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06/02/2025 | FRANCE | N°24TL02205

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, Juge des référés, 06 février 2025, 24TL02205


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une requête, enregistrée le 31 mars 2022 et des mémoires complémentaires enregistrés les 1er juillet 2022, 10 novembre 2022 et 13 juin 2023, le département de la Haute-Garonne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse de désigner un expert, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, avec notamment pour mission d'examiner les marchés de fournitures conclus par lui, de camions pesant entre 6 et 1

6 tonnes (dits " utilitaires moyens ") ou pesant plus de 16 tonnes (dits " poids lourd...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête, enregistrée le 31 mars 2022 et des mémoires complémentaires enregistrés les 1er juillet 2022, 10 novembre 2022 et 13 juin 2023, le département de la Haute-Garonne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse de désigner un expert, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, avec notamment pour mission d'examiner les marchés de fournitures conclus par lui, de camions pesant entre 6 et 16 tonnes (dits " utilitaires moyens ") ou pesant plus de 16 tonnes (dits " poids lourds "), porteurs ou tracteurs, à compter de l'année 1997 jusqu'à l'année 2016, d'examiner les factures jointes adressées au département, d'établir et de chiffrer le montant des préjudices subis par la collectivité en raison des pratiques anticoncurrentielles constitutives d'ententes illicites des sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France, Man SE, Man Truck et Bus AG, Man Truck et Bus Deutschland GmbH, Man Truck et Bus France, DAF Trucks Germany GmbH (Daf Trucks Deutschland GmbH), Daf Trucks France), Daf Trucks NV, Paccar, Scania AB et Scania CV AB, Scania France, Scania Deutschland GmbH, Thomas Constructeurs en appliquant les méthodes d'évaluation retenues par le Conseil d'Etat.

Par une ordonnance n° 2201866 du 16 juillet 2024, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 août 2024 et 12 septembre 2024, le département de la Haute-Garonne, représenté par Me Heymans, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 16 juillet 2024 rendue par le tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de désigner un expert avec pour mission de :

- procéder contradictoirement à l'examen des marchés de fournitures, conclus par lui, de camions pesant entre 6 et 16 tonnes (dits " utilitaires moyens ") ou pesant plus de 16 tonnes (dits " poids lourds "), qu'il s'agisse de porteurs ou de tracteurs, à compter de l'année 1997 jusqu'à l'année 2016, année de la sanction prononcée par la Commission européenne ;

- procéder contradictoirement à l'examen des factures jointes à la présente requête et qui lui ont été adressées ;

- déterminer quels sont les préjudices qu'il a subis en raison de l'entente illite pour la période concernée, conformément aux dispositions de l'article L. 481-7 du code de commerce ;

- appliquer les méthodes d'évaluation retenues par le Conseil d'Etat ;

- dire si les sommes payées à ses prestataires dans le cadre des marchés analysés ont été surévaluées au regard du marché économique et, dans l'affirmative, dire si cette surévaluation des prix est la conséquence directe de l'entente illicite mise en œuvre par les sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH), Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France, Man SE, Man Truck et Bus AG, Man Truck et Bus Deutschland GmbH, Man Truck et Bus France, Daf Trucks Germany GmbH (Daf Trucks Deutschland GmbH), Daf Trucks France), Daf Trucks NV, Paccar, Scania AB et Scania CV AB, Scania France, Scania Deutschland GmbH, Thomas Constructeurs ;

- établir et chiffrer le montant des préjudices subis en raison des pratiques anticoncurrentielles constitutives d'ententes illicites des sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France, Man SE, Man Truck et Bus AG, Man Truck et Bus Deutschland GmbH, Man Truck et Bus France, Daf Trucks Germany GmbH (Daf Trucks Deutschland GmbH), Daf Trucks France), Daf Trucks NV, Paccar, Scania AB et Scania CV AB, Scania France, Scania Deutschland GmbH, Thomas Constructeurs ;

