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28/05/2024 | FRANCE | N°23PA04152

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 28 mai 2024, 23PA04152


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. et Mme D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une mesure d'expertise en vue de déterminer les circonstances de la survenue du dommage dont M. D... a été victime dans les suites d'une intervention chirurgicale qui a eu lieu le 19 mai 2019, les éventuelles responsabilités encourues et de chiffrer leurs préjudices.



Par

une ordonnance n° 2309584 du 15 septembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une mesure d'expertise en vue de déterminer les circonstances de la survenue du dommage dont M. D... a été victime dans les suites d'une intervention chirurgicale qui a eu lieu le 19 mai 2019, les éventuelles responsabilités encourues et de chiffrer leurs préjudices.

Par une ordonnance n° 2309584 du 15 septembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a désigné un collège d'experts et fixé sa mission.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 septembre 2023, M. et Mme D..., représentés par Me Jolibois, demandent à la cour de réformer la mission des experts.

Ils soutiennent que la mission définie par la juge des référés du tribunal est incomplète faute de porter également sur la prise en charge de M. D... par l'hôpital Sainte Anne, de confier aux experts la mission de se prononcer sur l'existence d'un accident médical non fautif et sur les différentes conditions visées par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et ne permet pas d'évaluer l'ensemble de leurs préjudices en mettant une formation de jugement en mesure de les réparer selon la nomenclature Dintilhac.

Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Welsch indique s'en rapporter à la sagesse de la cour.

Par un mémoire enregistré le 5 décembre 2023, le groupe hospitalier universitaire - Paris Psychiatrie et Neurosciences, représenté par Me Budet, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et à la mutuelle uMEn, qui n'ont pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Par une décision du 2 janvier 2024, la présidente de la cour a désigné Mme Menasseyre, présidente de la 8ème chambre, pour statuer en qualité de juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., alors âgé de 56 ans et qui présentait des antécédents de dissection aortique a été opéré le 19 mai 2019 à l'hôpital européen Georges Pompidou, établissement dépendant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour une intervention dite " de Bentall ". Le même jour à 23 heures, il a été victime d'un accident vasculaire cérébral atteignant l'hémicorps droit avec aphasie et transféré dans le service neurovasculaire de l'hôpital Sainte Anne, dépendant du Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie et neurosciences (GHU), puis retransféré le 12 juin suivant dans le service d'anesthésie réanimation de l'hôpital européen Georges Pompidou. M. D... ayant conservé d'importantes séquelles de cet épisode, M. et Mme D..., son épouse, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin de déterminer les circonstances de la survenue du dommage, les éventuelles responsabilités encourues et de chiffrer leurs préjudices. Ils relèvent appel de l'ordonnance du 15 septembre 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Paris a désigné un collège d'expert et fixé l'étendue de sa mission.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, devant la juge des référés du tribunal administratif, M. et Mme D... demandaient que les opérations d'expertise soient effectuées au contradictoire de l'AP-HP et du GHU et que la mission impartie à l'expert porte non seulement sur sa prise en charge au sein de l'hôpital européen Georges Pompidou mais également sur sa prise en charge au sein de l'hôpital Sainte Anne. Il n'est pas contesté que M. D... a été pris en charge au sein de cet établissement dans les suites immédiates de l'accident vasculaire cérébral du 19 mai 2019 et y a bénéficié d'une craniotomie de décompression. En l'état de l'instruction, et alors que l'expertise ordonnée a notamment pour objet de rechercher si les diagnostics établis et les traitements, interventions et soins prodigués et leur suivi ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises par la science, et s'ils étaient adaptés à l'état de M. D... et aux symptômes qu'il présentait, il n'y avait pas lieu pour la juge des référés du tribunal, à ce stade de la procédure, de mettre hors de cause un des établissements ayant concouru à la prise en charge de ce patient ou de ne pas inclure dans le champ de la mission des experts la prise en charge effectuée en son sein. Il y a donc lieu de réformer l'ordonnance sur ce point, et de compléter en ce sens la mission du collège d'experts.

