ARRÊT DU 28 MARS 2006 FM/SBA ----------------------- 04/01747 ----------------------- Eric X... C/ SOCIETE PILKINGTON FRANCE ----------------------- ARRÊT no 142 COUR D'APPEL D'AGEN Chambre Sociale Prononcé à l'audience publique du vingt huit mars deux mille six par Nicole ROGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Solange BELUS, Greffière, La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire ENTRE : Eric X... né le 30 juillet 1962 à MARMANDE (47200) ST AVIT Les Fauros 47350 SEYCHES Rep/assistant : M. Jino Y... (Délégué syndical ouvrier) APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes de MARMANDE en date du 14 septembre 2004 d'une part, ET : SOCIÉTÉ PILKINGTON FRANCE Pilkington France 64-96 Rue Charles Heller 94405 VITRY SUR SEINE CEDEX Rep/assistant : la SCP BOURGOING-DUMONTEIL KERVERSAU (avocats au barreau de PARIS) INTIMÉE
d'autre part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 21 février 2006 devant Nicole ROGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de Chambre, Françoise MARTRES, Conseillère, Christian COMBES, Conseiller, assistés de Solange BELUS, Greffière, et après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. * * * FAITS ET PROCÉDURE
Eric X..., né le 30 juillet 1962, a été embauché en avril 1980 en qualité de manutentionnaire par la société VERAQUI, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société PILKINGTON FRANCE. Il a été membre du CHSCT de l'établissement de Marmande entre le 13 septembre 2001 et le 16 juillet 2003. Depuis le 1er septembre 1994, il a été titularisé au poste de l'atelier V.E.C. (Vitrage Extérieur Collé). Il est en outre délégué syndical de l'entreprise depuis le 30 octobre 2001.
Le 19 février 2003, Eric Z..., salarié intérimaire et affecté pour la première fois le jour même à l'atelier VEC a été victime d'un accident du travail en se brûlant les dernières phalanges de la main gauche au deuxième et troisième degrés, après avoir allumé une cigarette à son poste de travail et enflammé le méthyle iso butyle
cétone qui imbibait ses gants de protection. Cet accident a nécessité un arrêt de travail de 21 jours.
Le 28 février 2003, Eric X... a été convoqué à un entretien en vue d'une sanction disciplinaire, entretien qui s'est déroulé le 7 mars 2003.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 mars 2003, un avertissement lui a été notifié en ces termes :
"Votre attitude : vous avez délibérément toléré, bien qu'à la fois tuteur de M. Z... à ce nouveau poste de travail, et membre du CHSCT, que ce dernier fume dans l'atelier et plus particulièrement dans la zone VEC, bien que l'ayant, d'après vos déclarations, averti du danger de la proximité de produits inflammables. C'est la raison pour laquelle M. Z... a allumé une cigarette en s'éloignant des récipients que vous lui aviez désigné.
Vos manquements : ... dans ce contexte vous avez manqué à vos responsabilités et à vos devoirs :
- en tant que titulaire du poste, vous n'avez pas assuré le rôle de tuteur auprès de M. Z... en lui interdisant dans tous les cas de fumer dans la zone VEC ;
- en tant que membre du CHSCT, vous deviez être particulièrement attentif au bon respect des règles de sécurité et des consignes de la part de M. Z...
- en tant que salarié récemment formé (journée de formation du 14 janvier 2003), aux responsabilités qui incombent à chacun vis-à-vis de la sécurité ; formation à l'issue de laquelle vous en pouviez ignorer le cas de mise en danger grave et immédiat de la vie d'autrui assimilable à un délit de négligence...
C'est la raison pour laquelle les faits fautifs reprochés ci-dessus nous conduisent à vous adresser un avertissement qui sera versé à votre dossier...".
Le 30 décembre 2003, Eric X... a saisi le conseil de prud'hommes de Marmande d'une demande tendant à obtenir l'annulation de la sanction disciplinaire d'avertissement du 10 mars 2003 et le paiement de la somme de 150 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par décision en date du 14 septembre 2004, le conseil de prud'hommes a débouté Eric X... de l'ensemble de ses demandes.
Eric X... a interjeté appel de cette décision dans des conditions de formes et de délais non contestées. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Eric X... soutient à l'appui de son appel qu'Eric Z..., salarié intérimaire, était engagé depuis 7 mois dans l'entreprise et que lorsqu'il a pris son poste le 19 février 2003 à 6 heures, il n'avait pas bénéficié des 11 heures réglementaires de repos. Il soutient par ailleurs que bien qu'il soit interdit de fumer par le règlement intérieur, la direction de l'établissement tolérait cet état de fait, raison pour laquelle Eric Z... avait pris l'habitude de fumer à son poste de travail. Il affirme cependant qu'il lui avait interdit de fumer dans son nouveau poste de travail. Il remarque en ce qui concerne l'accident que le nettoyage des cadres VEC auquel était affecté Eric Z... devait se faire sans gants, qu'il a préféré travailler avec des mitaines imbibées de produits inflammable ce qu'il lui avait déconseillé, et qu'il ne pouvait, de son poste à l'atelier, surveiller constamment les faits et gestes de ce salarié.
Il estime en conséquence n'avoir commis aucune faute et conteste la teneur des témoignages recueillis par l'employeur. Il estime que l'avertissement qui lui a été notifié à un lien avec son mandat de délégué syndical.
Il demande à la cour :
- l'annulation de la sanction d'avertissement qui lui a été infligée ;
- l'affichage de la décision dans tous les établissements de la société PILKINGTON FRANCE ;
- le paiement de la somme de 150 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; * * *
La société PILKINGTON FRANCE conclut à la confirmation de la décision déférée. Elle soutient que contrairement à ses affirmations, Eric X... n'avait pas interdit à Eric Z... de fumer dans l'atelier, la seule attestation produite par l'appelant n'étant confirmée par aucun élément. Elle est en outre en contradiction avec ses explications dans la mesure où il affirme que la direction de l'établissement tolérait que l'on fume dans les ateliers.
Elle indique que l'avertissement qui lui a été notifié est proportionnel à la gravité des fautes commises, dans la mesure où Eric X... était tout à la fois tuteur d'Eric Z..., salarié intérimaire, et membre du CHSCT et donc à ce titre parfaitement informé de ses obligations, et se devait d'interdire à ce salarié de fumer dans l'atelier alors qu'il portait des gants imbibés de produits inflammables.
Elle souligne enfin que l'article 18 du règlement prévoit une interdiction de fumer en dehors des zones spécialement réservées à cet effet, et qu'il n'y a aucune tolérance de l'employeur vis-à-vis des fumeurs dans les ateliers.
Elle demande à la Cour de confirmer la décision déférée et de condamner Eric X... à lui payer la somme de 1.500 ç au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que l'appel a été interjeté dans les formes et délais prévus
par la loi ; qu'il doit être déclaré recevable ;
Attendu que par courrier du 19 mars 2003, un avertissement a été notifié à Eric X..., à la suite de l'accident du travail dont a été victime un autre salarié de l'entreprise ; que l'employeur lui a ainsi reproché de ne pas avoir fait respecter à l'égard de ce salarié qui fumait dans l'atelier l'interdiction de fumer édictée par le règlement intérieur de la société, alors que l'atelier contenait des produits inflammables et que le salarié portait des gants qui en étaient imbibés ; que l'employeur souligne dans cet avertissement qu'Eric X... était membre du CHSCT, qu'il avait suivi des formations spéciales à la sécurité un mois avant l'accident, et qu'il était en outre "tuteur" de ce salarié intérimaire ;
Attendu que pour contester cette sanction, Eric X... indique que le salarié n'a pas bénéficié, avant de prendre son travail le jour de l'accident, du temps de pause réglementaire de 11 heures ;
Que toutefois, les parties se sont accordées lors des débats pour considérer que ce non-respect de la réglementation n'était pas intervenu dans les causes de l'accident ; que ce point n'est d'ailleurs pas évoqué dans l'arbre des causes de l'accident établi par le CHSCT ;
Attendu par ailleurs que l'appelant affirme ne pas avoir manqué à ses obligations, en ce qu'il a interdit à Eric Z... de fumer dans l'atelier, alors que l'employeur tolérait par ailleurs que les salariés fument à l'intérieur de l'établissement ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites et notamment du compte-rendu de la réunion du CHSCT du 5 juin 2003 que l'employeur reconnaît une certaine tolérance "faite pour fumer en dehors des temps de pause" ; que le respect du règlement intérieur a fait l'objet de plusieurs délibérations du CHSCT ;
Attendu toutefois que quelque soit la tolérance de l'employeur sur le respect des zones non fumeurs, il convient de constater que l'accident s'est produit au sein de l'atelier dans lequel Eric X... exerçait ses fonctions ; qu'il se trouvait dans l'atelier au moment de l'accident ; qu'il avait noté que le salarié portait les gants imbibés de produits inflammables puisqu'il affirme lui avoir déconseillé de les porter ; qu'il affirme par ailleurs lui avoir interdit de fumer et donc, s'être rendu compte de ce qu'il fumait en portant ses gants ;
Attendu toutefois qu'il ne rapporte pas la preuve de ce qu'il a formellement interdit à ce salarié de fumer, la seule attestation produite étant insuffisante, au regard d'une part des propres déclarations d'Eric Z..., et d'autre part du constat que ce salarié a bien fumé, en présence d'Eric X..., dans l'atelier VEC ; Que la société PILKINGTON FRANCE rapporte bien la preuve de ce qu'un tutorat avait été mis en place dans les postes de manutention VEC occupés par Eric X... ; qu'Eric X... était en outre membre du CHSCT et particulièrement formé aux questions de prévention des accidents du travail ;
Attendu en conséquence qu'en laissant un salarié intérimaire fumer dans un atelier contenant des produits inflammables, alors qu'il portait des gants imbibés de ce type de produits, Eric X... a manqué à ses obligations en matière de sécurité ;
Que la sanction d'avertissement prononcée par l'employeur apparaît proportionnée à la réalité de la faute commise ; qu'il n'est pas établi qu'elle ait un lien quelconque avec le mandat de délégué syndical du salarié ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande d'Eric X... ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais non compris dans les dépens ; qu'il convient de rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel jugé régulier en la forme,
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions ;
Rejette la demande reconventionnelle de la société PILKINGTON FRANCE ;
Laisse les dépens à la charge de l'appelant.
Le présent arrêt a été signé par Nicole ROGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Solange BELUS, Greffière, présente lors du prononcé.
LA GREFFIÈRE :
LA PRÉSIDENTE :