- d'appeler à l'expertise l'ensemble des parties visées dans la présente requête, à savoir les sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France, Man SE, MAN Truck et BUS AG, MAN Truck et Bus Deutschland GmbH, Man Truck et Bus France, Daf Trucks Germany GmbH (Daf Trucks Deutschland GmbH), Daf Trucks France), Daf Trucks NV, Paccar, Scania AB et Scania CV AB, Scania France, Scania Deutschland GmbH, Thomas Constructeurs ;

- ordonner que l'expert accomplisse sa mission dans les conditions fixées aux articles R. 621-7 à R. 621-14 du code de justice administrative ;

- ordonner que l'expert notifie son rapport aux parties et en dépose deux exemplaires au greffe du tribunal administratif dans un délai de six mois à compter de l'ordonnance à intervenir.

Il soutient que :

- l'ordonnance est irrégulière dès lors que la juge des référés est en litige contre le département de la Haute-Garonne devant le tribunal judiciaire de Toulouse pour une affaire personnelle ; elle aurait dû se déporter ou être dessaisie en application des dispositions de l'article R. 721-1 du code de justice administrative ;

- la mesure d'expertise est utile ; les faits d'entente illicite ne sont plus contestables en application de l'article L. 481-2 du code de commerce, que ce soit pour les sociétés confondues d'entente illicite et ayant été attributaires que pour les sociétés parties prenantes de l'entente mais qui n'ont pas soumissionné et de l'attributaire qui propose des biens dont les prix ont été artificiellement augmentés par l'effet de l'entente ; c'est à tort que la première juge lui a opposé la circonstance que la mesure d'expertise n'était pas utile dès lors que le juge du fond, également saisi, peut prononcer une expertise avant dire-droit ; les faits impliquant l'engagement de la responsabilité solidaire des sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France en qualité de constructeurs dont plusieurs des camions ont été fournis au département de la Haute-Garonne.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 septembre 2024, la société anonyme Thomas Constructeurs, représentée par Me Chazal, conclut à la confirmation de l'ordonnance, à ce que la société Thomas Constructeurs soit mise hors de cause et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 3 000 euros.

Elle fait valoir que :

- elle ne fait pas partie de l'entente ;

- seul le moteur des véhicules vendu au département de la Haute-Garonne a été acheté à la société Renault Trucks ; or, l'entente illicite qui a été sanctionnée par les autorités européenne ne concerne nullement les pièces détachées en général, ni les moteurs en particulier ;

- le prix d'achat des moteurs Renault Trucks n'a pas significativement varié.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 octobre 2024, les sociétés de droit suédois Scania AB et Scania CV AB, la société de droit allemand Scania Deutschland GmbH et la société par actions simplifiée Scania France, représentées par Me Lazerges et Me Lerebour, concluent au rejet de la requête, à la mise hors de cause de la société Scania France et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 4 000 euros.

Elles font valoir que :

- l'ordonnance attaquée n'est pas entachée d'irrégularité ; le litige opposant la juge des référés au département de la Haute-Garonne est sans rapport avec le présent litige ;

- la mesure d'expertise sollicitée par le département de la Haute-Garonne est dépourvue de caractère utile dès lors que le juge du fond est déjà saisi et qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée ; ordonner une telle expertise serait prématuré ;

- si une expertise devait être ordonnée, l'étendue des missions de l'expert, qui excède le champ des pouvoirs pouvant lui être accordé, devra être réduite aux seules considérations de fait ;

- la société Scania France doit être mise hors de cause.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 octobre 2024, la société par actions de droit allemand Mercedes-Benz Group AG et la société par actions simplifiée à associé unique Mercedes-Benz France, représentées par Me Théophile et Me Griffart, concluent au rejet de la requête et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 5 000 euros.

