COUR D'APPEL D'AGEN Chambre Sociale
ARRÊT DU 31 MARS 2015
AP/ NC
R. G. 14/ 00687
CGEA BORDEAUX CENTRE DE GESTION ET D'ETUDE AGS (CGEA)
Me Marc AAA..., Mandataire ad'hoc de la SA CRISTALLERIES ET VERRERIES D'ART DE VIANNE
Me Marc AAA..., Mandataire liquidateur de la SAS VERRERIE DE VIANNE
C/
Christian X... Josef Y... Michelle Z... Luis G... Maryse A... Patrick B... Larbi C... Joseph D... Kacem E... Georgette F... Vincent D... Fernando H... Abdellah I... Benaouda J... Jacques K... Isabelle L... Patrick M... Suzanne N... André O... Lino P... Marie-Josée Q... Jean-François R... Jean-Paul S... Bernard Mario T... Max U... Josiane D... Robert V... Marie-Claude W... Jean-Pierre XX... Colette YY... Joaquim ZZ... Robert AA... Jean-Claude BB... Patricia CC... Jacqueline M... Mimoun DD... Bruno EE... Yolande XX... Philippe FF... Juan D... Nicole GG... Monique HH... Antonio G... Norbert II... Mohamed JJ... Antoine D... François D... Solange KK... Rose-Marie H... Paul LL... Jean-Jacques MM... Jean-Luc MM... Jean-Pierre W... Amar NN... Paul CC... Maurice F... Jean-Marc OO... Mohamed PP... Mostafa I... Ange QQ... Mireille YYY... Mekki RR... Pierre SS... Anita TT... Bernard UU... Liliane VV... Adeline WW... Colette WW... Claude XX... Monique XX... Françoise ZZ... Veuve XXX... venant aux droits de son époux Bernard XXX..., décédé le 27 mars 2013
ARRÊT no 128
Prononcé à l'audience publique du trente-et-un mars deux mille quinze par Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière.
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
CGEA BORDEAUX CENTRE DE GESTION ET D'ETUDE AGS (CGEA) Les Bureaux du Lac Rue Jean Gabriel Domergue 33049 BORDEAUX CEDEX
Représenté par Me Anne-Lorraine RODOLPHE de la SCPA RODOLPHE, avocat au barreau de DAX
Me AAA... Marc Mandataire ad'hoc de la SA CRISTALLERIES ET VERRERIES D'ART DE VIANNE... 47031 AGEN CEDEX
Représenté par Me Erwan VIMONT de la SCP LURY GEORGES-VIMONT ERWAN-COULANGES FLORENCE, avocat au barreau D'AGEN
Me AAA... Marc Mandataire liquidateur de la SAS VERRERIE DE VIANNE... 47031 AGEN CEDEX
Représenté par Me Erwan VIMONT de la SCP LURY GEORGES-VIMONT ERWAN-COULANGES FLORENCE, avocat au barreau D'AGEN
APPELANTS d'un jugement du Conseil de prud'hommes-Formation de départage d'AGEN en date du 8 avril 2014 dans une affaire enregistrée au rôle sous le no R. G. 12/ 00201
d'une part,
ET :
Christian X... né le 17 mai 1956 à XAINTRAILLES (47)... 47230 XAINTRAILLES
Josef Y... né le 2 juin 1956 en RÉPUBLIQUE TCHÈQUE... 47230 MONGAILLARD
Michelle Z... née le 20 juillet 1952 à BUZET-SUR-BAISE (47)... 47230 VIANNE
Luis G... né le 22 octobre 1956 au PORTUGAL... 47230 VIANNE
Maryse A... née le 2 septembre 1957 à BUZET-SUR-BAISE (47)... 47230 LAVARDAC
Patrick B... né le 13 novembre 1958 à NERAC (47)... 47230 BARBASTE
Larbi C... né le 1er janvier 1944 au MAROC... 47230 LAVARDAC
Joseph D... né le 1er novembre 1959 à VIANNE (47)... 47230 LAVARDAC
Kacem E... né en 1955 au MAROC... 47600 NERAC
Georgette F... née le 9 juillet 1931 à LAVARDAC (47)... 47230 VIANNE
Vincent D... né le 25 mars 1954... 47230 VIANNE
Fernando H... né le 3 avril 1948 en ESPAGNE... 47230 LAVARDAC
Abdellah I... né le 7 février 1952 au MAROC... 47600 NERAC
Benaouda J... né le 23 janvier 1948 en ALGÉRIE... 47230 VIANNE
Jacques K... né le 12 septembre 1958 à NÉRAC (47)... 47230 FEUGAROLLES
Isabelle L... née le 2 juin 1955 en SUISSE... 47170 SOS
Patrick M... né le 15 mars 1958 à NÉRAC (47)... 47230 XAINTRAILLES
Suzanne N... née le 15 novembre 1933 à MONTGAILLARD... 47230 VIANNE
André O... né le 19 mars 1953 à NICOLE (47)... 47230 LAVARDAC
Lino P... né le 21 janvier 1949 en ITALIE... 47230 LAVARDAC
Marie-Josée Q... née le 10 septembre 1955 à NÉRAC (47)... 47230 MONGAILLARD
Jean-François R... né le 19 décembre 1942 à AGEN (47)... 47230 VIANNE
Jean-Paul S... né le 25 décembre 1958 à THOUARS-SUR-GARONNE (47)...... 47230 THOUARS-SUR-GARONNE
Bernard Mario T... né le 16 août 1953 à FEUGAROLLES (47)... 47230 BARBASTE
Max U... né le 8 janvier 1947 à BUZET-SUR-BAISE (47)... 47230 LAVARDAC
Josiane D... née le 17 juillet 1953 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Robert V... né le 21 mars 1951 à VIANNE (47)... 47230 VIANNE
Marie-Claude W... née le 19 juillet 1948 à NÉRAC (47) Rue... 47230 LAVARDAC
Jean-Pierre XX... né le 4 janvier 1955 à NÉRAC (47)... 47230 THOUARS-SUR-GARONNE
Colette YY... née le 8 janvier 1947 à LAVARDAC (47)... 47230 LAVARDAC
