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24/06/2003 | FRANCE | N°02/388

France | France, Cour d'appel d'agen, Chambre sociale, 24 juin 2003, 02/388


ARRET DU 24 JUIN 2003 CC/SB ----------------------- 02/00388 ----------------------- Didier A. C/ S.A.R.L. BRISTOL - MYERS SQUIBB venant aux droits de la société Laboratoires UPSA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE ----------------------- ARRET N° COUR D'APPEL D'AGEN CHAMBRE SOCIALE Prononcé à l'audience publique du vingt quatre Juin deux mille trois par Christian Combes, Conseiller, La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire ENTRE : Didier A. Rep/assistant : Me Sandrine DERISBOURG (avocat au barreau d'AGEN) APPELANT d'un jugement du Tribunal des affaires d

e sécurité sociale d'AGEN en date du 18 Février 2002...

ARRET DU 24 JUIN 2003 CC/SB ----------------------- 02/00388 ----------------------- Didier A. C/ S.A.R.L. BRISTOL - MYERS SQUIBB venant aux droits de la société Laboratoires UPSA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE ----------------------- ARRET N° COUR D'APPEL D'AGEN CHAMBRE SOCIALE Prononcé à l'audience publique du vingt quatre Juin deux mille trois par Christian Combes, Conseiller, La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire ENTRE : Didier A. Rep/assistant : Me Sandrine DERISBOURG (avocat au barreau d'AGEN) APPELANT d'un jugement du Tribunal des affaires de sécurité sociale d'AGEN en date du 18 Février 2002 d'une part, ET :

S.A.R.L. BRISTOL - MYERS SQUIBB venant aux droits de la société Laboratoires UPSA 304 avenue Docteur Jean Bru 47006 AGEN Rep/assistant : Me Claude GUERRE (avocat au barreau d'AGEN) CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE 2 rue Diderot 47914 AGEN CEDEX 9 représentée par Melle Sophie SANCHEZ munie d'un pouvoir spécial INTIMEES :

d'autre part,

DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES AQUITAINE Espace Rodesse BP 952 103 bis rue belleville 33063 BORDEAUX CEDEX NI PRESENTE, NI REPRESENTEE A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 29 Avril 2003 devant Nicole ROGER, Présidente de chambre, Catherine LATRABE, Conseillère, Christian COMBES, Conseiller, assistés de Nicole GALLOIS, Greffière, et après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. * * * FAITS ET PROCÉDURE Didier A. a été embauché le 1er avril 1991 par la SA LABORATOIRES UPSA et successivement employé en qualité de conducteur régleur, puis de gestionnaire de pièces détachées et de magasinier. Son état de santé a commencé à se détériorer gravement à partir de l'été 1993 avant que le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles ne retienne à compter du 31 mai 1994 l'affection présentée au titre du tableau n°66. Saisi à sa requête, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Lot et Garonne, par jugement rendu le 18 février 2002 l'a débouté de sa demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur. PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES Didier A. a relevé appel de cette décision dans des formes et des délais qui n'apparaissent pas critiquables. Il

considère que la conscience qu'avait son employeur du danger auquel il était exposé découle de la mise en contact dés son embauche avec des substances dangereuses sans protection efficace puis de la poursuite d'une telle situation par son affectation dans un local qui avait servi à stocker des poudres et non assaini, malgré de multiples mises en garde médicales et la reconnaissance de sa maladie professionnelle. C'est cette exposition à des produits dont tant le dictionnaire Vidal que la fiche de données de sécurité versée par la SA LABORATOIRES UPSA démontrent la toxicité à doses répétées qui est à l'origine d'une maladie connue depuis 1922 et que son employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat incluse dans le contrat de travail et professionnel de la chimie ne pouvait ignorer. Il demande en conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable ainsi commise outre la majoration de la rente d'incapacité permanente la condamnation de son employeur au paiement des indemnités suivantes versées par la CPAM : - IPP

