Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme à responsabilité limitée Européenne de Matériel a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'office public de l'habitat du département de l'Aude Habitat Audois à lui verser, à titre de provision, la somme de 63 089, 24 euros toutes taxes comprises.
Par une ordonnance n° 2401085 du 25 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2024 et le 21 juin 2024, la société Européenne du Matériel, représentée par Me Cadoz, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 25 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'office public de l'habitat Habitat Audois à lui verser, à titre de provision, la somme de 63 089, 24 euros toutes taxes comprises, laquelle doit être assortie des intérêts moratoires au taux appliqué par la Banque centrale européenne, majoré de huit points à compter du 21 janvier 2024 en application des articles L. 2192-13 et R. 2192-32 du code de la commande public, et des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'office l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros au titre du retard de paiement en application des articles L. 2192-13 et R. 2193-35 du code de la commande publique ;
4°) de mettre à la charge l'office une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance est entachée d'une erreur de fait révélant une contradiction dans ses motifs ;
- l'ordonnance est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle méconnait la procédure d'élaboration du décompte général définitif définie au cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux approuvé par l'arrêté du 31 mars 2021 et que la société a suivie ;
- c'est à tort que le premier juge a estimé qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un décompte général ; elle a adressé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage un projet de décompte final qu'il appartenait à ces derniers d'approuver ou de rectifier, ce qu'il n'ont pas fait ; ils se sont bornés au contraire à lui répondre qu'ils ne pouvaient accorder la somme réclamée dans le projet de décompte final ; ainsi, le maître d'ouvrage ne lui a pas adressé un décompte général dans le délai prévu par l'article 12.4.2 du CCAG applicable aux marchés de travaux ; elle a alors, en application de l'article 12.4.4 du même CCAG, notifié au maître d'ouvrage son décompte général signé ; le maître d'ouvrage étant resté taisant à l'expiration du délai de dix jours prévu audit article, elle devenu titulaire d'un décompte général tacite ;
- l'existence de ce décompte général tacite lie définitivement les parties au marché en application de l'article 12.4.4 du CCAG ; ainsi, et contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, elle justifie d'une obligation non sérieusement contestable, et est en droit d'obtenir de l'office public de l'habitat la provision demandée correspondant au solde figurant dans le décompte général ;
- ce montant est de 63 089, 24 euros toutes taxes comprises, et doit être assorti des intérêts moratoires prévus au code de la commande publique, des intérêts capitalisés, outre l'indemnité forfaitaire de recouvrement pour retard de paiement de la part du maître d'ouvrage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2024, l'office public de l'habitat Habitat Audois, représenté par Me Bonnieu, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société appelante la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 30 mars 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du 2 septembre 2024 par laquelle le président de la cour a désigné M. Frédéric Faïck, président de la 3ème chambre, pour statuer sur les demandes en référé en application des dispositions de l'article L. 555-1 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 11 octobre 2021, l'office public de l'habitat Habitat Audois a attribué à la société Européenne du Matériel le lot n° 31 " échafaudages ", d'un montant de 54 475, 20 euros hors taxes, dans le cadre du marché public de travaux portant sur la réhabilitation de 56 logements collectifs de la résidence Jean-Jaurès à Castelnaudary. La réception des travaux sans réserve est intervenue, en ce qui concerne le lot n° 31, le 12 septembre 2023. Estimant être titulaire d'un décompte général et définitif tacite faisant apparaître à son profit un solde de 63 089,24 euros toutes taxes comprises, la société Européenne du Matériel a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'office public de l'habitat Habitat Audois à lui payer, à titre de provision, la somme précitée de 63 089, 24 euros correspondant au solde du marché.
2. La société Européenne du Matériel relève appel de l'ordonnance du 25 avril 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande au motif qu'elle ne justifiait pas d'une obligation non sérieusement contestable.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
4. Aux termes de l'article 12.3.3 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux approuvé par l'arrêté du 31 mars 2021 : " Demande de paiement finale : 12.3.1. Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (...). Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble (...) 12.3.2. Le titulaire notifie son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux (...) 12.3.3. Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final. (...).". Aux termes de l'article 12.4. du même CCAG : " Décompte général définitif - Solde. 12.4.1. Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : - le décompte final ; - l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel (...) Le maître d'œuvre transmet le projet de décompte général au maître d'ouvrage (...) 12.4.2. Le maître d'ouvrage valide, le cas échéant rectifie, et signe le projet de décompte général. Celui-ci devient alors le décompte général. (...) Le maître d'ouvrage notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le maître d'ouvrage de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) 12.4.4. Si le maître d'ouvrage ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 12.4.2, le titulaire notifie au maître d'ouvrage, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (...) Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le maître d'ouvrage notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 12.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le maître d'ouvrage n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. Ce décompte lie définitivement les parties (...) ".
5. Ainsi qu'exposé au point 1 de la présente ordonnance, le maître d'ouvrage a réceptionné sans réserve les travaux confiés à la société Européenne de Matériel par une décision du 12 septembre 2023 notifiée à cette dernière le 9 octobre suivant. En application des stipulations précitées de l'article 12.3.2 du CCAG applicable aux marchés de travaux, la société appelante a adressé au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre un projet de décompte final le 10 novembre 2023, ainsi qu'en atteste le certificat de dépôt sur la plate-forme " Chorus " versé au dossier. Il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre n'a pas accepté ou rectifié ce projet de décompte final ni transmis un projet de décompte général au maître d'ouvrage comme le prévoient les articles 12.3.3 et 12.4.1 du CCAG. Et la société Européenne de Matériel n'a pas été davantage destinataire, dans le délai de trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre du projet de décompte final, du décompte général en application de l'article 12.4.2 du CCAG. Il résulte encore de l'instruction que, faute d'avoir reçu notification du décompte général, la société Européenne de Matériel a, le 12 décembre 2023, notifié au maître d'ouvrage, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé comme le prévoit dans ce cas de figure l'article 12.4.4 du CCAG. Cette notification, qui a également été faite sur la plate-forme " Chorus ", a eu pour effet de faire déclencher le délai de dix jours, prévu au même article 12.4.4., imparti au maître d'ouvrage pour notifier au titulaire le décompte général. Il résulte de l'instruction que tel n'a pas été le cas, et qu'il revient ainsi au juge des référés de relever, sans que cette question de droit ne soulève de difficultés sérieuses en l'état du dossier, que la société Européenne de Matériel peut se prévaloir d'un décompte général et définitif en application des dispositions précitées de l'article 12.4.4.
6. Il suit de là que c'est à tort que le premier juge a estimé qu'il existait un différend entre le titulaire et le maître d'ouvrage sur le décompte du marché alors que, précisément, le maître d'ouvrage n'a pas établi de décompte. Par suite, c'est également à tort que le premier juge, a rejeté la demande de la société Européenne de Matériel au motif que l'existence de ce différend ne permettait pas de faire regarder la créance invoquée comme non sérieusement contestable.
7. Et dès lors que la société Européenne de Matériel peut se prévaloir d'un décompte général et définitif né dans les conditions prévues à l'article 12.4.4 du CCAG, les indications de ce décompte, qui sont celles figurant au projet de décompte général signé, lie définitivement les parties en application du même article 12.4.4. Dans ces conditions, la créance invoquée par la société appelante, résultant des stipulations précitées du CCAG applicables en l'espèce s'agissant de la procédure d'établissement du décompte d'un marché après réception sans réserve des travaux, doit être regardée comme non sérieusement contestable.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Européenne de Matériel est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur le montant de la provision :
9. Il résulte de l'instruction que la société appelante est fondée à demander que la provision de 63 089,24 euros toutes taxes comprises, montant non contesté en défense, soit mise à la charge de l'Office public de l'habitat Habitat Audois au titre du solde de son marché.
Sur les intérêts moratoires et les intérêts capitalisés :
10. En vertu de l'article R. 2192-10 du code de la commande publique, il appartenait à l'Office public de l'habitat Habitat Audois de régler le solde du marché dans un délai de trente jours à compter du 22 décembre 2023, date à laquelle le titulaire pouvait se prévaloir d'un décompte général. Par suite, les intérêts moratoires ont couru à compter du 21 janvier 2024. Ces intérêts seront fixés au taux de 12,5 % en application des dispositions de l'article R. 2192-31 du code de la commande publique. Enfin, dès lors qu'au 2 mai et au 21 juin 2024, dates auxquelles l'appelante a demandé la capitalisation, il n'était pas encore dû au moins d'un an d'intérêts, la capitalisation ne peut être accordée.
Sur l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement :
11. Il résulte de ce qui précède que la somme de 40 euros que demande la société appelante au titre de l'indemnité forfaitaire de frais de recouvrement, prévue aux articles L. 2192-13 et D. 2192-35 du code de la commande publique, constitue une créance non sérieusement contestable. Par suite, il y a lieu également de mettre cette somme à la charge de l'intimé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée et que l'Office public de l'habitat Habitat Audois doit être condamné à verser à la société Européenne de Matériel la somme de 63 089,24 euros toutes taxes comprises à titre de provision, somme assortie des intérêts moratoires au taux de 12,5 % à compter du 21 janvier 2024. En outre, l'Office public de l'habitat Habitat Audois versera à l'appelante la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévue à l'article D. 2192-35 du code de la commande publique.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'office public de l'habitat Habitat Audois une somme de 1 500 euros à verser à la société Européenne de Matériel au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article L. 761-1 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'intimé dès lors que la société Européenne de Matériel n'est pas la partie perdante à l'instance.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2401085 du 25 avril 2024 rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : L'office public de l'habitat Habitat Audois versera à la société Européenne de Matériel une somme de 63 089, 24 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts légaux dans les conditions fixées au point 10 de la présente ordonnance.
Article 3 : L'office public de l'habitat Habitat Audois versera à la société Européenne de Matériel une somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
Article 4 : L'office public de l'habitat Audois versera à la société Européenne de Matériel une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de l'Office public de l'habitat Habitat Audois présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à la société anonyme à responsabilité limitée Européenne et du Matériel, et à l'office public de l'habitat Habitat Audois.
Fait à Toulouse le 18 septembre 2024.
Le juge d'appel des référés,
Frédéric Faïck
La République mande et ordonne au préfet de l'Aude, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N°24TL01116 2