La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/04/2017 | FRANCE | N°17PA00102

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 25 avril 2017, 17PA00102


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2015 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 18 rue Cornillot à Thorigny-sur-Marne, et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité globale de 10 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de cette décision et des conditions dans lesquelles la perquisition s'est déroulée.

Par un jugement n° 1601016 du 10 n

ovembre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2015 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 18 rue Cornillot à Thorigny-sur-Marne, et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité globale de 10 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de cette décision et des conditions dans lesquelles la perquisition s'est déroulée.

Par un jugement n° 1601016 du 10 novembre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 janvier 2017, M.A..., représenté par

Me Morand-Lahouazi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1601016 du

10 novembre 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 3 décembre 2015 ordonnant qu'il soit procédé à la perquisition de son domicile ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 10 000 euros en réparation de ses préjudices matériels et moraux subis du fait de cette perquisition ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les faits qui ont conduit à la perquisition en litige sont matériellement inexacts et entachés d'une erreur d'appréciation ;

- ce n'est pas parce qu'il a été le trésorier des associations ayant géré la mosquée de

Lagny-sur-Marne, sans d'ailleurs commettre aucune erreur de gestion, et qu'il fréquentait ce lieu de culte, que l'on peut en déduire qu'il aurait été un élève de l'ancien imam M. B... et qu'il représentait une menace pour la sécurité et l'ordre public ;

- les notes blanches ne font référence à aucune rencontre entre lui et cet ancien imam en dehors de ce lieu et des temps dédiés à la prière ;

- il ne s'est jamais fait remarquer et a toujours entretenu d'excellentes relations avec l'exécutif de la commune ;

- il est père de deux enfants âgés de 26 et 28 ans qui sont respectivement en Australie et en Allemagne où ils poursuivent des études ou exercent une activité professionnelle ;

- les éléments recueillis lors de la perquisition étant postérieurs à la décision attaquée ne peuvent être pris en compte ;

- les munitions trouvées fortuitement au bas de son immeuble, qui comporte un nombre important d'appartements, sont sans lien avec lui ;

- l'illégalité de cette perquisition engendre une première faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard ;

- dans la mesure où il n'existait aucune raison sérieuse de penser que le ou les occupants du lieu étaient susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'usage de la force pour y pénétrer également est fautif ;

- les éléments relevés par le tribunal administratif pour justifier l'usage de la force ne sont pas ceux qui ont présidé à cette prise de décision, laquelle est fondée sur la crainte d'une forte probabilité de présence d'armes, sans prise en compte de sa situation particulière dans la mesure où aucun élément préexistant ne le justifiait ;

- rien ne permettrait d'indiquer qu'il connaissait les deux individus contrôlés à proximité de son domicile, contre lesquels aucune charge n'a au demeurant été retenue ;

- la perquisition menée au domicile de son épouse 36 heures auparavant a été infructueuse ;

- il a subi des préjudices matériels et moraux liés à sa porte enfoncée, à ce mode opératoire de la perquisition et au caractère offensant de l'arrêté illégal pris à son encontre.

Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête, au motif qu'aucun des moyens soulevés par M. A...n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. V, président de chambre,

- les conclusions de Mme W, rapporteur public,

- et les observations de Me Morand-Lahouazi, avocat de M.A....

1. Considérant que M. A...relève appel du jugement du 10 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 3 décembre 2015 ordonnant qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 18 rue Cornillot à Thorigny-sur-Marne, et à la réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de cette décision et des conditions dans lesquelles la perquisition s'est déroulée ;

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

2. Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République " soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique " ; que selon l'article 2 de la même loi, l'état d'urgence est déclaré par décret en conseil des ministres ; que sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi ; que l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l'intérieur et aux préfets le pouvoir d'ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit ; que dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause peuvent être ordonnées " en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (...) Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République (...) " ; que ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l'intérieur et les préfets, lorsque le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence l'a expressément prévu, à ordonner des perquisitions qui, visant à préserver l'ordre public et à prévenir des infractions, relèvent de la police administrative, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge administratif ;

3. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain ; qu'il a été prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955 : " Outre les mesures prévues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955 susvisée, sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain et de la Corse, les mesures mentionnées aux articles 6, 8, et au 1° de l'article 11. " ;

4. Considérant que l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard ;

5. Considérant, en l'espèce, qu'il n'est pas contesté, que M. A...a occupé des fonctions de trésorier au sein des associations en charge de la gestion de la mosquée de

Lagny-sur-Marne ; qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des éléments précis et circonstanciés contenus dans des " notes blanches " établies par les services de renseignement, que ce lieu, géré à partir de 2010 par l'association " Retour aux sources ", a servi à M. B...son fondateur pour ses activités de prêche et d'enseignement en faveur d'un islamisme radical, prônant le rejet des valeurs de la République et de l'Occident, l'hostilité aux chrétiens et aux chiites et faisant l'apologie du djihad armé ainsi que de la mort en martyr ; que cette salle a également servi de lieu d'endoctrinement et de recrutement de combattants volontaires, dont plusieurs ont rejoint les rangs de Daech et ont combattu en Irak et en Syrie, où certains sont décédés ; qu'à la suite du départ de M. B...pour l'Egypte, en décembre 2014, afin d'y rejoindre une vingtaine de disciples qu'il avait formés à Lagny-sur-Marne et auxquels il continue d'enseigner une vision radicale de l'islam et de prôner l'engagement dans le djihad armé, cette salle de prière a été gérée, en fait ou en droit, par trois associations étroitement imbriquées, " Retour aux sources ", " Retour aux sources

musulmanes " créée en 2013 et l' " Association des musulmans de Lagny-sur-Marne " créée en 2015, comprenant les mêmes dirigeants, proches du fondateur de cette mosquée, qui ont continué à propager son idéologie ; qu'en outre, plusieurs des prédicateurs ayant officié à la mosquée et des fidèles ont fait l'objet de mesures d'interdiction de sortie du territoire français ; que certaines des personnes fréquentant la mosquée ont été interpellées, mises en examen ou incarcérées en raison de leur participation à des filières terroristes ; que, dans ces conditions, à la date à laquelle la mesure de perquisition litigieuse a été prise, et compte tenu des informations précitées dont disposait alors l'autorité administrative, le préfet de Seine-et-Marne a pu, sans méconnaître la matérialité des faits ou commettre des erreurs d'appréciation, estimer que M. A...constituait une menace pour la sécurité et l'ordre public justifiant une perquisition de son domicile, ladite mesure étant adaptée, nécessaire et proportionnée ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

6. Considérant, en premier lieu, qu'en l'absence d'illégalité affectant la décision ordonnant la perquisition litigieuse, l'Etat n'a pas commis une faute à ce titre susceptible d'engager sa responsabilité ;

7. Considérant, en second lieu, que les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions ; qu'ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, les conditions de mise en oeuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; qu'en particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour ; que sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité ; que lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents ; que l'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes ; que lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l'opération ; qu'aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition ; que toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de la perquisition réalisée au domicile de M.A..., le 3 décembre 2015, qu'au moment de leur arrivée sur place au bas de son immeuble, les fonctionnaires de police ont tout d'abord procédé au contrôle d'un véhicule qui tentait de quitter précipitamment les lieux, avec à son bord deux individus faisant l'objet d'une fiche S, dont l'un était par ailleurs assigné à résidence ; que, dans ces conditions, nonobstant la circonstance que le requérant affirme ne pas connaitre ces individus, les agents en charge de la perquisition de son domicile ont pu légitimement penser qu'il avait été informé de l'arrivée de la police et qu'il était susceptible de détruire ou de dissimuler des éléments matériels ; que, par suite, la circonstance que les forces de police ont procédé immédiatement à l'ouverture forcée de son domicile n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2017, à laquelle siégeaient :

- M. V, président de chambre,

- Mme X, président assesseur,

- Mme Y, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 avril 2017.

Le président rapporteur,

V Le président assesseur,

X

Le greffier,

ZLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 17PA00102


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00102
Date de la décision : 25/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. V
Rapporteur ?: M. V
Rapporteur public ?: Mme W
Avocat(s) : MORAND - LAHOUAZI

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-04-25;17pa00102 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award