Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... et Mme C... B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2018.
Par un jugement n° 2003578 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 mai 2022, le 16 octobre 2023 et le 23 octobre 2023, M. et Mme A..., représentés par Me André, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que, d'une part, il est entaché d'un défaut d'analyse du mémoire enregistré le 30 juillet 2021 ainsi que d'une insuffisance de motivation, faute de réponse au moyen contenu dans ce mémoire et, d'autre part, il est entaché d'une erreur de droit ainsi que d'une dénaturation des faits ;
- la procédure d'imposition est irrégulière au regard de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales dès lors que les droits mis à leur charge ne résultent pas de leurs déclarations sans qu'ait été organisée une procédure contradictoire ;
- l'augmentation des bénéfices non commerciaux de M. A... au titre de l'exercice 2018 résultant de la cessation de son activité de mandataire judiciaire et du surcroît d'activité qui l'a accompagné et ne pouvant être qualifiée de " revenu exceptionnel " au sens des dispositions de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, ses revenus étaient intégralement éligibles au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement ;
- l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, tel qu'interprété et appliqué par l'administration fiscale, est inconstitutionnel dès lors qu'il méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ainsi que les principes d'égalité devant l'impôt et les charges publiques.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 novembre 2022, le 20 octobre 2023 et le 25 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le tribunal administratif, dont les requérants entendent se réserver la possibilité, est en tout état de cause irrecevable ;
- la demande relative aux prélèvements sociaux est sans objet et le quantum du litige se limite à 724 666 euros, le montant complémentaire de 72 467 euros dont la décharge est sollicitée par les requérants concerne une pénalité de recouvrement et se rapporte donc à un litige distinct de celui d'assiette ;
- les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 26 octobre 2023 a prononcé la clôture de l'instruction à la même date en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chalbos,
- les conclusions de M. Clen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a cessé son activité de mandataire judiciaire le 31 décembre 2018. Il a bénéficié, au titre de l'année 2018, d'un crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement d'un montant de 378 872 euros, et a été assujetti à une cotisation primitive d'impôt sur le revenu, non assortie de prélèvements sociaux, au titre de la même année d'un montant de 724 666 euros. Estimant que l'ensemble de ses bénéfices non commerciaux déclarés au titre de l'année 2018 étaient éligibles au crédit d'impôt, M. A... et son épouse ont présenté une réclamation préalable, rejetée par l'administration fiscale le 19 mai 2020. M. et Mme A... font appel du jugement du 21 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande à fin de décharge.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, M. et Mme A... soutiennent que le tribunal se serait abstenu d'analyser leur mémoire en réplique daté du 29 juillet 2020 et enregistré le 30 juillet suivant, et aurait ainsi omis de motiver son jugement au regard des éléments nouveaux qu'un tel mémoire contenait. Il résulte toutefois des mentions du jugement attaqué que le mémoire en réplique des requérants a bien été visé par le tribunal. Les premiers juges, qui ont suffisamment motivé leur réponse aux moyens de la requête, n'étaient en revanche tenus, ni de viser l'ensemble des arguments développés par les requérants, notamment celui contenu dans leur mémoire en réplique, consistant à critiquer la méthode de comparaison prévue à l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 susvisée et utilisée pour apprécier le caractère exceptionnel d'un revenu au sens de ces dispositions, ni d'y répondre. Il s'ensuit que les moyens tirés du défaut d'analyse d'un mémoire et de l'insuffisance de motivation doivent être écartés.
3. D'autre part, M. et Mme A... ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce que les premiers juges auraient commis une erreur de droit tenant à la méconnaissance des règles de charge de la preuve ou auraient entaché leur jugement d'une dénaturation des faits, de tels moyens relevant de la critique du bien-fondé du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts (...) les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire (...) ". La procédure de rectification contradictoire ne concerne, pour les cotisations primitives des impositions auxquelles elle est applicable, que les cas où l'administration remet en cause des éléments que le contribuable est tenu de déclarer en vue de permettre à celle-ci d'asseoir l'impôt.
5. Pour déterminer la cotisation primitive d'impôt sur le revenu au titre des revenus 2018 mise à la charge de M. et Mme A... par voie de rôle le 22 juillet 2019, l'administration fiscale a considéré qu'une partie des bénéfices non commerciaux réalisés par M. A... ne devait pas être prise en compte dans le calcul du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, contrairement au point de vue exprimé par M. et Mme A... par une mention expresse portée sur leur déclaration de revenus. Ce faisant, l'administration n'a pas remis en cause l'exactitude des éléments déclarés par le contribuable et servant de base au calcul de l'impôt, à savoir en particulier le montant des bénéfices non commerciaux réalisés par M. A... en 2018. Dès lors que le désaccord avec le contribuable portait sur la seule qualification de " revenu exceptionnel " d'une partie des bénéfices correctement déclarés et non remis en cause, l'administration n'était pas tenue de mettre en œuvre la procédure de rectification contradictoire avant de mettre en recouvrement l'imposition litigieuse. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit donc être écarté.
6. En deuxième lieu, l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l'employeur ou l'organisme versant. Pour les autres revenus, en particulier ceux correspondant à des bénéfices professionnels, ce prélèvement prend la forme du versement d'acomptes. Les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.
7. Il résulte des dispositions du E du II de cet article 60, éclairées par leurs travaux préparatoires, que pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle. Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice. Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019. Il peut en outre, dans cette dernière hypothèse, présenter une réclamation à l'administration fiscale pour obtenir un complément de crédit d'impôt pour éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu au titre de son bénéfice de 2018, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année supérieure aux quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité.
8. Il résulte de l'instruction que M. A... a déclaré un bénéfice non commercial au titre de l'année 2018 de 2 358 439 euros et, au titre des années 2015, 2016 et 2017, des bénéfices non commerciaux respectivement de 656 853 euros, 792 320 euros et 809 316 euros. Constatant que le bénéfice de l'année 2018 dépassait le bénéfice le plus élevé des trois années précédentes, l'administration a, en application des dispositions du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016, regardé la différence entre les deux termes de comparaison comme un revenu exceptionnel au sens de cet article, non éligible au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, dès lors que les dispositions du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 décrivent précisément les modalités d'appréciation du caractère non exceptionnel des bénéfices éligibles au crédit d'impôt, il n'appartenait pas à l'administration de procéder à une réévaluation des bénéfices non commerciaux perçus en 2018 par M. A... suivant une comptabilité d'encaissement, avant de le comparer aux bénéfices des trois années précédentes.
9. Les requérants font valoir que l'accroissement du bénéfice non commercial réalisé par M. A... en 2018 résulte de la cessation de son activité au 31 décembre 2018 et en particulier du passage, imposé par les dispositions de l'article 202 du code général des impôts dans le cas de cessation de l'exercice d'une profession non commerciale, d'une comptabilité de trésorerie à une comptabilité d'engagement, ainsi que d'un surcroît d'activité du fait de la clôture des procédures en cours. De telles circonstances, à les supposer établies, ne peuvent toutefois être utilement invoquées pour contester le montant du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement initialement accordé et solliciter la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2018, dès lors qu'elles sont seulement susceptibles de permettre aux requérants de solliciter un crédit d'impôt complémentaire. Au demeurant, les requérants n'apportent aucune précision sur la composition du bénéfice non commercial réalisé par M. A... en 2018, et ainsi ne démontrent pas dans quelle mesure son accroissement résulterait de l'intégration de créances acquises et non encore recouvrées et d'un surcroît d'activité, et non de l'encaissement de produits se rapportant à des opérations réalisées lors des exercices précédents. Enfin, est également sans incidence, à la supposer avérée, la circonstance que les requérants ne pourraient prétendre à aucun mécanisme d'atténuation de leur impôt sur le revenu de l'année 2018. Dans ces conditions, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a qualifié de revenu exceptionnel la fraction du bénéfice de l'année 2018 excédant le bénéfice le plus élevé de la période de référence et refusé de le prendre en compte dans le calcul du montant du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement attribué au titre de l'impôt sur le revenu de l'année 2018.
10. En troisième et dernier lieu, à supposer que M. et Mme A... aient entendu soulever, à l'appui de leur requête d'appel, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 60 de la loi du 26 décembre 2019, celui-ci ne peut qu'être écarté comme irrecevable, les requérants s'étant abstenus de contester, par un mémoire distinct et motivé, l'ordonnance du 15 septembre 2021 par laquelle le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Montpellier a refusé de transmettre leur question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'appui de leur demande de décharge.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et Mme C... B... épouse A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
La rapporteure,
C. Chalbos
Le président,
A. BarthezLe greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21167