Elles font valoir que :

- le département de la Haute-Garonne ne formule aucun grief à l'encontre de Mercedes-Benz ou d'une quelconque autre filiale du groupe Daimler ;

- l'appelant n'a jamais acquis de camions directement auprès de Daimler AG ;

- il n'est pas démontré que les pratiques sanctionnées par la Commission aient eu un effet sur les prix nets des camions, le processus de fixation des prix de camions résultant d'un mécanisme extrêmement complexe ;

- le département n'apporte aucun élément de nature à prouver l'existence de contrats passés avec un membre de l'entente ;

- il n'apporte aucun élément de nature à prouver que les biens acquis entrent dans le champ des pratiques sanctionnées par la Commission ;

- l'ordonnance n'est pas irrégulière ; le litige opposant la juge des référés au département de la Haute-Garonne est sans rapport avec le présent litige ;

- la mesure d'expertise ne présente de pas d'utilité dès lors que l'action indemnitaire au fond engagée par le département de la Haute-Garonne est prescrite ; le préjudice allégué est sans lien avec les faits reprochés ; d'autres moyens peuvent être mis en œuvre pour arriver aux mêmes fins que l'expertise sollicitée ; le département n'établit pas l'existence de circonstances particulières de nature à justifier qu'une procédure de référé-instruction soit engagée ;

- la mesure d'expertise sollicitée conduirait l'expert à se prononcer sur des questions de droit.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 octobre 2024, la société anonyme de droit néerlandais CNH Industrial N.V, la société par actions de droit italien Iveco S.p.a, la société par actions de droit allemand Iveco Magirus AG, la société par actions simplifiée Iveco France et la société par actions simplifiée CNH Industrial France, représentées par Me Castex et Me Mazel, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que les missions de l'expert soient limitées à la détermination des surcoûts pouvant être constatés par l'achat de véhicules litigieux et le chiffrage du préjudice subi par le département de la Haute-Garonne et, en tout état de cause, à la mise hors de cause des sociétés Iveco France et CNH Industriel France et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 5 000 euros.

Elles font valoir que :

- l'existence d'un litige entre la juge des référés de première instance et le département de la Haute-Garonne ne peut sérieusement remettre en cause l'impartialité de celle-ci dès lors qu'aucun élément ne permet de démontrer qu'il s'agit du même service au sein du département de la Haute-Garonne et il n'existe aucun lien entre les deux litiges, compte tenu de leurs objets différents ;

- les sociétés Iveco France et CNH Industrial France doivent être mises hors de cause dès lors que la décision de la Commission ne vise pas les Entités Iveco France et que les sociétés Iveco France et CNH Industrial France ne sont en aucun cas les représentantes en France respectivement des sociétés italienne Iveco S.p.A., et néerlandaise CNH Industrial N.V ;

- la mesure d'expertise de présente pas de caractère utile ; l'action principale est prescrite ; le département de la Haute-Garonne peut obtenir les confirmations demandées par d'autres moyens ; elle est prématurée en l'absence manifeste de responsabilité des sociétés Iveco ; le département de la Haute-Garonne sollicite une expertise qui excède manifestement les missions de l'expert ; les sociétés Iveco ne sont peuvent pas être responsables solidairement ; il n'y a pas de preuve de nature à démontrer la responsabilité des sociétés Iveco ; il n'y a pas de lien de causalité entre les pratiques des sociétés Iveco et le prétendu préjudice de surcoût.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2024, la société par actions simplifiée Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, représentée par Me Biancone, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 4 000 euros.

Elle fait valoir que :

- l'ordonnance n'est pas irrégulière ; le département de la Haute-Garonne ne démontre pas en quoi les affaires l'impliquant avec la juge des référés du tribunal administratif illustrent une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité de celle-ci dans le présent contentieux ;