45 734.71 ä - quantum doloris

22 867.35 ä - préjudice d'agrément

22 867.35 ä et la condamnation de la SA LABORATOIRES UPSA à lui payer la somme de 2 000 ä au titre de ses frais irrépétibles. * * * La S.A.R.L. BRISTOL-MYERS-SQIBB soutient à titre principal que la faute inexcusable ne concerne pas la maladie professionnelle mais seulement les accidents du travail, conteste avoir commis une faute quelconque dés lors que Didier A. a toujours bénéficié des protections nécessaires, qu'aucune observation n'a été faite par les organismes habilités, que les produits en cause ne présentent aucune dangerosité et que le reclassement du salarié est conforme à l'avis émis par le médecin du travail. Elle ajoute que Didier A. souffre d'une maladie rare correspondant à une perturbation métabolique ou à un profil pharmacologique particulier qu'elle n'a connue que dans le cadre des procédures postérieures au licenciement. A défaut de démontrer l'existence d'une faute inexcusable elle conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 2 000 ä sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile. Autorisée à fournir une note en délibéré elle n'a pas usé de cette faculté. * * * La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lot et Garonne, non comparante, à fait connaître qu'elle s'en remet à justice. MOTIFS Attendu que Didier A. a été employé par la SA LABORATOIRES UPSA à compter du 1er avril 1991 en qualité de conducteur régleur, activité consistant à surveiller sur une chaîne de fabrication le conditionnement en sachets de différents produits VERFEX, ASPIRINE, DAFALGAN et Vitamine C parvenant à l'état pulvérulent sur une trémie de remplissage ; qu'il devait périodiquement effectuer le démontage de ces trémies pour enlever l'accumulation de poussières et se trouvait protégé à cette occasion par une blouse, un calot et un petit masque ; Qu'il va présenter dans ce contexte une gêne respiratoire, légère au début, survenant plus

particulièrement le soir et disparaissant lors des fins de semaine et les jours fériés, et qui va évoluer vers un asthme bronchique nécessitant plusieurs arrêts de travail ; Qu'à l'occasion d'une crise plus importante le Docteur P. va poser la question de la relation entre l'apparition de cette pathologie et l'environnement de travail ; que le bilan pratiqué le 25 juillet 1994 par le Docteur T., au CHU de Bordeaux, met cette relation en évidence, ce médecin concluant clairement à la nécessité de soustraire Didier A. aux risques auxquels il est exposé sous peine de provoquer une aggravation des symptômes ; Qu'après avoir été ainsi déclaré inapte au poste de conducteur régleur le 9 septembre 1994, il a été reclassé après accord avec l'employeur à compter du 1er octobre 1994 à un poste de gestionnaire de pièces détachées sans contact avec les produits Fervex et Aspirine ; Que toutefois le Docteur P. devait noter une recrudescence de sa maladie asthmatique le 13 juin 1995, s'améliorant dés qu'il sort de son lieu de travail, et conclure qu'il lui paraissait difficile en conséquence de le laisser dans ces conditions de travail ; que le Docteur C. estimait le 27 juillet 1995 que la symptomatologie semblait très liée à son activité professionnelle et essentiellement à la respiration de produits toxiques ; qu'il a été depuis lors diagnostiqué par le Docteur D. un syndrome de Fernand Vidal ; Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation présente le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du Code de la Sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en

