Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron à leur verser, d'une part, la somme de 753 430 euros en réparation des préjudices consécutifs à l'incendie survenu le 11 décembre 2016 dans l'immeuble sis ... à ... appartenant à la société de l'Hôtel de ville et, d'autre part, la somme de 8 182,66 euros correspondant aux frais d'expertise judiciaire.
Par une ordonnance du 29 août 2019, la vice-présidente du tribunal administratif de Montpellier a transmis cette demande au tribunal administratif de Toulouse.
Par un jugement n° 1905132 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 mars 2022 et le 6 octobre 2022, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD, représentées par Me Zanier, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron à leur verser, en tant qu'elles sont subrogées dans les droits de la société de l'Hôtel de ville, la somme de 753 430 euros, augmentée des frais d'expertise judiciaire à concurrence de 8 182,66 euros.
3°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron a commis une faute en ne procédant pas au déblaiement des vestiges du premier incendie, en méconnaissance de l'article 7 du règlement d'instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux ;
- le second incendie trouve son origine dans une reprise de feu couvant issu du premier incendie, qui a été causée par la faute commise par le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron ;
- le jugement attaqué est incohérent dès lors qu'après avoir reconnu que le second incendie avait pour origine une reprise de feu couvant issu du premier incendie et admis l'existence de la faute commise par le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron en procédant à un déblai insuffisant des vestiges du premier incendie, il a rejeté leur demande au motif que le lien de causalité entre cette faute et le second incendie n'était pas établi.
Par deux mémoires, enregistré le 6 septembre 2022 et le 1er décembre 2023, le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, représenté par Me Le Boulch et Me Bernard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit la mise à la charge de la société MMA IARD Assurances Mutuelles et de la société MMA IARD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 1er février 1978 approuvant le règlement d'instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Virginie Restino,
- les conclusions de M. Clen, rapporteur public,
- les observations de Me Zanier, représentant la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD,
- et les observations de Me Dolbeau, représentant le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron.
Considérant ce qui suit :
1. La société de l'Hôtel de ville est propriétaire d'un immeuble sis ... à ... (Aveyron). Le 10 décembre 2016 vers 23 h 00, un premier incendie s'est déclaré dans l'appartement loué par M. A.... Le 11 décembre 2016 à 1 h 20, le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron est intervenu pour circonscrire cet incendie. Cette première intervention a pris fin à 3 h 45. Un second incendie s'est déclaré le 11 décembre 2016 vers 6 h 00 dans ce même appartement, nécessitant une seconde intervention du service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron. Ce second incendie a gravement endommagé l'ensemble du bâtiment. La société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD, subrogées dans les droits de la société de l'Hôtel de ville, relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à ce que le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron soit condamné à leur verser, d'une part, une somme de 753 430 euros en réparation des conséquences dommageables du second incendie et, d'autre part, une somme de 8 182,66 euros correspondant au montant des frais d'expertise judiciaire.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la faute commise par le service départemental d'incendie et de secours :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1424-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est créé dans chaque département un établissement public, dénommé "service départemental d'incendie et de secours", qui comporte un corps départemental de sapeurs-pompiers, composé dans les conditions prévues à l'article L. 1424-5 et organisé en centres d'incendie et de secours (...) ". Aux termes de l'article L. 1424-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. / (...) / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : / 1° La prévention et l'évaluation des risques de sécurité civile ; / 2° La préparation des mesures de sauvegarde et l'organisation des moyens de secours ; / 3° La protection des personnes, des biens et de l'environnement ; / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux services de secours et de lutte contre l'incendie de prendre, après une intervention, toute mesure de vérification et de contrôle destinée à prévenir le risque d'une reprise du feu ou de l'apparition d'un nouveau feu.
3. L'article 7 du règlement d'instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux approuvé par l'arrêté du 1er février 1978 alors en vigueur prévoit que : " (...) Une fois le feu éteint, [le déblai] a pour objet de déplacer les décombres, qui pourraient encore cacher des foyers, et d'écarter ainsi toute chance de reprise de feu. (...) Le personnel employé au déblai dégage les parties embrasées pour en permettre l'extinction, écarte tout ce qui pourrait devenir un aliment pour le feu, entraîne dans le foyer les parties qui menacent de s'écrouler. (...) En déblayant, il y a lieu de porter une attention particulière sur le dégagement au pied des murs, sur les points de contact avec des boiseries (...) ".
4. La responsabilité d'un service d'incendie et de secours est susceptible d'être engagée pour méconnaissance des règles d'engagement résultant de ce règlement.
5. Il résulte des termes de l'article 7 du règlement d'instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux que tout élément ou matériau susceptible d'alimenter un feu doit être déblayé par les services d'incendie et de secours. Le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, qui ne produit d'ailleurs aucun texte contenant de telles consignes, n'est pas fondé à soutenir que les opérations de déblai doivent être proportionnées au sinistre afin de ne pas démultiplier des dommages de nature à donner lieu à des recours à l'encontre des services de lutte contre l'incendie.
6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire du 31 janvier 2018, que tous les aliments pour le feu n'avaient pas été écartés après le premier incendie. Ainsi, des papiers, tissus et plastiques, contenant des morceaux de verre incorporés étaient toujours sur les boiseries du parquet dans le salon de l'appartement de M. A..., au niveau du foyer du premier incendie. L'absence de déblai est confirmée, selon ce rapport, par les clichés photographiques réalisés par les services de police après le premier incendie démontrant le peu de vestiges sur le trottoir. Il en résulte qu'en ne procédant pas à l'évacuation de l'ensemble des éléments susceptibles d'alimenter un feu, le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, qui n'a pas respecté l'article 7 du règlement d'instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne le lien de causalité :
7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire mentionné au point 6 et du rapport préliminaire de recherches des causes et des conséquences d'incendies établi par le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, que le premier incendie a pris naissance le 10 décembre 2016 vers 23 h 00 dans l'entrée du salon de M. A... et a été causé par l'inflammation de sacs de vêtements sur lesquels était tombé un convecteur électrique, au niveau du mur à droite de l'entrée du salon. Le second incendie, qui s'est déclaré le 11 décembre 2016 vers 6 h 00, a pris naissance dans la chambre de M. A..., contiguë au salon.
8. Le rapport d'expertise judiciaire indique que les investigations ont révélé, dans la zone du foyer du second incendie, la carbonisation d'une poutre support du plancher de bois. Ce rapport en a déduit, sans que cela soit utilement contesté, que cet incendie avait pour origine une reprise de feu couvant résultant de la propagation, à l'intérieur de la poutre du plancher en bois, des gaz chauds issus du premier incendie.
9. Selon le rapport d'expertise judiciaire, la reprise de feu couvant aurait pour cause l'absence fautive de déblaiement complet par le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, mentionnée au point 6, qui n'a pas permis de réaliser une analyse complète de l'état du plancher et de déceler le point chaud à partir duquel les gaz chauds induits par le premier incendie se sont propagés pour générer un nouveau foyer à quelques mètres de distance. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'après extinction du premier incendie et avant leur départ du site, les sapeurs-pompiers ont procédé, en sus du déblai, certes insuffisant, des vestiges de l'incendie, à plusieurs opérations afin de prévenir tout risque de reprise. Ils ont notamment noyé les éléments constituant le foyer de l'incendie ainsi que les poutres et exploré le plancher à la pioche au niveau du départ de feu. Ils ont également procédé à la détection de points chauds au moyen d'une caméra thermique, en plusieurs points de l'appartement et à plusieurs reprises, avant et après le noyage des poutres. A cet égard, les comptes-rendus des officiers d'intervention du 12 décembre 2016 indiquent que le point le plus chaud détecté à la caméra thermique au niveau de la poutre située directement au-dessus du foyer n'atteignait que 24° degrés celsius et que tous les décombres pouvant contenir un point chaud et l'ensemble des poutres avaient été noyés à l'eau. Si le rapport d'expertise judiciaire indique que l'utilisation de la caméra thermique était insuffisante pour détecter le point chaud à l'origine de la reprise de feu en l'absence de déblaiement suffisant des vestiges du premier incendie, il ne se prononce pas sur les autres mesures de détection réalisées par le service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le manquement fautif aux règles de déblai a pu causer la reprise de feu couvant à l'origine du second incendie.
10. Par suite, en l'absence de lien de causalité directe établi entre le manquement fautif du service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron et la reprise de feu couvant à l'origine du second incendie, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD ne sont pas fondées à engager la responsabilité pour faute de ce service.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la société MMA IARD Assurances Mutuelles et par la société MMA IARD au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces sociétés le versement au service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société MMA IARD Assurances Mutuelles et de la société MMA IARD est rejetée.
Article 2 : La société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société MMA IARD verseront au service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société MMA IARD Assurances Mutuelles, à la société MMA IARD et au service départemental d'incendie et de secours de l'Aveyron.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.
La rapporteure,
V. Restino
Le président,
A. Barthez Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au préfet de l'Aveyron en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22TL20801