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01/04/2008 | FRANCE | N°06/11018

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, Ct0026, 01 avril 2008, 06/11018


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10o Chambre

ARRÊT AU FOND
DU 01 AVRIL 2008

No 2008 /

Rôle No 06 / 11018

Nicole X...
Nadège X... épouse Y...

C /

Davis Z...
CAISSE DE COMPENSATION DE MONACO
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ESSONNE
SOCIETE MONCEAU GENERALE ASSURANCES venant aux droits de la SOCIETE CIMA

Grosse délivrée
le :
à :

réf

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 31 Mai 2006 enregistré au répertoire général

sous le no 04 / 598.

APPELANTES

Madame Nicole X...
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de tutrice de sa petite-fille Luna X... ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10o Chambre

ARRÊT AU FOND
DU 01 AVRIL 2008

No 2008 /

Rôle No 06 / 11018

Nicole X...
Nadège X... épouse Y...

C /

Davis Z...
CAISSE DE COMPENSATION DE MONACO
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ESSONNE
SOCIETE MONCEAU GENERALE ASSURANCES venant aux droits de la SOCIETE CIMA

Grosse délivrée
le :
à :

réf

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 31 Mai 2006 enregistré au répertoire général sous le no 04 / 598.

APPELANTES

Madame Nicole X...
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de tutrice de sa petite-fille Luna X...
demeurant ...-94600 CHOISY LE ROI
représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
ayant Me Vanessa BRANDONE, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame Nadège X... épouse Y...
demeurant ...-94510 LA QUEUE EN BRIE
représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
ayant Me Vanessa BRANDONE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur Davis Z...
né le 08 Novembre 1971 à ISTAMBUL / TURQUIE (99), demeurant ...-98000 MONACO
représenté par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour, la SCP T. GIORGIO J. MOREL O. DE FASSIO, avocats au barreau de NICE

CAISSE DE COMPENSATION DE MONACO
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualité audit siège
assignée,11 Rue Louis Notari-98000 MONACO
défaillante

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ESSONNE
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège
assignée, Boulevard Mitterrand-91034 EVRY CEDEX
défaillante

SOCIETE MONCEAU GENERALE ASSURANCES venant aux droits de la SOCIETE CIMA
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité,1 Avenue des Cités Unies d'Europe-41100 VENDOME
représentée par la SCP COHEN-GUEDJ, avoués à la Cour,
assistée de la SCP ROUSTAN-BERIDOT, avocats au barreau d'AIX EN PROVENCE substituée par Me Nathalie HUMANN, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 12 Février 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente
Madame Bernadette KERHARO-CHALUMEAU, Conseiller
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Avril 2008.

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Avril 2008,

Signé par Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

E X P O S É D U L I T I G E

Feue Karine X... a été victime, le 4 novembre 1995 à CAP-D'AIL (Alpes-Maritimes), d'un accident de la circulation en tant que passagère transportée, dans lequel est impliqué le véhicule terrestre à moteur conduit par M. Davis Z..., assuré auprès de la société CIMA, aux droits de laquelle intervient désormais la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES ; s'étant suicidée le 3 mars 2002, sa mère Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X..., et sa s œ ur Mme Nadège X... épouse Y... ont assigné M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES en réparation de leurs préjudices personnels.

Par jugement réputé contradictoire du 31 mai 2006, le Tribunal de Grande Instance de NICE a :

-Écarté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée,

-Dit que le décès de Karine X..., le 3 mars 2002, est la conséquence directe et certaine de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 4 novembre 1995,

-Vu le jugement du Tribunal Correctionnel de NICE du 10 juin 1997 ayant déclaré M. Davis Z... seul et entier responsable du dit accident,

-Condamné solidairement M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES, venant aux droits de la société CIMA, à verser :

-à Mme Nicole A... épouse X... : à titre personnel la somme de 20. 000 € en réparation de son préjudice moral et celle de 5. 000 € au titre des frais de funérailles, en sa qualité de tutrice légale de l'enfant mineure Laura X..., la somme de 20. 000 € au titre du préjudice moral et celle de 65. 551 € au titre du préjudice économique,

