008 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Robert SIMON, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur André JACQUOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 2 octobre 2008.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 2 octobre 2008,
Signé par Monsieur Robert SIMON, Président et Madame Mireille MASTRANTUONO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'E.U.R.L. ANTISECHE a déposé, le 5 septembre 2000, auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle 16 modèles de « strings humoristiques » en coton sur chacun desquels sont apposés un dessin avec inscription humoristique légendant le dessin et a commencé la diffusion de ces produits en février 2001 sous la marque « Oh My God ! ». L'E.U.R.L. ANTISECHE est, par ailleurs, titulaire depuis le 29 octobre 1992 de la marque verbale « ANTISECHE ».
La S.A. Groupe Grand Sud et l'E.U.R.L. ANTISECHE ont conclu, le 15 avril 2001, un contrat par lequel l'E.U.R.L. ANTISECHE a concédé à la S.A. Groupe Grand Sud la licence d'exploitation de sa marque « ANTISECHE » pour un ensemble de produits dont les textiles comprenant caleçons, mais non les strings humoristiques.
L'E.U.R.L. ANTISECHE a fait pratiquer une saisie-contrefaçon, le 12 décembre 2005, dans les locaux de la S.A. Groupe Grand Sud relativement à une gamme « Pussy Chatte » de strings argués de contrefaçon de dessins et modèles.
Par jugement contradictoire en date du 5 avril 2007, le Tribunal de Commerce de Marseille a débouté l'E.U.R.L. ANTISECHE de ses demandes en contrefaçon de modèles et dessins et en concurrence déloyale, a ordonné la mainlevée de la saisie-contrefaçon et a condamné l'E.U.R.L. ANTISECHE à payer à la S.A. Groupe Grand Sud la somme de 2.500 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
L'E.U.R.L. ANTISECHE a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret No 98-1231 du 28 décembre 1998 ;
Vu les prétentions et moyens de l'E.U.R.L. ANTISECHE dans ses conclusions au fond en date du 1er août 2007 tendant à faire juger :
- que la contrefaçon par la S.A. Groupe Grand Sud de ses dessins ou modèles est réalisée, celle-ci ayant commercialisé des strings qui « copiaient » les dessins ou modèles protégés dans la représentation du dessin, la formule humoristique l'accompagnant et le conditionnement (carton découpé de couleur rose), l'imitation illicite en résultant provoquait la confusion dans l'esprit du public n'ayant pas sous les yeux les deux séries de produits,
- que la S.A. Groupe Grand Sud n'est pas fondée à opposer le dépôt de sa marque : « Les Comix Slips », le 1er septembre 2000, pour des sous-vêtements sur lesquels sont apposées des messages humoristiques, les produits visés dans le dépôt de la marque (slips, caleçons…) étant différents de ceux faisant l'objet d'un dépôt au titre des dessins ou modèles (strings),
que la S.A. Groupe Grand Sud n'est pas fondée à opposer la protection au titre des droits d'auteur relativement à la création de slips « associant un choix de mots (un slogan, voire un seul mot) à une image ou à un logo, le tout dans un contexte humoristique ou satirique selon la déclinaison de la collection », en effet il n'existe aucune originalité dans la création de slips, t-shirts, chaussettes… portant des inscriptions ou dessins humoristiques et seule la connotation sexuelle des inscriptions, logos et dessins apposés sur les strings, présente une originalité,
que la S.A. Groupe Grand Sud qui a commercialisé des strings contrefaisants sous l'appellation « Pussy Chatte » à compter de la fin d'année 2002, doit être condamnée à réparer le préjudice (perte de marge commerciale) soit 100.000 € ,
que la S.A. Groupe Grand Sud s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en commercialisant dans son réseau de magasins SOHO des articles très voisins de ceux de l'E.U.R.L. ANTISECHE, qu'elle avait diffusés antérieurement dans le même réseau, le préjudice en résultant devant être indemnisé par l'allocation à titre de dommages-et-intérêts d'une somme de 50.000 € pour la perte de marge commerciale et d'une autre de 25.000 € pour le trouble commercial apporté ;