Joaquim ZZ... né le 26 septembre 1954 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Robert AA... né le 12 décembre 1957 à AGEN (47)... 47230 VIANNE
Jean-Claude BB... né le 9 juin 1952 à NÉRAC (47)... 47230 LAVARDAC
Patricia CC... née le 6 mai 1947 à VIANNE (47)... 47230 VIANNE
Jacqueline M... née le 2 octobre 1934 à FOUGERES (35)... 47230 XAINTRAILLES
Mimoun DD... né le 1er janvier 1954 au MAROC... 47600 NERAC
Bruno EE... né le 1er mai 1948 à BRUCH (47)... 47230 FEUGAROLLES
Yolande XX... née le 20 mai 1945 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Philippe FF... né le 10 octobre 1956 à PARIS... 47230 LAVARDAC
Juan D... né le 9 janvier 1956 en ESPAGNE "... "... 47600 NÉRAC
Nicole GG... née le 27 mai 1945 à CLAIRAC (47)... 47230 VIANNE
Monique HH... née le 31 mai 1959 à NÉRAC (47)... 47170 MEZIN
Antonio G... né le 1er septembre 1955 au PORTUGAL...... 47230 VIANNE
Norbert II... né le 31 août 1947 à PORT SAINTE-MARIE (47)... 47230 BARBASTE
Mohamed JJ... né le 1er janvier 1942 à OULED YAHIA (MAROC)... 47230 LAVARDAC
Antoine D... né le 25 novembre 1966 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
François D... né le 25 novembre 1966 à NÉRAC (47)... 47510 FOULAYRONNES
Solange KK... née le 21 juillet 1961 à NÉRAC (47)... 47520 LE PASSAGE
Rose-Marie H... née le 12 novembre 1969 à NÉRAC (47)... 47230 LAVARDAC
Paul LL... né le 1er décembre 1940 à AGEN (47)... 47230 VIANNE
Jean-Jacques MM... né le 15 juillet 1960 à AGEN (47)... 47230 VIANNE
Jean-Luc MM... né le 4 août 1962 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Jean-Pierre W... né le 30 juillet 1949 à NÉRAC (47)... 47230 LAVARDAC
Amar NN... né à ABBO (ALGÉRIE)... 47160 BUZET-SUR-BAISE
Paul CC... né le 2 septembre 1943 à LE QUESNOY (59)... 47230 VIANNE
Maurice F... né le 27 octobre 1936 à LE LARDIN ST LAZARE (24)... 47230 VIANNE
Jean-Marc OO... né le 12 juillet 1962 à TONNEINS (47)... 47160 BUZET-SUR-BAISE
Mohamed PP... né le 1er janvier 1942 à OULED M HAMED (MAROC)... 47230 LAVARDAC
Mostafa I... né le 20 mars 1959 à MEKNES (MAROC)... 47230 LAVARDAC
Ange QQ... né le 29 mai 1945 à NÉRAC (47)... 47230 BARBASTE
Mireille YYY... née le 16 décembre 1955 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Mekki RR... né le 1er janvier 1960 à OULED YAHIA... 47230 VIANNE
Pierre SS... né le 10 août 1948 à NERAC (47)... 47230 MONGAILLARD
Anita TT... née le 23 juin 1950 à VIANNE (47)... 47230 VIANNE
Bernard UU... né le 20 avril 1958 à NÉRAC (47)... 47230 LAVARDAC
Liliane VV... née le 30 juillet 1951 à ECOUEN (95)...... 47230 VIANNE
Adeline WW... née le 14 février 1963 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Colette WW... née le 26 septembre 1955 à LANNES (47)... 47230 BARBASTE
Claude XX... né le 30 juin 1956 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Monique XX... née le 10 décembre 1954 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Représentés par Me Elisabeth LEROUX de la SCP TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE-ANDREU, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
d'autre part,
Françoise ZZ... Veuve XXX... venant aux droits de son époux Bernard XXX..., décédé le 27 mars 2013 née le 6 mai 1956 à NÉRAC (47)... 47230 VIANNE
Représentés par Me Elisabeth LEROUX de la SCP TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE-ANDREU, avocat au barreau de PARIS
INTERVENANTE VOLONTAIRE
dernière part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 24 février 2015 devant Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour, composée, outre d'elle-même, de Michelle SALVAN et Christine GUENGARD, Conseillères, en application des dispositions des articles 945-1 et 786 du Code de Procédure Civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus mentionnés.
- EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne puis la société Verreries de Vianne avaient pour activité la fabrication et la commercialisation d'articles en verre et cristal. A l'issue d'une procédure de redressement judiciaire la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne a été radiée par suite de clôture pour insuffisance d'actif par jugement du tribunal de commerce d'Agen du 25 avril 2008 et la société Verreries de Vianne a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Agen du 2 février 2004.
Par arrêté du 23 décembre 2011 les Verreries de Vianne ont été inscrites sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1928 à 1996.
Le 18 juillet 2012, Christian X..., Josef Y..., Michelle Z..., Luis G..., Maryse A..., Patrick B..., Larbi C..., Joseph D..., Kacem E..., Georgette F..., Vincent D..., Fernando H..., Abdellah I..., Benaouda J..., Jacques K..., Isabelle L..., Patrick M..., Suzanne N..., André O..., Lino P..., Marie-Josée Q..., Jean-François R..., Jean-Paul S..., Bernard Mario T..., Max U..., Josiane D..., Robert V..., Marie-Claude W..., Jean-Pierre XX..., Colette YY..., Joaquim ZZ..., Robert AA..., Jean-Claude BB..., Bernard XXX..., Patricia CC..., Jacqueline M..., Mimoun DD..., Bruno EE..., Yolande XX..., Philippe FF..., Juan D..., Nicole GG..., Monique HH..., Antonio G..., Norbert II..., Mohamed JJ..., Antoine D..., François D..., Solange KK..., Rose-Marie H..., Paul LL..., Jean-Jacques MM..., Jean-Luc MM..., Jean-Pierre W..., Amar NN..., Paul CC..., Maurice F..., Jean-Marc OO..., Mohamed PP..., Mostafa I..., Ange QQ..., Mireille YYY..., Mekki RR..., Pierre SS..., Anita TT..., Bernard UU..., Liliane VV..., Adeline WW..., Colette WW..., Claude XX..., Monique XX..., anciens salariés des Verreries de Vianne, ont saisi le conseil de prud'hommes d'Agen afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété et du bouleversement dans les conditions d'existence, et réparation de la privation des droits à la retraite en lien avec l'inhalation des fibres d'amiante et aux fins de voir leurs créances inscrites au passif des deux sociétés et garanties par le CGEA-AGS.
Par jugement du 8 avril 2014, le conseil de prud'hommes d'Agen a :
- rejeté les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées in limine litis par les défendeurs,
- constaté que tous les requérants ont été exposés à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne puis société Verreries de Vianne subissant un préjudice d'anxiété consécutif au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résultat,
- dit que la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne puis société Verreries de Vianne sont responsables du préjudice d'anxiété des requérants,
- constaté que la créance des requérants n'est pas prescrite,
- fixé la créance au passif de la liquidation judiciaire de la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne et de la société Verreries de Vianne en réparation du préjudice d'anxiété à la somme de 8 000 euros au titre du préjudice d'anxiété, pour chacun des salariés demandeurs,
- déclaré le présent jugement de plein droit opposable au CGEA-AGS dans les conditions prévues à l'article L. 3253-6 et suivants du code du travail,
- dit que le CGEA-AGS garantira les créances dans les conditions de l'article L. 3253-15 du code du travail et devra avancer les sommes correspondants aux créances établies par la présente décision,
- dit qu'à défaut de fonds disponibles le liquidateur devra présenter au CGEA-AGS un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par salarié,
- dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective,
- dit n'y avoir lieu d'assortir la présente décision de l'exécution provisoire.
Le CGEA-AGS de Bordeaux a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de fond qui ne sont pas contestées.
Me AAA..., es qualité de mandataire ad hoc de la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne et es qualité de mandataire liquidateur de la société Verreries de Vianne, a également relevé appel dans les mêmes conditions, à l'égard des 71 salariés.
Les dossiers seront donc joints ainsi qu'il sera dit au dispositif.
- PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Au terme de ses dernières écritures en date du 20 février 2015, redéposées et reprises oralement à l'audience du 24 février 2015, le CGEA-AGS de Bordeaux sollicite l'infirmation de la décision déférée et demande à la cour :
- In limine litis :
* de déclarer irrecevables les demandes des salariés en l'absence de convocation régulière,
* de prononcer la mise hors de cause de l'AGS de ces chefs,
* de dire que les demandes des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sont irrecevables, car relatives à une contestation du montant de l'ACAATA,
* dire et juger prescrites les actions des salariés dont les contrats de travail ont été rompus plus de 30 ans avant la saisine du conseil de prud'hommes,
- Sur le fond :
* de débouter les salariés de leurs demandes au titre du préjudice d'anxiété, faute pour eux de justifier de la réalité de ce préjudice,
* de débouter les salariés de leurs demandes nouvelles au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, qui fait double emploi avec celle au titre du préjudice d'anxiété,
- A titre subsidiaire :
* de débouter les salariés de leurs demandes fondées sur l'obligation de sécurité de résultat, en raison de l'absence de démonstration d'une faute de l'employeur et d'une quelconque violation à leur encontre des dispositions de protection contre l'amiante par l'employeur,
- Sur l'opposabilité des créances à l'AGS :
* de dire que les créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective ne sont pas opposables à l'AGS, comme n'entrant pas dans les périodes de garantie des créances,
* de déclarer en conséquence les créances d'anxiété nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective non susceptibles de garantie, ce préjudice n'étant pas né lors de l'exécution du contrat de travail,
- A titre subsidiaire :
* de limiter le montant des dommages et intérêts,
* de ne fixer la créance que dans les limites de la garantie légale de l'AGS,
* de dire que la garantie ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail, hors astreintes et article 700,
* dire que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective, sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière,
* dire que la garantie de l'AGS est plafonnée conformément aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,
- En tout état de cause, de condamner les demandeurs aux dépens.
Il soutient qu'en l'absence de convocation à l'instance de l'employeur, les demandes formulées à son égard doivent être déclarées irrecevables et l'AGS mise hors de cause, certains des salariés n'ayant jamais été salariés de la société Verreries de Vianne mais uniquement de la SA Cristalleries et Verreries d'art de Vianne.
Il estime en outre que les demandes des salariés dont les contrats de travail ont été rompus plus de trente années avant la saisine de la juridiction prud'homale sont prescrites, en application de l'article 2262 du code civil et 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme des prescriptions ; qu'en effet, soit le préjudice naît de manière contemporaine mais n'est alors pas né lors de l'exécution du contrat de travail, soit il est né lors de l'exécution du contrat de travail mais il n'est alors pas contemporain.
Il fait valoir qu'aux termes de la récente jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation du 2 juillet 2014, les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, l'arrêté ACAATA n'ayant été publié que bien après celle-ci, en 2011 ; que ces créances ne sont donc pas garanties par l'AGS ; que le rapport du CHSCT du 11 juin 2002 est postérieur à l'ouverture de la procédure collective de la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne, intervenue en 1991 ; que s'agissant des salariés transférés à la SAS Verreries de Vianne, ce rapport ne suffit pas à démontrer l'existence de troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés.
Il expose que pour contourner cette jurisprudence, les salariés ont imaginé solliciter des dommages et intérêts à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, ne qualifiant plus ce préjudice ni en quoi il serait distinct du préjudice d'anxiété, justement reconnu par la Cour de cassation, y compris dans son rapport annuel 2010, comme résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et non couvert par le dispositif ACAATA.
Le CGEA considère que l'obligation de sécurité de résultat ne peut être utilement invoquée s'agissant de contrats de travail antérieurs à la loi de 1991, celle-ci n'étant pas alors mise à la charge de l'employeur. Il estime que les différentes législations en vigueur sur les obligations mises à la charge de l'employeur sur l'usage contrôlé de l'amiante ont été respectées, que les jurisprudences en matière de sécurité sociale ne peuvent recevoir application, qu'une faute de l'employeur doit impérativement être démontrée, que tel n'est pas le cas en l'espèce.
Il fait valoir que les salariés ne rapportent aucun élément de preuve d'une faute de l'employeur, ni de leur préjudice, chacun d'eux demandant indistinctement la même somme, alors que les salariés exposés à l'amiante ne subissent pas automatiquement un préjudice spécifique d'anxiété ; que l'obligation de sécurité de résultat n'existait alors pas en droit du travail, et celle du droit de la sécurité sociale n'est pas transposable au préjudice d'anxiété des salariés non malades ; que l'adhésion au dispositif d'ACAATA ne démontre pas la faute de l'employeur, qui a respecté les règles applicables à l'époque.
Il soutient enfin que l'utilisation faite par la Cour de cassation de l'obligation de sécurité de résultats afin d'automatiser le bénéfice pour le salarié du préjudice d'anxiété est inconventionnelle et inconstitutionnelle ; qu'en effet, le juge communautaire estime que " si la directive soumet l'employeur à l'obligation d'assurer aux travailleurs un environnement de travail sûr, il ne saurait être affirmé que doit peser sur l'employeur une responsabilité sans faute " ; qu'en consacrant un régime de responsabilité sans faute en matière d'amiante, la France a violé les textes communautaires ; que de même, la création d'un régime de responsabilité de plein droit par la Cour de cassation viole également le principe de séparation des pouvoirs qui confère au seul législateur des prérogatives législatives en ce domaine.
Au terme de ses écritures en date du 17 février 2015 reprises oralement à l'audience, Me AAA... es qualité de mandataire ad hoc de la SA Cristalleries et Verreries de Vianne et de mandataire liquidateur de la SAS Verreries de Vianne, demande à la cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il a à tort " dit qu'à défaut de fonds disponibles le liquidateur devra présenter au CGEA-AGS un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par salarié.
Il rappelle que s'agissant de la SA Cristalleries et Verreries de Vianne il a seulement pour mandat de représenter ladite société, radiée suite à une clôture pour insuffisance d'actifs, dans le cadre des procédures engagées par les anciens salariés ; qu'aucune obligation ni condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de cette société radiée ;
Il rappelle que le terme de " liquidateur " ne peut s'appliquer qu'à la SAS Verreries de Vianne, dont la liquidation judiciaire n'est pas encore clôturée, et pour laquelle les dispositions de l'article L. 3253-1 et suivants prévoient la garantie des créances salariales.
Au terme de leurs dernières écritures en date du 13 février 2015, reprises oralement à l'audience, les 70 salariés et Mme ZZ... veuve XXX... qui intervient volontairement à l'instance en sa qualité d'ayant droit de son époux M. Bernard XXX... décédé en cours de procédure, sollicitent la confirmation de la décision déférée, outre une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à défaut de présentation au CGEA par le liquidateur, en cas d'absence de fonds disponibles, d'un relevé de créance et d'un justificatif de l'absence de fonds.
Les 14 anciens salariés de la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne rappellent que par un arrêt récent, la Cour de cassation a considéré que les actions en responsabilité nées d'une branche d'activité apportée doivent être dirigées contre la société bénéficiaire, même pour les créances nées d'un contrat de travail rompu avant le traité d'apport. Subsidiairement, s'il était considéré que la créance n'est pas garantie par l'AGS, ces 14 salariés sollicitent la fixation de leur créance en réparation des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
L'ensemble des salariés considère que l'arrêt de la chambre sociale du 2 juillet 2014 n'est pas transposable à leur situation car dans leur cas, il est impossible de dire qu'ils n'ont eu conscience du risque pour leur santé qu'à compter de la publication de l'arrêté ACAATA, en 2011, à l'issue d'un long contentieux administratif ; qu'ils en ont eu connaissance au plus tard le 11 juin 2002 avec le dépôt du rapport du CHSCT en vue de l'inscription des Verreries sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit avant l'ouverture de la procédure collective.
Ils soulignent que cet arrêté est intervenu après les premiers contentieux ayant reconnu la présence de l'amiante au sein des Verreries ; que par cet arrêté du 23 décembre 2011, les Verreries de Vianne ont été in fine inscrites sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1928 à 1996, dispositif mis en place par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 pour permettre aux personnes malades, mais également aux personnes exposées à l'inhalation des poussières d'amiante et ayant de ce fait une espérance de vie réduite de partir à la retraite avant la liquidation de leurs droits.
Ils rappellent que l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur se caractérise, d'une part, par un respect des mesures réglementaires sur l'hygiène et la sécurité, et d'autre part, par une obligation d'information sur les risques encourus rendue obligatoire pour les entreprises utilisatrices de l'amiante depuis le décret de 1977 ; que le non respect de ces obligations constitue une mise en danger des salariés dont l'espérance de vie est de fait considérablement diminuée.
Ils soutiennent qu'ayant été exposés quotidiennement et pendant plusieurs années à l'inhalation de fibres d'amiante, ils ont été victimes d'une contamination. En raison de cette contamination, ils estiment avoir subi une perte d'espérance de vie dont les conséquences économiques sont compensées par le dispositif légal de cessation d'activité anticipée et un préjudice d'anxiété.
Ils rappellent que la Cour de cassation dans un arrêt du 11 mai 2010 a reconnu l'existence d'un préjudice d'anxiété induit par l'exposition à l'amiante, les salariés ainsi exposés se trouvant, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, peu important qu'ils subissent ou non des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ; que la Cour de cassation a par ailleurs réaffirmé la compétence des conseils de prud'hommes en la matière notamment dans ses arrêts du 25 septembre 2013 et du 2 avril 2014.
Ils rappellent également que les juridictions de la sécurité sociale ont reconnu à plusieurs reprises la faute inexcusable commise par la société Verreries de Vianne ; que la Cour de cassation a reconnu la faute inexcusable en faisant référence non plus à l'exceptionnelle gravité de la faute mais à l'obligation de sécurité de résultat découlant du contrat de travail ; que le seul fait d'exposer un salarié à un danger sans appliquer les mesures de protection constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur et cause nécessairement au salarié un préjudice.
Ils soutiennent enfin que la déclaration des créances ne constitue pas une obligation nécessaire à l'indemnisation des préjudices des anciens salariés ; que l'AGS ne peut soutenir le caractère irrévocable de l'état des créances pour refuser sa garantie aux salariés.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises.
- MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur l'absence de convocation régulière de l'employeur :
Attendu que c'est par des motifs pertinents qu'il convient d'adopter que le premier juge a jugé recevable l'action engagée à l'encontre de l'AGS par les salariés, Me AAA... ayant systématiquement été convoqué tant devant le conseil de prud'hommes que devant la cour d'appel, en sa double qualité de mandataire ad hoc de la société SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne et de mandataire liquidateur de la SA Verreries de Vianne, et non uniquement en qualité de mandataire ad hoc de l'une ou l'autre des deux sociétés, comme l'allègue à tort l'AGS ;
Que ce moyen que l'AGS ne développe pas davantage en cause d'appel, doit être rejeté ; que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;
- Sur l'exception d'incompétence :
Attendu qu'il convient de rappeler que la vocation du dispositif ACAATA est d'octroyer une retraite plus précoce aux travailleurs exposés à l'amiante afin de compenser la réduction potentielle de leur espérance de vie, mais non de réparer un préjudice d'anxiété, spécifique aux salariés exposés à l'amiante, résultant de l'angoisse permanente dans laquelle ils se trouvent, de développer une maladie liée à l'amiante ;
Attendu qu'il est constant, que s'agissant de salariés n'ayant pas déclaré de maladie professionnelle et dont le droit à bénéficier de l'ACAATA n'est pas contesté, les demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat relèvent de la compétence de la juridiction prud'homale ;
Qu'en l'espèce, les salariés non malades, qui en l'état des pièces produites ne se sont pas vus diagnostiquer un préjudice physique, sont recevables à engager leur action en réparation de leur préjudice d'anxiété devant la juridiction prud'homale ;
Qu'il convient de rejeter en conséquence l'exception d'incompétence soulevée in limine litis par le CGEA ; que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;
- Sur la prescription :
Attendu que le CGEA soulève de façon nouvelle en cause d'appel la prescription trentenaire de l'action des salariés (M. Angel D..., contrat rompu le 12 juillet 1979) dont les contrats de travail ont été rompus plus de trente ans avant la saisine du conseil de prud'hommes, soit avant le 18 juillet 1982 ; que les salariés ne répondent pas spécifiquement sur ce point ;
Attendu cependant que M. Angel D... ne figure pas parmi les salariés demandeurs dans le cadre de cette procédure ; que d'autres salariés portant le même nom que lui mais pas le même prénom sont parties à la procédure mais leurs contrats de travail ont tous été rompus postérieurement au 18 juillet 1982 ;
Que la fin de non recevoir tirée de la prescription n'est donc pas fondée et sera rejetée ;
- Sur l'exposition à l'amiante :
Attendu qu'en application du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, pour les contrats de travail en cours à la date de la mise en oeuvre de cette obligation, et ce, quelle qu'ait été la date de conclusion du contrat ;
Qu'il incombe ainsi à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que ces mesures sont relatives aux actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation et à la mise en place d'une organisation de moyens adaptés ; que l'employeur doit toujours veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ; qu'il met ces mesures en oeuvre sur le fondement du principe de prévention à savoir, notamment : éviter les risques, les évaluer s'ils ne peuvent être évités, les combattre à la source, adapter le travail à l'homme, tenir compte de l'évolution technique, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protections individuelles et donner des instructions appropriées aux travailleurs ;
Attendu, outre que la loi du 12 juin 1893 ainsi que ses décrets d'application avaient déjà mis en place une réglementation générale sur les poussières, que le décret du 13 décembre 1948 avait mis l'accent sur la mise à disposition des travailleurs exposés aux poussières de mesures de protection individuelle, le décret du 17 août 1977, relatif aux mesures particulières d'hygiène applicable dans les établissements où le personnel est exposé à des poussières d'amiante, imposait :
- des prélèvements d'atmosphère afin de surveiller le niveau de concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié,
- le conditionnement des déchets de toute nature susceptibles de dégager des fibres d'amiante,
- la vérification des installations des appareils de protections collectives et individuelles des salariés,
- un suivi médical.
Qu'il est constant et non contesté que la Verrerie de Vianne spécialisée dans la fabrication, la vente, l'exportation ou importation d'articles en verre et cristal ou se rapportant au luminaire, a fait usage de manière constante d'amiante au moins jusqu'en 1996 ; qu'elle a été inscrite par arrêté ministériel du 23 décembre 2011 sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 ouvrant droit à l'ACAATA, pour la période 1928 à 1996 ; qu'aucun recours n'a été formé à l'encontre de cette inscription qui n'est pas contestée dans le cadre de la présente procédure ;
Attendu que ce classement sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA n'est en outre pas le seul élément de nature à établir l'exposition à l'amiante des salariés, le premier juge ayant justement rappelé qu'il ressort des pièces produites notamment le compte-rendu du CHSCT du 25 janvier 1989 et de la CRAMA de juillet 1991 et 1993, octobre 2002, que de l'amiante était présente sur certains équipements individuels (gants, tablier...), produits et machines de l'entreprise (tresses, couronnes, fours, arches, etc...) ;
Que le rapport du CHSCT du 11 juin 2002 indique que " l'amiante était donc utilisée sous formes manufacturées, dans des quantités que nous pouvons estimer à 450 kilos par an dans les années fastes où l'entreprise comptait 900 employés et avait comme outil de production, 4 fours à bassin ainsi que 15 fours à pot pour en arriver à une consommation de 150 à 200 kilos jusqu'en 1997, année de l'interdiction de l'utilisation et de l'épuisement du stock. Dernièrement et après enquête, nous avons retrouvé des stocks sauvages d'amiante ainsi que des applications encore existantes. " ; que ces constatations établissent la responsabilité des employeurs successifs, la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne puis la SAS Verreries de Vianne ;
Que le tribunal administratif de Bordeaux dans sa décision du 13 juillet 2011 a retenu que " si l'activité de la Verrerie n'avait pas une activité principale de fabrication de matériaux contenant de l'amiante ni de flocage ou calorifugeage de l'amiante, la double circonstance que les opérations de calorifugeage ne duraient que cinq à dix minutes par jour et que quelques cas seulement de maladies professionnelles imputables à l'utilisation de l'amiante au sein de la Verrerie ont été reconnus, ne suffit pas à établir, compte tenu d'une part du caractère volatile de l'amiante, de l'absence de système d'aération/ ventilation dans l'établissement, et d'autre part, du temps de latence important des affections imputables à l'amiante, que les opérations de calorifugeage ne représentaient pas une part significative des activités de l'établissement " ;
Que le personnel n'avait pas de protection individuelle contre l'amiante puisqu'au contraire leurs protections (gants, tabliers...) contenaient de l'amiante ; qu'il s'agit d'autant d'éléments permettant de démontrer la présence et l'utilisation d'amiante dans l'entreprise ;
Que par plusieurs décisions du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lot-et-Garonne, la faute inexcusable des Verreries de Vianne a été reconnue dans le cadre de la maladie résultant de la contamination par l'amiante dont ont notamment été atteints M. DDD... (salarié de 1935 à 1977, décédé le 18 juin 2004) M. UU... (salarié de 1964 à 2003), M. II... (salarié de 1994 à 2004), M. Louis XX..., M. EEE... (salarié de 1976 à 1988) et M. N... (décédé le 8 juillet 2007), dans des décisions pour certaines antérieures à l'arrêté du 23 décembre 2011 précité ;
Attendu enfin que les salariés versent aux débats de nombreuses attestations démontrant la présence de fibres d'amiante dans la composition des matériaux et machines, sur lesquels intervenaient les salariés, ainsi que l'absence d'information et de mise à disposition d'équipements de la part de l'employeur ;
Qu'il doit être rappelé que le décret du 17 août 1977 a imposé à toutes les entreprises où les salariés étaient exposés à l'inhalation des poussières d'amiante un certain nombre d'obligations et notamment de faire effectuer des contrôles périodiques du nombre de fibres dans l'air, de conditionner les déchets pouvant contenir de l'amiante et de prévoir des mesures de protections collectives et individuelles, que les Verreries de Vianne n'établissent pas avoir respecté sur la durée de la relation contractuelle existante avec chacun des salariés ;
Qu'il se déduit de l'ensemble de ces constatations que l'employeur, en l'occurrence tant la SA Cristalleries et Verreries d'Art que la SAS Verreries de Vianne, a fait preuve d'une négligence fautive en ne prenant pas les mesures réglementaires imposées et pourtant nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique des salariés ;
Qu'il est donc établi que l'employeur a, par de telles négligences fautives persistantes, failli à l'obligation de sécurité lui incombant à l'égard des salariés ; qu'il doit être ici rappelé que la mise en oeuvre par les juridictions de l'ordre judiciaire de la responsabilité d'employeurs tenus en vertu du contrat de travail à une obligation de sécurité de résultat n'enfreint pas le principe de la séparation des pouvoirs et assure l'effectivité des droits garantis par les 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'il ne s'agit en outre pas d'un régime de responsabilité sans faute contraire aux textes communautaires comme le soutient le CGEA, les salariés étant au contraire tenus d'établir les négligences fautives de l'employeur ;
Que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation a par ailleurs rappelé que l'indemnisation du préjudice d'anxiété qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, en premier lieu n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité, en second lieu ne constitue ni une charge publique, ni un avantage disproportionné ;
Qu'il en résulte que les salariés, qui établissent avoir travaillé dans l'établissement " Verreries de Vianne " répertorié à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant, au terme d'une décision judiciaire, sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA, pendant une période où y étaient traités de l'amiante ou des matériaux en contenant, ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail au sein de la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne ou de la SAS Verreries de Vianne ;
Qu'il doit être encore indiqué que le fait que les salariés n'ont pas tous bénéficié du dispositif ACAATA ne suffit pas à considérer qu'ils n'étaient pas exposés au risque ; qu'en effet, certains salariés ont pu choisir de ne pas adhérer à ce dispositif, compte tenu de la baisse de ressources qu'il impliquait ;