-à Mme Nadège X... épouse Y... : la somme de 10. 000 € en réparation de son préjudice moral,

-à Mmes Nicole A... épouse X... et Nadège X... épouse Y... : une indemnité globale de 1. 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile (aujourd'hui Code de procédure civile),

-Dit qu'en application de l'article 453, alinéa 2 du Code civil, Mme Nicole A... épouse X..., ès-qualités, devra déposer, dans le mois de leur réception, le montant des indemnités allouées à l'enfant Luna X... sur un compte ouvert au nom de cette mineure et portant mention de sa minorité, chez un dépositaire agréé par le gouvernement pour recevoir les fonds pupillaires,

-Déclaré sa décision opposable à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (ci-après C. P. A. M.) de l'Essonne et à la CAISSE DE COMPENSATION DES SERVICES SOCIAUX à Monaco.

-Ordonné l'exécution provisoire de sa décision à hauteur de la moitié des condamnations ci-dessus prononcées,

-Condamné solidairement M. Devis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES aux entiers dépens.

Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et Mme Nadège X... épouse Y... ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 19 juin 2006.

Vu les conclusions de la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES en date du 31 août 2007.

Vu les conclusions de Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et de Mme Nadège X... épouse Y... en date du 8 octobre 2007.

Vu les conclusions de M. Davis Z... en date du 10 octobre 2007.

Vu l'assignation de la CAISSE DE COMPENSATION DES SERVICES SOCIAUX adressée le 11 octobre 2007 à Monsieur le Procureur Général de la Principauté de MONACO en application de la circulaire CIV 20 / 05, à la requête de Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et de Mme Nadège X... épouse Y....

Vu l'assignation de la C. P. A. M. de l'Essonne notifiée à personne habilitée le 16 octobre 2007 à la requête de Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et de Mme Nadège X... épouse Y....

Vu l'ordonnance de clôture en date du 17 janvier 2008.

M O T I F S D E L'A R R Ê T

Attendu que l'acte de notification de l'assignation de la CAISSE DE COMPENSATION DES SERVICES SOCIAUX de Monaco n'a pas été retourné par les autorités monégasques, qu'en l'absence de notification à personne habilitée, le présent arrêt sera rendu par défaut conformément aux dispositions de l'article 474, alinéa 2 du Code de procédure civile.

I : SUR LA FIN DE NON RECEVOIR TIRÉE DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE :

Attendu que M. Davis Z... soulève à titre principal l'irrecevabilité des demandes au motif que le Tribunal de Grande Instance de NICE aurait déjà statué sur ces préjudices par jugement définitif du 23 septembre 2003.

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure qu'à la suite de l'accident de la circulation dont feue Karine X... a été victime le 4 novembre 1995, une procédure pénale a été diligentée à l'encontre de M. Davis Z... qui a été condamné par jugement du Tribunal Correctionnel de NICE en date du 10 juin 1997 pour blessures involontaires, franchissement d'une ligne continue et défaut de maîtrise, qu'à cette occasion feue Karine X... s'était constituée partie civile pour obtenir la réparation de son préjudice corporel, qu'avant dire droit sur les intérêts civils, le Tribunal Correctionnel avait alors ordonné une expertise médicale de la victime.

Attendu que l'affaire était revenue sur intérêts civils et avait été plaidée à l'audience du 22 janvier 2002 pour être ensuite mise en délibéré au 26 mars 2002, que c'est en cours de délibéré que feue Karine X... s'est suicidée le 3 mars 2002.

Attendu que suite à ce décès, l'instance sur intérêts civils a été reprise par ses ayants droit, Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X..., et Mme Nadège X... épouse Y....

Attendu que le Tribunal Correctionnel de NICE, statuant sur les intérêts civils, a, par jugement du 23 septembre 2003, liquidé le préjudice corporel subi par feue Karine X... avant son décès, l'action engagée de son vivant étant tombée dans le patrimoine successoral, que ces sommes ont été allouées à Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X..., et à Mme Nadège X... épouse Y... en leur qualité d'héritières de feue Karine X....

Attendu en revanche qu'en ce qui concerne les demandes présentées par Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X..., et par Mme Nadège X... épouse Y... en réparation de leurs préjudices personnels subis par ricochet (préjudices moraux, préjudice matériel pour la mère de la victime et préjudice financier pour la fille mineure de la victime), le Tribunal les a déclarées irrecevables en leurs constitutions de parties civiles pour avoir été faites postérieurement aux réquisitions du Ministère Public.

Attendu qu'il apparaît donc que le jugement du 23 septembre 2003 n'a statué que sur la liquidation du préjudice corporel de feue Karine X... et ne s'est jamais prononcé sur les préjudices personnels subis par ricochet de Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X..., et de Mme Nadège X... épouse Y..., leurs demandes devant la juridiction pénale statuant sur intérêts civils ayant été déclarées irrecevables pour un motif de pure procédure.

Attendu que c'est donc à juste titre que le premier juge a écarté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, que le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

II : SUR LA RELATION DE CAUSALITÉ ENTRE L'ACCIDENT ET LE DÉCÈS DE FEUE KARINE X... :

Attendu que M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES concluent au débouté des demandes au motif qu'il n'existerait aucun lien de causalité entre l'accident de la circulation du 4 novembre 1995 et le suicide de feue Karine X... le 3 mars 2002, la compagnie d'assurances allant même jusqu'à douter que ce décès serait dû à un suicide (page 3, dernier paragraphe de ses conclusions).

Attendu en tout premier lieu qu'il ne saurait sérieusement et décemment être contesté que le décès de feue Karine X... le 3 mars 2002 est bien consécutif à son suicide ainsi que cela ressort de toutes les pièces de la procédure et en particulier de l'extrait du procès-verbal aux fins d'inhumation dressé par les services de police de JUVISY-SUR-ORGE concluant à un suicide par arme à feu.

Attendu ensuite qu'il convient de rappeler que feue Karine X..., née le 7 octobre 1974, vivait depuis son plus jeune âge dans la passion de la danse classique, intégrant le Conservatoire National de Musique et de Danse de PARIS où elle avait obtenu en 1987 deux certificats de théorie de la danse et d'histoire de la musique et de la danse avec la mention très bien, qu'elle y avait obtenu en 1991 le premier prix de danse avant d'obtenir en 1993 le premier prix au concours international de danse classique, catégorie professionnel.

Attendu qu'elle avait ensuite entamé une carrière de danseuse classique professionnelle en intégrant en 1994 les Ballets de Monte-Carlo, qu'ainsi à vingt ans à peine elle avait déjà été remarquée dans la presse spécialisée, y compris à l'étranger à l'occasion de ses tournées avec cette compagnie de ballets, qu'enfin une attestation du directeur-chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo confirme que " compte tenu de son parcours professionnel antérieur et des qualités rares de danseuse classique qu'elle possédait, Karine Maquat aurait sans aucun doute pu espérer un poste de danseuse étoile ".

Attendu que cette carrière s'est trouvée brisée nette du fait de l'accident du 4 novembre 1995 qui a entraîné des séquelles orthopédiques (douleurs des membres inférieurs, troubles de la marche, douleurs dorsales, fourmillements et raideur de l'articulation de la cheville droite) ne lui permettant plus d'exercer son activité professionnelle de danseuse.

Attendu que le rapport d'expertise médicale pratiquée en 2000 par le Dr Christian D..., assisté du Dr Michel E..., neuropsychiatre, fait état de deux tentatives de suicide les 21 mai et 28 octobre 1997 liées au fait que feue Karine X... avait alors confirmation de ce qu'elle ne pourrait plus jamais exercer la danse classique professionnelle, que dans un mémoire qu'elle avait alors remis aux experts elle fait état de son combat pour tenter, sans succès, de réintégrer les Ballets de Monte-Carlo, de son désespoir (qu'elle qualifie de plongée dans l'enfer), que la naissance de sa fille Luna en août 2000 n'était pas parvenue à surmonter.

Attendu que ce rapport relate également le compte rendu du bilan cognitif réalisé le 10 juillet 2000 par une orthophoniste-psychologue dont il ressort que les conséquences cognitives de son traumatisme étaient majeures : troubles du jugement et du raisonnement, apathie et anosognosie, que la conclusion de ce bilan est la suivante :

" L'ampleur du syndrome dépressif associé aux désordres frontaux font craindre des rechutes de tentatives de suicide et / ou de fugues dans la rue. "

Attendu que les certificats médicaux du Dr Dominique F..., médecin de la famille X... depuis plus de quatorze ans, et du Dr G... qui suivait feue Karine X... depuis 1993, ainsi que le compte rendu de suivi du Centre de rééducation fonctionnelle et professionnelle de SOISY-SUR-SEINE qui avait reçu la jeune femme à partir de 2001 (signé notamment par un neurologue et une psychologue) attestent tous, sans être sérieusement contredits par d'autres documents objectifs, que celle-ci, sans passé psychiatrique jusque-là, n'avait jamais présenté de symptômes à type anxio-dépressif avant cet accident et que son passage à l'acte (au demeurant précédé de deux tentatives de suicide en 1997) était bien en relation de causalité avec cet accident.

Attendu, s'il en était encore besoin, que les nombreuses attestations de proches de la famille X... et de la victime confirment sa passion pour la danse et son désespoir après cet accident.

Attendu qu'il résulte donc de l'ensemble de ces éléments concordants et constants que, comme l'a relevé à très juste titre le jugement déféré, le passage à l'acte suicidaire de feue Karine X... le 3 mars 2002 est bien la conséquence directe et certaine de l'accident du 4 novembre 1995 qui l'a privée de ce qu'elle considérait comme sa seule raison de vivre, le présent arrêt ne pouvant que faire siens les motifs du jugement déféré sur ce point, citant en particulier un des poèmes qu'elle écrivait et où elle exprimait sa passion de la danse.

Attendu que le jugement déféré sera donc également confirmé en ce qu'il a dit que le décès de feue Karine X..., le 3 mars 2002, est la conséquence directe et certaine de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 4 novembre 1995.

III : SUR LES PRÉJUDICES MORAUX DE MME NICOLE A... ÉPOUSE X..., DE LUNA X... ET DE MME NADÈGE X... ÉPOUSE Y... :

Attendu que la mère de la victime, Mme Nicole A... épouse X..., sa fille Luna X... et sa s œ ur Mme Nadège X... épouse Y... subissent bien, du fait du décès de feue Karine X..., un préjudice moral en tant que victimes par ricochet.

Attendu qu'en droit français un tel préjudice ne peut se réparer que par une compensation financière, même si celle-ci ne remplacera jamais la douleur de la perte d'un proche, qu'en l'espèce il convient de relever que Mme Nicole A... épouse X... et Mme Nadège X... épouse Y... (dont les liens étroits d'affection avec sa s œ ur ne sont pas sérieusement contestables) ont personnellement souffert face au désespoir et à la longue déchéance de feue Karine X... pendant près de sept années avec un sentiment particulièrement douloureux d'impuissance.

Attendu enfin que la jeune Luna X... a été brutalement privée de l'affection maternelle à l'âge de dix-huit mois et subit donc également un préjudice moral important.

Attendu que s'il apparaît que le premier juge a fait une correcte évaluation du préjudice moral de Mme Nadège X... épouse Y... à la somme de 10. 000 €, en revanche l'estimation des préjudices moraux de Mme Nicole A... épouse X... et de la jeune Luna X... ont été sous-évalués.

Attendu que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice moral de Mme Nadège X... épouse Y... mais infirmé en ce qui concerne celle des préjudices moraux de Mme Nicole A... épouse X... et de la jeune Luna X..., que statuant à nouveau de ces chefs, M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES seront solidairement condamnés à payer à Mme Nicole A... épouse X... la somme de 25. 000 € en réparation de son propre préjudice moral et la somme de 25. 000 € en réparation du préjudice moral de la jeune Luna X..., ès-qualités de tutrice légale de celle-ci.

IV : SUR LE PRÉJUDICE MATÉRIEL DE MME NICOLE A... ÉPOUSE X... :

Attendu que Mme Nicole A... épouse X... réclame le remboursement des frais d'obsèques de sa fille pour un montant de 13. 314 € 92 c. alors que le premier juge ne lui a alloué, à ce titre, qu'une indemnisation forfaitaire de 5. 000 €, M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES concluant, à titre subsidiaire, à la confirmation sur ce point du jugement déféré.

Attendu qu'il est justifié du coût d'une concession au cimetière de CLERMONT-FERRAND pour 934 € 26 c. (somme payée le 7 avril 2003), du coût des obsèques pour un montant global de 2. 650 € 66 c. selon facture du 8 mars 2002 réglée le même jour et du coût du monument funéraire pour un montant global de 9. 730 €, soit au total 13. 314 € 92 c.

Attendu que la contestation de ces frais porte essentiellement sur le coût du monument funéraire (les autres frais correspondant bien à des dépenses normales consécutives à des obsèques), qu'il s'agit effectivement d'un monument particulier portant une stèle en forme de danseuse.

Attendu que si des dépenses funéraires somptuaires allant au-delà de ce qui peut être considéré comme un hommage normal à la personne du défunt, ne sauraient, en principe, être mises à la charge du tiers responsable, l'appréciation du caractère somptuaire ou non de ces dépenses doit se faire in concreto.

Attendu, ainsi qu'il l'a été analysé plus haut, que le décès brutal de feue Karine X... est la conséquence de la ruine de sa carrière de danseuse classique professionnelle qui était, depuis son plus jeune âge, sa réelle raison de vivre, que l'ensemble des pièces produites démontre qu'elle avait devant elle une longue et brillante carrière de danseuse, qu'il apparaît donc tout à fait compréhensible et normal que sa mère ait voulu perpétuer le souvenir de cette passion pour la danse en faisant ériger, sur la tombe de sa fille, une stèle en forme de danseuse dont le coût, eu égard au caractère particulier de cette demande, n'apparaît pas démesuré.

Attendu en conséquence que le jugement déféré sera infirmé quant à l'évaluation du préjudice matériel de Mme Nicole A... épouse X... et que, statuant à nouveau de ce chef, il sera fait droit à la demande de celle-ci, M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES étant solidairement condamnés à lui payer la somme de 13. 314 € 92 c. au titre des frais funéraires.

V : SUR LE PRÉJUDICE ÉCONOMIQUE DE LA JEUNE LUNA X... :

Attendu que Mme Nicole A... épouse X... estime que le préjudice économique de sa petite fille a été sous-estimé par le premier juge qui lui a alloué à ce titre la somme de 65. 551 € sur la base du revenu brut annuel de feue Karine X... avant son accident, soit 148. 192 F. (22. 591,72 €) et en capitalisant ce préjudice sur la base du barème de capitalisation issu du décret du 8 août 1986.

Attendu que Mme Nicole A... épouse X... demande d'évaluer ce préjudice sur la base du salaire d'une danseuse étoile, soit 3. 811 € par mois, mais qu'il ne s'agit là que d'une simple possibilité qui, en tout état de cause, n'aurait pu éventuellement se réaliser qu'au bout d'un certain nombre d'années et non pas dès 1996.

Attendu que le seul élément de référence objectif et indiscutable est donc le revenu perçu par feue Karine X... au moment de son accident, soit 22. 591 € 72 c. par an.