Vu les prétentions et moyens de la S.A. Groupe Grand Sud dans ses conclusions en défense en date du 3 octobre 2007 tendant à faire juger :
que le dépôt de sa marque, le 1er septembre 2000, « Les Comix Slips » dans les classes 16, 21 et 25 et la commercialisation depuis septembre 1995 de sous-vêtements ou chaussettes humoristiques constituent des antériorités par rapport au dépôt par l'E.U.R.L. ANTISECHE de dessins ou modèles, le 5 septembre 2000,
que les dessins ou modèles de l'E.U.R.L. ANTISECHE ne présentent aucun caractère de nouveauté et d'originalité dans le choix des expressions humoristiques ou l'association de logos ou d'images avec un message humoristique (utilisation de plaisanteries grivoises éculées ou d'images banales -panneaux de circulation, stylisation frustre de symboles évidents : diablotin, bombe…, l'application à des strings de ces matériaux/recettes tirés du fond commun n'étant pas empreinte d'originalité),
qu'elle (la S.A. Groupe Grand Sud) est fondée à opposer à l'E.U.R.L. ANTISECHE la protection au titre des droits d'auteur portant sur une œuvre de l'esprit (la conception et la commercialisation et donc la divulgation, dès 1995 de pièces de vêtements portant des inscriptions humoristiques à base de panneaux de signalisation routière),
que les strings sont compris dans la classe 25 qui est consacrée aux sous-vêtements au sens générique, même s'ils ne sont pas expressément désignés si bien que le fait d'apposer des inscriptions humoristiques sur des strings ne constitue pas une « création originale » au sens du code de la propriété intellectuelle ;
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 8 septembre 2008.
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu que l'E.U.R.L. ANTISECHE a déposé, le 5 septembre 2000, une demande d'enregistrement portant sur 16 dessins ou modèles de strings humoristiques en coton sur lesquels étaient représentés un dessin (panneaux de signalisation routière, dessins sommaires ou stylisés de bombe, diablotin, bougie, revolver…) accompagné d'une légende à visée humoristique ; que ces dessins ou modèles présentent une originalité au sens de l'article L 511-3 ancien du code de la propriété intellectuelle en ce qu'il révèle l'empreinte de la personnalité de leur créateur, même utilisant des recettes ou ressorts tirés du fond commun de l'humour gaillard ; que cette originalité ressort effectivement, comme l'indique l'E.U.R.L. ANTISECHE, du choix de l'association de formules égrillardes avec un dessin suggestif, le tout apposé sur un string ; que ces dessins ou modèles se différencient des antériorités proposées, à savoir des catalogues de la S.A. Groupe Grand Sud offrant à la vente « une collection de texte accompagnée de dessin sur fond notamment de panneau de signalisation » qui « traite humoristiquement les interdits et tabous », dessins destinés à être « implantés » sur des tee-shirts, caleçons et chaussettes ; que l'originalité des dessins ou modèles de l'E.U.R.L. ANTISECHE réside dans le fait qu'un string, ayant une forte connotation sexuelle, sert de support aux dessins, logos et textes humoristiques exploitant cette veine ; que par cet élément, le créateur s'est démarqué des modèles antérieurs de ses concurrents ; que les dessins ou modèles déposés sont pourvus d'originalité et de nouveauté, en ce qui concerne la forme sous laquelle l'E.U.R.L. ANTISECHE a choisi d'exploiter l'idée commune d'inscrire des formules humoristiques, non nécessairement à connotation sexuelle, sur des articles textiles ; que les modèles de string déposés par l'E.U.R.L. ANTISECHE se différencient de pièces vestimentaires similaires par l'effet extérieur tenant à leur « ornementation » avec légende humoristique leur conférant une physionomie propre et nouvelle ;
Attendu que la S.A. Groupe Grand Sud ne peut opposer le dépôt, le 1er septembre 2000, de sa marque : « Les Comix Slips » en classe 25 visant les vêtements, sans autre précision, comme antériorité ; que le dépôt de cette marque visant un produit générique est totalement inopérant pour contester la demande d'enregistrement de dessins ou modèles précis de strings, effectuée par l'E.U.R.L. ANTISECHE ;
