ARRÊT DU 3 FÉVRIER 2015
AP/ NC
R. G. 12/ 02067
COUR D'APPEL D'AGEN Chambre Sociale
Me Patrick L... Mandataire liquidateur de la SAS IMPRIMERIE FRANCE QUERCY
C/
Didier X... Patrick Y... Bernard Z... Philippe A... Nicolas B... Thierry C... Jean-Luc D... David E... Philippe F... Georges Manuel G... Eric H... Laurent I... Laurent J... Jean-Marc K...
ARRÊT no 15/ 56
Prononcé à l'audience publique du trois février deux mille quinze par Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière.
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
Me Patrick L... Mandataire liquidateur de la SAS IMPRIMERIE FRANCE QUERCY... 92000 NANTERRE
Représenté par Me François D'ANDURAIN de l'AARPI D'ANDURAIN et SERFATI ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de CAHORS en date du 3 décembre 2012 dans une affaire enregistrée au rôle sous le no R. G. 12/ 00035
d'une part,
ET :
Didier X... né le 27 janvier 1958 à CAHORS (46000)... 46000 CAHORS
Patrick Y... né le 31 mai 1964 à CASTELSARRASIN (82100)... 46090 LABASTIDE MARNHAC
Bernard Z... né le 26 mars 1955 à CAHORS (46000)... 46090 CAHORS
Philippe A... né le 20 août 1959 à CAHORS (46000)... 46000 CAHORS
Nicolas B... né le 30 mars 1977 à CAHORS (46000)... 46090 PRADINES
Thierry C... né le 11 novembre 1966 à CAHORS (46000)... 46000 CAHORS
Jean-Luc D... né le 8 janvier 1959 à CAHORS (46000)... 46000 CAHORS
David E... né le 18 octobre 1972 à CAHORS (46000)... 46090 LAMAGDELAINE
Philippe F... né le 14 juillet 1968 à FIGEAC (46100)... 46000 CAHORS
Georges Manuel G... né le 3 août 1973 à CAHORS (46000)... 46090 LE MONTAT
Eric H... né le 7 juin 1984 à CAHORS (46000)... 46230 LALBENQUE
Laurent I... né le 13 août 1958 à MONTCUQ (46800)... 46150 CALAMANE
Laurent J... né le 10 octobre 1967 à CAHORS (46000)... 46090 MERCUES
Jean-Marc K... né le 15 septembre 1967 à CAHORS (46000)... 46090 PRADINES
Représentés par Mme Christine P... (Délégué syndical ouvrier) muni d " un pouvoir
INTIMÉS
d'autre part,
CGEA ILE DE FRANCE OUEST CENTRE DE GESTION ET D'ETUDE AGS (CGEA) 130, rue Victor Hugo 92309 LEVALLOIS-PERRET CEDEX
Représenté par Me Jean-Luc MARCHI, avocat au barreau d'AGEN
PARTIE INTERVENANTE
dernière part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 16 décembre 2014, sur rapport de Aurélie PRACHE, devant Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, Annie CAUTRES et Michelle SALVAN, Conseillères, assistées de Nicole CUESTA, Greffière, et après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
- FAITS ET PROCÉDURE :
M. X..., K..., Z..., C..., F..., D..., Y..., J..., G..., A..., H..., I..., B... et E..., employés par la société SAS Imprimerie France Quercy en qualité de conducteurs de machine, ont fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de 2 jours, pour des faits du 27 juin 2011.
Contestant cette sanction, ils ont saisi le conseil de prud'hommes de Cahors qui dans un jugement du 3 décembre 2012 a :
- dit les sanctions de mise à pied de 2 jours sont disproportionnées,
- annulé lesdites sanctions,
- condamné la société Qualibris, SAS Imprimerie France Quercy, en la personne de son représentant légal, au remboursement des deux jours de mise à pied découlant des bulletins de salaire soit :
- à M. K... : 184, 74 euros bruts,- à M. Z... : 186, 33 euros bruts,- à M. C... : 162, 25 euros bruts,- à M. F... : 181, 12 euros bruts,- à M. D... : 184, 74 euros bruts,- à M. Y... : 186, 33 euros bruts,- à M. J... : 184, 74 euros bruts,- à M. X... : 186, 33 euros bruts,- à M. G... : 181, 12 euros bruts,- à M. A... : 163, 25 euros bruts,- à M. H... : 158, 16 euros bruts,- à M. I... : 186, 33 euros bruts,- à M. B... : 163, 25 euros bruts,- à M. E... : 184, 74 euros bruts,
outre 40 euros nets à chaque salarié au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit les demandes à titre de dommages et intérêts injustifiées,
- débouté la société Qualibris, SAS Imprimerie France Quercy de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- dit que l'intérêt au taux légal sur les salaires portera effet à compter de la saisine du conseil de prud'hommes par les salariés,
- fixé les dépens éventuels de l'instance à la charge de la société Qualibris, SAS Imprimerie France Quercy, en la personne de son représentant légal, y compris des frais d'huissier en cas d'inexécution volontaire du présent jugement et comprenant le remboursement des 35 euros au titre de la contribution pour l'aide juridique à chacun des 14 salariés.