- elle doit être mise hors de cause dès lors qu'elle n'est pas destinataire de la décision de la Commission et qu'elle n'appartient pas à un groupe contrôlant une société à laquelle les pratiques dénoncées sont imputables ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action est prescrite et en tout état de cause irrecevable.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2024, la société de droit suédois AB Volvo, la société de droit suédois Volvo Lastvagnar AB, la société de droit allemand Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, la société par actions simplifiée Volvo trucks France et la société par actions simplifiée Renault Trucks Commercial France, représentées par Me Lecat, Me Philippe et Me Cuche, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et à titre subsidiaire, à ce que les missions de l'expert soient limitées notamment à l'évaluation du préjudice allégué concernant les camions Renault Trucks et Volvo Trucks pesant entre 6 et 16 tonnes et plus de 16 tonnes, à la délimitation précise du périmètre des données nécessaires pour l'analyse du préjudice allégué conformément à la méthode économétrique arrêtée concernant les camions de marques Renault Trucks et Volvo Trucks, à la définition d'une liste exhaustive de l'intégralité des variables nécessaires à l'évaluation du préjudice allégué concernant les camions de ces marques, à la réalisation des tests de robustesse et à l'analyse des résultats observés, à la détermination des dates de début et de fin d'éventuels effets de la pratique sur les prix nets, à la détermination des surcoûts pouvant être constatés par l'achat de véhicules litigieux et au chiffrage du préjudice subi par le département de la Haute-Garonne, à l'analyse économétrique en tenant compte des différences entre les contrats passés par le biais d'un concessionnaire ou de l'Union des groupements d'achats publics et les contrats conclus par les autres sociétés, à la communication des éléments de la comptabilité du département de la Haute-Garonne depuis le début de la période infractionnelle concernant les marques de camions précédemment citées et à l'établissement d'un pré-rapport reprenant l'ensemble de ses constatations et concluent également, en tout état de cause, à la mise hors de cause des sociétés Volvo Trucks France et Renault Trucks Commercial France et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 5 000 euros.

Elles font valoir que :

- l'action du département de la Haute-Garonne est tardive ; la requête d'appel est irrecevable ;

- il n'est pas démontré que la juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ait été partiale ;

- la mesure n'est pas utile ; toute action indemnitaire du département de la Haute-Garonne est prescrite ; il a engagé une action en responsabilité au fond contre les sociétés en défense ; les conditions permettant d'engager la responsabilité des sociétés en défense ne sont pas remplies dès lors que la faute, le lien de causalité et le préjudice ne sont pas démontrés ; le département de la Haute-Garonne dispose des éléments lui permettant de chiffrer lui-même son préjudice ;

- les sociétés Volvo Trucks France et Renault Trucks Commercial France sont étrangères aux pratiques sanctionnées dans la décision et devront être mises hors de cause.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2024, la société de droit de l'Etat du Delaware (Etats-Unis d'Amérique) Paccar Inc, la société de droit allemand Daf trucks Deutschland GmbH et la société de droit néerlandais Daf trucks N.V, représentées par Me Rameau et Me Léonard, concluent au rejet de la requête et de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme de 5 000 euros.

Elles font valoir que :

- il n'est pas établi que l'ordonnance rendue en première instance serait irrégulière ; le moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et, en tout état de cause, manque en fait ;

-la demande d'expertise devant le tribunal est irrecevable dès lors que la mission que le département de la Haute-Garonne sollicite implique que l'expert se prononce sur des questions de droit ;