Attendu en outre que chacun des salariés produit des attestations de collègues démontrant la réalité d'une exposition à l'amiante et des attestations de proches démontrant la réalité d'un préjudice d'anxiété ;
Attendu que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de sécurité de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et biens fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ; que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;
- Sur l'indemnisation du préjudice :
Attendu que les salariés qui ont travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et se trouvent, du fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, subissent un préjudice d'anxiété spécifique ; que l'indemnisation accordée au titre d'un préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ;
Que par ailleurs les intéressés ne sont pas tenus, pour être indemnisés, de verser ni document objectif ni témoignage de tiers sur leur état de santé, sur une éventuelle anxiété, un suivi médical et une modification dans leurs conditions d'existence ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que les salariés ne sont pas actuellement malades mais qu'ils ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'ils démontrent amplement que l'amiante est une substance cancérigène susceptible de provoquer différentes maladies et notamment un cancer du poumon ou de la plèvre ;
Que les salariés soumis à ce risque, peu important qu'ils se soumettent ou non à des contrôles ou examens médicaux réguliers propres à réactiver cette angoisse, se trouvent par le fait de l'employeur dans une inquiétude permanente liée à l'angoisse de développer à plus ou moins brève échéance une maladie pouvant être invalidante et mortelle ; que cette inquiétude, que la Cour de cassation n'impose pas aux salariés d'établir médicalement, est d'autant plus forte que ces derniers ont vu plusieurs de leurs collègues de travail décéder des conséquences de ces maladies ; qu'ils subissent également une modification dans leurs conditions d'existence ; que ces salariés ne peuvent en effet envisager sereinement leur avenir et peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ;
Qu'ils caractérisent ainsi un préjudice d'anxiété justement indemnisé par le premier juge par l'octroi d'une somme de 8 000 euros à chacun ;
Qu'il sera rappelé que seuls 14 salariés (les anciens salariés de la seule société SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne) formulent une demande subsidiaire au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, pour le cas où leur créance ne serait pas garantie par l'AGS ; qu'il ne s'agit pas d'une demande qui fait doublon contrairement à ce qu'allègue le CGEA ;
- Sur la garantie de l'AGS :
Attendu que les dommages-intérêts dus aux salariés à raison de l'inexécution par l'employeur d'une obligation découlant du contrat de travail sont garantis par l'AGS dans les conditions prévues à l'article L. 3253-6 du code du travail alors L. 143-11-1 1o ;
Attendu que la créance d'indemnisation du préjudice d'anxiété dont le bénéfice est reconnu aux salariés est de nature contractuelle ;
Attendu que d'autre part, l'AGS couvre les créances nées à la date du jugement d'ouverture de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;
Que la date de naissance du préjudice d'anxiété n'est pas celle de l'exposition au risque mais celle du jour où le salarié a eu connaissance et donc conscience du risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l'amiante ; que la date de naissance de la créance est celle de la révélation du risque de l'exposition à l'amiante, donnant naissance au sentiment d'anxiété ;
Que cette date peut être, soit celle de la publication de l'arrêté ministériel inscrivant l'établissement dans lequel a travaillé le salarié sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA (au cas présent, cette date est le 23 décembre 2011) soit, celle de la délivrance au salarié d'un certificat d'exposition à l'amiante, soit le cas échéant, celle à laquelle le salarié établit avoir eu connaissance de ce risque ;
S'agissant des anciens salariés de la SAS Verreries de Vianne :
Attendu en l'espèce que les salariés produisent de nombreuses pièces justifiant qu'ils avaient connaissance et conscience du risque de développer une maladie et de subir une diminution de leur espérance de vie bien avant le classement, en 2011, des Verreries de Vianne sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA ;
Qu'en effet, ce classement est, d'une part, survenu après un longue procédure administrative, suite à un refus initial de classement du directeur du travail du 5 juin 2008, d'autre part, après que plusieurs salariés soient décédés d'une affection liée à l'amiante (M. DDD... en 2004, M. N... en 2007) ;
Qu'ils produisent au surplus des attestations de salariés, toutes antérieures à la date de l'arrêté de classement de décembre 2011, dont celle de M. OO... indiquant que " jusqu'en 1995 environ, je n'ai pas souvenir d'avoir été informé par mes différents employeurs sur les problèmes de l'amiante ", signifiant donc qu'après 1995, les salariés ont été informés ;
Que surtout les salariés produisent le compte rendu du CHSCT du 11 juin 2002 précité, sans qu'il soit ici nécessaire de rappeler que le rôle du CHSCT, au sein duquel siègent des délégués du personnel, est précisément d'alerter les salariés sur les risques encourus dans le cadre de leur exercice professionnel au sein de l'établissement ; que ce rôle d'alerte et donc de prise de conscience à destination des salariés est précisément matérialisé dans cet écrit, qui ne mentionne pas un quelconque caractère confidentiel, et qui est antérieur à l'ouverture du redressement judiciaire des Verreries de Vianne, le 1er octobre 2003 ;
Qu'enfin, le rapport du CHSCT du 25 janvier 1989 mentionne clairement, au paragraphe " mécanique four, poste de travail amiante " que " les conséquences cancérigènes de ce matériau étant certaines, le poste de travail doit, dans l'immédiat, être modifié " ;
Attendu en conséquence que les salariés établissent que c'est au plus tard le 11 juin 2002 qu'ils ont eu connaissance et donc conscience de leur risque de développer une maladie et de subir une diminution de leur espérance de vie, l'arrêté de décembre 2011 de classement des Verreries sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA ne venant que confirmer cette connaissance ;