La société Imprimerie France Quercy a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
Elle a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 4 février 2014, désignant Me L... en qualité de mandataire liquidateur.
- PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures en date du 16 décembre 2014 et des déclarations réalisées à l'audience, Me L..., es qualité de mandataire liquidateur de la société SAS Imprimerie France Quercy sollicite l'infirmation partielle de la décision déférée et le débouté des salariés de l'ensemble de leurs demandes, outre leur condamnation à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il rappelle qu'à l'origine, 3 salariés ont fait l'objet d'une mise à pied de 4 jours et 11 salariés d'une mise à pied de 2 jours ; que le 27 juillet, la sanction a été fixée à deux jours pour les 14 salariés.
Il soutient que les salariés avaient cessé de procéder au contrôle des tierces avant le lancement de l'impression, dont il a résulté des retards de production, puisque le responsable de service a du se livrer lui-même à ces contrôles.
Il fait valoir que la motivation du conseil de prud'hommes est inadéquate car elle n'élude pas le fait qu'il se soit passé quelque chose, mais le considère comme insuffisamment grave pour justifier une sanction ; que désormais, les salariés soutiennent qu'ils n'ont jamais refusé de contrôler la tierce mais le bon à tirer ou rouler ; que des retards importants ont été constatés et justifiés par les courriers des clients.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 22 août 2014 et des déclarations réalisées à l'audience, les salariés sollicitent la confirmation partielle de la décision déférée et, outre les sommes déjà accordées par le conseil de prud'hommes, demandent la somme de 800 euros chacun à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que la sanction dont ils ont fait l'objet procède d'une totale méconnaissance de l'employeur de la technique off set en vigueur dans la société, vendue deux fois en l'espace de quelques mois ; que les salariés ont refusé de travailler sans filet, ce refus ne durant qu'une journée et ne constituant pas une faute, car en tout état de cause, ils ont toujours procédé au contrôle de la tierce, demandant qu'elle soit signée par le responsable de service pour devenir le bon à tirer ou rouler.
Ils rappellent que la tierce est un tirage du document obtenu après essais, réglages si nécessaires, qu'elle est ensuite contrôlée par le conducteur de machine pour être ensuite validée par le supérieur hiérarchique qui donne son accord sur le tirage ; qu'elle est alors signée et devient le bon à rouler ou tirer (BAT) lorsque signée par le client.
Ils font valoir que l'employeur ne démontre pas qu'ils ont refusé de contrôler les tierces, motif figurant sur les sanctions ; qu'en réalité la société leur a reproché d'avoir voulu faire signer la tierce par leur supérieur hiérarchique pendant 2 jours, alors que depuis plusieurs années, en l'absence de contremaître, ils avaient pris l'habitude de lancer leur tirage sans la signature de la tierce par leur supérieur, qui lui ne travaillait pas en horaire d'équipe mais en horaire classique ; qu'ils engageaient ainsi leur propre responsabilité, ce qu'ils ont souhaité ne plus faire compte tenu de l'attitude à leur égard de la nouvelle direction ; que pour autant, ce n'est pas ceci qui leur a été reproché dans les sanctions prononcées.
M. H... et F... soutiennent qu'ils ne travaillaient pas comme conducteur de machines les deux jours pour lesquels la mise à pied leur a été signifiée ; qu'ils figuraient sur le planning hebdomadaire affiché dans l'entreprise pour la période incriminée pour exercer les fonctions d'aide-conducteur, sans responsabilité d'une machine et seulement chargés du façonnage.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 16 décembre 2014 et des déclarations réalisées à l'audience, le CGEA-AGS d'Ile de France Ouest sollicite l'infirmation partielle de la décision déférée et le débouté des salariés de l'ensemble de leurs demandes.
Pour l'essentiel, il reprend les moyens développés par le mandataire liquidateur, rappelant que ce litige s'inscrit dans un contexte de lutte des classes important au sein d'une société en prise à d'importantes difficultés financières, et à la suite de l'échec des négociations tendant à augmenter le salaire dans l'entreprise.
Il rappelle que les salariés percevaient une prime spécifique pour procéder à ce contrôle, intégrée dans leur salaire à compter de 1998 (prime de 500 francs par mois) ; que les salariés sont bien conscients de la gravité de leur faute, car ils objectent qu'ils auraient continué à effectuer ce contrôle de la tierce mais sans signer le bon à tirer.
- MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu que par courrier du 13 juillet 2011, les 14 salariés ont fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire notifiée pour les motifs suivants :
" Depuis cette date (le 27 juin 2011), vous refusez d'effectuer les contrôles des tierces avant impression, alors que cette tâche fait intégralement partie de vos attributions et que vous l'avez toujours effectuée jusqu'ici. Cette situation désorganise gravement l'entreprise, pénalise nos clients par les retards qu'elle engendre et oblige l'encadrement à effectuer ces contrôles, au détriment de sa mission habituelle.
Au cours de l'entretien pendant lequel vous étiez assisté, vous avez justifié cette attitude par le fait que vous entendiez par là même protester contre les propositions de la direction faites lors des dernières négociations annuelles obligatoires.
De tels agissements nuisent gravement au fonctionnement de l'entreprise, sont parfaitement inacceptables. "
Attendu que selon la convention collective applicable le conducteur de machines effectue les contrôles appropriés sur les matières premières et les produits en cours de fabrication sous (la) responsabilité hiérarchique ;
Que selon courrier de l'employeur aux salariés du 9 juin 1995 a été accordée aux salariés une " indemnité mensuelle de 500 francs pour leur fonction et compte tenu des contraintes et sujétions particulières qui y sont liées et jointes en annexe ", celle-ci mentionnant notamment " vérification de la tierce, corrections, blancs, auto-contrôle du bon à rouler " ; qu'il s'en déduit bien que la vérification de la tierce et le contrôle du bon à rouler sont deux opérations distinctes ;
Qu'il ressort de l'attestation de M. X..., partie au litige, qu'il n'a " jamais dit qu'en l'absence de revalorisation de salaire les conducteurs de machines ne contrôleraient plus les tierces par contre (il a) dit que puisque la direction ne veut pas faire d'efforts nous ne roulerons plus sans bon à tirer signés conformément à la convention collective " ;
Que si cette attestation est insuffisante à donner force probante aux arguments des salariés, elle est cependant corroborée par les éléments précités ;
Attendu que l'appelant ne produit aucun élément de nature à justifier que les salariés ont, pendant cette semaine du 27 juin 2011, refusé de contrôler les tierces ; que les salariés reconnaissent en revanche avoir refusé d'effectuer l'auto-contrôle du bon à rouler, ce qui ne leur est pas reproché dans le cadre de la lettre de mise à pied ;
Qu'il s'agit en effet d'un fait distinct de celui ayant motivé l'exercice du pouvoir disciplinaire ;
Que par ailleurs, il ne résulte d'aucun des courriels produits par l'appelant que les retards connus par l'imprimerie auraient eu pour origine un refus de contrôle des tierces par les conducteurs de machine ;
Qu'enfin, il ressort du planning hebdomadaire que le 27 juin et toute la semaine correspondante, M. H... et M. F... étaient affectés non pas à une machine mais au façonnage, l'employeur n'établissant pas que ce façonnage supposait également un contrôle de tierce ;
Attendu que la mise à pied disciplinaire prononcée à l'encontre des 14 salariés n'était pas justifiée ; que la décision déférée sera confirmée mais pour d'autres motifs ;
- Sur les dommages et intérêts :
Attendu que le caractère injustifié de la sanction disciplinaire prise à l'encontre des 14 salariés, dont deux n'étaient pas même à un poste ayant à connaître du contrôle de la tierce, leur a nécessairement causé un préjudice distinct de celui réparé par l'octroi du rappel de salaire correspondant à la retenue injustifiée ;
Qu'il convient de réparer ce préjudice par l'octroi d'une somme de 200 euros à chacun des salariés ;
Attendu enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des salariés les frais non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de condamner le mandataire liquidateur au paiement de la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun des salariés ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a débouté les salariés de leur demande de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau sur ce point, et y ajoutant,
Dit que les sanctions prononcées à l'encontre de M. X..., K..., Z..., C..., F..., D..., Y..., J..., G..., A..., H..., I..., B... et E... étaient injustifiées ;
Fixe la créance des salariés au passif de la liquidation judiciaire de la société SAS Imprimerie France Quercy, outre les rappels de salaire ordonnés par le conseil de prud'hommes, à la somme de 200 euros chacun à titre de dommages et intérêts ;
Condamne Me L... es qualité de mandataire liquidateur de la société SAS Imprimerie France Quercy à verser à chacun des salariés la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Donne acte au CGEA-AGS Ile de France Ouest de son intervention ;
Déclare la présente décision commune et opposable à l'AGS dans les limites des conditions légales d'intervention de celle-ci ;
Dit que les dépens de première instance et de l'appel seront recouvrés en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Aurélie PRACHE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Nicole CUESTA, Greffière.