5. En deuxième lieu, si la mission impartie aux experts par la juge des référés du tribunal leur impose de se prononcer sur d'éventuels manquements, cette mission ne porte pas sur les différents éléments permettant de savoir si les conditions d'anormalité et de gravité permettant la réparation d'un accident médical par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, sont en l'espèce satisfaites. Afin de permettre au juge du fond de déterminer si sont satisfaites les conditions permettant, en l'absence de manquement fautif, la réparation au titre de la solidarité nationale du dommage subi par M. D... il apparaît utile de compléter la mission sur ce point.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la mission impartie aux experts par la juge des référés du tribunal administratif est silencieuse sur plusieurs postes de préjudice dont l'évaluation avait pourtant été mentionnée dans la requête soumise au tribunal, tels que, notamment, l'assistance par tierce personne, les frais de logement adaptés ou l'incidence professionnelle du dommage dont M. D... a été victime. Il est dès lors utile de compléter également l'ordonnance sur ce point.

7. Enfin, si M. et Mme D... demandent la réformation de l'ordonnance en tant qu'elle n'a pas expressément prévu le dépôt d'un pré-rapport afin de permettre aux parties de formuler d'éventuelles observations, aucune disposition du code de justice administrative, ni aucun principe général du droit ne fait obligation à l'expert d'établir un pré-rapport. L'expert, dans la conduite des opérations de la mesure qui lui est confiée et dont il définit librement les modalités pratiques, en lien avec les parties, ne saurait se voir soumis à d'autres obligations que celles issues du caractère contradictoire de la procédure. Il lui appartient d'apprécier la nécessité d'y recourir le cas échéant. Les appelants ne sont, par suite, pas fondés à demander la réformation de l'ordonnance sur ce point.

8. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont seulement fondés à demander la réformation de l'ordonnance qu'ils attaquent, qu'il y a lieu de réformer en fixant la mission du collège d'experts comme il est précisé à l'article 1er de la présente ordonnance, et en repoussant en conséquence la date de dépôt du rapport au 2 décembre 2024

ORDONNE :

Article 1er : La mission du collège d'experts définie à l'article 1er de l'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif du 15 septembre 2023 est complétée de la façon suivante :

Les experts devront, en présence de M. G... D..., Mme A... D..., l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, le groupe hospitalier universitaire de Parispsychiatrie et neurosciences, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, la mutuelle uMEn :

1°) prendre connaissance de l'intégralité du dossier médical de M. D... et, notamment, de tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués lors de sa prise en charge tant par l'hôpital européen Georges Pompidou que par l'hôpital Sainte Anne et les motifs de cette admission ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de M. D... ainsi qu'à son examen clinique ;

2°) décrire l'état de santé de M. D... et les soins et prescriptions antérieurs à son admission et les conditions dans lesquelles il a été pris en charge le 19 mai 2019 et soigné dans l'hôpital européen Georges Pompidou puis dans l'hôpital Sainte Anne ; décrire l'état pathologique du requérant ayant conduit aux soins, aux interventions et aux traitements pratiqués ;

3°) donner leur avis sur le point de savoir si les diagnostics établis et les traitements, interventions et soins prodigués et leur suivi au sein de chacun de ces établissements ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science, et s'ils étaient adaptés à l'état de M. D... et aux symptômes qu'il présentait ; donner notamment son avis sur la pertinence des diagnostics des équipes médicales de ces deux établissements, l'utilité des gestes opératoires pratiqués et la conformité de la prise en charge de l'intéressé (investigations, traitements, soins, surveillance, organisation du service) aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits ; les experts préciseront les références des données médicales sur lesquelles ils se fondent, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui leur paraîtraient pertinents ; dire notamment si, au vu de l'état de santé de M. D... le 29 avril 2019 l'indication d'intention de Bentall était adaptée, et si le suivi post opératoire immédiat de M. D... a été satisfaisant ; dans le cas contraire dire si l'AVC qu'il a subi aurait pu être évité en raison d'une surveillance accrue ;

4°) déterminer l'origine du dommage en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies, l'âge de M. D... ou la prise d'un traitement antérieur particulier ;

5°) donner leur avis sur le point de savoir si le ou les manquements éventuellement constatés ont fait perdre à M. D... une chance sérieuse de guérison ; donner leur avis sur l'ampleur (pourcentage) de la chance perdue par cet homme de voir son état de santé s'améliorer ou d'éviter de le voir se dégrader en raison de ces manquements ;

6°) déterminer le contenu et l'étendue de l'information délivrée au patient sur les risques des actes médicaux subis de telle sorte que, pour le cas où un défaut d'information serait relevé, ce manquement puisse être apprécié au regard de l'obligation qui pesait sur les praticiens hospitaliers au moment des faits litigieux ;

7°) dans l'hypothèse où les experts estimeraient que le dommage trouve son origine dans un acte médical de préciser les conséquences auxquelles le patient était probablement exposé en l'absence de traitement, et de préciser, en la chiffrant, quelle était la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage dans les conditions où l'acte a été accompli ;

8°) de manière générale, donner toutes précisions et informations utiles permettant au tribunal de se prononcer sur les responsabilités et l'importance des préjudices subis tant par M. D... notamment à raison des souffrances endurées, que par ses proches, ainsi que toute information utile à la solution du litige ;

a) dire si l'état de M. D... est consolidé ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ; proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de l'intéressé en fixant notamment la période d'incapacité temporaire et le taux de celle-ci, ainsi que le taux d'incapacité permanente partielle ; en l'absence de consolidation dire à quelle date il conviendra de revoir la victime et préciser dans ce cas les évaluations prévisionnelles pour chaque poste de préjudice ;

b) indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire pour accomplir les actes de la vie quotidienne. Dans l'affirmative, dire pendant quelle durée l'aide d'une tierce personne a été ou est nécessaire et évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne, avant et après consolidation en précisant en ce cas le nombre d'heures nécessaires, leur répartition sur 24 heures, pour quels actes cette assistance est nécessaire et la qualification de la tierce personne ;

c) donner son avis sur les dépenses de santé rendues nécessaires par l'état de M. D... en lien avec les faits en litige, avant et après consolidation ; préciser, dans le cas où certaines hospitalisations ou certains achats de produits pharmaceutiques ou paramédicaux ne seraient pas tout entiers imputables au dommage litigieux, dans quelle proportion ils peuvent être rattachés à ce dernier ;

d) déterminer les autres dépenses liées au dommage corporel et indiquer notamment si l'état de M. D..., avant ou après consolidation, emporte un besoin temporaire ou définitif de logement adapté, de véhicule adapté et/ou de transport particulier le cas échéant, les décrire ;

e) indiquer les périodes pendant lesquelles M. D... a été, avant consolidation, dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle, et si, après consolidation, les atteintes séquellaires entraînent pour la victime une cessation totale ou partielle de son activité professionnelle, un changement d'activité professionnelle ou une impossibilité d'accéder à une activité professionnelle ;

f) décrire et évaluer les souffrances physiques, psychiques ou morales subies en lien avec les faits en litige ;

g) évaluer le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, avant et après consolidation ;

h) donner tous autres éléments d'information nécessaires à la réparation de l'intégralité du préjudice subi par M. D... à raison des faits en litige ;

Article 2 : Les experts déposeront leur rapport au greffe du tribunal administratif de Paris en 2 exemplaires au plus tard le 2 décembre 2024. Ils notifieront les copies de leur rapport aux parties intéressées telles que précisées à l'article n° 5 de la présente ordonnance, le cas échéant, avec leur accord, sous forme électronique.

Article 3 : L'ordonnance n° 2309584 du 15 septembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. G... D..., à Mme A... D..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, au groupe hospitalier universitaire de Paris psychiatrie et neurosciences, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, à la mutuelle uMEn, à M. H... C..., à M. E... I... et à M. F... B..., experts.

Fait à Paris, le 28 mai 2024.

La juge d'appel des référés,

A. Menasseyre

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA04152 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Numéro d'arrêt : 23PA04152
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : APEX AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-28;23pa04152 ?
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