préserver ; Que si cette conscience du danger est appréciée par référence aux connaissances normales d'un professionnel averti, il doit être souligné au cas précis que les LABORATOIRES UPSA, fabricants des produits incriminés, ne peuvent ignorer en leur qualité de professionnel de l'industrie pharmaceutique les dangers présentés par ces substances dans des circonstances d'ailleurs précisées par les fiches techniques qui les accompagnent ; qu'ainsi la fiche de données de sécurité du paracétamol prévoit des conditions de sécurité comprenant la protection des yeux par des lunettes étanches, de la peau et du corps par des vêtements de protection à manches et cols fermés et des mesures d'hygiène consistant à aspirer fréquemment les poussières et à séparer les vêtements de travail des vêtements de ville ; qu'en particulier la protection individuelle respiratoire repose sur l'usage d'un appareil de protection respiratoire filtrant anti-particules ; qu'un document identique relatif à l'aspirine, produit classé comme nocif selon les critères CEE et susceptible de provoquer des réactions d'hypersensibilité tels l'oedème de Quincke ou l'asthme, mentionne le caractère irritant des poussières pour les voies respiratoires et la même nécessité d'une protection individuelle ; Et que le syndrome de Fernand Vidal dont les documents concernant cette affection versés par les parties enseignent qu'il se manifeste par de l'asthme, une ploypose naso-sinusiene et une hypersensibilité à l'aspirine est décrit depuis 1922 et n'a pu en conséquence être ignoré d'une entreprise pharmaceutique de l'ampleur de celle des LABORATOIRES UPSA ; Attendu que si une incertitude entoure la nature du dispositif de protection offert au salarié, le seul document fourni à ce sujet étant le compte rendu du CHSCT du 19 septembre 2001 qui définit désormais les matières premières nécessitant l'usage de l'un des quatre types de masques à disposition, Didier A. reconnaît avoir disposé d'un masque

en sorte que rien n'établit que l'employeur ait omis de prendre les mesures nécessaires pour le préserver du risque décrit ci-dessus lorsqu'il exerçait les fonctions de conducteur-régleur ; Mais attendu que l'obligation de sécurité qui s'impose ainsi à l'employeur s'apprécie à la mesure du risque encouru par le salarié à l'occasion du travail ; Et que celui lié à l'exposition aux substances incriminées sous forme de poudres est présent à l'intérieur des locaux servant à leur stockage comme aux opérations de production et de conditionnement et ne cesse qu'avec la dépollution des locaux utilisés à ces diverses fins ; Or attendu que Didier A., après avoir été exposé à des poussières d'aspirine sur une chaîne de fabrication et alors que la relation professionnelle de sa maladie avait été médicalement établie dés l'été 1994, a ensuite été reclassé à compter du 1er octobre 1994, en accord avec son employeur ainsi que le précise la fiche d'aptitude établie par le médecin du travail le 9 septembre 1994, à un poste sans contact avec les produits Fervex et Aspirine mais dans un local anciennement affecté à la production ; Et que la SA LABORATOIRES UPSA, qui ne peut dés lors se retrancher derrière le seul avis du médecin du travail, n'établit nullement qu'elle a en conséquence de celui-ci fait ce qui était en son pouvoir pour dépoussiérer ce local des produits nommément mentionnés sur la fiche d'aptitude, ni préalablement à la décision de reclassement fait participer Didier A. au moindre test d'adaptation à ce nouvel environnement qu'il décrit comme une pièce non aérée ni ventilée ; que d'ailleurs la preuve de l'absence d'une telle démarche découle du constat posé par le Docteur B., médecin du travail qui retraçant dans un courrier adressé le 4 septembre 1995 à l'employeur l'historique de la maladie, indique avoir revu Didier A. postérieurement à sa nouvelle affectation, et noté dés son "installation au magasin dans le grenier relativement empoussiéré (résidus de poudres précédemment

stockées) une réapparition progressive des symptômes allergiques motivant de nombreux arrêts de travail concomitants à des travaux à proximité" ; Que c'est à la suite de cette nouvelle aggravation de son état de santé que Didier A. sera, à l'issue des deux visites de reprise des 10 et 25 septembre 1998, déclaré inapte à son ancien poste puis licencié par courrier du 9 novembre 1998 pour cause d'inaptitude avec impossibilité de reclassement ; Qu'il s'ensuit du tout que l'employeur n'a pas pris à l'occasion d'un reclassement opéré en toute connaissance de cause le 9 septembre 1994 les mesures nécessaires pour préserver le salarié des risques auxquels il l'exposait de nouveau ; Qu'il convient en conséquence de ce qui précède de retenir l'existence d'une faute inexcusable à la charge de l'employeur ; Attendu qu'en considération de la gravité de celle-ci et alors qu'aucune faute ne peut être reconnue à la charge de la victime, il y a lieu de fixer le montant de la majoration au maximum prévu par la loi ; Qu'en revanche et compte tenu de l'évolution de l'état de santé de Didier A., la Cour ne dispose pas des éléments suffisants à l'évaluation définitive de son préjudice, ceux en sa possession justifiant toutefois l'allocation d'une provision de 10 000 ä au paiement de laquelle sera condamné l'employeur ; qu'il convient préalablement de désigner un médecin expert afin de déterminer les préjudices à caractère personnel et professionnel dont il se trouve en droit de demander réparation en vertu des dispositions de l'article L 452-3 du Code de la Sécurité sociale ; Attendu que les dépens comme les demandes formées en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile seront réservés. PAR CES MOTIFS LA COUR Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable en la forme, Infirme le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Dit que la maladie professionnelle dont se trouve affecté Didier A. est due à la

faute inexcusable de son employeur, Fixe le montant de la majoration de rente en découlant au maximum prévu par la loi, Avant-dire droit sur la réparation des préjudices éprouvés par la victime, ordonne une expertise, Désigne pour y procéder le Docteur Pierre DT, 50 boulevard Carnot 47000 Agen, ou à défaut le Docteur Jean-Loup G.., Centre Hospitalier Saint-Esprit 47923 Agen Cedex 9, qui aura pour mission, après avoir convoqué les parties, avoir entendu tous sachants et s'être fait communiquer tous documents utiles, notamment les documents médicaux et rapports d'information, d'évolution ou de suivi concernant Didier A. de : - décrire la maladie dont se trouve affecté Didier A., en préciser l'évolution, - dire quelle a été la durée de l'incapacité de travail, totale ou partielle, - dire s'il résulte des lésions constatées une incapacité permanente et dans l'affirmative chiffrer le taux du déficit physiologique existant au jour de l'examen, - dire si cette incapacité est susceptible d'amélioration ou au contraire d'aggravation, - dire si la victime est au plan médical physiquement et intellectuellement apte à reprendre dans les conditions antérieures ou autres l'activité qu'elle exerçait lors de l'accident et donner généralement toutes indications sur l'incidence professionnelle de l'accident en précisant notamment s'il en résulte une perte ou une diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, - qualifier la nature, l'intensité et la durée des souffrances physiques et morales endurées, - dire s'il existe un préjudice d'agrément, - fournir à la Cour tous autres éléments utiles à la solution du litige, Condamne la SA LABORATOIRES UPSA à payer provisionnellement à Didier A. la somme de 10 000 ä à valoir sur la réparation de son préjudice, Dit que la CPAM de Lot et Garonne versera directement cette somme à Didier A. et qu'elle en récupérera le montant sur l'employeur, Réserve les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure

civile. Le présent arrêt a été signé par Nicole ROGER, Présidente de chambre, et par Nicole GALLOIS, Greffière présente lors du prononcé. LA GREFFIÈRE,

LA PRÉSIDENTE, N. GALLOIS

N. ROGER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'agen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 02/388
Date de la décision : 24/06/2003
Type d'affaire : Sociale

Analyses

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Conditions - Conscience du danger

Il résulte de l'article L 452-1 du Code de la Sécurité sociale que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité présente le caractère d'une faute inexcusable lorsqu'il avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Dès lors, une faute inexcusable peut être retenue à l'encontre d'un laboratoire employeur qui, ayant exposé son salarié à des substances dont il ne pouvait ignorer la dangerosité, en sa qualité de professionnel de l'industrie pharmaceutique, s'est contenté de reclasser ce dernier, déclaré inapte à son ancien poste suite à plusieurs problèmes de santé, dans un local anciennement affecté à la production et non dépoussiéré depuis, exposant ainsi ce salarié aux mêmes risques qu'antérieurement.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.agen;arret;2003-06-24;02.388 ?
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