Attendu que la comparaison des dessins ou modèles de strings déposés par l'E.U.R.L. ANTISECHE et commercialisés sous la gamme « Oh ! My God » avec les modèles de la gamme « Pussy Chatte » commercialisés par la S.A. Groupe Grand Sud révèle l'existence de ressemblances d'ensemble portant sur la caractéristique essentielle du modèle protégé de l'E.U.R.L. ANTISECHE ; que des différences mineures ne sont pas significatives et n'excluent la contrefaçon; qu'ainsi en comparant les différents modèles respectifs de strings, tous ceux de la S.A. Groupe Grand Sud présentent par rapport à ceux de l'E.U.R.L. ANTISECHE, la reproduction de la caractéristique originale : l'apposition d'une formule humoristique à connotation exclusivement sexuelle sur une pièce vestimentaire déterminée, le string ; qu'ainsi à titre d'exemple, un modèle porte exactement le même logo : « sex bomb » chez les deux sociétés concurrentes ; que l'existence de dissemblances : -1 traitement différent du dessin de la bombe, * le dessin de la bombe sans ajout est intégré au texte et remplace le O de « sex bomb » dans le modèle de la S.A. Groupe Grand Sud, * le dessin de la bombe noire, de taille beaucoup plus importante, est « habillé » d'un string blanc et figure hors des caractères du logo dans le modèle de l'E.U.R.L. ANTISECHE et - 2 calligraphie et couleur différentes de la même légende humoristique « sex bomb » apposée sur les deux modèles comparés, est accessoire et de détail, et donc inopérante ; que les ressemblances décrites pour ce modèle et existantes pour tous les autres ne relèvent pas de la reprise d'un genre et ne proviennent pas d'un emprunt à une communauté d'origine : le fond commun et banalisé d'humour égrillard, mais résultent de la reproduction de la caractéristique essentielle et originale dont l'E.U.R.L. ANTISECHE avait obtenu la protection ;
Attendu qu'il convient, au vu des éléments produits au débat, de fixer à 14.000 € le montant du préjudice subi par l'E.U.R.L. ANTISECHE du fait de la contrefaçon par la S.A. Groupe Grand Sud de ses dessins ou modèles protégés ; que l'E.U.R.L. ANTISECHE allègue des ventes manquées à concurrence de 8.000 articles et une marge brute par article de 3,81 € pour conclure à un préjudice de 100.000 € (?) ; que la réparation sera suffisamment assurée par la condamnation à des dommages-et-intérêts évalués au montant ci-dessus indiqué ; qu'il n'est pas besoin d'organiser la publicité de cette décision par voie d'insertion dans la presse pour parfaire la réparation ;
Attendu que s'il est vrai que la S.A. Groupe Grand Sud, liée à l'E.U.R.L. ANTISECHE par un contrat de licence de marque ne concernant pas le produit en question (string), n'a pas désiré donné suite à la proposition expresse de l'E.U.R.L. ANTISECHE de le distribuer et a fait réaliser ensuite un produit similaire qui a été distribué sous le nom « Pussy Chatte dans sa « chaîne » de magasin à l'enseigne SOHO», il n'apparaît pas que des faits de concurrence déloyale distincts de ceux de la contrefaçon de dessins ou modèles ont été commis par la S.A. Groupe Grand Sud ; que l'E.U.R.L. ANTISECHE sera déboutée de sa demande en réparation formée au titre de la concurrence déloyale ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 3.000 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel d'AIX en PROVENCE à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile,
Reçoit l'appel de l'E.U.R.L. ANTISECHE comme régulier en la forme.
Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et retenant des faits de contrefaçon de dessins et modèles, condamne la S.A. Groupe Grand Sud à porter et payer à l'E.U.R.L. ANTISECHE la somme de 14.000 € avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 3.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Déboute les parties de leurs plus amples ou contraires conclusions.
Condamne la S.A. Groupe Grand Sud aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la S.C.P. d'Avoués Associés Hervé COHEN - Laurent COHEN et Paul GUEDJ, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT