COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2ème Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 14 FEVRIER 2008
No 2008/ 72
Rôle No 06/14777
S.A.S. MARINELAND
C/
S.A.R.L. GROUP PROTECTION 2
Grosse délivrée
le :
à :PRIMOUT
ERMENEUX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d'ANTIBES en date du 21 juillet 2006 enregistré au répertoire général sous le no 2006 00143
APPELANTE
S.A.S. MARINELAND
dont le siège est sis Lotissement du Domaine de la Brague - 2 Route de la Brague - 06600 ANTIBES
représentée par la SCP PRIMOUT-FAIVRE, avoués à la Cour,
plaidant par Me Fabien COLLADO pour laSCP CHIREZ-TOURNEUR-BOCQUET-ZALMA, avocats au barreau de GRASSE
INTIMEE
S.A.R.L. GROUP PROTECTION 2
dont le siège est sis 21 avenue Raymond Feraud - 06200 NICE
représentée par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avoués à la Cour,
plaidant par Me Sacha SANCHEZ, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 17 janvier 2008 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Robert SIMON, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur André JACQUOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Mireille MASTRANTUONO
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 février 2008.
ARRÊT
Contradictoire
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 février 2008
Signé par Monsieur Robert SIMON, Président, et Madame Mireille MASTRANTUONO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La S.A.R.L. GROUP Protection 2 a effectué pour le compte de la S.A.S. MARINELAND, exploitant « un parc aquatique de loisirs» des prestations de sécurité (mise à disposition d'agents de sécurité et de maîtres-chien pour la surveillance de ses parkings d'environ 12 hectares) à compter du mois de juillet 2002. La S.A.S. MARINELAND a mis fin à la relation commerciale par courrier en date du 7 avril 2005 à effet au 10 mai 2005 au double motif « d'une dégradation certaine » de la qualité de la prestation fournie par la S.A.R.L. GROUP Protection 2 et d'une « nette augmentation tarifaire ».
Par jugement contradictoire en date du 21 juillet 2007, le Tribunal de Commerce d'ANTIBES a condamné la S.A.S. MARINELAND à payer à la S.A.R.L. GROUP Protection 2 la somme de 30.940,70 à titre d'indemnité de préavis dont la durée a été fixée à deux mois par les premiers juges et la somme de 30.940,70 à titre « d'indemnité pour rupture abusive des relations commerciales », outre une somme de 2.000 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.
La S.A.S. MARINELAND a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret No 98-1231 du 28 décembre 1998 ;
Vu les prétentions et moyens de la S.A.S. MARINELAND dans ses conclusions en réplique et récapitulatives No 2 en date du 8 janvier 2008 tendant à faire juger :
- que la S.A.R.L. GROUP Protection 2 n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce d'une part, en l'absence de « relation commerciale établie » et d'autre part, en l'absence du caractère brutal de la relation commerciale fondée sur une inexécution par la S.A.R.L. GROUP Protection 2 de ses obligations et en présence d'un préavis d'une durée d'un mois,
- que les accords sociaux du 5 mars 2002 ne peuvent être invoqués par la S.A.R.L. GROUP Protection 2 dès lors que lesdits accords ne sont pas opposables à la S.A.S. MARINELAND qui n'a pas été informée de son obligation de prévenir l'entreprise « sortante » comme l'entreprise « entrante » du fait qu'elle avait décidé de changer de prestataire de services,
- que l'octroi d'un délai de préavis d'un mois était parfaitement « en adéquation » avec la nécessité de ne pas laisser perdurer une relation commerciale qui ne donnait plus satisfaction, (ivresse constatée d'un préposé de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 pendant son temps de travail et vol avec effraction dans un véhicule stationné sur un parking gardé),
- que le comportement du prestataire de services aurait même justifié une rupture du contrat sans préavis, le préavis d'une durée d'un mois apparaissant dès lors amplement suffisant et adapté à la situation de fait,
- qu'aucun dommages-et-intérêt ne peut être alloué pour une prétendue rupture abusive en l'état des griefs existants à l'encontre de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 et que les demandes pécuniaires de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 basées sur la perte d'un chiffre d'affaires prévisible sont « totalement indécentes » ;
Vu les prétentions et moyens de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 dans ses conclusions récapitulatives et responsives No 2 en date du 9 janvier 2008 tendant à faire juger :
- que l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce doit recevoir application et que la durée du préavis arrêtée à un mois par la S.A.S. MARINELAND n'est pas suffisante pour permettre au prestataire de services de réorienter son activité,
- que la S.A.S. MARINELAND a violé l'accord social du 5 mars 2002 concernant la reprise du personnel dans les entreprises de Prévention et de Sécurité fixant un préavis de deux mois pour informer l'entreprise « sortante »,
- que la duré du délai de prévenance doit être fixée en considération des usages commerciaux comprenant l'importance des relations financières existant entre les parties (en l'espèce, la part du marché conclu avec la S.A.S. MARINELAND représentait les 2/3 du chiffre d'affaire total du prestataire de services qui, de plus, avait affecté 16 de ses salariés sur le site considéré),
- que les griefs allégués par la S.A.S. MARINELAND ne sont pas établis ou n'ont pas le caractère de gravité affirmé par la S.A.S. MARINELAND (pendant trois années, un incident unique de vol commis sur un parking dont la surveillance n'était pas même confiée, l'augmentation tarifaire a été acceptée par la S.A.S. MARINELAND …),
- le préjudice découlant de la brusque et abusive rupture doit être indemnisé par une somme représentant 1- le manque à gagner du fait d'un délai de prévenance insuffisant (il aurait dû être de six mois), soit 5 mois de chiffres d'affaires manqués : 154.703 et 2- la perte du chiffre d'affaires sur six mois, soit 277.455,12 correspondant à la même période que l'année précédente ou 185.644,20 correspondant à un chiffre d'affaire calculé sur une moyenne mensuelle ;
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 10 janvier 2008.
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu que selon l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce, dans sa rédaction issue de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001, applicable, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le fait, pour tout commerçant, de rompre brutalement même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels »… « Les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations » ;
Attendu que la relation commerciale non matérialisée dans un écrit et portant sur la fourniture d'une prestation de services de gardiennage de vastes parkings d'un important parc de loisirs par la S.A.R.L. GROUP Protection 2 au profit de la S.A.S. MARINELAND relève des dispositions de l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce dès lors que la prestation est structurée, d'une importance certaine (la mise à disposition d'agents de sécurité allant jusqu'à 16 personnes au même moment pour un coût mensuel pouvant atteindre certains mois 90.000 ) et d'une durée (trois années sans discontinuité) et d'une constance (sauf ralentissement saisonnier d'activité) appréciables ;
Attendu que la S.A.S. MARINELAND qui a mis fin au contrat le 7 avril 2005 à effet au 10 mai 2005 en accordant donc un préavis, n'a pas choisi de résilier unilatéralement sans préavis la relation commerciale établie ; qu'elle ne peut donc ultérieurement invoquer une inexécution grave de ses obligations de la part de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 et ne peut donc se prévaloir des dispositions de l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce permettant une résiliation sans préavis en cas d'inexécution ; qu'il s'agirait au demeurant d'inexécutions très partielles ne remettant pas en cause la poursuite du contrat ; que l'indication des motifs explicitant la décision de la S.A.S. MARINELAND de mettre fin à la relation commerciale ne constitue pas la mise en œuvre de la faculté de rompre sans préavis ; qu'au demeurant, le motif tiré de « la nette augmentation tarifaire » ne pouvait être invoqué dès lors que la S.A.S. MARINELAND avait accepté une augmentation de la prestation de services en réglant mensuellement pendant cinq mois les prix nouvellement appliqués par la S.A.R.L. GROUP Protection 2 ; que la dégradation de la qualité de la prestation ne pouvait être invoquée s'agissant d'un fait ancien, unique et isolé de vol (au demeurant, les manquements du prestataire de service à cette occasion ne sont pas caractérisés) et s'agissant de l'état d'ébriété d'un salarié de la S.A.R.L. GROUP Protection 2 non suffisamment rapporté par de très succincts témoignages quant aux circonstances : absence de toute précision sur la date, le nom même du préposé, les manifestation de l'état incriminé, ses conséquence sur l'image de l'entreprise de loisir ou sur la clientèle… ;
Attendu que la S.A.S. MARINELAND pouvait mettre fin à la relation commerciale établie moyennant le respect d'un délai de prévenance suffisant, conformément à l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce ; que l'appréciation de la durée du délai de préavis à respecter obéit à deux seuls critères ; que d'une part, l'accord social relatif à la reprise du personnel dans le secteur « Prévention et Sécurité » en date du 5 mars 2002 et conclu en droit du travail, même en ce qu'il fixe un délai de deux mois à la charge d'une entreprise « cliente » d'une société de prévention et de sécurité pour lui faire connaître sa décision de changer de prestataire de services, n'est applicable que pour régler la situation des personnels salariés de l'entreprise sortante, qui sont affectés sur le chantier considéré ; qu'il ne s'agit pas d'un accord interprofessionnel visé par l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce ; que d'autre part, l'article L 442-6 I 5o du Code de Commerce dans sa dernière rédaction, applicable ne fait référence qu'à la durée de la relation commerciale établie, sans égard pour d'autres critères qui étaient antérieurement pris en considération (tel celui de l'état de dépendance économique dans lequel une partie au contrat résilié peut se trouver à l'égard de l'autre) ; qu'en considération de cet unique critère et d'une durée de relation de relation commerciale de trois années environ, il y a lieu de considérer que le délai de prévenance suffisant devant être respecté par la S.A.S. MARINELAND était de quatre mois ;
Attendu que la S.A.R.L. GROUP Protection 2 ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de son préjudice découlant du caractère brutal de la rupture qui n'était pas en elle-même abusive ; que la rupture n'est pas intervenue en effet dans des circonstances qui révèleraient un abus dans l'exercice du droit de rompre la relation commerciale à durée indéterminée, la S.A.S. MARINELAND ayant exposé les motifs qui, selon elle, expliquaient sa décision de résilier le contrat alors qu'elle n'avait pas véritablement à les exprimer ; que le préavis d'un mois qu'elle a accordé à la S.A.R.L. GROUP Protection 2 était insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale à laquelle elle a mis fin, pour permettre à la S.A.R.L. GROUP Protection 2 de réorienter son activité et de trouver de nouveaux clients pour pallier la perte d'un marché ;
Attendu que le préjudice réparable est celui résultant du seul caractère brutal de la résiliation et n'est pas celui résultant de la rupture elle-même ; que ce préjudice s'analyse en la perte du gain que la S.A.R.L. GROUP Protection 2 pouvait escompter pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé ; que la S.A.R.L. GROUP Protection 2 ne fait d'ailleurs état d'aucun autre préjudice, sauf qu'elle fonde son calcul sur la perte du chiffre d'affaires qu'elle estimait raisonnablement réaliser pendant la période du préavis qu'elle fixe à six mois ; qu'il convient de retenir une marge mensuelle de 15 % sur le chiffre d'affaires de 180.000 que la S.A.R.L. GROUP Protection 2 aurait réalisé du 10 mai 2005 au 10 août 2005 (3 mois supplémentaires) en se référant aux chiffres d'affaires mensuels réalisés pendant la période correspondante de l'année précédente : (mai/juin 30.000 chaque mois et juillet/août 90.000 chaque mois) ; que le manque à gagner s'établit à 27.000 ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 7OO du nouveau code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 4.000 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens pour l'ensemble de la procédure ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel d'AIX en PROVENCE à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile,
Reçoit l'appel de la S.A.S. MARINELAND comme régulier en la forme.
Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau, condamne la S.A.S. MARINELAND à porter et payer à la S.A.R.L. GROUP Protection 2 la somme de 27.000 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice, le 25 décembre 2005, à titre compensatoire, et celle de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'ensemble de la procédure.
Condamne la S.A.S. MARINELAND aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la S.C.P. d'Avoués associés Agnès ERMENEUX-CHAMPLY et Laurence LEVAIQUE, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT