ARRÊT DU 10 JANVIER 2006 FM/SBA ----------------------- 04/01045 ----------------------- Rhama BOUNOUAR veuve X... Y.../ CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LOT ET GARONNE ----------------------- ARRÊT no 7 COUR D'APPEL D'AGEN Chambre Sociale Prononcé à l'audience publique du dix janvier deux mille six par Nicole ROGER, Présidente de Chambre, assistée de Solange BELUS, Greffière, La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire ENTRE : Rhama BOUNOUAR veuve X... née le 19 août 1929 à TASNA REMCHI (ALGERIE) 10 rue du Marché 47110 STE LIVRADE SUR LOT Rep/assistant : la SCP GONELLE - VIVIER (avocats au barreau d'AGEN) APPELANTE d'un jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'AGEN en date du 03 Juin 2002 d'une part, ET :
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LOT ET GARONNE 1 quai Calabet 47913 AGEN CEDEX représenté par Mme Sylvie Z... (Resp. service contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial INTIMÉE
d'autre part,
SERVICE REGIONAL DE L'INSPECTION DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA POLITIQUE SOCIALE AGRICOLES 51 rue Kiéser 33077 BORDEAUX CEDEX Non comparant PARTIE INTERVENANTE
A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 22 novembre 2005 devant Nicole ROGER, Présidente de Chambre, Catherine LATRABE, Conseillère, Françoise MARTRES, Conseillère, assistées de Solange BELUS, Greffière, et après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. * * * FAITS ET PROCÉDURE
Le 26 septembre 1951, Rahma BOUNOUAR a contracté mariage avec Miloud X... M. X... étant décédé le 27 janvier 2000, alors qu'il était titulaire d'une pension du régime des salariés agricoles, Rahma BOUNOUAR a sollicité le paiement d'une pension de réversion. Devant le refus qui lui a été opposé par la Mutualité Sociale Agricole, elle a saisi le 27 mars 2000 la Commission de Recours Amiable de la Mutualité Sociale Agricole, laquelle a rejeté sa demande par décision du 25 juillet 2000, au motif que Miloud X... avait contracté un premier mariage le 27 septembre 1950 à TLEMCEM avec Mme Mamera A...,
et que lorsqu'un ressortissant étranger naturalisé français contractait à l'étranger deux mariages, le second mariage était nul au regard du droit français même si la loi personnelle du second conjoint admettait la polygamie, et que ce dernier ne saurait donc bénéficier de la pension de réversion.
Rahma BOUNOUAR a saisi le 5 août 2000 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du Lot-et-Garonne d'une contestation de la décision de la Commission de Recours Amiable.
Par jugement en date du 3 juin 2002, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a rejeté le recours formé par Rahma BOUNOUAR et confirmé la décision de la Commission de Recours Amiable.
Rahma BOUNOUAR a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délais non contestés. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Rahma BOUNOUAR expose à l'appui de son appel qu'elle a contracté mariage avec Miloud X... le 26 septembre 1951 à TLEMCEM en Algérie, alors qu'il avait contracté un premier mariage à TLEMCEM avec Mamera A... le 27 septembre 1950.
Au moment de l'indépendance de l'Algérie, Miloud X... s'est installé en France avec les deux femmes et leurs enfants. En 1963, Mamera A... qui n'avait pas opté pour la nationalité française est repartie en Algérie, laissant ses trois enfants à la garde de leur père et de sa deuxième épouse.
Rahma BOUNOUAR a donc vécu en France avec Miloud X... pendant 49 ans dont 37 ans passés en France et a élevé 7 enfants.
Les deux mariages ont été célébrés en Algérie conformément au statut personnel des parties. Le deuxième mariage est donc parfaitement valable dès lors que le statut personnel de Miloud X... et Rahma BOUNOUAR autorisait la célébration d'une seconde union alors même que la première n'avait pas été dissoute. Ces deux mariages ont
d'ailleurs été régulièrement transcrits par les services de l'état civil et n'ont fait l'objet d'aucune contestation. Miloud BOUCHEKIK a pu par la suite acquérir la nationalité française sans que sa bigamie ne constitue un obstacle.
Rahma BOUNOUAR soutient que dès lors, la prohibition des unions polygamiques ne peut lui être opposée et que ce second mariage ne peut être privé d'effets. Elle estime qu'elle est en conséquence recevable à percevoir la pension de réversion dans la mesure où, dans la réalité, les deux unions n'ont pas coexisté puisque les deux mariages se sont succédés et que depuis 1963, seul le second mariage a existé, la première épouse étant repartie vivre en Algérie. La Mutualité Sociale aurait donc du faire droit à sa requête tout en limitant le bénéfice au prorata de la durée respective et effective de chaque union.
Elle demande en conséquence à la cour de réformer la décision déférée et de condamner la Mutualité Sociale Agricole à liquider ses droits à la pension de réversion consécutivement au décès de son mari et ce au prorata de la durée de vie commune avec ce dernier soit de 1963 à 2000. Elle sollicite en outre le paiement de la somme de 1.500 ç au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. * * *
La Caisse de Mutualité Sociale Agricole du Lot-et-Garonne conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle soutient que si les deux mariages contractés à l'étranger sont effectivement valables au regard du statut personnel des époux, le second mariage est nul au regard du droit français et ne peut entraîner au profit du second conjoint l'attribution d'une pension de réversion. Dans le cas contraire, le même risque serait indemnisé deux fois, alors que si plusieurs pensions peuvent effectivement être servies en fonction de la durée de mariages successifs, il aurait fallu que l'assuré soit divorcé puis remarié avec sa seconde épouse ce qui n'est pas le cas
en l'espèce.
Elle estime donc que Rahma BOUNOUAR ne peut prétendre à la qualité de conjoint survivant et ne peut en conséquence pas prétendre au bénéfice d'une pension de réversion qui est aujourd'hui versé à la première épouse.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que l'appel interjeté dans les formes et délais prévus par la loi doit être déclaré recevable ;
Attendu sur le fond qu'il n'est pas contesté que Miloud X... s'est marié à TLEMCEM le 26 septembre 1950 avec Mamera A..., puis le 26 septembre 1951, à TLEMCEM avec Rahma BOUNOUAR ;
Que Miloud X... ayant obtenu la nationalité française, ces deux mariages ont été transcrits en marge de son acte de naissance par les services de l'état civil de Nantes ; que le second mariage, contracté en fonction du statut personnel des intéressés est valable et non susceptible d'annulation comme le rappelle le Ministère des Affaires Etrangères dans un courrier daté du 17 janvier 2000 et produit par la Caisse de la Mutualité Sociale Agricole ;
Attendu dès lors que ce mariage reconnu comme valable en France doit produire ses effets à l'égard de Rahma BOUNOUAR qui doit se voir reconnaître la qualité de conjoint survivant au sens de l'article L.353-1 du Code de la sécurité sociale ; qu'elle est donc en droit de percevoir une pension de réversion conformément aux dispositions de l'article susvisé ;
Qu'en effet, considérer que Rahma BOUNOUAR n'a pas la qualité de conjoint survivant alors que son mariage est considéré comme valable au regard de la législation française conduirait à lui contester toute possibilité de tirer effet de cette validité, alors même qu'en cas de mariage de l'assuré suivi d'un second mariage annulé après le décès de l'époux, mais déclaré putatif à l'égard de l'épouse, ce qui
confère à celle-ci la qualité de conjoint survivant au sens des articles L.353-1 et L.363-3 du Code de la sécurité sociale, la pension de réversion est partagée entre les conjoints survivants non remariés au prorata de la durée respective de chaque mariage ;
Attendu que pour s'opposer à la demande, la caisse soutient qu'accorder le bénéfice de la pension de réversion à la seconde épouse conduirait en l'espèce la caisse à servir plus d'une seule pension, les deux mariages se chevauchant dans le temps ;
Attendu cependant qu'il est clairement établi que si les deux mariages ont coexisté jusqu'en 1963, tel n'était plus le cas à partir de cette date, la première épouse n'ayant pas sollicité la nationalité française et étant repartie vivre en Algérie, laissant ses trois enfants à la garde de Miloud X... et sa deuxième épouse ; que dès lors, et conformément aux dispositions de l'article L.353-3 du Code de la sécurité sociale, la pension de réversion à laquelle peuvent prétendre les deux conjoints survivants peut être partagée au prorata de la durée de vie commune et en ce qui concerne la requérante, de 1963 à 2000 ;
Attendu qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de dire que la Caisse de Mutualité Sociale Agricole doit procéder à la liquidation des droits à la pension de réversion de Rahma BOUNOUAR Vve X... ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu eu égard aux circonstances de la cause de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel jugé régulier en la forme,
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant de nouveau ;
Dit que Rahma BOUNOUAR Vve X... a la qualité de conjoint survivant au sens des articles L.353-1 et L.353-3 du Code de la sécurité sociale ;
Dit en conséquence que la Caisse de la Mutualité Sociale Agricole du Lot-et- Garonne doit procéder à la liquidation des droits de Rahma BOUNOUAR Vve X... à la pension de réversion, au prorata de la durée respective de vie commune des deux conjoints survivants avec Miloud X..., soit de 1963 à 2000 pour Rahma BOUNOUAR Vve X... ;
Rejette tout autre chef de demande.
Le présent arrêt a été signé par Nicole ROGER, Président de Chambre, et par Solange BELUS, Greffière présente lors du prononcé.
LA GREFFIÈRE :
LA PRÉSIDENTE :