- la mesure d'expertise sollicitée est dépourvue d'utilité ; le département de la Haute-Garonne n'établit pas de circonstances particulières conférant à la mesure demandée un caractère d'utilité différent de celui de la mesure que le juge du fond pourrait ordonner.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 19 juillet 2016, publiée le 6 avril 2017 au Journal officiel de l'Union européenne, la Commission européenne a, après avoir retenu l'existence de pratiques anticoncurrentielles, infligé des amendes à plusieurs constructeurs de camions dont les sociétés Man SE, Man Truck et Bus AG, Man Truck et Bus Deutschland GmbH, Daimler AG, Fiat Chrysler Automobiles N.V., CNH Industrial N.V., Iveco SpA, Iveco Magirus AG, AB Volvo (Publ), Volvo Lastvagnar AB, Renault Truck SAS, Volvo Group Trucks Central Europe GmbH, Paccar Inc., Daf Trucks Deutschland GmbH et Daf Trucks N.v. Le 27 septembre 2017, la Commission européenne a par ailleurs sanctionné trois entités du groupe Scania, Scania AB, Scania CV AB et Scania Deutschland GmbH, pour les mêmes pratiques. Par un arrêt du 2 février 2022, le Tribunal de l'Union européenne a rejeté le recours des sociétés du groupe Scania, le pourvoi formé par ces sociétés contre la décision du Tribunal de l'Union européenne ayant été rejeté par un arrêt du 1er février 2024 de la Cour de justice de l'Union européenne. Les pratiques anticoncurrentielles en cause ont pris la forme d'une entente sur les prix des camions " utilitaires moyens ", pesant entre 6 et 16 tonnes, et des camions " poids lourds ", présentant un poids supérieur à 16 tonnes. Ces " arrangements collusoires ", conclus en infraction des articles 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 53 de l'accord sur l'Espace économique européen, ont couvert une période allant du 17 janvier 1997 au 20 septembre 2010 s'agissant de la société Man SE, et du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011 en ce qui concerne les autres sociétés. Ils se sont traduits, d'une part par des accords de fixation des prix et d'augmentation des prix bruts et, d'autre part, par un accord sur le calendrier et les modalités de répercussion des coûts afférents à l'introduction des technologies en matière d'émissions imposées par les normes Euro 3 à 6.

2. Le département de la Haute-Garonne a conclu différents marchés de fournitures, durant la période incriminée, avec plusieurs des entreprises mises en cause. Il produit, notamment, des factures se rapportant à des marchés conclus avec les sociétés Thomas Constructeurs, pour la fourniture de camions Thomas avec motorisation Renault Trucks, Renault Trucks commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules industriels, Mercedes-Benz France, Garage du Bois Vert et Garonne du Bois Vert, ces deux dernières sociétés ayant fourni au département des véhicules de marque Iveco. Le département a par ailleurs formé devant le tribunal administratif de Toulouse, le 31 mars 2022, une action indemnitaire tendant à la condamnation solidaire des constructeurs parties à l'instance à réparer les préjudices subis du fait des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par la Commission européenne.

3. Le département de la Haute-Garonne a formé une demande d'expertise auprès du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse aux fins d'évaluer les préjudices qu'il a subis du fait de ces arrangements collusoires et relève appel de l'ordonnance du 16 juillet 2024 par laquelle la juge des référés a rejeté cette demande.

Sur la fin de non-recevoir :

4. Le juge des référés, saisi au titre de l'article R. 532-1 du code de justice administrative ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription dès lors qu'une telle expertise serait dépourvue d'utilité. La circonstance qu'une demande d'expertise ne satisfasse pas au critère d'utilité en raison du caractère irrecevable ou prescrit des prétentions relève de l'appréciation à porter sur le bien-fondé de la demande et non sur sa recevabilité. La fin de non-recevoir soulevée par la société Volvo Lastvagnar AB et les autres sociétés ayant produit le mémoire susvisé du 30 octobre 2024 à l'encontre de l'appel tirée de ce que l'action au fond du département de la Haute-Garonne serait tardive et prescrite ne peut donc être accueillie.

Sur la régularité de l'ordonnance :

5. En vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger dans un Etat de droit, la justice doit être rendue par une juridiction indépendante et impartiale. Toute personne appelée à y siéger doit se prononcer en toute indépendance, à l'abri de toute pression. Sa participation au jugement d'une affaire implique qu'elle exerce cette fonction en toute impartialité, sans parti pris ni préférence à l'égard de l'une des parties. Son indépendance et celle de la juridiction dont elle est membre participent de cette exigence. Elle doit se comporter de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard et a l'obligation, sans préjudice de dispositions législatives particulières, de s'abstenir de participer au jugement d'une affaire s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité.

6. Il ressort des pièces du dossier que la juge des référés qui a statué est en litige avec le département de la Haute-Garonne sur l'attribution d'une prestation et a notamment fait appel d'un jugement rendu le 9 mai 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Toulouse, affaire qui est toujours en instance. Même si ce litige est sans rapport avec la présente procédure de référé, cette situation peut avoir fait naître pour le département de la Haute-Garonne des craintes légitimes que la juge des référés n'aborde pas son affaire avec l'impartialité requise. L'ordonnance attaquée a ainsi été prise en méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions et doit être, pour ce motif, annulée.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le département de la Haute-Garonne devant le tribunal administratif de Toulouse et tendant à ce que soit ordonnée une expertise

Sur l'utilité de la mesure demandée :

8. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais " et aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du même code : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ".

9. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. S'il résulte de l'article R. 626-1 du code de justice administrative qu'il peut être fait application des dispositions de l'article R. 532-1, alors même qu'une requête aux fins d'indemnisation est en cours d'instruction, il appartient au juge des référés d'apprécier l'utilité de la mesure demandée sur ce fondement.

10. Le département de la Haute-Garonne, qui ainsi qu'il a été exposé au point 2 a déjà introduit devant le tribunal administratif de Toulouse une requête en indemnisation des pratiques anticoncurrentielles, fait valoir l'utilité spécifique d'une expertise en référé en invoquant des circonstances particulières. Toutefois le département, qui ne peut sérieusement invoquer une prétendue urgence tenant à la prescription prochaine de son action alors que celle-ci est déjà introduite devant le tribunal, ne justifie pas par la seule ancienneté des faits, alors qu'il produit lui-même toutes les pièces des marchés nécessaires à une expertise, de l'intérêt particulier à ce que celle-ci soit ordonnée en référé. Ainsi même s'il fait aussi valoir que les faits d'entente ne sont pas contestables, qu'il devra être indemnisé, ce qu'il appartiendra au juge du fond d'apprécier, et que l'avis d'un expert sera obligatoire, il ne fournit pas au juge des référés les éléments suffisants de nature à justifier qu'il fasse usage du pouvoir qu'il tient des dispositions citées au point précédent, sans attendre que la chambre du tribunal administratif de Toulouse, chargée de l'instruction de la requête, ait pu elle-même en apprécier l'utilité alors d'ailleurs qu'elle devrait examiner dans un délai assez bref une affaire enregistrée en 2022. Aucune circonstance particulière ne confèrerait donc à la mesure qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner un caractère d'utilité différent de celui de la mesure que le juge du fond, pourra décider, le cas échéant, dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de l'instruction. Dès lors, la condition d'utilité de la mesure demandée par le département de la Haute-Garonne ne peut être regardée comme étant satisfaite.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les sociétés défenderesses.

O R D O N N E :

Article 1er : L'ordonnance susvisée de la juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 16 juillet 2024 est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du département de la Haute-Garonne est rejeté.

Article 3 : Les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par les défendeurs sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au département de la Haute-Garonne, ainsi qu'aux sociétés AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB, Volvo Trucks France, Volvo Group Trucks Central Europe Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH), Renault Trucks Commercial France, Midi-Pyrénées Véhicules Industriels, Mercedes-Benz Groupe AG, Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Hamecher Toulouse VI, Iveco SPA, Iveco France, Iveco Magirus AG, CNH Industrial N.V, CNH Industrial France, Man SE, Man Truck et Bus AG, Man Truck et Bus Deutschland GmbH, Man Truck et Bus France, Daf Trucks Germany GmbH (Daf Trucks Deutschland GmbH), Daf Trucks France), Daf Trucks NV, Paccar, Scania AB et Scania CV AB, Scania France, Scania Deutschland GmbH, Thomas Constructeurs.

Fait à Toulouse, le 6 février 2025

Le président,

Signé

J-F. MOUTTE

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

N° 24TL02205 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24TL02205
Date de la décision : 06/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BREDIN PRAT AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-06;24tl02205 ?
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