Attendu que si l'on peut considérer que feue Karine X..., qui vivait seule avec sa fille, aurait utilisé 20 % de ses revenus à des fins strictement personnelles et 30 % de ses revenus pour l'entretien et l'éducation de sa fille, ce dernier pourcentage doit être calculé sur la totalité des revenus (soit sur 22. 591 € 72 c. par an) et non pas sur simplement 80 % de ceux-ci comme l'a fait le premier juge, qu'ainsi le préjudice économique subi par la jeune Luna X... sera évalué à la somme de 6. 777 € 52 c. par an (22. 591,72 x 30 %), soit 564 € 79 c. par mois (6. 777,52 / 12).

Attendu en outre que pour la période antérieure au présent arrêt, soit du 3 mars 2002 au 1er avril 2008 (6 ans et 1 mois) ce préjudice est déjà constitué et n'a pas à être capitalisé, la capitalisation ne pouvant intervenir que pour la période postérieure au prononcé du présent arrêt.

Attendu en conséquence que pour la période antérieure au présent arrêt ce préjudice sera évalué à la somme de 41. 229 € 91 c. (6. 777,52 x 6 + 564,79).

Attendu que la capitalisation pour l'avenir de ce préjudice sera faite sur la base d'un Euro de rente limité à 25 ans (âge prévisible de la fin des études de l'enfant) pour une personne de sexe féminin de 7 ans (âge au jour de l'arrêt) de 13,939 calculé en fonction des tables de mortalité INSEE 2001 et d'un taux d'intérêt de 3,20 % correspondant à la situation économique actuelle, le barème issu du décret du 8 août 1986, qui ne s'impose pas au juge, étant à ce jour largement dépassé puisque s'appuyant sur des tables de mortalité vieilles de plus de 40 ans et sur un taux d'intérêt ne correspondant plus à la situation économique actuelle.

Attendu en conséquence que pour la période postérieure au présent arrêt ce préjudice sera évalué à la somme de 94. 471 € 85 c. (6. 777,52 x 13,939).

Attendu que le jugement déféré sera donc infirmé sur la liquidation du préjudice économique de la jeune Luna X... et que, statuant à nouveau, ce préjudice sera évalué à la somme de 135. 701 € 76 c. (41. 229,91 + 94. 471,85) que M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES seront solidairement condamnés à payer à sa tutrice légale, Mme Nicole A... épouse X....

VI : SUR LES AUTRES DEMANDES :

Attendu que les condamnations en paiement prononcées par le présent arrêt le sont en deniers ou quittances, compte tenu des sommes pouvant avoir déjà été versées en vertu de l'exécution provisoire partielle du jugement déféré.

Attendu qu'en sa qualité d'assureur la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES devra relever et garantir M. Davis Z... de toute condamnation prononcée à son encontre dans le cadre du présent litige, que ce soit en première instance ou en appel.

Attendu que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit qu'en application des dispositions de l'article 453, alinéa 2 du Code civil, les sommes allouées à la jeune Luna X... devront être déposées par sa tutrice, dans le mois de leur réception, sur un compte ouvert au nom de cette mineure et portant mention de sa minorité, chez un dépositaire agréé par le gouvernement pour recevoir des fonds pupillaires.

Attendu qu'une copie du présent arrêt sera adressée pour information, par les soins du greffe, au Juge des Tutelles du Tribunal d'Instance d'IVRY-SUR-SEINE.

Attendu que le présent arrêt sera déclaré commun et opposable à la C. P. A. M. de l'Essonne.

Attendu que Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et Mme Nadège X... épouse Y... ne pourront qu'être déboutées de leur demande en paiement d'une somme en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale qui n'est applicable que devant les juridictions pénales et non pas, comme en l'espèce, devant une juridiction civile.

Attendu qu'il est équitable, compte tenu au surplus de la situation économique des parties condamnées, d'allouer à Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et à Mme Nadège X... épouse Y... la somme globale de 2. 000 € au titre des frais par elles exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé en ce qu'il leur a alloué en équité la somme de 1. 000 € au titre de leurs frais irrépétibles de première instance.

Attendu qu'aucune raison tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne commande le prononcé d'autres condamnations au paiement de frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.

Attendu que M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES, parties perdantes, seront solidairement condamnés au paiement des dépens d'appel, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé en ce qu'il les a solidairement condamnés au paiement des dépens de première instance.

P A R C E S M O T I F S

La Cour, statuant publiquement, par arrêt de défaut.

Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne l'évaluation et la liquidation des préjudices subis par Mme Nicole A... épouse X... et la jeune Luna X..., infirmant et statuant à nouveau de ces chefs :

Condamne solidairement M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES à payer en deniers ou quittances, compte tenu des sommes pouvant avoir déjà été versées en vertu de l'exécution provisoire partielle du jugement déféré, à Mme Nicole A... épouse X... la somme de VINGT CINQ MILLE EUROS (25. 000 €) en réparation de son préjudice moral et la somme de TREIZE MILLE TROIS CENT QUATORZE EUROS QUATRE VINGT DOUZE CENTS (13. 314 € 92 c.) en réparation de son préjudice matériel au titre des frais funéraires.

Condamne solidairement M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES à payer en deniers ou quittances, compte tenu des sommes pouvant avoir déjà été versées en vertu de l'exécution provisoire partielle du jugement déféré, à Mme Nicole A... épouse X..., ès-qualités de tutrice légale de sa petite-fille Luna X..., la somme de VINGT CINQ MILLE EUROS (25. 000 €) en réparation de son préjudice moral et la somme de CENT TRENTE CINQ MILLE SEPT CENT UN EUROS SOIXANTE SEIZE CENTS (135. 701 € 76 c.) en réparation de son préjudice économique.

Y ajoutant :

Dit que la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES devra relever et garantir M. Davis Z... de toute condamnation prononcée à son encontre dans le cadre du présent litige, que ce soit en première instance ou en appel.

Ordonne qu'une copie du présent arrêt soit adressée pour information, par les soins du greffe, au Juge des Tutelles du Tribunal d'Instance d'IVRY-SUR-SEINE.

Déclare le présent arrêt commun et opposable à la C. P. A. M. de l'Essonne.

Déboute Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et Mme Nadège X... épouse Y... de leur demande en paiement d'une somme en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Condamne solidairement M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES à payer à Mme Nicole A... épouse X..., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de tutrice de sa petite-fille Luna X... et à Mme Nadège X... épouse Y... la somme globale de DEUX MILLE EUROS (2. 000 €) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.

Dit n'y avoir lieu à prononcer d'autres condamnations au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.

Condamne solidairement M. Davis Z... et la société MONCEAU GÉNÉRALE ASSURANCES aux dépens de la procédure d'appel et autorise la S. C. P. de SAINT-FERREOL, TOUBOUL, Avouées associées, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

Rédacteur : M. RAJBAUT

Madame JAUFFRES Madame SAUVAGE
GREFFIÈRE PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : Ct0026
Numéro d'arrêt : 06/11018
Date de la décision : 01/04/2008

Analyses

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Préjudice - Préjudice matériel -

Si des dépenses funéraires somptuaires allant au-delà de ce qui peut être considéré comme un hommage normal à la personne du défunt, ne sauraient, en principe, être mises à la charge du tiers responsable, l'appréciation du caractère somptuaire ou non de ces dépenses doit se faire in concreto. En l'espèce le décès brutal de la victime est la conséquence de la ruine de sa carrière de danseuse classique professionnelle qui était, depuis son plus jeune âge, sa réelle raison de vivre, l'ensemble des pièces produites démontre qu'elle avait devant elle une longue et brillante carrière de danseuse, il apparaît donc tout à fait compréhensible et normal que sa mère ait voulu perpétuer le souvenir de cette passion pour la danse en faisant ériger, sur la tombe de sa fille, une stèle en forme de danseuse dont le coût, eu égard au caractère particulier de cette demande, n'apparaît pas démesuré.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Nice, 31 mai 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2008-04-01;06.11018 ?
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