Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 9 février 2021 par lequel le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure.
Par un jugement n° 2101676 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2022, Mme A..., représentée par Me Kanza, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me Kanza, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
Sur la décision de refus de séjour :
- le signataire de l'acte est incompétent ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auquel renvoie l'article 4.2 de l'accord franco-sénégalais ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle viole aussi celles de l'article 3 et de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'autorité administrative n'a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire pour bien apprécier les conditions permettant son entrée sur le territoire français ;
- elle n'a pas suffisamment réalisé une analyse personnelle et professionnelle de la situation de Mme A... et a fait une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée des mêmes vices et devra être annulée par voie d'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- par conséquent, la décision fixant le pays de renvoi doit également être annulée par voie d'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2023, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 12 avril 2023, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'en application de la jurisprudence Intercopie, les moyens de légalité externe soulevés par Mme A... sont irrecevables, celle-ci n'ayant soulevé que des moyens de légalité interne devant le tribunal administratif.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signée le 10 décembre 1984 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 complété par l'avenant du 25 février 2018 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Albertini a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante sénégalaise née le 22 septembre 1988, déclare être entrée en France en août 2015. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 février 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 18 septembre 2018. Mme A... a fait l'objet d'un arrêté du préfet de l'Essonne du 18 février 2018, lui refusant le séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, qu'elle n'a pas exécuté. Elle a ensuite déposé, le 7 octobre 2020, une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 9 février 2021, le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. Elle relève appel du jugement du 13 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'irrecevabilité des moyens de légalité externe soulevés en appel :
2. Les moyens de légalité externe tirés de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige et du défaut de motivation sont irrecevables, Mme A... n'ayant soulevé que des moyens de légalité interne devant le tribunal administratif.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité du refus de titre de séjour :
3. Aux termes des stipulations du paragraphe 4.2 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 : " (...) Un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d'une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant : / - soit la mention "salarié" s'il exerce l'un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l'Accord et dispose d'une proposition de contrat de travail. / - soit la mention "vie privée et familiale" s'il justifie de motifs humanitaires ou exceptionnels. (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
4. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre dispositions de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Essonne a statué, par la décision en litige, sur la demande de titre de séjour dont il a été expressément saisi le 7 octobre 2020, sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour la délivrance d'un titre de séjour de plein droit, en précisant que la requérante ne remplissait pas les conditions d'une admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Toutefois, Mme A... a produit le formulaire administratif intitulé " dossier de demande d'admission exceptionnelle au séjour " destiné au préfet, qu'elle a complété sans cocher les cases du formulaire destinées à préciser si la demande est présentée au titre des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur ou des stipulations correspondantes prévues par l'accord bilatéral franco-sénégalais, citées au point 3. Elle était alors démunie de titre de séjour et a soumis au préfet des éléments sur les conditions de son entrée en France, l'ancienneté et les conditions de son séjour auprès des membres de sa famille qui y résident, ainsi que sur son projet de poursuivre une scolarité. Par suite, en omettant de statuer sur la demande d'admission exceptionnelle au séjour dont il était expressément saisi par Mme A..., sur le formulaire administratif délivré à cet effet par ses services, le préfet de l'Essonne n'a pas procédé à un examen particulier et sérieux de la situation de Mme A... et a ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit. Pas suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la décision du préfet de l'Essonne refusant un titre de séjour est entachée d'illégalité et il y a lieu d'en prononcer l'annulation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours et la décision fixant le pays de renvoi :
6. Mme A... ayant démontré l'illégalité de la décision portant refus d'admission au séjour, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de ce refus et soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours et de la décision fixant le pays de destination de l'éloignement, doit être accueilli. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation de ces décisions.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par conséquent, il y a lieu d'annuler ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt implique seulement que le préfet de l'Essonne réexamine la demande de Mme A.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Essonne de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler pendant le réexamen de sa demande, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, la somme de 1 000 euros à verser à Me Kanza, sous réserve de sa renonciation à recevoir la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2101676 du 13 juillet 2021 du tribunal administratif de Versailles et l'arrêté du 9 février 2021 par lequel le préfet de l'Essonne a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme A..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne de réexaminer la demande de Mme A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, durant cette période, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Kanza la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de cet avocat à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... A..., à Me Séverin Kanza, au préfet de l'Essonne et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Mauny, président-assesseur,
Mme Villette, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.
Le président-assesseur,
O. MAUNYLe président-rapporteur,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 22VE00571002