Attendu que la décision déférée sera donc confirmée sur ce point ;
S'agissant des anciens salariés de la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne :
Attendu qu'en cas de changement d'employeur dans les conditions fixées par l'article L. 1224-1 du code du travail, la transmission au nouvel employeur des obligations qui incombaient à l'ancien, à l'égard des salariés, est de droit en vertu de l'article L. 1224-2 du même code, à moins que la modification dans la situation juridique de l'employeur n'intervienne dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
Que cependant ces dispositions ne concernent que les contrats de travail en cours et non ceux arrivés à leur terme avant la date de la reprise ;
Que les créances indemnitaires résultant d'une faute dans l'exécution des obligations du contrat de travail ne sont pas exclues du bénéfice de l'article L. 1224-2 du code du travail ;
Que la règle veut que la reprise d'activité comporte celle de l'ensemble des obligations liées à l'exécution passée d'un contrat de travail, sauf disposition contraire de l'acte de reprise ;
Attendu que les actions en responsabilité nées d'une branche d'activité apportée doivent être dirigées contre la société bénéficiaire, même pour les créances nées d'un contrat de travail rompu avant le traité d'apport ;
Attendu que la SAS Verreries de Vianne a, selon jugement du tribunal de commerce du 18 juillet 1997 ordonnant la cession de la totalité des immobilisations corporelles et incorporelles, repris 234 contrats des travail de la SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne, placée en redressement judiciaire le 4 septembre 1996 ;
Attendu que les 14 salariés dont le contrat de travail a pris fin dans les années 80-90 (Messieurs DD..., R..., FF..., JJ..., LL..., NN..., CC..., F..., C..., et Mmes N..., F..., GG..., XX..., M...) ont été engagés dans les années 60-70-80 par la société SAS Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne dont l'activité a été reprise par la société SAS Verreries de Vianne ; que la société SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne a été ensuite radiée le 25 avril 2008 ;
Qu'en l'absence d'apport partiel d'actifs de la société SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne à la SAS Verreries de Vianne, aucune disposition expresse contraire du plan de cession ne faisant obstacle à cette transmission, la règle précitée trouve à s'appliquer en l'espèce, la reprise d'activité comportant celle de l'ensemble des obligations liées à l'exécution passée des contrats de travail des salariés employés par les Verreries de Vianne ; qu'en effet, l'obligation n'est en l'espèce pas étrangère à la branche d'activité apportée ou expressément exclue par le jugement précité, le CGEA ne produisant en outre sur ce point aucune pièce contraire ;
Qu'à cette époque, l'acquéreur, compte tenu de l'activité de l'entreprise acquise, ne pouvait ignorer la situation des salariés et les conséquences, pour l'avenir, de leur exposition à l'amiante ;
Que la SAS Verreries de Vianne est donc tenue des obligations incombant aux employeurs successifs, dont les siennes propres, du fait du contrat de travail de chacun des salariés, notamment en ce qui concerne les conséquences du non-respect des prescriptions d'ordre public de santé et sécurité au travail applicables à une entreprise dont les salariés ont été de manière continue exposés à l'amiante ;
Qu'en conséquence la société SAS Verreries de Vianne peut être tenue envers ces salariés des conséquences résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en terme d'exposition à l'amiante, durant leur période d'emploi au sein de la société SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne ;
Attendu que tous les salariés, qu'ils aient été salariés de la seule SA Cristalleries et Verreries d'Art de Vianne soit également de la SAS Verreries de Vianne, sont donc bien fondés à solliciter la garantie de leur créance par l'AGS ;
Attendu enfin qu'aux termes de ses dernières conclusions, en date du 24 février 2015, le CGEA n'invoque plus la question de l'irrévocabilité des créances ;
- Sur l'appel de Me AAA... :
Attendu que Me AAA... sollicite la réformation de la décision déférée en ce qu'elle a à tort " dit qu'à défaut de fonds disponibles le liquidateur devra présenter au CGEA-AGS un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par salarié " ;
Attendu que les salariés ne répliquent pas sur ce point mais maintiennent leur demande d'astreinte à l'encontre de Me AAA... ;
Attendu qu'il convient d'infirmer la décision déférée sur ce point, de débouter les salariés de leur demande d'astreinte à son encontre et de préciser les obligations de Me AAA... es qualité de mandataire liquidateur de la SAS Verreries de Vianne ainsi qu'il sera dit au dispositif ;
Attendu que le CGEA-AGS sera tenu, en tant que de besoin, de garantir, dans les limites de sa garantie et des plafonds applicables, les sommes allouées, à l'exception de celles relatives à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts ne sont dus que jusqu'au jugement d'ouverture de la procédure collective, soit le 1er octobre 2003 ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Ordonne la jonction des dossiers enrôlés sous les numéros 14/ 688 et 14/ 687 sous ce seul dernier numéro ;
Déclare recevable l'intervention volontaire de Mme ZZ... veuve XXX... ès qualité d'ayant droit de M. Bernard XXX... ;
Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée en cause d'appel par le CGEA-AGS de Bordeaux ;
Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a dit que " le liquidateur devra présenter au CGEA-AGS un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par salarié " ;
Statuant à nouveau sur ce point,
Dit qu'en application des articles L. 3253-6 à L. 3253-8 du code du travail, le CGEA-AGS de Bordeaux devra procéder à l'avance de la créance des salariés, selon les termes et conditions et dans la limite des plafonds résultant des articles L. 3253-15 et L. 3253-17 du même code, sur présentation d'un relevé par Me AAA..., es qualité de mandataire liquidateur de la SAS Verreries de Vianne, et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ;
Déboute les salariés de leur demande d'astreinte ;
Y ajoutant,
Déclare le présent arrêt opposable au CGEA-AGS de Bordeaux ;
Rappelle que les intérêts ne sont dus que jusqu'au jugement d'ouverture de la procédure collective ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le CGEA-AGS de Bordeaux aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Nicole CUESTA, Greffière.